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Table des matières



Commission et OPECST (Nominations)

Questions orales

Violences intrafamiliales dans le Cambrésis

Mme Brigitte Lherbier

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Maisons d'assistants maternels

Mme Isabelle Raimond-Pavero

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Recrutement de médecins étrangers

M. Mathieu Darnaud

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Services de soins infirmiers à domicile

Mme Frédérique Puissat

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Multiplication des « ruchers usines »

M. Pascal Martin

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Établissements d'abattage non agréés

M. Jean-Jacques Michau

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Arboretum national des Barres

M. Hugues Saury

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Prévention de nouvelles vagues d'influenza aviaire

M. Max Brisson

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Plan de filière de la presse d'information

M. Olivier Henno

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

Nouvelle définition des animaux immobilisés

Mme Anne-Catherine Loisier

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

Agrément des associations de protection de l'environnement

M. Jean-Marie Mizzon

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Plan de prévention du bruit dans l'environnement d'Orly (I)

M. Christian Cambon

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Réglementation environnementale et situation de l'entreprise Sermeta à Morlaix

M. Jean-Luc Fichet

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Contournement d'Arles

M. Guy Benarroche

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Prolifération de décharges sauvages en Pyrénées-Atlantiques

Mme Frédérique Espagnac

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Plan de prévention du bruit dans l'environnement d'Orly (II)

M. Laurent Lafon

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes

M. Didier Mandelli

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Investissements et multimodalité pour les ports français

Mme Agnès Canayer

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Financement de la déviation de la RN 135

M. Franck Menonville

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Retrait de leurs compétences à quatre maires du Val-de-Marne

Mme Catherine Procaccia

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Situation des intermittents de la restauration dans l'événementiel

Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Didier Marie

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

Logements sociaux et anciennes communes de la sidérurgie et des mines

M. Jean-Marc Todeschini

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Implantation d'une maison France Services dans la commune de Vigy

M. Jean Louis Masson

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

Difficultés financières des petites communes rurales

Mme Gisèle Jourda

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

Accompagnement des élèves handicapés (I)

M. Guillaume Chevrollier

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports

Accompagnement des élèves handicapés (II)

Mme Élisabeth Doineau

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports

Fermeture de classes dans l'Ain

M. Patrick Chaize

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports

Soutien aux associations sportives

M. Jacques Grosperrin

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports

Rehausser la taxe Buffet

M. Jean-Jacques Lozach

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports

Redoublants toulousains en première année de médecine

Mme Brigitte Micouleau

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Délivrance des visas pour hommes d'affaires d'Afrique

M. Richard Yung

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Compagnie républicaine de sécurité à demeure à Bordeaux

Mme Nathalie Delattre

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Moyens du tribunal judiciaire de Nanterre

Mme Christine Lavarde

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Chartes d'amitié entre des collectivités françaises et du Haut-Karabagh

M. Pierre Ouzoulias

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie

Application du droit du travail sur le site de l'EuroAirport de Bâle-Mulhouse

Mme Patricia Schillinger

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie

Freins au développement du spiritourisme

M. Michel Savin

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie

Opération Barkhane : bilan et perspectives

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Ludovic Haye

M. Jean-Noël Guérini

M. Pierre Laurent

M. Olivier Cigolotti

M. Jean-Marc Todeschini

M. Joël Guerriau

M. Guillaume Gontard

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Mme Florence Parly, ministre des armées

Mme Nicole Duranton

M. André Guiol

Mme Michelle Gréaume

M. Olivier Cadic

M. Yannick Vaugrenard

M. Gérard Longuet

M. Alain Marc

M. Guillaume Gontard

M. François Bonneau

M. Mickaël Vallet

M. Hugues Saury

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Isabelle Raimond-Pavero

M. Guillaume Chevrollier

Mme Catherine Belrhiti

M. Pascal Allizard

M. Christian Cambon, président de la commission

Mise au point au sujet d'un vote

Sécuriser la procédure d'abrogation des cartes communales

Explications de vote

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

M. Henri Cabanel

M. Fabien Gay

M. Jean-Pierre Moga

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Franck Menonville

M. Daniel Salmon

Mme Patricia Schillinger

M. Rémy Pointereau

Mineurs non accompagnés

M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles

Mme Éliane Assassi

Mme Élisabeth Doineau

M. Hussein Bourgi

M. Alain Cadec

M. Joël Guerriau

Mme Esther Benbassa

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Nathalie Delattre

Mme Annick Jacquemet

Mme Victoire Jasmin

M. Gilbert Favreau

M. Hussein Bourgi

M. Bernard Bonne

M. Sébastien Meurant

Mme Laurence Muller-Bronn

M. Stéphane Sautarel

M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains

Avenir de la Métropole du Grand Paris

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

M. Vincent Capo-Canellas

M. Rémi Féraud

M. Philippe Dallier

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Didier Rambaud

M. Jean-Claude Requier

M. Pascal Savoldelli

M. Arnaud de Belenet

M. Rachid Temal

M. Philippe Dominati

M. Vincent Éblé

M. Philippe Pemezec

M. Philippe Dominati

M. Jean-Raymond Hugonet

Mme Christine Lavarde

M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains

Annexes

Ordre du jour du mercredi 10 février 2021




SÉANCE

du mardi 9 février 2021

60e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin, Mme Marie Mercier.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Commission et OPECST (Nominations)

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires européennes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure.

Questions orales

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle 36 questions orales.

Violences intrafamiliales dans le Cambrésis

Mme Brigitte Lherbier .  - Les médias se font l'écho d'une recrudescence des violences intrafamiliales, particulièrement dans le Cambrésis où l'on observe une hausse de 7 à 8 % en un an.

Ces violences qui touchent les femmes se répercutent presque systématiquement sur les enfants. Si le taux d'enfants protégés est de 2 % au niveau national, il s'élève à 3 % dans le département du Nord, à 4 % dans le Cambrésis et bondit à 9% au Cateau-Cambrésis et 8 % à Caudry.

Ces violences, presque systématiquement liées à l'alcoolisme de l'auteur, se sont accrues lors des confinements.

Des dispositifs existent pour prévenir la récidive : injonctions de soins et cures de désintoxication. Mais les structures existantes sont sous-dotées en agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP). Des recrutements supplémentaires sont-ils envisagés ?

Si l'on ne brise pas ce cycle de violence, l'avenir des enfants sera compromis.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Veuillez excuser le garde des Sceaux ainsi qu'Adrien Taquet.

La lutte contre les violences intrafamiliales est une priorité absolue du Gouvernement. Des actions fortes ont été menées à l'issue du Grenelle des violences conjugales mais aussi face aux risques liés au confinement, avec le dispositif d'alerte en pharmacie ou le bracelet anti-rapprochement.

La prise en charge des auteurs fait l'objet d'une attention particulière. Je salue l'action des SPIP qui mettent en place des stages de responsabilisation ou le partenariat Femmes-enfants victimes de violences.

À Cambrai, est menée une politique pénale dynamique d'éviction du conjoint violent, avec des places d'hébergement pour ceux qui n'ont pas de solution de relogement.

Le Nord a bénéficié l'an dernier de six postes de CPIP et de neuf agents non titulaires médico-sociaux. Au niveau national, 364 recrutements sont prévus, dont 212 créations d'emploi. Fin 2019, Adrien Taquet a annoncé 22 mesures d'un plan de lutte contre les violences faites aux enfants. Soyez assurée de notre mobilisation.

Mme Brigitte Lherbier.  - En zone gendarmerie, 1 330 interventions liées à des violences intrafamiliales ont été recensées, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2019. Soyons solidaires pour enrayer ce fléau.

Maisons d'assistants maternels

Mme Isabelle Raimond-Pavero .  - Les maisons d'assistants maternels (MAM), instituées par la loi du 9 juin 2010, sont une avancée, tant pour les familles que pour les assistants maternels.

L'article L. 424-1 du code de l'action sociale et des familles limite à quatre le nombre des assistants maternels pouvant accueillir des enfants au sein d'une MAM ; chacun peut accueillir quatre enfants au maximum, soit seize mineurs au total.

Mais le texte ne précise pas si ce nombre doit être apprécié simultanément ou non.

Plus de quatre assistants maternels peuvent donc être agréés pour exercer au sein d'un même établissement, soit pour remplacer ponctuellement un collègue, soit de manière pérenne pour cause de travail à temps partiel.

Dans les faits, les capacités d'accueil en MAM sont généralement atteintes et l'intégration d'un nouvel assistant maternel en vue d'assurer les remplacements très difficiles. Cette simultanéité ne permet pas d'agréer un cinquième assistant maternel même ponctuellement, en l'absence d'un des quatre autres.

Les différences d'application du texte selon les départements créent une insécurité juridique et mettent les parents en difficulté en cas d'arrêt maladie. En cette période de crise sanitaire, quelles sont vos pistes d'amélioration ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Conscient des difficultés d'interprétation et d'application locale des textes, le Gouvernement a engagé une mise à plat du cadre normatif des modes d'accueil du jeune enfant et des services aux familles, dans un souci de simplification et de sécurité juridique.

Un projet d'ordonnance prise en application de l'article 99 de la loi ASAP sera publié très prochainement. Le texte précisera le nombre d'assistants maternels agréés pouvant travailler dans une MAM : six au maximum, dont quatre seulement pourront travailler simultanément.

Le nombre maximum d'enfants gardés demeurera fixé à quatre, quel que soit le lieu d'exercice, mais les assistants maternels pourront accueillir un enfant en plus dans la limite de cinquante heures par mois, et d'un plafond de quatre enfants de moins de 3 ans. La capacité maximale d'une MAM sera donc portée à vingt enfants, ce qui facilitera les remplacements, les formations et les accueils en urgence. Soyez assurés de la mobilisation d'Adrien Taquet pour apporter des solutions.

Mme Isabelle Raimond-Pavero.  - La crise inédite que nous traversons nécessite d'assouplir la réglementation.

Recrutement de médecins étrangers

M. Mathieu Darnaud .  - L'accès aux soins ne cesse de se dégrader. En 2019, 5,4 millions de personnes n'avaient pas de médecin traitant. Cette pénurie s'aggrave avec les départs massifs à la retraite, notamment dans les territoires ruraux ou périurbains comme l'Ardèche.

Les élus locaux se mobilisent pour trouver des solutions innovantes, comme les centres de santé municipaux agréés par l'ARS.

À l'hôpital, un médecin titulaire français peut autoriser un confrère étranger à pratiquer en son nom, sous son numéro au répertoire partagé des professionnels de santé, ce qui permet aux praticiens étrangers de passer l'examen d'équivalence. Hélas, le décret du 7 août 2020 n'autorise pas un médecin étranger à exercer en tant que généraliste dans un centre de santé.

Allez-vous lever cet obstacle et aligner les mesures d'exercice des médecins étrangers en centre de santé sur le régime en vigueur à l'hôpital ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Veuillez excuser l'absence d'Olivier Véran.

Un praticien titulaire d'un diplôme obtenu dans un pays n'appartenant pas à l'Union européenne, dit Padhue, peut être recruté pour exercer en centre de santé dès lors qu'il respecte l'une des deux procédures d'autorisation d'exercice, à savoir le concours annuel de la Liste A ou le dispositif dit « stock », et qu'il est inscrit au tableau de l'ordre des médecins.

La loi Santé du 24 juillet 2019 a prévu que les Padhue effectuent au préalable des fonctions probatoires sous le contrôle d'un praticien senior titulaire. Un centre de santé agréé pourrait ainsi accueillir un professionnel en période probatoire, dans une logique de compagnonnage. À l'issue de leur parcours, ces professionnels pourront être recrutés par des centres de santé agréés.

M. Mathieu Darnaud.  - Le décret est encore trop rigide : nos territoires ruraux ont besoin de solutions concrètes et pragmatiques.

Services de soins infirmiers à domicile

Mme Frédérique Puissat .  - Les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) assurent des prestations essentielles pour prévenir la perte d'autonomie et lutter contre l'isolement des personnes âgées et handicapées.

Malheureusement, du fait du manque d'attractivité de la profession, certains SSIAD sont confrontés à un manque criant de personnel et voient leur taux d'activité baisser.

Une revalorisation salariale s'impose. La création de la cinquième branche est porteuse de promesses, mais les financements font défaut. Alors que le nombre de personnes dépendantes à domicile ne cesse de croître, comment rendre plus attractive cette profession et soutenir les SSIAD qui sont de plus en plus fragilisés ?

Où en est le travail de Michel Laforcade, annoncé le 2 décembre dernier par Mme Bourguignon ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Veuillez excuser l'absence de Mme Bourguignon.

Les infirmiers et aides-soignants des SSIAD sont un maillon essentiel des soins ambulatoires. L'accord signé avec les partenaires sociaux le 13 juillet 2020 concerne en priorité les Ehpad publics mais a vocation à s'appliquer également dans les établissements du secteur privé, avec une revalorisation « socle » de 183 euros nets par mois.

Pour éviter des écarts de rémunération trop importants entre professionnels, un travail spécifique devra être mené sur la situation particulière des agents et des salariés des établissements et services médico-sociaux. M. Laforcade a été missionné le 16 novembre par le Premier ministre pour réaliser une expertise d'ici à la fin mars, pour une mise en oeuvre pluriannuelle à compter de 2021. Ces agents bénéficieront par ailleurs de la refonte des grilles de rémunération des personnels paramédicaux qui interviendra dès cette année.

Mme Frédérique Puissat.  - Il y a déjà eu le rapport El Khomri, la création de la cinquième branche... Attention au gap entre les déclarations et la réalité du terrain ! Il faudra être au rendez-vous. Le « quoi qu'il en coûte » vaut aussi pour ces professionnels.

Multiplication des « ruchers usines »

M. Pascal Martin .  - La généralisation de « ruchers usines », pouvant atteindre 300 colonies d'abeilles sélectionnées génétiquement et destinées à produire de la gelée royale, risque d'avoir des effets désastreux sur l'environnement.

Évaluées à plus de 20 millions d'individus, ces abeilles hybrides monopolisent les ressources en pollen et nectar dans un rayon de trois kilomètres, soit 2 800 hectares. Les espèces sauvages, les ruchers amateurs et les professionnels du miel sont directement menacés.

Obtenues par croisements entre des souches chinoises et libyennes, ces abeilles ont été optimisées afin de produire un maximum de gelée royale - mais elles ne produisent pas suffisamment de miel et dépendent de l'assistance humaine pour assurer leur subsistance. Elles produisent de faux bourdons qui vont féconder et transmettre leurs caractéristiques génétiques aux colonies sauvages et domestiques dans un rayon qui a vocation à s'étendre d'année en année.

Les espèces endémiques et notamment l'abeille noire pourraient ainsi disparaître et surtout devenir incapables de s'alimenter seules.

Diminuer la capacité de survie des abeilles, c'est diminuer la pollinisation, vitale pour l'agriculture et la biodiversité.

Entendez-vous interdire l'exploitation de ces « ruchers usines » ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Il faut savoir concilier les modes d'élevage et de culture sans nuire à la biodiversité. La solution ne me semble pas être l'interdiction des ruchers usines, qui existent depuis les années 1960 et qui sont exploités par environ 125 apiculteurs tout à fait sérieux, dont 80 % au sein de groupements de producteurs de gelée royale.

Notre filière de gelée royale est très déficitaire : nous produisons à peine 1 % de notre consommation. La taille du cheptel va de une à 120 colonies sédentaires ; 69 % de la production est certifiée bio. Le nourrissage avec des sirops sucrés n'est pas autorisé par le cahier des charges.

Pour garantir la santé de leurs colonies comme la qualité et la quantité de leur production, ces professionnels sont attentifs à l'environnement et au respect de l'écosystème.

La sélection génétique est pratiquée tant par les producteurs de gelée royale que par les producteurs de miel : ces pratiques font partie des techniques d'élevage de toutes les espèces animales.

Le brassage génétique entre espèces et sous-espèces d'abeilles n'est pas spécifiquement lié à la présence de colonies dédiées à la production de gelée royale mais concerne l'ensemble des espèces d'abeilles présentes sur un territoire donné. Sur les 62 445 apiculteurs, seule une centaine produit de la gelée royale.

M. Pascal Martin.  - La filière apicole est inquiète. Il faudrait une étude environnementale sur les conséquences de la multiplication de ces ruchers usine et une meilleure information des consommateurs.

Établissements d'abattage non agréés

M. Jean-Jacques Michau .  - Actuellement, les établissements d'abattage non agréés (EANA) sont autorisés à abattre, découper et transformer les volailles, palmipèdes et lapins élevés sur l'exploitation selon des conditions strictes, notamment sanitaires. Or la Commission européenne révise en ce moment le règlement européen du 29 avril 2004 et envisage de supprimer la dérogation au droit à découper et transformer les produits issus des EANA.

En France, on recense environ 3 500 ateliers qui alimentent les circuits courts. Ces emplois seraient menacés si les EANA devaient être interdits. Ce serait une catastrophe pour les exploitations qui n'ont pas les moyens d'investir dans un abattoir agréé.

Vous vous étiez engagé à défendre les EANA afin de garantir la pérennité des ateliers concernés et de répondre à la demande croissante de nos concitoyens en produits locaux, vendus en circuits courts.

Cette dérogation est-elle maintenue ? Si oui, jusqu'à quand ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je vous confirme que ces abattages agréés pourront se poursuivre. Ces abattoirs sont indispensables à nos territoires. Mais nous avons trouvé un autre système que la dérogation au règlement européen.

Le plan de relance prévoit d'investir 130 millions d'euros dans les abattoirs, notamment dans les abattoirs mobiles qui intéressent de nombreux territoires. Les lignes de financement sont ouvertes depuis le 1er janvier, or nous n'avons reçu qu'un seul dossier : je vous invite à faire remonter les projets !

M. Jean-Jacques Michau.  - Merci pour cette bonne nouvelle. J'espère que la durée de la dérogation sera suffisamment longue pour que les investissements puissent être amortis.

Arboretum national des Barres

M. Hugues Saury .  - Dans le Loiret, un trésor environnemental et patrimonial est menacé : l'arboretum national des Barres, répertorié au titre des jardins remarquables. Sur près de 35 hectares, s'épanouit depuis plus de 200 ans une collection d'arbres sans équivalent venue des cinq continents. C'est également un site d'intérêt scientifique qui abrite depuis le XIXsiècle l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), un lieu d'enseignement supérieur spécialisé dans les formations forestières et environnementales ainsi qu'un riche patrimoine architectural, aujourd'hui délaissé.

Le contrat d'objectif et de performance signé entre l'État et son gestionnaire, l'Office national des forêts (ONF), arrive à son terme et les élus s'inquiètent. D'abord des moyens financiers alloués à l'ONF : la gestion des collections, l'entretien de ce trésor naturel ont un coût qui pèse sur la conservation du site. Ensuite, du devenir du domaine des Barres : depuis 2018, la communauté de communes Canaux et forêts en Gâtinais, avec le soutien des autres collectivités territoriales, maintient un service pédagogique et touristique minimum. De l'aspect foncier, enfin : propriété du ministère de l'agriculture depuis 1964, la majeure partie du patrimoine bâti du domaine est laissée à l'abandon. Face à ce désengagement progressif, quelle est la position de l'État sur l'avenir de ce site phare, unique en Europe ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je me suis rendu le 2 septembre dernier sur le domaine des Barres. J'ai pris toute la mesure de son importance et demandé un plan d'action à mes services.

La mission d'intérêt général de l'ONF en faveur de l'arboretum sera reconduite grâce à un financement de mon ministère. L'accueil du public restera confié à la communauté de communes Canaux et forêts en Gâtinais.

Les parcelles boisées seront confiées en gestion à l'ONF et les activités expérimentales de l'Inrae pérennisées.

Des contacts sont pris entre la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et le conseil régional pour engager le transfert de propriété du lycée agricole et du terrain de football.

Mon ministère étudiera la possibilité de vendre les maisons à l'abandon ; les produits de cession pourront être réinvestis sur le site. Enfin, une densification de l'occupation du château des Barres sera recherchée. 

Ce plan démontre notre volonté de maintenir le haut niveau d'engagement de l'État dans la préservation de ce site remarquable ; je suis prêt à le détailler plus avant avec vous.

M. Hugues Saury.  - Merci. L'État, propriétaire du foncier, a les clés du devenir du domaine.

Prévention de nouvelles vagues d'influenza aviaire

M. Max Brisson .  - Une nouvelle vague d'influenza aviaire contraint les éleveurs du Sud-ouest à des abattages massifs : 409 foyers recensés, deux millions de canards abattus de manière préventive. C'est un drame.

Les indemnisations ont été au rendez-vous, mais pourquoi n'avoir pas modulé les abattages selon les formes d'élevages ? Les éleveurs ont déjà consenti de lourds investissements de biosécurité ; ils craignent de ne plus pouvoir demain pratiquer l'élevage en plein air. Il faudra aborder les sujets de la densité et de la circulation des élevages.

Ne faut-il pas aussi lever le tabou de la vaccination aviaire, au moins de façon préventive en cas d'alerte d'influenza aviaire sur les couloirs de migration ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Nous sommes tous aux côtés de nos éleveurs dans cette épreuve. D'abord, il faut éteindre l'incendie, ce que nous faisons avec les abattages préventifs. Je rends hommage à l'action des services de l'État et aux vétérinaires. Ensuite, il faut indemniser le dépeuplement mais aussi les pertes d'exploitation.

Enfin, il faut envisager l'après. Nous allons réunir les parties prenantes. Je crois à l'élevage en plein air ; la question n'est pas tant celle du modèle que la rapidité de la réponse.

Le vaccin ne doit pas être un tabou, mais à ce jour il n'y a pas de vaccin homologué en Europe. Les services sanitaires et vétérinaires européens craignent le transport de palmipèdes porteurs sains. Enfin, certains pays n'acceptent pas l'importation de palmipèdes vaccinés.

Je m'engage à traiter tous les sujets sur la table.

M. Max Brisson.  - Il faut travailler sur la génétique, sur les souches résistantes, sur la question des circulations. Le protocole de 2017 doit être repensé. Ouvrons le chantier de la vaccination, non pas systématique mais en cas d'alerte. La profession est prête.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Elle commence à bouger...

Plan de filière de la presse d'information

M. Olivier Henno .  - La bonne santé de la presse est un indice de la vitalité démocratique d'un pays. Les pouvoirs publics doivent éviter la disparition de ses titres emblématiques.

Je me félicite de l'adoption d'un crédit d'impôt pour le premier abonnement à un journal d'information politique et générale, votée dans le cadre de la loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020. C'est une mesure phare du plan de filière.

Mais quid des modalités précises : définition d'un premier abonnement, justification à fournir aux abonnés par l'éditeur, prise en compte des offres promotionnelles ? Les entreprises et éditeurs concernés attendent le décret censé préciser cette mesure, qui n'est valable que jusque fin 2022 !

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Le crédit d'impôt vise à soutenir la presse nationale et régionale dans sa diversité. Celle-ci joue un rôle essentiel, mais elle souffre depuis longtemps.

La loi prévoit un crédit d'impôt sur le revenu de 30 %, jusqu'au 31 décembre 2022, au titre du premier abonnement d'au moins douze mois à un titre de presse d'information politique et générale. La date d'entrée en vigueur sera fixée par un décret qui interviendra après l'avis de la Commission européenne sur la légalité du dispositif au titre des aides d'État. Ensuite, une instruction précisera les choses.

Pour permettre aux professionnels du secteur d'anticiper, des précisions structurantes leur ont d'ores et déjà été apportées par l'administration fiscale.

Comme vous, le Gouvernement se tient aux côtés de la presse.

M. Olivier Henno.  - Merci pour votre réponse. Vu l'urgence, il conviendrait de pérenniser la mesure au-delà de 2022.

Nouvelle définition des animaux immobilisés

Mme Anne-Catherine Loisier .  - J'attire votre attention sur les conséquences des nouvelles dispositions comptables liées à l'activité agricole pour la filière équine, en particulier la nouvelle définition des biens vivants immobilisés.

Les biens vivants sont inscrits en immobilisations corporelles lorsqu'il devient certain ou quasi-certain que ces biens resteront durablement dans l'entité pour y être utilisés comme moyen de production. Lorsque la destination d'un bien vivant est incertaine, il est classé en stock.

Dès lors, ne sont pas considérés comme des immobilisations les biens vivants dont la destination est exclusivement d'être vendus et ceux dont la durée d'exploitation est inférieure à douze mois.

Cette nouvelle définition pénaliserait beaucoup de petits éleveurs vendeurs de chevaux et déstabiliserait la filière.

Pouvez-vous préciser ce qu'il en sera fiscalement pour les entreprises au bénéfice agricole (BA), au bénéfice non commercial (BNC), les sociétés soumises à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) ou à l'impôt sur les sociétés (IS) ayant une activité cheval ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Selon le code général des impôts, pour la détermination des bénéfices agricoles, peuvent être considérés comme des immobilisations amortissables les animaux de trait ou affectés exclusivement à la reproduction, les chevaux de course et de concours soumis à un entraînement en vue de la compétition. Tous les autres animaux, y compris ceux nés dans l'exploitation, sont compris dans les stocks.

Mais la doctrine administrative a assoupli le régime. La doctrine fiscale précise que les exploitants agricoles soumis à un régime réel d'imposition, normal ou simplifié, sont autorisés à inscrire en immobilisation, dès la date de leur naissance, les chevaux destinés à la course ou à la selle.

Les exploitants relevant du bénéfice agricole ou BNC ne relèvent pas du même régime que ceux qui relèvent des BIC ou de l'impôt sur les sociétés : la distinction est de nature à rassurer la filière.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - La filière a un chiffre d'affaires de plus de 10 milliards d'euros, dont 800 millions d'euros abondent les caisses de l'État. Merci pour vos précisions.

Agrément des associations de protection de l'environnement

M. Jean-Marie Mizzon .  - L'article L. 141-1 du code de l'environnement permet aux associations de protection de la nature et de l'environnement d'obtenir un agrément valable cinq ans, renouvelable six mois avant son échéance.

Dans le Grand Est, la fédération lorraine d'associations de protection de la nature et de l'environnement, Lorraine nature environnement (LNE), agréée avant la fusion des régions de 2016 au niveau régional, a obtenu, au lendemain de la réforme 2016, un agrément interdépartemental concernant les quatre départements lorrains.

Elle s'inquiète du renouvellement de l'agrément régional en 2023, auquel elle pourrait légitimement prétendre pour le territoire du Grand Est. Pouvez-vous préciser les règles de délivrance de l'agrément quand il porte sur plusieurs départements au sein d'une même région ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Les associations de protection de l'environnement constituent un réseau d'alerte et de vigilance précieux.

Le cadre juridique doit les sécuriser et non les freiner. La circulaire du 14 mai 2012 relative à l'agrément des associations simplifie le cadre territorial de l'attribution de l'agrément. Si Lorraine Nature Environnement intervient au niveau régional, c'est bien un agrément régional qu'il faut demander. Celui-ci peut être accordé sans que l'activité recouvre nécessairement l'ensemble de la région.

Les associations agréées dans le cadre interdépartemental conservent bien leur agrément jusqu'à expiration ; elles peuvent ensuite demander la modification du cadre territorial lors du renouvellement.

Mes services se tiennent à disposition de l'association mais l'élargissement du cadre à la grande région ne devrait pas poser problème.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Merci. Je me félicite que l'on conserve les associations qui ont un passé et une expérience.

Plan de prévention du bruit dans l'environnement d'Orly (I)

M. Christian Cambon .  - L'émotion a étreint les trois départements de la banlieue parisienne à la parution du nouveau plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) de l'aéroport d'Orly. Brusquement, sans concertation, la zone concernée passe de 3 000 à 8 000 hectares et s'étend d'Ozoir-la-Ferrière jusqu'à Limours ! (L'orateur brandit une carte pour illustrer son propos.)

Pourquoi cette extension invraisemblable, disproportionnée ? Rien n'a changé dans l'exploitation de l'aéroport d'Orly, en termes de mouvements comme de créneau horaire, et les nouveaux avions font de moins en moins de bruit !

Or le PPBE impose aux communes concernées des contraintes d'urbanisme allant jusqu'à l'interdiction de construire, avec à la clé une perte de valeur du patrimoine immobilier. Allez vendre un pavillon dans une de ces communes... À terme, cela se traduira par une paupérisation et une perte de milliers d'habitants.

Les aménagements autour des gares ne seraient plus possibles, non plus que le renouvellement urbain des quartiers dégradés et des friches... L'État schizophrène pénalise d'un côté les communes qui ne construisent pas assez mais de l'autre leur interdit de construire !

La commission consultative de l'environnement a donné un avis négatif à l'unanimité, tout comme tous les élus concernés. Cette extension sera-t-elle retirée ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - La protection des riverains contre les nuisances sonores est une priorité du Gouvernement, tout comme la santé environnementale.

Le nouveau plan pour Orly répond aux demandes d'élus et de riverains : il comprend des incitations fiscales au renouvellement des flottes, des aides à l'insonorisation des logements, des études préalables à des modifications de procédures de navigation aérienne ou encore d'éventuelles restrictions d'exploitation sur la plateforme, notamment pour les avions les plus bruyants. Une étude de la DGAC est en cours.

La proposition de restaurer une zone C et une zone D dans le plan d'exposition au bruit sera concertée avec les élus. Le ministre des Transports a demandé une étude d'impact aux préfets de l'Essonne et du Val-de-Marne.

Enfin, le PPBE d'Orly est encore à l'état de projet, la concertation ne fait que débuter ; il peut encore évoluer.

Réglementation environnementale et situation de l'entreprise Sermeta à Morlaix

M. Jean-Luc Fichet .  - Le 24 novembre, vous avez annoncé les arbitrages du Gouvernement en matière de réglementation environnementale 2020 relative aux constructions neuves, qui prévoient la fin du chauffage au gaz. À Morlaix, l'entreprise Sermeta, un des leaders mondiaux des pièces de chauffage, a dû suspendre un projet de développement de 10 millions d'euros à la suite de votre annonce.

Moins dépendre des énergies fossiles est un objectif louable. Je tiens à la main un brûleur à gaz unique au monde, compatible avec l'ajout d'hydrogène. (M. Jean-Luc Fichet brandit un objet métallique.) Ce n'est pas une fiction !

Deux cents sites utilisent déjà le biogaz et 1 100 projets sont en cours d'instruction. Pourquoi se priver de cette source d'énergie, tout miser sur le nucléaire et les pompes à chaleur, dont 95 % des pièces viennent d'Asie du Sud ? Aidons nos entreprises. Revenez sur le RE2020 !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Le projet de RE2020 est une avancée environnementale importante, qui intègre une exigence climat cohérente avec la stratégie nationale bas carbone : abaisser la part de logements chauffés au gaz à 15 %.

Le potentiel de production de gaz décarboné est important mais doit être ciblé sur les filières les plus difficiles à décarboner. Il faut inverser la tendance.

Le gaz équipe surtout les logements anciens, qui ne sont pas concernés par la règlementation. En 2020, seules les maisons individuelles neuves, dont 20 % sont chauffées au gaz, seront concernées ; les logements collectifs, dont 74 % sont chauffés au gaz, ne le seront qu'en 2024. Cela ne doit pas inquiéter la filière.

M. Jean-Luc Fichet.  - Vous ne me répondez pas sur la recherche et développement concernant une solution à l'hydrogène. Pourquoi dépendre uniquement de l'électricité, et donc du nucléaire ? Nous avons vu, cet hiver, que nous n'étions pas capables de répondre à la demande. Votre réponse ne me satisfait pas. L'entreprise de Morlaix est une référence mondiale !

Contournement d'Arles

M. Guy Benarroche .  - Il y a plus de 25 ans, à l'époque où la biodiversité était une lubie de fantasques écolos, le contournement routier d'Arles a donné lieu à l'étude de sept tracés, dont un, le tracé V6, n'a pas fait l'objet de concertation car, d'après le rapport, il était « très destructeur, et en tout état de cause une variante à abandonner ». Puis le rapport Duron a repoussé ce projet non prioritaire à 2038.

Mais voilà qu'il réapparaît en 2019, avec pour seul tracé envisagé, le V6, qui porte pourtant sur des zones Natura 2000, des zones humides importantes, des terres agricoles, des rizières mais aussi 50 hectares de foin de Crau, seule AOC reconnue pour le foin. L'impact sur la biodiversité serait irréversible. Il réussit à fédérer contre lui la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles, des environnementalistes, des éleveurs de taureaux, des riziculteurs, des scientifiques...

Alors que la France s'est engagée dans une stratégie bas carbone, ce contournement provoquera une augmentation du trafic de camions transportant les marchandises arrivant au port de Marseille. À l'horizon 2028, l'accroissement serait de 1 100 véhicules par jour !

Comment justifiez-vous que la seule solution envisagée soit celle qui n'avait pas été présentée à la concertation publique, la plus écocide, la plus coûteuse ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Ce projet vise à apporter le dernier maillon dans la liaison autoroutière entre l'Italie et l'Espagne et à délester la ville d'Arles, pour améliorer le cadre de vie des riverains, la sécurité routière et le développement économique. Les enjeux environnementaux sont indéniables. J'ai eu l'honneur de rapporter le volet infrastructure de la loi LOM qui a permis de relancer ce projet.

Tous les fuseaux ont été réétudiés. Le fuseau V6 a été soumis à une concertation qui vient de s'achever. C'est la meilleure solution. Les études ont bien respecté la règle « éviter, réduire, et, au besoin, compenser ».

D'importants efforts sont engagés pour encourager le report modal vers le ferroviaire. Le maître d'ouvrage détaillera les réponses à vos questions. Nous n'en sommes qu'au début du chemin.

M. Guy Benarroche.  - J'espère bien ! Éleveurs de chevaux, d'oies ou de bovins, producteurs de riz, associations environnementales sont vent debout contre ce projet qui ne résoudra en rien le problème des camions : l'autoroute étant payante, ces derniers continueront à traverser Arles.

Prolifération de décharges sauvages en Pyrénées-Atlantiques

Mme Frédérique Espagnac .  - Dans les Pyrénées-Atlantiques, de nombreuses entreprises déversent leurs gravats, dont des bidons de produits toxiques ou inflammables, dans des décharges sauvages.

Pourtant, des centres d'accueil existent, des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), 43 % des maires considèrent que le problème des dépôts sauvages s'aggrave. Un habitant abandonnerait chaque année près de 21,4 kilos de déchets dans la nature.

Pour enrayer cette évolution, les élus locaux essayent différentes méthodes : verbalisation, actions curatives. Quand les infractions sont constatées, elles sont le plus souvent classées sans suite...

L'existence de ces décharges détruit les efforts des exécutifs locaux pour favoriser l'émergence d'une économie circulaire permettant d'organiser le recyclage des déchets ménagers.

Dans quelles conditions un maire peut-il prendre l'initiative d'évacuer ce type de décharges illégales, en vertu de ses compétences de santé publique ? Les dépenses engagées par la collectivité pourraient-elles être prises en charge par les contrevenants, ou à défaut par l'État ? À quand une politique nationale de lutte contre les décharges sauvages ? L'État pourrait mettre en place un site internet ou une application mobile permettant à tout particulier de signaler un lieu de stockage sauvage.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - La lutte contre les dépôts sauvages, problème qu'une actualité dramatique a souligné, est au coeur de l'action du Gouvernement. La loi antigaspillage de février 2020 agit à la racine avec la création d'une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les déchets du bâtiment, opérationnelle le 1er janvier 2022. Le nettoyage des dépôts sera financé en partie par la filière à la suite d'un décret de novembre 2020, grâce aux amendes administratives perçues par les collectivités territoriales ; un décret de décembre 2020 porte la contravention pour les petits dépôts de la troisième à la quatrième classe.

D'autres mesures faciliteront l'action des élus : un accès au fichier d'immatriculation des véhicules, la vidéosurveillance, l'habilitation à verbaliser des agents de surveillance de la voie publique, et l'édition, début février, d'un guide pour les collectivités.

Mme Frédérique Espagnac.  - Merci de rappeler des mesures dont certaines ne datent que de décembre : les maires ne les connaissent pas encore. Il y a urgence.

Plan de prévention du bruit dans l'environnement d'Orly (II)

M. Laurent Lafon .  - La situation de l'aéroport d'Orly est unique en France : implanté sur une emprise de plus de 1 500 hectares, il est enclavé dans un tissu urbain dense qui préexistait à sa construction. Cela se traduit par l'existence d'un couvre-feu et d'un plafonnement du trafic aérien.

Si l'activité de l'aéroport est structurante pour l'économie, l'emploi et l'attractivité du Val-de-Marne et de l'Essonne, les nuisances sonores et la pollution atmosphérique qu'elle engendre ont d'importantes conséquences sur la santé des riverains ainsi que sur la dégradation et la dépréciation du cadre de vie des communes survolées.

Ce délicat équilibre est aujourd'hui remis en cause par un projet de plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE), qui risque d'engendrer des contraintes d'urbanisme importantes, avec l'extension de la zone C et la création d'une zone D, mais ne prévoit aucun élargissement du couvre-feu ni amélioration des procédures de décollage.

L'État ne doit pas pénaliser les riverains. Comment le Gouvernement entend-il répondre à la forte opposition des élus locaux à la modification des règles d'urbanisme ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Ce nouveau PPBE de trente mesures renforce la protection des riverains.

La restauration d'une zone C et la création d'une zone D doit être examinée précisément : à la demande du Gouvernement, les préfets de l'Essonne et du Val-de-Marne vont réaliser une étude d'impact et mener une concertation avec les collectivités.

Nous entendons l'inquiétude des élus locaux et des populations concernés.

Ces mesures devraient renforcer la qualité de vie des riverains et donc l'attractivité de ces territoires. La concertation débute ; le PPBE pourra évoluer.

M. Laurent Lafon.  - Je m'étonne que l'étude d'impact n'ait pas été réalisée avant le projet de PPBE. Il faut en retirer ces mesures d'urbanisme qui polarisent inutilement le débat.

Trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes

M. Didier Mandelli .  - La Vendée est souvent citée en exemple en matière d'économie circulaire : elle valorise en effet 72 % de ses 470 000 tonnes de déchets annuels, bien au-delà de l'objectif de 65 % en 2025 fixé par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Ces bons résultats s'expliquent par deux choix politiques forts : celui d'élargir les consignes de tri à l'ensemble des habitants du département dès 2017 et celui d'avoir deux tiers des ménages en redevance incitative.

La Vendée a fait le choix de ne pas avoir d'incinérateur et va donc subir brutalement la hausse liée à la trajectoire de la TGAP à l'enfouissement : dès 2021, la TGAP passera de 18 euros à 30 euros par tonne en moyenne, soit une augmentation de 1,3 million d'euros, dans un contexte déjà tendu.

Cette augmentation ne prend pas en compte les paramètres locaux et pénalisera un territoire exemplaire en matière d'économie circulaire.

Le Gouvernement envisage-t-il de rendre la TGAP plus flexible en fonction des performances des territoires ? De flécher les recettes afin de favoriser la création de nouvelles filières de recyclage, comme je l'avais proposé lors des projets de loi de finances successifs ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Les actions volontaristes de la Vendée sont en cohérence avec les priorités du Gouvernement.

Le Parlement a réformé en 2018 la fiscalité sur les déchets, et notamment la TGAP, afin de rendre le recyclage plus attractif que l'élimination.

La diminution de moitié de la mise en décharge ou le recyclage de 100 % des plastiques font partie des priorités de la loi anti-gaspillage.

La TGAP est calculée en fonction des tonnages de déchets. Il n'est pas prévu d'en moduler le taux en fonction des performances des collectivités territoriales : cela créerait une inégalité devant l'impôt.

Des fonds spécifiques sont aussi consacrés à l'économie circulaire via l'Ademe : 500 millions d'euros, dont 100 millions d'euros pour le tri à la source et la collecte des bio-déchets. Des mesures non fiscales sont également prévues, comme la création d'une filière REP qui transmettra les coûts aux producteurs.

M. Didier Mandelli.  - Venez donc constater les efforts réalisés en Vendée ! Et 15 millions d'euros d'investissements supplémentaires sont prévus. Le département est engagé et malheureusement pénalisé.

Investissements et multimodalité pour les ports français

Mme Agnès Canayer .  - « Homme libre, toujours tu chériras la mer », écrivait Charles Baudelaire. Le secteur maritime est capital pour notre économie. Or la crise sanitaire et la succession des manifestations sociales ont provoqué une marginalisation des ports français au profit de concurrents européens.

Il nous faut des plans d'action. En 2019, l'État s'était engagé à aider le transport combiné ; lors du comité interministériel de la mer au Havre le 21 janvier 2021, le Gouvernement a évoqué un investissement de près de 1,5 milliard d'euros pour Haropa (Le Havre-Rouen-Paris).

Plusieurs questions demeurent cependant sur l'axe Seine.

Un rapport préconisait un triplement des aides au transport combiné. On est loin du compte. Malgré l'augmentation des aides à la pince, le Gouvernement entend-il donner à nos ports les mêmes armes que nos voisins européens ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Le Président de la République et le Gouvernement l'ont rappelé, la France porte une ambition forte en matière de politique portuaire, maritime et fluviale.

Le comité interministériel de novembre 2018 a acté la création d'un établissement unique Le Havre-Rouen-Paris, outil pour la compétitivité de l'axe Seine-Haropa, avec un plan d'investissement stratégique de 1,4 milliard d'euros pour 2020-2027.

En partenariat avec Voies navigables de France (VNF), un plan de compétitivité pour le transport par conteneurs est en cours d'écriture avec, notamment, des modernisations d'écluses, le projet Port 2000 au Havre et un soutien à la transition écologique de la flotte.

L'aide à la pince a été reconduite en 2018 pour cinq ans, à hauteur de 27 millions d'euros. Afin d'encourager le report modal, le ministre a décidé d'en augmenter le montant ; l'arbitrage est imminent. Plus de 400 millions d'euros sont investis dans le cadre du plan de relance en faveur de l'attractivité des ports. La stratégie nationale portuaire favorisera le développement des ports français.

Mme Agnès Canayer.  - Nous sentons un élan en faveur des ports français. Mais le coût du transport, notamment fluvial, reste plus cher que chez nos voisins. Il faut des aides à hauteur des 150 euros prévus pour le port d'Anvers afin d'éviter la fuite des conteneurs.

Financement de la déviation de la RN 135

M. Franck Menonville .  - Ma question, à laquelle j'associe associe Gérard Longuet, porte sur le financement de la déviation de la RN 135 autour de la commune de Velaines. Commencé depuis des décennies, ce dossier est capital pour le désenclavement du sud meusien. Il était sur le point d'aboutir en 2018 avec la signature du contrat de plan État-région (CPER) qui actait la participation des financeurs pour un total de 48 millions d'euros, dont 27,5 millions financés par l'État.

Or, le 14 décembre 2020, lors du comité des financeurs, les services de l'État ont annoncé un surcoût d'environ 34 millions d'euros, portant le coût total du projet à près de 82 millions d'euros. Il est évident que les collectivités territoriales ne sont pas en mesure d'absorber une telle augmentation.

Il y a urgence : la traversée de Velaines est extrêmement accidentogène. Depuis six mois, pas moins de trois accidents graves, dont deux mortels. Nous avons besoin de la garantie de l'État pour financer cet investissement majeur, par ailleurs inscrit au projet de développement du territoire pour l'accompagnement du projet Cigeo.

L'État tiendra-t-il ses engagements ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Je vous réaffirme l'engagement de l'État pour ces travaux qui sont une priorité, notamment en matière de sécurité routière. Notre engagement dans le projet d'enfouissement Cigeo a été confirmé.

Des étapes ont été engagées depuis : acquisitions foncières, autorisations environnementales et au regard de la loi sur l'eau. Les premiers travaux vont pouvoir débuter avec le giratoire de Tronville, financé à hauteur de 24,5 millions d'euros, plus 4 millions d'euros pour les fouilles archéologiques préventives.

Le surcoût de 33,5 millions d'euros est lié à l'actualisation des prix et à une réévaluation du coût du terrassement, ainsi qu'à la découverte d'une nécropole très importante. Cependant, les crédits disponibles permettent d'avancer sans retard de calendrier jusqu'en 2022.

La prochaine contractualisation sur les infrastructures permettra de mobiliser les crédits de la deuxième phase.

Retrait de leurs compétences à quatre maires du Val-de-Marne

Mme Catherine Procaccia .  - Quatre communes du Val-de-Marne sont désormais privées de leur droit d'urbanisme, les objectifs de construction de logements sociaux n'ayant pas été atteints, selon la déclaration de la ministre.

Pourtant tous construisent ! Les exigences la loi SRU sont irréalistes et inatteignables.

Le manque de surfaces constructibles, le caractère pavillonnaire de certaines villes, les décisions prises par les maires sont autant d'éléments qui ne sont pas pris en compte.

Le préfet, qui se substituera aux maires dans leurs prérogatives, compte-t-il aussi prévoir les équipements publics indispensables, et comment seront-ils financés ?

L'État force à la bétonisation et laisse les élus se débrouiller.

Pourquoi les maires des villes concernées n'ont-ils pas pu s'expliquer et se justifier devant la commission ad hoc ? Sur quelles bases l'État les sanctionnera-t-il si le préfet n'arrive pas non plus à atteindre des objectifs totalement idéalistes et irréalistes ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Le préfet vient en effet de prendre un arrêté de carence au titre de la loi SRU. La tension sur le logement est très forte dans la métropole du Grand Paris. Le principe de solidarité qui fonde la loi SRU ne saurait être contesté.

Or Saint-Maur-des-Fossés compte moins de 10 % de logements sociaux, Ormesson moins de 3 %. Ces quatre communes étaient déjà carencées lors du dernier bilan triennal ; elles doivent rattraper leur retard, vingt ans après le vote de la loi.

Le préfet a donc pris des mesures fermes, après un échange contradictoire avec les élus concernés. Le manque de foncier supposé n'est pas un argument : les communes voisines arrivent à remplir leurs obligations et celles-ci peuvent être remplies autrement que par des constructions neuves. D'autres solutions existent : rénovation, acquisition, résorption de friches et de dents creuses...

J'invite ces quatre communes à mener enfin une politique volontariste.

Mme Catherine Procaccia.  - Comment douter du manque de foncier dans une commune de 24 000 habitants au mètre carré comme Saint-Mandé ? Mme Wargon, dont je regrette l'absence, devra expliquer aux habitants pourquoi elle privilégie la bétonisation aux espaces verts. Comment ces maires auraient-ils pu rattraper en six ans ce qui n'a pas été fait en vingt ans ? Vous faites tout pour décourager les élus !

Situation des intermittents de la restauration dans l'événementiel

Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Didier Marie .  - La crise sanitaire a mis en évidence le vide juridique autour du droit social des contrats à durée déterminée d'usage (CDDU). C'est sous ce régime qu'est employé le personnel de la restauration dans l'événementiel, environ 15 000 personnes qui travaillent principalement pour des traiteurs.

À l'instar des autres intermittents, leurs périodes d'activité sont donc entrecoupées de périodes d'inactivité où ces extras font valoir leurs droits au chômage. La pandémie a mis tout le secteur à l'arrêt.

Or les « intermittents de la restauration dans l'événementiel » semblent avoir été oubliés par le Gouvernement. Ils ne peuvent bénéficier des mesures de soutien, et au sortir du confinement, l'activité du secteur n'a pas pu reprendre. Après dix mois d'inactivité forcée, ils sont nombreux à se trouver en grande précarité, sans rémunération ni allocations chômage. Quelles mesures d'urgence le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour leur venir en aide ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité .  - Je tiens à excuser Élisabeth Borne. Le Gouvernement est attentif à tous les travailleurs dans la crise, quel que soit leur secteur d'activité. Ancien député d'une circonscription où le travail saisonnier est majoritaire, je suis très sensible à la question.

Une nouvelle aide exceptionnelle garantit une rémunération mensuelle de 900 euros, de novembre jusqu'à fin février pour les saisonniers et extras, soit 450 000 bénéficiaires potentiels qui n'auront pas à en faire la demande. Au 5 février, 320 000 personnes en avaient bénéficié au titre des mois de novembre, décembre, janvier et février. Malheureusement, pour 130 000 personnes qui pourraient être éligibles, nous ne disposons pas des données nécessaires. Pôle emploi est en train de les contacter.

Le sénateur Iacovelli et le député Jean-François Mbaye ont été missionnés par le Gouvernement pour mener une étude sur la pertinence des contrats courts. Cela semble plus juste que l'année blanche qui est parfois réclamée.

Mme Gisèle Jourda.  - C'est un point crucial soulevé par toutes les chambres consulaires. Espérons que le recensement en cours y remédiera.

Logements sociaux et anciennes communes de la sidérurgie et des mines

M. Jean-Marc Todeschini .  - Le Gouvernement a annoncé durcir les sanctions contre les communes ne respectant pas les règles en matière de logement social. Nous sommes tous d'accord pour soutenir la dynamique de construction de logements sociaux et pour appliquer strictement la loi SRU. Cependant, infliger des sanctions à des communes de l'ancienne sidérurgie et des mines pose un problème d'équité.

La communauté de communes du Val de Fensch a perdu la moitié de ses emplois depuis 1968. Le taux de chômage y est de 17,7 %, 31 % des ménages sont éligibles au prêt locatif aidé d'intégration et 86 % des logements sont collectifs. Malheureusement, moins de demandes de logements sociaux y sont satisfaites que dans le reste de la Lorraine, car les communes concernées font face à des difficultés insurmontables.

Ainsi la commune de Nilvange compte 11,64 % de logements sociaux, mais il n'y a pas de foncier disponible : comment construire ? Les logements vendus entre les années 1960 et 1980 par les entreprises aux anciens salariés de la sidérurgie et des mines, fortement dégradés, ne comptent pas dans les statistiques du logement social. J'ajoute que tous les permis de construire sont refusés.

Prendrez-vous en compte l'histoire et la géographie des anciennes communes de la sidérurgie et des mines dans lesquelles les espaces fonciers sont rares et, le plus souvent, lourdement pollués ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Nous durcissons les sanctions parce qu'il faut absolument renforcer notre effort de production de logements sociaux. Le Gouvernement y veille de façon rigoureuse mais prend en compte les spécificités locales : aucune des communes de Val de Fensch, dont le taux de logements sociaux est compris entre 13 % et 17 %, n'a été jugée carencée ; aucune n'a subi de majorations du prélèvement SRU. Le préfet de Moselle a pris en compte les efforts réalisés, comme la loi l'y autorise.

Il n'est pas toujours nécessaire de construire des logements neufs : il peut aussi s'agir d'opérations de démolition-reconstruction, de conventionnement ANAH (Agence nationale pour l'habitat) avec le privé, de réhabilitation de dents creuses... De nombreuses pistes s'offrent aux élus.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Le Gouvernement ne doit pas pénaliser nos communes appauvries et marquées par les stigmates de la crise de la sidérurgie.

Implantation d'une maison France Services dans la commune de Vigy

M. Jean Louis Masson .  - Les maisons France Services (MFS) assurent le maintien d'une présence territoriale des services publics. Le Gouvernement avait prévu une MFS par canton, ce qui n'a aucune cohérence. Mieux vaudrait une MFS par communauté de communes, c'est-à-dire par bassin de vie. Le dossier présenté par la commune de Vigy pour créer une MFS recueillera-t-il votre bienveillance ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité .  - Les MFS, qui permettront de réaliser ses démarches administratives à moins de trente minutes de chez soi, rencontrent un succès important avec déjà 1 123 labellisations. L'objectif est de couvrir chaque canton, dans la limite d'un plafond départemental. Une souplesse introduite par la circulaire du 8 juin 2020, qui fixe un ratio de 1,2 MFS par canton, prend en compte les bassins de vie.

Il y a également la possibilité de MFS multi-sites, avec une maison centrale et des annexes.

Le projet de Vigy a été transmis par la préfecture pour une labellisation possible à la mi-2021, sous réserve de sa conformité à la réglementation visant le cahier des charges.

M. Jean Louis Masson.  - Je vous remercie pour votre réponse : c'est le bon sens. Le vrai bassin de vie, ce n'est pas le canton, c'est la communauté de communes. Vigy a besoin d'un relais de services publics et vos propos sont très encourageants pour ce projet.

Difficultés financières des petites communes rurales

Mme Gisèle Jourda .  - Les petites communes rurales sont parfois très isolées face à leurs difficultés financières.

Dans la commune de Montgradail dans l'Aude - 47 habitants - une grange est en ruines au bord de la route communale : elle doit être détruite. Le devis pour sa démolition s'élève à 25 000 euros. Le propriétaire privé est insolvable. La commune doit donc se substituer à lui pour organiser et financer cette démolition, alors que son budget annuel est de 100 000 euros. C'est impossible !

L'ANAH ne peut aider la commune car il ne s'agit pas d'une habitation ; le département non plus, puisque la commune n'est pas propriétaire du bâtiment. Ce cas n'est pas unique. De nombreux maires, notamment ruraux, rencontrent les mêmes problèmes.

Mme Gourault a déclaré : « Les finances locales ne sont pas en panne et doivent être mobilisées pour la relance ». Jugement bien difficile à entendre pour les petites communes rurales !

Quels dispositifs, quelles aides spécifiques pouvez-vous mobiliser pour aider les communes à gérer ces situations et pour mettre un terme à cet isolement ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité .  - Les maires sont en première ligne sur ces opérations. Il n'existe pas de fonds spéciaux pour faire face à l'insolvabilité du propriétaire : les communes interviennent alors sur leurs ressources de droit commun. Les crédits d'État, notamment la DETR, ne peuvent venir en substitution si la commune n'a pas la libre disposition du terrain ensuite. Mais la DETR peut éventuellement aider la commune sur une autre opération : ce peut être un moyen de régler le problème... Les opérations d'acquisition en vue de la démolition peuvent également être financées sur dotations de l'État.

N'oublions pas le rôle de la communauté de communes du Limouxin, qui compte 30 000 habitants : la solidarité intercommunale doit jouer. Il est également possible de faire auprès du ministère une demande d'étalement des charges correspondantes sur plusieurs exercices.

Mme Gisèle Jourda.  - Je sais tout cela, pour avoir été directrice des services en collectivité territoriale. Mais il y a un vide juridique et les budgets des communes sont extrêmement restreints, même au niveau de la communauté de communes, qui regroupe des petits villages éparpillés.

Il faut aider les maires afin qu'ils se sentent moins isolés face à ces situations inextricables.

Accompagnement des élèves handicapés (I)

M. Guillaume Chevrollier .  - J'ai été interpellé dans mon département de la Mayenne sur les difficultés rencontrées dans l'accompagnement humain, en milieu scolaire, des jeunes reconnus en situation de handicap par la Maison départementale de l'autonomie (MDA).

La situation est très tendue dans certains établissements en raison d'une pénurie d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Ceux-ci jouent un rôle pivot dans l'inclusion des élèves. Ils ont besoin d'être mieux formés et rémunérés. Les élèves handicapés ont besoin de stabilité dans l'accompagnement. Or leurs besoins ne sont pas évalués sérieusement. Dans la Mayenne, une centaine d'élèves souffrent d'un accompagnement insuffisant, selon la direction diocésaine de l'enseignement catholique. Cela touche un quart des écoles primaires et la moitié des collèges et lycées.

Les établissements mayennais ont besoin de votre soutien.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports .  - L'inclusion scolaire est une priorité du Gouvernement : le nombre d'élèves en situation de handicap (ESH) scolarisés a augmenté de 7 % en septembre 2020, et 8 000 postes d'AESH ont été créés.

La création des pôles inclusifs d'accompagnement localisé (PIAL) dans la loi pour une école de la confiance a pour objectif d'accompagner les élèves au plus près de leurs besoins et d'éviter les ruptures d'accompagnement.

Les AESH ont désormais un statut pérenne avec un CDD de trois ans reconductible une fois, puis transformable en CDI. Il y a, à la prise de poste, un entretien obligatoire avec le chef d'établissement. Un ou plusieurs AESH référents seront créés par département pour venir en aide à leurs pairs. Une formation obligatoire de soixante heures est prévue dès le début du contrat.

Malgré ces évolutions, l'accompagnement est rendu difficile par le contexte sanitaire.

M. Guillaume Chevrollier.  - Les effectifs sont en hausse mais les besoins humains aussi. Il faut un effort supplémentaire.

Accompagnement des élèves handicapés (II)

Mme Élisabeth Doineau .  - Deux sénateurs du même département posent une question sur le même thème, c'est rare...

Les parents sont éplorés car ils n'obtiennent pas d'accompagnement pour leur enfant.

Je ne nie pas les efforts réalisés ces dernières années, mais l'annonce du « 100 % inclusif » et du principe « une réponse pour chaque enfant » a fait naître des espoirs.

Les parents pensent que leur enfant sera pleinement accompagné dès la notification à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Or il n'en est rien, et les services n'arrivent plus à mutualiser pour apporter l'accompagnement individualisé promis à chaque enfant.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports .  - Merci de reconnaître les efforts du Gouvernement. Il est vrai que le contexte sanitaire engendre des absences pour maladie et rend le recrutement plus difficile.

Malgré cela, les pôles inclusifs fonctionnent. Or aucun établissement privé en Mayenne n'a créé de PIAL. C'est pourtant ainsi que l'on trouve des solutions locales : je vous invite à promouvoir cette forme d'organisation.

La formation des AESH est une priorité, y compris de mon ministère car le sport est très important pour la confiance en soi et l'intégration de ces élèves.

Mme Élisabeth Doineau.  - Les notifications d'élèves en situation de handicap ont augmenté de 15 % en Mayenne, soit le double de la moyenne nationale. Il faut des moyens.

Fermeture de classes dans l'Ain

M. Patrick Chaize .  - Des fermetures de classes menacent plusieurs écoles de communes rurales dans l'Ain, à la prochaine rentrée scolaire.

Lors des questions d'actualité au Gouvernement de mercredi dernier, la secrétaire d'État Nathalie Elimas a été interpellée ; elle s'est voulue rassurante, soulignant qu'aucune classe de zone rurale ne serait fermée sans l'accord du maire. Or sur le terrain, la réalité est tout autre ! Dans l'Ain, 26 des 35 fermetures de classes annoncées auront lieu en zone rurale. Quel décalage entre le discours et la réalité ! Quelles sont les intentions du Gouvernement ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports .  - Entre 2017 et 2020, 11 900 postes ont été créés alors que le nombre d'élèves diminuait de 150 000 dans le premier degré. Nous avons mis en oeuvre le dédoublement des classes en CP-CE1 puis en grande section.

Dans l'Ain, le nombre d'élèves par classe est passé en un an de 23,8 à 23,6. Le nombre de professeurs pour 100 élèves est passé de 5,24 en 2017 à 5,34 en 2020. Aucune fermeture d'école rurale n'a eu lieu dans ce département en 2020, conformément à l'engagement du Président de la République.

Quant à l'engagement de ne pas fermer de classe sans l'accord du maire, il valait pour 2020, en raison de la crise sanitaire. Je vous le confirme, aucune fermeture d'école en milieu rural n'est prévue dans votre département en 2021 sans accord du maire.

M. Patrick Chaize.  - Merci pour votre réponse, claire pour une fois ! La semaine dernière, Mme Elimas a évoqué les fermetures de classes et non d'écoles, d'où la confusion.

Quoi qu'il en soit, les chiffres sont inquiétants : 25 postes sont créés dans l'Ain pour 35 fermetures. 18 ouvertures sont prévues : il y a donc un solde de 42 enseignants. Où sont-ils ? Il y a plus de postes mais moins d'enseignants !

Soutien aux associations sportives

M. Jacques Grosperrin .  - J'attire votre attention sur les difficultés financières subies par les associations et clubs sportifs dont l'activité est à l'arrêt depuis de longs mois.

La première vague de la crise sanitaire a engendré une chute significative des cotisations et adhésions : les adhérents n'imaginaient pas, à la rentrée sportive de septembre 2020, qu'il leur serait possible d'avoir une activité dans les mois à venir.

Le modèle sportif français et plus globalement l'engagement bénévole sont menacés.

Les plus petits clubs font face à des demandes de remboursement de plus en plus nombreuses et voient leur équilibre sérieusement mis en péril. Ils s'efforcent de garder le lien avec les adhérents, par visioconférence ou par mail.

Il devient urgent de prendre des mesures exceptionnelles pour sécuriser l'activité des associations, maintenir les emplois, limiter les risques de défaillance et éviter un endettement non maîtrisé ou un arrêt définitif des activités.

Serait-il possible de convertir en dons les cotisations et adhésions d'ores et déjà versées, sous réserve que les associations sportives remplissent les conditions pour en recevoir ? Nous connaissons tous le rôle sanitaire, social et économique qu'elles assument.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports .  - Le Gouvernement, conscient des difficultés, a pris beaucoup de mesures pour soutenir ces associations : fonds de 15 millions d'euros pour les 3 000 associations sans salariés, fonds de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) qui aide 66 % des associations à couvrir leurs charges fixes, fonds de 10 millions d'euros de l'Agence nationale du sport (ANS) pour les fédérations.

La requalification du prix de la licence en don n'est possible que pour les associations reconnues d'utilité publique. Cette mesure est à l'étude pour l'intégralité des sommes liées à l'adhésion. Mais nous saluons et encourageons aussi la solidarité entre le monde du sport en extérieur et celui du sport en intérieur.

M. Jacques Grosperrin.  - Plaidez la cause des associations, madame la ministre ! Sans les cotisations, les associations sportives auront du mal à repartir.

Rehausser la taxe Buffet

M. Jean-Jacques Lozach .  - Le 29 septembre 2018, la Ligue de football professionnelle (LFP) avait attribué à Mediapro 80 % des lots de retransmission des matchs de ligue 1 et ligue 2 pour 2020-2024, pour un total de 1,3 milliard d'euros. Il y avait déjà des doutes sur Mediapro, écarté par la fédération italienne. Ces doutes ont été confirmés, Mediapro s'étant révélé insolvable.

Les droits sont finalement repris par Canal Plus pour 680 millions d'euros, un montant en recul de 40 %. Et ce, alors que la conjoncture économique est amorphe : pas de billetterie, un marché des transferts en berne, moins de sponsors... Il est temps de réfléchir à un modèle économique plus vertueux.

C'est une part significative de la taxe Buffet qui finance l'Agence nationale du sport. L'assiette se contracte... Allez-vous rehausser le produit de la taxe affecté à l'Agence, et comment ? Allez-vous réfléchir à une refonte du modèle économique du foot professionnel ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports .  - Je salue l'accord trouvé avec les diffuseurs. L'Assemblée nationale a déjà porté le plafond de la taxe Buffet à son maximum, soit un rendement prévisionnel de 74 millions d'euros.

L'incidence attendue sur le produit de la taxe est de 20 millions d'euros ; ce montant sera compensé à l'ANS. Nous verrons si nous pouvons relever le plafond de la taxe sur les paris sportifs et celui de la taxe sur les jeux en ligne.

Enfin, le Gouvernement est en discussion avec les acteurs du football professionnel pour réfléchir au modèle économique de ce secteur.

Redoublants toulousains en première année de médecine

Mme Brigitte Micouleau .  - Les étudiants toulousains doublant et triplant leur première année communes aux études de santé (Paces), soit 8 % au total, sont regroupés en une unique promotion en faculté de pharmacie, sans aucun responsable pédagogique à ce jour, sans emploi du temps ni accompagnement. Ils n'ont plus d'enseignant face à eux, alors que leur cursus est en pleine refonte.

Deux systèmes cohabitent en parallèle : le nouveau parcours accès santé spécifique (PASS) et la licence accès santé (LAS) d'une part ; et l'ancien modèle, Paces. Ce sont deux promotions de première année, deux sites et deux traitements différents.

Au contraire de leurs « aînés », les étudiants du PASS ou de LAS de Rangueil ont commencé l'année en présentiel puis en hybride. Il n'y a pas d'équité. Le numerus clausus sera-t-il revu à la hausse ? Les Paces sont-ils prioritaires sur les PASS ? Quid des 500 étudiants qui devront se réorienter ?

Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour accompagner au mieux ces jeunes étudiants toulousains qui ont la ferme volonté de devenir les médecins de demain dont notre pays a tant besoin ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - J'affirme mon soutien à tous les étudiants en médecine de notre pays qui ont fait preuve d'engagement et de détermination au cours de cette année hors normes.

La réforme des études de santé de juillet 2019 se déploie dans un contexte bouleversé. Il s'agit de diversifier les voies d'accès aux filières de santé, de mettre fin aux défaillances de la Paces et du numerus clausus.

Les étudiants ayant échoué à la Paces en 2020 ont exceptionnellement été autorisés à redoubler ; il est donc normal qu'ils côtoient les PASS et LAS, avec un numerus clausus préservé leur faisant bénéficier d'un même taux de réussite que dans le système précédent et qui correspond à Toulouse à 349 places pour 800 inscrits, soit 44 %.

La réforme doit être comprise de tous, à plus forte raison en cette année particulière. J'ai confié une mission de pilotage au doyen de l'université d'Angers ; un site unique sera mis en place pour répondre aux questions des étudiants.

Délivrance des visas pour hommes d'affaires d'Afrique

M. Richard Yung .  - À l'occasion d'un déplacement en Côte d'Ivoire, j'ai été interpellé par des femmes et hommes d'affaires m'ayant fait part de la difficulté d'obtenir un visa d'affaires français. Alors que l'attractivité de la France a été désignée comme priorité par le Président de la République, trop de talents africains sont victimes de délais importants ou d'excès de zèle dans le traitement de leurs demandes.

Selon un rapport de l'Assemblée nationale, l'Afrique subsaharienne ne représente que 7,1 % des passeports Talent délivrés par la France en 2019, chiffre extrêmement bas au regard des liens commerciaux avec cette région du monde. Les chambres de commerce françaises et les conseillers du commerce extérieur se plaignent de ne pouvoir faire d'affaires.

Il existe un blocage spécifique concernant les créateurs d'entreprises. Lors d'une demande de passeport Talent, la viabilité de leur projet est évaluée par les Direccte, qui ne sont pas en mesure d'émettre le visa. Les dossiers se retrouvent donc bloqués au niveau des services consulaires.

Le ministère de l'Intérieur pourrait-il travailler avec le ministère des Affaires étrangères sur une refonte de la délivrance des visas d'affaires et des passeports Talent pour les ressortissants d'Afrique subsaharienne ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - Dans le prolongement des orientations fixées par le Président de la République dans son discours de Ouagadougou, le volume de visa délivrés à des Africains est en augmentation constante. Depuis 2017, le nombre de visas de circulation a augmenté de 10 %, de 5 % pour les étudiants, et de 67 % pour les passeports Talent en Afrique subsaharienne.

Toutefois, la finalité du passeport Talent est celle d'une installation en France alors que de nombreux Africains recherchent plus de mobilité et une liberté de circulation accrue.

Nos postes diplomatiques et consulaires poursuivent leur mobilisation pour mieux faire connaître les passeports Talent. L'évaluation des projets sera confiée à un opérateur unique, pour une plus grande fluidité du processus de délivrance du passeport Talent.

La politique des visas respecte un équilibre entre attractivité du territoire, maîtrise des flux migratoires et sécurité de notre pays. Depuis 2019, une commission « Stratégie des visas » au niveau des directeurs de cabinet des deux ministères définit tous les six mois les grandes orientations de cette politique publique.

Compagnie républicaine de sécurité à demeure à Bordeaux

Mme Nathalie Delattre .  - Bordeaux et sa métropole font face à l'explosion de l'insécurité et de la délinquance. La belle endormie est maintenant bien réveillée... Les causes sont multiples : professionnalisation des réseaux, antagonismes entre quartiers, arrivée massive de mineurs non accompagnés.

Le rôle central des CRS est unique dans la doctrine française du maintien de l'ordre, aussi bien lors de manifestations qu'au quotidien.

À ce jour, Bordeaux reste la seule grande ville française à ne pas disposer d'une unité CRS à demeure de façon pérenne dans le cadre du plan national de sécurité renforcée.

Pourtant, les CRS disposent d'un savoir-faire adaptatif qui conviendrait parfaitement pour couvrir certains quartiers bordelais. Alors que la municipalité se refuse à accroître le nombre de caméras de vidéo protection, les CRS pourraient déployer des systèmes autonomes de retransmission d'images pour la sécurisation d'événements. Ils sont dotés d'un matériel que n'ont pas les autres corps de la police nationale, sans même parler de notre police municipale, qui n'a pas de moyens adéquats.

Je suis consciente des besoins en CRS à la frontière espagnole et de la nécessité d'un maintien des effectifs des CRS nageurs sauveteurs sur les plages du littoral durant la saison estivale. Nous ne pouvons plus raisonner à effectifs constants ; il faut donc créer une unité nouvelle.

Le déploiement temporaire de l'équivalent d'une demi-unité sur le territoire bordelais est insuffisant face aux problèmes quotidiens Prenez une décision forte à la hauteur des enjeux !

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - Au nom du ministre de l'Intérieur, je vous remercie d'avoir salué l'engagement des CRS qui, outre le maintien de l'ordre, assurent également des missions de sécurisation.

De mars à juin dernier, une unité de CRS a contrôlé les mesures de confinement à Bordeaux. Depuis le 29 septembre, c'est une demi-unité qui y est affectée, l'autre l'étant à Nantes. Un tel partage a lieu aussi à Strasbourg et à Grenoble.

Du 5 au 24 janvier, une unité supplémentaire a été affectée à Bordeaux. Des motards CRS interviennent régulièrement, soit 780 agents en 2020.

L'installation d'une unité CRS pérenne à Bordeaux ne se justifie pas, car 840 gradés et gardiens de la paix y assurent la sécurité du quotidien, renforcés par des effectifs départementaux à hauteur de 310 personnes.

À Bordeaux, quinze policiers supplémentaires ont été affectés au quartier de reconquête républicaine. Par ailleurs, trois délégués à la cohésion police-population y sont affectés.

Les chiffres d'infractions sont à la baisse : en 2020, les vols avec violence ont diminué de 7 %, les violences physiques de 5 % et les dégradations de 11 %.

Enfin, je tiens à saluer le rôle de la police municipale bordelaise : c'est avec les collectivités territoriales que l'État peut mieux agir pour protéger nos concitoyens.

Le Beauvau de la sécurité améliorera et renforcera ces actions.

Moyens du tribunal judiciaire de Nanterre

Mme Christine Lavarde .  - Le département des Hauts-de-Seine compte plus de 1,6 million d'habitants, plus de 6 000 sièges sociaux et l'un des plus grands quartiers d'affaires d'Europe avec le site de la Défense. Or son tribunal est sous-doté en moyens humains et matériels, alors qu'il s'agit de la cinquième juridiction française. Elle compte 108 magistrats du siège - en réalité, 101. Il faudrait dix magistrats supplémentaires, selon la présidente de la juridiction, comme à Marseille ou à Bobigny. Les effectifs de greffiers sont aussi insuffisants. L'absence de moyens se traduit par l'allongement des délais d'audience.

Alors que les violences familiales ont augmenté de 36 % lors du premier confinement et de 60 % lors du second, les dossiers de divorce ne sont audiencés que plus d'un an après la mise en état terminée.

La présidente du tribunal indiquait qu'entre le 16 mars et le 11 mai, 432 audiences civiles ont été renvoyées, représentant 9 500 dossiers. À la suite de la grève des avocats et avant même l'entrée en vigueur du confinement, deux chambres civiles fixaient déjà leurs audiences jusqu'en 2022. Un référé - procédure d'urgence - prend quatre mois ! Dans les juridictions voisines, les délais sont également de plus en plus longs : au conseil des prud'hommes de Nanterre, il faut attendre jusqu'à 2024, et au tribunal de proximité de Puteaux, il faut compter treize mois pour obtenir une date d'audience en référé.

Le dévouement des magistrats et des greffiers ne peut suffire à régler la situation. Quels moyens concrets seront accordés en 2021 et 2022 au tribunal de Nanterre ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - Le garde des Sceaux suit particulièrement l'évolution du stock d'affaires à la suite du confinement et de la grève des avocats. La mobilisation des magistrats et des greffiers ne doit pas être mise en cause, comme vous l'avez dit.

Les parquets ont réorienté les procédures pénales et les magistrats réduisent les stocks.

Mis en place par le garde des Sceaux, un groupe de travail pluridisciplinaire formulera des propositions pour réduire ces stocks : ses conclusions sont attendues pour le 31 mars 2021.

Dans le cadre d'un budget historique, les juridictions bénéficieront en 2021 de 914 emplois pour la justice de proximité. Le tribunal judiciaire de Nanterre a bénéficié de dix-neuf emplois, soit une augmentation des effectifs de 5,4 % dont 2 % seront affectés au pôle famille. Ces renforts s'inscrivent dans un objectif de consolidation du greffe, avec seize emplois supplémentaires ces cinq dernières années. Cette augmentation est largement supérieure à la moyenne nationale.

Mme Christine Lavarde.  - Ces emplois sont-ils postérieurs à la rentrée solennelle du tribunal judiciaire ? Après quarante-huit ans de fermeture, le tribunal judiciaire pourra enfin ouvrir ses fenêtres... Nous sommes encore loin d'une justice efficace.

Chartes d'amitié entre des collectivités françaises et du Haut-Karabagh

M. Pierre Ouzoulias .  - Plusieurs collectivités territoriales françaises ont signé des chartes d'amitié et de solidarité avec des collectivités d'Artsakh. Plusieurs ont été annulées suite à leur déferrement par les préfets devant la juridiction administrative.

Lors du dîner organisé par le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le 30 janvier 2020, le Président de la République avait déclaré qu'il n'était pas défavorable à l'expression de cette solidarité entre collectivités. Il avait pris l'engagement que son Gouvernement chercherait « le cadre juridique adapté » à la manifestation de cette volonté de coopération.

Depuis, l'Azerbaïdjan et la Turquie, cette dernière ayant mobilisé des supplétifs djihadistes de Syrie, ont mené une guerre massive d'une rare violence contre la petite République de l'Artsakh, abandonnée de la communauté internationale. Le Sénat a voté à la quasi-unanimité une résolution pour demander l'arrêt immédiat des combats et la reconnaissance officielle par la France de cette République.

Aujourd'hui, ce pays manque de tout. Il a été cruellement saigné par la guerre. C'est maintenant que la France doit lui venir en aide. Quelle forme juridique pourraient prendre ces chartes d'amitié et de solidarité prises par nos collectivités en direction de leurs soeurs meurtries d'Artsakh ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie .  - Vous posiez cette question le 23 juillet dernier. Depuis, une guerre d'une grande violence s'est déroulée de septembre à novembre, faisant des milliers de morts.

La France s'est mobilisée : Gouvernement, associations, collectivités territoriales... Le Président de la République a rappelé le droit et appelé à travailler concrètement pour des populations isolées et jetées sur les routes.

La solidarité et les projets humanitaires ont trouvé à s'appliquer de façon concrète cette année.

Le centre de crise du ministère des Affaires étrangères a affrété cinq avions de fret humanitaire. J'ai conduit une telle mission le 27 novembre. De même, des bateaux chargés de fret sont arrivés par la Géorgie. Je me suis rendu dans des hôpitaux à Erevan avec Youri Djorkaeff, notre ambassadeur de bonne volonté. La France, co-présidente du groupe de Minsk, se doit de tout faire pour qu'une telle tragédie ne se reproduise jamais, ce qui passe par la consolidation du cessez-le-feu et la libération des prisonniers.

Nous amplifierons la coopération économique avec l'Arménie. Nous soutenons de nombreuses initiatives avec l'aide des collectivités territoriales et de la Fondation Aznavour.

M. Pierre Ouzoulias.  - Vous n'avez pas répondu à ma question sur les chartes. Je le regrette et reposerai ma question...

Application du droit du travail sur le site de l'EuroAirport de Bâle-Mulhouse

Mme Patricia Schillinger .  - Créé par la convention de Berne du 4 juillet 1949, l'EuroAirport de Bâle-Mulhouse est un établissement binational franco-suisse de droit public, doté de deux secteurs d'activité, français et suisse, tous deux entièrement situés sur le territoire français. Ce caractère binational en constitue l'un des atouts majeurs. Les entreprises situées en secteur suisse contribuent en effet à la dynamique de développement de l'aéroport et du bassin d'emploi qu'il irrigue.

Sur 6 500 emplois directs, 4 900 sont sur le secteur suisse, même si les salariés résident en France. Cette singularité, qui est aussi sa force, était à l'origine d'une certaine insécurité juridique, potentiellement nuisible à son développement, notamment en matière du droit du travail.

Cette incertitude a été levée en 2012, grâce à la conclusion d'un accord entre les autorités suisses et françaises permettant aux entreprises suisses installées en secteur français de l'aéroport de déroger au droit du travail français.

Cependant, en mars 2020, quatre arrêts de la Cour de cassation ont remis en cause la validité juridique de l'accord, qui n'avait pas été ratifié.

Cette situation menace le devenir de cette infrastructure essentielle, de laquelle dépend le dynamisme de tout un territoire.

Qu'allez-vous faire pour régler définitivement le cadre juridique de l'EuroAirport ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie .  - L'aéroport Bâle-Mulhouse a vu ses activités de fret diminuer de 70 % et des questions se posent à la suite des arrêts de la Cour de Cassation sur l'accord conclu en 2012.

Vous avez récemment rencontré Clément Beaune qui vous a confirmé que le Gouvernement était attaché à cette structure originale et essentielle pour le bassin d'emploi. Des aides à l'activité partielle ont été versées, y compris aux salariés du secteur suisse.

Les négociations se poursuivent avec nos homologues suisses pour garantir la sécurité juridique des contrats des salariés, sans renoncer aux principes essentiels du droit du travail.

Les contestations de licenciements devant la Cour de cassation datent d'avant la réforme de notre droit du travail de 2017.

Plusieurs solutions sont à l'étude, dont une révision du traité de Berne ; le Parlement pourrait être amené à en débattre. Le Gouvernement reste mobilisé. Tout sera fait pour aider les salariés et les entreprises durant les prochains mois.

Mme Patricia Schillinger.  - Merci. Nous comptons sur le Gouvernement car la situation géographique de l'EuroAirport est originale, il n'existe qu'un autre aéroport en zone frontalière.

Freins au développement du spiritourisme

M. Michel Savin .  - La production de spiritueux représente un important secteur d'activité. À elle seule, la filière emploie près de 100 000 personnes et rapporte près de 4,7 milliards d'euros à l'exportation.

Les modes de production de ces alcools forts sont souvent issus de savoir-faire ancestraux. Avec ces spiritueux, c'est notre histoire et notre patrimoine que nous faisons vivre, comme dans mon département de l'Isère où les moines de la Grande Chartreuse se transmettent depuis des siècles la recette secrète de la célèbre liqueur verte. C'est aussi un enjeu de rayonnement culturel et touristique pour notre pays. De nombreux compatriotes mais aussi beaucoup d'étrangers ont envie, après avoir découvert ces produits, d'en savoir plus sur leur fabrication.

Inspiré par le succès du tourisme lié au rhum en Martinique et Guadeloupe, le Gouvernement promeut depuis plusieurs années les projets de spiritourisme afin de favoriser la découverte et la valorisation de ces alcools forts, mais cette filière se heurte à la réglementation Installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) interdisant les visites sur les sites stockant plus de 50 000 litres.

Ainsi, en Isère, le représentant de l'État a récemment interdit la visite des caves historiques de chartreuse, un des lieux touristiques les plus emblématiques du département. L'incident de Lubrizol a attisé les tensions.

Beaucoup de ces fabricants d'alcool n'ont pas les moyens d'avoir un site pour la production et le stockage et un autre pour les visites. Comptez-vous adapter la réglementation ICPE aux contraintes particulières des sites de production et de stockage d'alcools forts ayant une vocation touristique ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie .  - Je partage vos préoccupations sur le spiritourisme qui est une filière touristique d'exception et d'excellence : j'ai constaté l'été dernier, dans mon département de l'Yonne, un engouement des Français pour notre patrimoine et pour nos terroirs.

Ce tourisme de savoir-faire concerne plus de 2 000 entreprises, pour quinze millions de visiteurs par an. Nous travaillons avec la Fédération française des spiritueux (FFS) et l'Association des visites d'entreprises pour le développer. En 2019, j'ai lancé le club des cent sites d'excellence du tourisme de savoir-faire.

Tout est question d'alchimie ; c'est vrai pour les spiritueux, mais également pour la politique du Gouvernement : il faut un savant dosage entre le soutien à la filière et le respect des réglementations sur l'accueil du public, les installations classées, la sécurité industrielle. La question que vous soulevez concerne une centaine d'entreprises : c'est loin d'être anecdotique.

Une expertise, à ma demande, est en cours afin d'évaluer les évolutions nécessaires. Continuons le travail ensemble pour trouver les meilleures solutions.

M. Michel Savin.  - Cette activité est un véritable trésor national. Beaucoup d'étrangers viennent aussi visiter ces installations. Les professionnels sont en attente de réponses concrètes.

La séance est suspendue à midi trente-cinq.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 14 h 35.

Opération Barkhane : bilan et perspectives

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur « l'opération Barkhane : bilan et perspectives ».

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Noël Guérini et Mme Marie-Agnès Évrard applaudissent également.) Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté ce débat dont le Sénat s'honore. Je remercie les ministres Jean-Yves Le Drian et Florence Parly d'y participer. C'est l'occasion de faire part des travaux menés par notre commission depuis plus d'un an : au moment où l'opinion s'interroge, il est bon que les institutions jouent leur rôle dans un esprit constructif.

Je salue une fois encore l'engagement exceptionnel de nos militaires, qui ont déjà payé un prix très lourd avec 55 morts. Nous avons une pensée particulière pour le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel qui aurait, aujourd'hui même, fêté ses 30 ans.

Le 22 avril 2013, nous approuvions la prolongation de l'opération Serval conformément à l'article 35 de la Constitution. Huit ans plus tard, l'opération a changé de nom et de forme, et le nombre d'hommes est passé de 3 000 à 4 500 puis à 5 100. La menace, elle aussi, a changé de forme et s'est étendue : elle touche maintenant tout le Golfe de Guinée.

Barkhane a remporté de très nombreux succès tactiques, notamment lors de l'opération Bourrasque. De nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés. Nous sommes parvenus à mobiliser nos alliés européens, même si les moyens qu'ils mettent en oeuvre peuvent paraître insuffisants. La task force Takuba a été renforcée. Le G5 Sahel a progressé ; nous devons rendre hommage à leurs armées, qui paient elles aussi un lourd tribut en vies humaines.

Grâce à une pression permanente, la constitution d'un sanctuaire djihadiste a pu être évitée. Le dénouement de cette crise ne sera pas militaire. La solution, qui ne peut être que politique, est donc du ressort des Maliens. Or les accords d'Alger ne sont toujours pas appliqués et le coup d'État au Mali donne une impression de retour en arrière.

Allons-nous signer un nouveau bail de huit ans ? Que se passera-t-il si rien n'a changé à l'issue de cette période ?

Un retrait brutal de nos armées ne serait pas conforme à nos intérêts ni à ceux de nos alliés. Nous devons consolider et non sacrifier les acquis de Barkhane, mais nous sommes en droit d'attendre des progrès dans la réconciliation nationale malienne.

Quel message portera la France à ses alliés au sommet de N'Djamena ? Nous voulons connaître le plan du Gouvernement pour que la France puisse retirer ses troupes sans craindre un nouveau séisme.

L'aide au développement est essentielle pour traiter le mal à la racine et éviter que nos forces soient perçues comme des troupes d'occupation. Or, si nous avons dépensé 900 millions d'euros en 2019 pour les opérations militaires, nous n'avons mobilisé que 85 millions d'euros en aide publique au développement au Mali. Certes, l'Alliance Sahel a débloqué des sommes importantes, mais il est difficile d'atteindre les territoires du Nord du pays. Éducation, santé, services publics de base sont les domaines dans lesquels la population locale nous attend.

La protection de nos soldats constitue une priorité absolue. Où en est le nouveau blindage des véhicules légers ? La plupart de nos morts sont déplorés lors des transports automobiles. Ne faut-il pas basculer vers plus d'aéromobilité ? (M. Bruno Sido renchérit.)

Nous sommes face à une situation complexe, sans solution toute faite. C'est le rôle du Parlement de s'y pencher pour que nous en discutions ensemble.

Ce débat est un symbole : il faut montrer que partout où la France se bat, c'est pour faire progresser la paix.

Que nos militaires qui agissent en ce moment même dans les déserts brûlants et dangereux du Sahel sachent qu'ils sont la fierté de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, INDEP et RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Ludovic Haye .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) À mon tour de saluer nos soldats dont la combativité, le dévouement et l'abnégation sont inégalables. À ceux qui sont tombés au service de notre Nation, je rends un hommage ému. À quelques jours du sommet de N'Djamena, nous renouvelons toute notre confiance au Président de la République et au Gouvernement.

L'opération Serval a empêché que la bande saharo-sahélienne devienne une base arrière du djihadisme. Mais nous sommes passés d'une guerre d'intervention à un conflit d'un tout autre genre : sans notre présence, la menace djihadiste s'étendrait à toute l'Afrique de l'Ouest.

Depuis le sommet de Pau, la pression sur les groupes terroristes s'est renforcée, le nombre de neutralisations a augmenté, la montée en puissance de la force du G5 Sahel est encourageante, même si elle n'est pas encore autonome.

Aux côtés de la France, une addition de faiblesses ne fait pas une force. La crise est aussi politique et économique : conformément aux quatre piliers du sommet de Pau, il convient de transformer les gains de terrain en progrès politique, économique et social. L'approche 3D - diplomatie, défense, développement - doit dépasser l'incantation. Nos alliés, notamment maliens, doivent adopter une feuille de route claire, avec des élections en 2022 et un accent mis sur la lutte contre la corruption et les trafics.

Après la Guinée-Bissau, le Mali devient un narco-État où les trafiquants achètent les services et les consciences. Les fake news se multiplient, salissant notre pays par un mélange de racisme à rebours, d'anticolonialisme primaire et de déni de l'histoire.

Au-delà du cadre militaire, il y a beaucoup de combats à mener. Six ans après sa signature, la mise en oeuvre de l'accord d'Alger en est toujours à ses balbutiements. Pourquoi ?

Comment lutter contre l'instrumentalisation malveillante des opinions publiques ? Le temps joue contre nous ; plus un conflit dure, et plus les populations ont tendance à faire des forces étrangères la cause de tous leurs maux. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Olivier Cadic et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Jean-Noël Guérini .  - À un an de l'élection présidentielle française et à quelques jours du sommet de N'Djamena, ne comptez pas sur moi pour polémiquer. La présence au Sahel de 5 100 enfants de la Nation appelle de notre part des débats responsables. J'entends çà et là les souhaits de retrait de nos soldats. La durée de l'opération, malheureusement longue, le justifierait-elle ?

Rappelons les raisons de notre présence au Mali : nous sommes intervenus à la demande de ce pays. Barkhane, c'est un gage de stabilité pour une zone en souffrance. C'est un besoin de contenir le terrorisme et ses répercussions en Europe. C'est un engagement de formation des militaires maliens ; c'est un projet d'aide à la population ; c'est enfin l'influence de la France.

Le président Macron l'a déclaré lors de ses voeux aux forces armées : « Face aux risques de déstructuration des relations internationales et de notre société, les armées françaises sont un facteur de stabilité, de force et de résistance. »

La zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso est un poumon des djihadistes.

Barkhane assure une présence militaire mais aussi l'aide aux populations, notamment sanitaire. Mieux vaut aider la population sur place plutôt que la laisser traverser la Méditerranée dans des conditions inhumaines. La solution réside dans le développement du Mali.

Barkhane assure la formation des forces locales. La pérenniser demeure un enjeu stratégique de coopération et humain. La dépense est importante - 1 milliard d'euros par an - mais nous ne sommes plus seuls : 50 % des transports de personnel et 40 % des transports de matériels ont été effectués par nos alliés.

Que répondre à l'émotion suscitée par les pertes humaines sinon citer Jean-Marie Bockel ? « Nous sommes infiniment tristes et fiers de notre enfant. C'était un soldat engagé qui savait pourquoi il était là. »

Barkhane est au service de la France. Soyons fiers du travail de nos troupes et ne les perturbons pas par nos discussions parfois superfétatoires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Républicains, UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Je salue la tenue de ce débat et en remercie le président de notre commission : il n'est plus acceptable de placer le Parlement devant le fait accompli.

Madame la ministre, vous dites qu'il est faux d'affirmer que la France est engluée dans Barkhane.

Vous ne trouverez pas plus farouches opposants au terrorisme islamiste que les communistes : partout, les militants de la démocratie sont pourchassés par le djihadisme. Mais Barkhane a-t-elle éteint ou propagé ce terrorisme islamiste ? Vit-on plus en paix qu'il y a huit ans ?

De plus en plus de Maliens, mais aussi de nos militaires, nos diplomates, nos universitaires posent la question.

Le coût de la guerre - plus d'un milliard d'euros par an depuis huit ans - est exorbitant. Certes, nous contenons le terrorisme mais nous ne le faisons pas reculer.

Quelque 55 soldats français ont perdu la vie, comme plus de 5 000 Maliens. Un demi-million de personnes ont été déplacées. La situation empire et les islamistes continuent leur sinistre entreprise.

Les leçons ne sont pas tirées. La désintégration de la Libye en est un exemple. Dans quel état laisserons-nous le Mali ? Nous jouons aux apprentis sorciers et suscitons la défiance des Maliens en laissant craindre une partition du pays à cause d'un jeu trouble avec le Mouvement national de libération de l'Azawad.

Les Accords d'Alger ne sont pas l'unique solution politique : ils doivent être profondément révisés. Les islamistes prospèrent sur les divisions et exploitent le désespoir des populations. Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l'impasse est certaine.

Nous devons créer les conditions d'un retrait de nos troupes. Il ne s'agit pas d'abandonner le Mali au chaos, mais de préparer un nouvel agenda pour la région, discuté avec l'Union africaine et l'ONU.

Notre appui doit être recentré sur les armées locales, avec un état-major conjoint africain. Il faut prolonger l'appel de Lusaka à faire taire les armes.

C'est surtout notre agenda politique qui doit changer, avec de vastes plans d'action pour le développement. Les pays africains doivent sortir d'un modèle économique extraverti, tourné vers les besoins des multinationales et d'élites aisées corrompues. Il faut augmenter massivement l'aide publique au développement, créer une fiscalité valorisant les ressources endogènes. Le développement ne doit pas être le troisième D - l'alibi d'une stratégie militaire et diplomatique dans l'impasse - mais l'ambition autour de laquelle tout doit s'organiser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mmes Gisèle Jourda et Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie à mon tour le président Cambon pour un débat très attendu.

Depuis neuf ans, c'est seulement la deuxième fois que nous débattons de la stratégie et des enjeux de Barkhane.

Sur un territoire grand comme l'Europe, nos militaires mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme et le fanatisme. Je pense à nos soldats tombés au combat et tout particulièrement à notre collègue Jean-Marie Bockel.

Serval, puis Barkhane, ont permis d'éviter la création d'un sanctuaire djihadiste. Mais malgré de nombreuses victoires, la guerre est loin d'être gagnée. Ce type d'intervention est un conflit asymétrique, qui ne permet pas à nos forces de vaincre la détermination, l'imagination et la mobilité opérationnelle de groupes en effectif réduit, sur un terrain qu'ils connaissent parfaitement.

La situation s'est dégradée ; la tache djihadiste s'est élargie jusqu'au Burkina Faso et aux pays riverains du golfe de Guinée.

Les forces françaises apparaissent bien seules. L'engagement de nos partenaires est peu visible ; est-ce parce que nous sommes les seuls à disposer d'une armée d'emploi ? Il faudrait que tous les États membres se convainquent de l'utilité de combattre le terrorisme à sa racine.

La coopération doit aller au-delà du G5 Sahel, dispositif insuffisant pour faire face à la progression de la zone d'influence terroriste. Il faut élargir le cadre d'action à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) : cela sera-t-il évoqué à N'Djamena ?

La force Takuba devant matérialiser l'engagement de l'Europe, les premières forces spéciales françaises et estoniennes sont arrivées sur le terrain, mais qu'en est-il de l'engagement des autres partenaires ? Quelle sera la montée en puissance de Takuba ?

Européanisation et sahélisation suffiront-elles pour sortir du conflit ? Nous sommes conscients que l'absence de l'État favorise l'emprise des groupes terroristes ; sans un État protecteur et non prédateur, la paix est impossible.

Il faut une stratégie claire mais aussi intégrée et financée. Il est plus facile de financer la guerre que la paix... Même s'il n'est pas envisageable de réduire massivement l'empreinte française sur le terrain, une réflexion s'impose sur un accompagnement à forte valeur ajoutée - drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées.

Deux pistes pour une évolution positive : à N'Djamena, le G5 Sahel, mais aussi les pays potentiellement menacés, pourraient réaffirmer leur volonté de s'impliquer davantage ; le nouveau locataire de la Maison blanche a déclaré vouloir renouer un dialogue avec l'Union africaine.

La solution sera politique. Paul Valéry disait : « La guerre, c'est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du RDPI)

M. Jean-Marc Todeschini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'adresse au nom de mon groupe une pensée à nos 5 000 militaires engagés et leurs proches ; 55 ont perdu la vie, dont le fils de notre collègue Jean-Marie Bockel. Ce sont des femmes et des hommes libres, engagés au service du drapeau et d'une certaine idée de la liberté. Secrétaire d'État à vos côtés, monsieur le ministre, j'ai gardé le souvenir de leur professionnalisme indiscutable, de leur très haut niveau d'entraînement, de leur courage. Dans un monde individualiste, nos militaires démentent les idées reçues.

L'opération Barkhane a pris la suite de Serval le 1er août 2014. Rappelons qu'en quelques heures, à l'appel du Président malien, le Président François Hollande a pris la courageuse décision d'engager nos forces à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous - décision nécessaire, responsable et digne. Cette première bataille fut remportée en quelques semaines, grâce aux capacités exceptionnelles de projection de nos forces armées.

La France fait partie du club mondial très fermé des puissances capables de projeter leurs forces sur des théâtres extérieurs. Cela confère une responsabilité, celle de ne pas laisser s'installer les rumeurs nauséabondes.

La France n'est pas un pays colonisateur ou impérialiste : elle ne poursuit qu'un objectif, défendre la paix pour que les peuples échappent au joug du terrorisme.

Redire les faits dans un contexte de suspicion n'a rien de superfétatoire, à l'heure où certaines grandes puissances ont du mensonge et des attaques cyber une pratique assidue.

Ne serait-il pas urgent, dans ces conditions, d'associer davantage les parlementaires ? Si le succès tactique est indiscutable, il faut débattre de la stratégie. Ministre de la défense en 2015, vous posiez la question : « Qui est l'ennemi ? ». Il est mouvant, immergé dans les populations, en évolution permanente, et cherche à établir des proto-États. C'est la réalité déjà décrite dans le livre blanc de 2013. Cela n'a rien à voir avec la guerre préventive dans laquelle certains États se sont abimés, moralement, culturellement, économiquement.

La France, fidèle à ses valeurs et à ses traditions, a intégré que la sécurité absolue est un leurre. Notre stratégie ne varie pas : elle est défensive et dissuasive. Il faut définir l'ennemi au plus juste, ne pas se contenter du cadre militaire, mobiliser le politique, le diplomatique, l'économique.

Madame le ministre, monsieur le ministre, où en sommes-nous avec le G5 Sahel ? Quels sont les effets de la crise libyenne ? Les États-Unis changent-ils d'attitude ? À quelle échéance les pays du Sahel auront-ils les moyens de prendre le relais militaire ?

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Je vous le demande sans détour : quelle est la stratégie de la France au Mali ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le groupe Les Indépendants rend hommage à nos soldats tués, blessés et encore engagés, ainsi qu'à leurs familles.

Notre armée a libéré les villes occupées et poursuit les terroristes. Le bilan s'améliore ; ne baissons pas la garde pour autant.

Barkhane a évité la constitution d'un sanctuaire terroriste. Un retrait entraînerait un déplacement massif de population. Dans sa grande majorité, la population du Sahel veut le maintien de la présence armée française, contrairement à ce que laissent entendre des rumeurs malveillantes. Les États doivent améliorer les services publics.

Un exemple : en 1995, j'ai initié une coopération décentralisée entre ma ville et celle de Kati, limitrophe de Bamako. Cette commune de plus de 100 000 habitants recevait une aide de l'Agence nationale pour le développement de 30 millions de francs CFA ; cette aide est passée à 9 millions. Quelle ville pauvre peut supporter une diminution de 70 % de son budget ? Les agents territoriaux ne perçoivent plus de salaires.

À Bamako, il est de plus en plus difficile de se déplacer. La misère se répand. Ségou, Mopti ont perdu une ressource touristique précieuse. Un millier d'écoles ont fermé. C'est grave, car c'est un terreau qui nourrit le terrorisme. Les écoles doivent rouvrir. Il faut agir à tous les niveaux : Barkhane est la condition nécessaire à l'émergence de services publics.

Si le terrorisme prenait le contrôle de la zone, la violence s'exporterait chez nous et il faudrait intervenir dans des conditions dégradées, comme en Afghanistan ou en Irak. La victoire est entre les mains des responsables publics locaux.

La France doit s'attendre à ce que son intervention dure : il faut donc qu'elle soit soutenable et, pour cela, que de nouveaux contingents européens prennent la relève, que les coûts soient mutualisés, que l'aide publique au développement soit revalorisée. La principale urgence, c'est la misère. (Applaudissement sur le banc de la commission et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Guillaume Gontard .  - Depuis 2013 et la prolongation de Serval en Barkhane, le Parlement est muet ; hormis lors de la discussion budgétaire, son rôle est réduit à néant. Or il y a beaucoup à dire.

Le bilan laisse perplexe. À Pau, il y a un an, le Président de la République annonçait une montée en puissance de l'opération avec un renfort de 600 hommes. Le coût financier est passé de 520 millions d'euros en 2014 à un milliard d'euros en 2020. Pour quels résultats ? Certes, il y eut des succès tactiques comme Bourrasque ou Éclipse ; mais les armées locales sont-elles désormais autonomes ? Les États du Sahel ont-ils rétabli leur entente, engagé leur réconciliation ?

Ce conflit repose sur des tensions systémiques, au premier rang desquelles le changement climatique : la désertification, la sécheresse excluent les éleveurs ; l'insécurité alimentaire permet aux terroristes de prospérer. Ces insuffisances ont un coût humain : le brigadier Loïc Risser et le sergent Yvonne Huynh sont les derniers de nos 55 soldats tués.

Les circonstances de la frappe de Bounti, le 13 janvier, qui aurait touché des civils, doivent être éclaircies.

À quelques jours du sommet de N'Djamena, l'enlisement semble être une réalité. La solution militaire ne remplacera jamais la solution politique. Il faut appuyer les transitions démocratiques en redonnant son souffle à l'accord d'Alger. L'Algérie, la France et l'ONU, signataires, doivent y contribuer.

Le tabou des pourparlers avec certaines des organisations armées doit être débattu : certains acteurs politiques maliens négocient déjà avec elles et quand les revendications politiques ne sont pas incompatibles avec nos exigences, ces négociations doivent être soutenues.

Malgré le lancement de la task force Takuba, l'engagement des contingents estoniens, tchèques et suédois n'est pas décisif. Dès lors, une participation plus importante sur le volet développement serait justifiée.

La solution politique ne saurait être trouvée sans un renforcement considérable de l'aide publique au développement. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Christian Cambon pour son initiative. Ce débat tombe à pic, à quelques jours du sommet de N'Djamena.

C'est l'occasion d'adresser un message au Gouvernement mais je tiens à rendre un hommage appuyé à nos armées françaises qui font notre fierté et l'admiration d'autres armées dans le monde. Très peu sont capables de ce que la nôtre réalise là-bas... « Loin des yeux, loin du coeur ? » Jamais dicton n'a été si faux car, là-bas comme chez nous, c'est le même combat pour la paix, la liberté et la vie.

Le courage est la qualité suprême, écrivait Aristote, car il permet toutes les autres. Nos 55 soldats ne sont pas morts pour rien. Sans l'intervention de la France, sous diverses présidences de la République et gouvernements successifs, il y aurait aujourd'hui un nouveau califat islamiste dans le Sahel, aux portes du Maghreb, à la frontière Sud de l'Europe et de la France.

Barkhane est un succès militaire mais nous devons pouvoir discuter de cet engagement. Aucun succès militaire ne débouche sur une paix durable sans succès diplomatique ou politique. Il faut « transformer les gains tactiques en progrès politiques et sociaux » : ce sont vos mots, madame la ministre. Mais à quelles conditions ?

À Brest, le Président de la République a annoncé un « ajustement » de nos efforts : s'agit-il de revenir aux effectifs d'avant le sommet de Pau ? Ni le retrait, qui réduirait à l'inutile les sacrifices de nos soldats, ni le statu quo, qui mènerait à l'embourbement, ne seraient des stratégies.

Alors quelles sont les pistes ? Le dispositif militaire devra s'adapter en permanence, avec une meilleure utilisation des forces spéciales et aéroportées. Il faut sécuriser le transport de nos troupes par un meilleur blindage.

Certes Takuba est une avancée, mais elle est insuffisante. Il faut aller vers le renforcement de la mutualisation européenne des efforts et des contributions. Le G5 Sahel paye le prix du sang, un très lourd tribut. Cet engagement doit être renforcé, même si cela est plus facile à dire qu'à faire.

M. Richard Yung.  - C'est vrai !

M. Bruno Retailleau.  - Il importe de mieux concilier effort pour la sécurité et effort de coopération. Chaque jour, l'opération militaire nous coûte 2 millions d'euros alors que nous mettons 200 000 euros dans la coopération. L'Europe doit pouvoir mieux aider, tout comme l'AFD, dont la logique nous dépasse parfois et dont la transparence doit être renforcée. (M. le président de la commission applaudit.) L'éducation, la santé, l'accès à l'eau sont plus importants que bien des actions.

Pas de reconstruction sans réconciliation. Il faudra exiger du Mali qu'il applique les accords d'Alger, et que l'Algérie entre dans le jeu pour garantir une réelle application. Nous devons renforcer le dialogue entre le Nord et le Sud, entre peuples peul et dogon.

Nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. À nous de leur indiquer le sens de leur mission : c'est ce que nous attendons de vous.

Mon groupe assumera toujours son devoir, au nom de l'intérêt supérieur de la Nation, nous serons toujours en cette matière à vos côtés et aux côtés de l'armée française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et au banc de la commission)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - J'ai une pensée particulière pour Jean-Marie Bockel.

Cela fait huit ans que nous avons un dialogue - franc, exigeant, confiant - avec la commission des affaires étrangères du Sénat sur la situation au Sahel. J'ai tenu à être régulièrement présent pour répondre à vos questions car cet engagement nécessite une totale transparence.

Je me réjouis que ce dialogue se poursuive en séance publique : au-delà de la représentation nationale, nos concitoyens doivent savoir ce que nous faisons, alors que l'on assiste à des manipulations de l'information, à la fois au Sahel - avec la montée d'un sentiment anti-Français - et à propos du Sahel. Ce débat est donc bienvenu.

Vos interventions l'ont du reste souligné, le sentiment anti-français qui peut être alimenté sur place risquerait de brouiller la perception de notre action ici-même : ne laissons pas ce piège se refermer sur nous.

On ne saurait traiter la question de Barkhane sans penser l'ensemble de l'architecture des opérations : création du G5 Sahel en 2014, Alliance Sahel en 2017, lancement du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S) en 2019, Coalition pour le Sahel en 2020... Autant de jalons décisifs pour l'internationalisation de la lutte contre le terrorisme et la définition d'un cadre global et intégré, pour apporter une réponse dans le temps long.

Barkhane a été le socle sur lequel ce vaste dispositif s'est construit.

Mais trois malentendus planent encore, malheureusement. Le premier tient à une forme d'amnésie : ce qui se passe au Sahel ne serait pas notre affaire. Or notre engagement dans Serval puis Barkhane s'explique par la situation du Mali en 2012, au bord de l'effondrement politique et sécuritaire - avec le coup d'État contre Toumani Touré, l'apparition d'Al-Qaïda qui imposait la charia à Tombouctou et marchait sur Bamako. Une catastrophe se profilait, pour la population malienne mais aussi pour nous : la menace, c'était la constitution d'un sanctuaire djihadiste d'où pourraient être projetées des attaques, comme nous l'avons vu au Levant un an et demi plus tard avec l'instauration d'un prétendu califat.

Nous avons eu raison de lancer Serval dès janvier 2013 - à la demande des autorités maliennes. Cette opération a été une réussite militaire et démocratique, avec un coup d'arrêt à la progression djihadiste puis la reprise du processus démocratique et la tenue de l'élection présidentielle malienne.

Mais d'une occupation territoriale, l'ennemi est passé à une stratégie de déstabilisation dans l'ensemble de la région : c'est pourquoi nous avons lancé Barkhane en août 2014, à la demande des États concernés et avec la validation de l'ONU.

Le deuxième malentendu serait la myopie. Il ne faut pas voir l'intervention au Sahel comme une affaire franco-française, voire une obsession française. Ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas seuls, et la sécurité du Sahel est d'abord l'affaire des États du Sahel.

Il y a une prise de conscience européenne, sans doute tardive. La sécurité du Sahel conditionne la sécurité des Européens et nos partenaires européens sont désormais au rendez-vous avec Takuba, avec l'appui à la force conjointe, avec des missions de formation, avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Sans oublier les contributions de nos alliés britanniques, américains et canadiens.

Troisième malentendu : l'impatience. Nos succès militaires ne pourront rétablir la paix à eux seuls. La résolution sera politique. Le Sahel connaît des fragilités considérables et la clé du succès réside dans une approche globale et intégrée. La Coalition pour le Sahel s'appuie sur quatre piliers : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces armées, le soutien aux États et au rétablissement de leurs services de base, en reconquête du territoire et, enfin, le développement.

Cette coalition, ce sont 45 pays et organisations internationales qui se sont déterminés à agir ensemble. Il s'agit d'un nouveau multilatéralisme, un multilatéralisme en action, pragmatique ; il recueille le consensus de la communauté internationale. Un an après le sommet de Pau, son secrétariat s'installe du reste à Bruxelles.

Les résultats sont là. Sur le troisième pilier, les progrès sont lents mais la création d'unités mobiles vise à consolider, dans les territoires arrachés aux terroristes, la présence de l'État. Je pense notamment à la chaîne pénale - notamment la lutte contre l'impunité même si cela reste insuffisant - ou au redéploiement des services publics dans les zones libérées. Ainsi, 16 millions d'euros ont été engagés en urgence pour mener des actions très concrètes de déminage, de créations d'écoles ou de centres de santé, d'accès à l'eau, dans la zone des trois frontières.

Il y aura aussi le temps du développement, pour traiter en profondeur les fragilités. C'est pourquoi a été créée en 2017 l'Alliance Sahel qui regroupe 24 partenaires et supervise 870 projets pour un montant total de 20 milliards d'euros.

Depuis cinq ans, la France a augmenté son aide publique au développement en direction du Sahel de plus de 30 % ; 350 millions d'euros ont été décaissés par l'AFD en un an pour accélérer des projets dans les pays du G5 Sahel. Nous avons des résultats : la scolarisation primaire de 200 000 Nigériens, la réhabilitation de 1 800 classes au Mali, la distribution de 40 000 manuels scolaires au Tchad. Se battre pour l'éducation, c'est se battre contre l'obscurantisme ; l'eau, l'assistance alimentaire, les méthodes de planning familial, l'éducation sont aussi des armes contre le djihadisme.

Le sommet de Pau a été celui du sursaut militaire. Celui de N'Djamena doit être celui du sursaut diplomatique et politique, un sursaut également en faveur du développement.

Au plan diplomatique, il faut renforcer la coopération entre le G5 Sahel et les pays du golfe de Guinée. L'initiative d'Accra qui vise à conforter la relation particulière entre la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Togo va dans ce sens. La coopération doit être aussi renforcée avec l'Algérie, le Maroc ; et nous faisons aussi le lien avec la question libyenne.

Au plan politique, je ne suis pas favorable à l'idée de reconsidérer l'accord d'Alger de 2015. C'est le cadre dans lequel nous pouvons avancer politiquement. Cet accord comprend des coopérations locales, une refonte de l'armée malienne et un effort de développement du Nord.

Il est nécessaire de réinstaller l'armée malienne à Kidal, de désarmer et réintégrer les combattants, de mettre en oeuvre des projets avec le fonds de développement durable. L'Algérie a annoncé que le comité de suivi se réunirait le 11 février : c'est un signe positif.

L'accord distingue les groupes signataires et les groupes terroristes. Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) est partie à l'accord, il accepte d'inscrire son action dans le cadre de l'État malien. Les autres sont des terroristes : nous les combattons. On ne négocie pas avec les terroristes.

La transition civile au Mali doit être menée à bien et garantie par des élections. Il faut renforcer la gouvernance, lutter contre l'impunité et refondre le cadre de la sécurité.

Le sommet de N'Djamena devra enfin être un sursaut pour le développement, avec une prise de responsabilité du G5 Sahel et une meilleure coordination et territorialisation de l'aide. Nous relayons le projet de grande muraille verte, avec 14 milliards d'euros de financements internationaux d'ici 2025. Verdir le Sahel, c'est aussi y ramener la paix. Telles sont nos perspectives.

Les Nations unies, l'Union africaine, l'Union européenne seront présentes à N'Djamena, ainsi que les partenaires américain, britannique, canadien, l'Algérie, le Maroc : c'est une petite communauté internationale qui se réunit pour lutter contre le terrorisme, dresser les chemins de la paix et redonner espoir aux populations locales. Ce débat clarifie nos positions. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Mme Florence Parly, ministre des armées .  - Je m'associe à l'hommage rendu à nos militaires et j'ai une pensée pour la famille de Jean-Marie Bockel.

Pourquoi sommes-nous au Sahel ? Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des djihadistes fonçant sur Bamako. Nous avons répondu, parce que c'est ainsi que nous nous comportons à l'égard de nos partenaires, et c'est ainsi que souhaiterions que nos partenaires se comportent à notre égard si nous étions agressés.

Nous avons répondu également parce que nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, où se préparent des attentats contre l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest voire l'Europe.

Oui, les forces françaises se sont adaptées, ajustées ; et l'opération Barkhane évoluera encore. Le Président de la République a revu la stratégie française lors du sommet de Pau. Il y a un an, les forces sahéliennes étaient au bord de la rupture : en deux mois, 160 soldats nigériens, 53 soldats et civils maliens avaient été tués dans des attaques. Le discours antifrançais n'était pas clairement démenti par certaines autorités du G5 Sahel. Et au milieu, il y avait un boulevard pour Daech et Al-Qaïda, qui se renforçaient.

Le Président de la République a convoqué un sommet pour, avec l'ensemble des partenaires, revoir la stratégie et s'assurer que la présence militaire française était voulue et non subie. Nous en sommes sortis plus forts et plus nombreux dans la lutte contre le terrorisme.

La Coalition pour le Sahel a donné un cadre d'action important autour des quatre piliers mentionnés par Jean-Yves Le Drian. Je reviens un instant sur les deux premiers.

La lutte contre le terrorisme est importante dans la région des trois frontières : Mali, Niger, Burkina Faso. Le Président de la République a augmenté les effectifs armés de 600 militaires.

La montée en puissance des armées sahéliennes a renforcé notre action. Les résultats sont significatifs : Daech est fortement entravé, même s'il conserve une capacité importante de régénération.

En 2019, 300 membres des forces de sécurité ont été tués en six mois. Depuis un an, 100 policiers et militaires sont morts dans la région du Liptako. Mais depuis janvier 2020, aucune attaque d'ampleur n'a été commise. Nous avons neutralisé le numéro un d'Al-Qaïda dans la région ainsi que des cadres de cette organisation.

Du 2 janvier au 3 février, 2 000 militaires maliens, burkinabè, nigériens et du G5 Sahel ont conduit une opération de grande ampleur. Éclipse a pris la suite de Bourrasque. L'ennemi a été bousculé et surpris. Les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : motos, pickups, engins explosifs...

Les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies, même si elles ont encore besoin d'être accompagnées.

C'est possible grâce à un engagement international européen confirmé et renforcé, notamment sur la formation des armées locales, via la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM-Mali. Où sont les Allemands, me demande-t-on ? Ils sont là, deuxième contributeur à cette formation ! Ils fournissent 800 soldats, et il y en aura 250 de plus fin 2021 ou début 2022. Espagnols, Britanniques, Estoniens nous appuient. Un détachement danois a renforcé Barkhane en 2020. Les États-Unis nous soutiennent, contribuant au succès des opérations.

Dans la force Takuba, des forces spéciales européennes entraînent les armées maliennes, notamment un groupe franco-estonien et un groupe franco-tchèque, ainsi qu'un détachement suédois de 150 militaires, avec des capacités aéroportées et de réaction rapide.

Il y a deux ans, un an même, qui aurait cru à un tel engagement ? Ces pays acceptent d'aller au contact direct avec l'ennemi. Comme nous, ils considèrent que la stabilité du Sahel est essentielle à la stabilité européenne. Cette contribution est tout sauf insignifiante. Si les Européens sont là, c'est parce qu'ils croient au sens de cet engagement, mais aussi parce que la France est présente.

Je l'ai déjà dit : Barkhane n'est pas éternelle, mais, à court terme, nous allons rester, ce qui n'empêche pas des évolutions. Les pays sahéliens veulent que nous restions.

La stratégie au Sahel reste une priorité contre Daech et Al-Qaïda. Le risque d'expansion du djihad vers le golfe de Guinée est réel. Leur objectif est clair : faire de la région une base arrière du djihadisme.

Transformer les guerres militaires en progrès économique et social : ce sera tout l'objet du sommet de N'Djamena la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et à droite)

Mme Nicole Duranton .  - Encore onze morts en 2020, lourd tribut de nos frères dans ce combat sans visage ni ligne de front. Nous leur rendons hommage et pensons à Jean-Marie Bockel. Nous voulons contenir le risque de contagion vers le golfe de Guinée. La menace est mondiale et la réponse doit être internationale. Nous ne sommes pas seuls, mais nos partenaires ne sont hélas pas assez nombreux.

La force Takuba a montré l'effet bénéfique de la coordination. En partageant nos compétences, nous aidons les forces sahéliennes à monter en puissance.

L'opération Éclipse lancée le 2 janvier vient de se terminer avec succès. Elle a mobilisé 3 400 soldats, dont 1 500 Français de Barkhane et 1 900 soldats sahéliens.

Jamais nous n'avions vu les forces maliennes et nigériennes combattre comme cela. Pouvez-vous nous dresser le bilan opérationnel d'Éclipse ? Quelles conséquences pour une intervention de plus en plus autonome des forces sahéliennes ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Florence Parly, ministre.  - L'opération Éclipse a mobilisé 1 400 soldats français et 2 000 soldats de pays partenaires sahéliens ; elle a signé le retour des Burkinabés, absents de Bourrasque. Le succès est là : neutralisation de nombreux djihadistes, saisie et destruction de matériel.

Fin janvier, les attaques contre Boulikessi et Hombori ont fait fuir des centaines de djihadistes. Ce partenariat est essentiel. Il n'y aura pas de résultat durable sans restructuration profonde des armées dans ces pays. Ils y sont prêts. Le Niger et le Mali vont recruter massivement pour régénérer leurs armées et les professionnaliser. Nous les y aiderons. (M. François Patriat applaudit.)

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

M. André Guiol .  - La commission a reçu M. Aguila Saleh, président du parlement de Tobrouk ; il nous a présenté la situation de son pays et a évoqué le détournement de la vente de pétrole libyen pour financer des milices.

Nos soldats se battent sur un territoire immense, contre un ennemi diffus. Je regrette que les pays européens ne soient pas plus présents au Sahel. Depuis le Brexit, la France est le seul parmi eux à être membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

Ne craignez-vous pas que les milices ou les mercenaires empêchés en Libye ne renforcent les groupes terroristes au Sahel, menaçant nos soldats ? Comment anticiper et prendre dès à présent des mesures pour éviter d'exposer davantage nos soldats ? (M. André Gattolin applaudit.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - L'histoire libyenne est complexe, la situation actuelle confuse. Mais il peut y avoir de bonnes nouvelles venues de Libye. La preuve : le couvre-feu du 23 octobre est respecté et des élections devraient se tenir le 24 décembre prochain.

Aguila Saleh a été battu aux élections internes du Forum politique. Il faut encore que le nouveau président élu, M. Menfi, et le futur premier ministre, M. Dbeibah, soient confirmés par le Parlement de Tobrouk et le Haut Conseil de Tripoli. Une des clauses de l'accord du 23 octobre concerne le départ des forces étrangères. Nous voulons le faire valider par une résolution de l'ONU. Effectivement, il y a un lien avec la situation au Sahel. La sécurité de la frontière du Sud comme dans la région du Fezzan est une garantie pour éviter la porosité et les trafics en tous genres.

Mme Michelle Gréaume .  - La France doit changer de braquet au Sahel. Nous arrivons au bout d'un modèle d'action fondé avant tout sur le militaire malgré des concepts comme les 3D ou le continuum Sécurité-Développement.

Le 10 décembre, le bureau du conseiller spécial pour l'Afrique de l'ONU, ses représentations permanentes d'Afrique du Sud et du Nigéria ainsi que l'Union africaine ont présenté une note sur les flux financiers illégaux en Afrique. Ils reprennent l'appel de Lusaka lancé par l'Union africaine en 2016. Ces flux s'élèvent à 88,6 milliards de dollars, l'équivalent de l'aide publique au développement et des investissements étrangers en Afrique cumulés ! Ces milliards envolés fragilisent les États, les maintiennent dans le sous-développement et facilitent le recrutement des groupes terroristes.

Parmi les recommandations de ce document, on retrouve la suppression des paradis fiscaux off-shore et un renforcement de la restriction de la circulation des armes. Cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption et du renouvellement des élites politiques une priorité. La France soutiendra-t-elle cette direction ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Les flux financiers illicites en Afrique ne se limitent pas au Sahel. Les préconisations de l'Union africaine et de la nouvelle zone de libre-échange orientale africaine (ZLECAF) doivent être mises en oeuvre. Elles doivent se saisir de cette nécessité de transparence des flux financiers en Afrique.

Les bénéficiaires des aides doivent faire l'objet d'un criblage de sécurité avant le versement des fonds. Ce sujet est compliqué à mettre en oeuvre, mais indispensable pour éviter les dérives.

M. Olivier Cadic .  - Comme tous les membres de l'Union centriste, j'ai une pensée particulière pour notre ancien collègue Jean-Marie Bockel et sa famille. Le lieutenant Pierre-Emmanuel Bockel aurait dû fêter ses 30 ans aujourd'hui. Nous rendons hommage aux 55 soldats français tombés au combat et aux centaines de victimes chez nos alliés du G5 Sahel.

Tous nos interlocuteurs au Sahel saluent l'action de la France et reconnaissent la prouesse militaire de notre armée qui fait énormément avec si peu, sur un si vaste territoire.

Lors de ma première visite à Ouagadougou, il y a quatre ans, la carte de conseils aux voyageurs du ministère des Affaires étrangères représentait le Burkina Faso en jaune, avec une bande rouge à la frontière nord avec le Mali. Désormais, elle est majoritairement rouge, avec le coeur du pays et sa capitale en orange. Le président Roch Kaboré souligne que son pays est de plus en plus dangereux. L'extension du phénomène djihadiste se fait sentir dans les pays côtiers. Comment leur venir en aide ?

Le président de l'Assemblée nationale du Burkina Faso m'a décrit son pays comme une digue. Pour qu'elle tienne, il faut que l'économie ne faiblisse pas.

À Bamako, nos entrepreneurs me faisaient remarquer qu'il est moins cher et trois fois plus rapide de transporter un conteneur de France à Dakar que de Dakar à Bamako.

La France favorisera-t-elle les échanges entre pays enclavés et ports grâce au ferroviaire, notamment avec le Dakar-Bamako, à l'arrêt depuis 2018 ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Cette intervention est tout à fait pertinente. Il est indispensable que les pays du Golfe de Guinée coopèrent entre eux pour assurer la sécurité de leurs frontières nord.

Le président du Ghana, M. Akufo-Addo, a lancé l'initiative d'Accra dans ce sens.

Les infrastructures ferroviaires sont un sujet africain mais il est évident qu'elles doivent être renforcées. Je pense notamment au Dakar-Bamako qui est bloqué. Il faut trouver des moyens de financement afin d'éviter que d'autres n'agissent à la place des Européens ou des Français.

M. Yannick Vaugrenard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mes premières pensées vont à nos soldats morts qui défendent notre chère liberté au prix du sang.

Huit longues années après l'engagement militaire de la France à l'appel des autorités maliennes face au risque d'un djihadisme tentaculaire, il convient de dresser, en toute responsabilité, des constats.

Fallait-il intervenir ? À l'évidence, oui. Notre pays ne pouvait détourner honteusement le regard. La France peut-elle rester éternellement ? Assurément, non. Le conflit se gagnera politiquement ; l'Histoire montre que les interventions militaires ne peuvent faire l'économie d'une transition démocratique. Sans quoi ceux qui ont applaudi à notre arrivée manifesteront pour nous demander de partir...

L'action militaire doit être accompagnée d'une assistance économique et politique.

Sans ses partenaires occidentaux, la France n'a pas les moyens de ses ambitions. À cela s'ajoute une guerre de communication pernicieuse. Chine et Russie jouent un jeu trouble et tentent de discréditer notre pays. Les États-Unis renforceront-ils leur soutien pour éviter que l'Afrique ne devienne entièrement dépendante de l'influence russo-chinoise ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le soutien militaire des États-Unis concerne à la fois le transport, le ravitaillement en vol et le renseignement par drones. Mon sentiment est qu'il ne sera pas remis en cause, alors que la question a pu se poser sous la précédente administration. Ce soutien, important pour nous, ne représente que 0,0035 % du budget militaire américain.

Le soutien des États-Unis est aussi important au Conseil de sécurité de l'ONU, pour la Minusma. Nous avons eu parfois des difficultés à obtenir la validation du Conseil de sécurité, avec le risque d'un veto américain. La décision de renouvellement doit être prise en juin. Il sera essentiel d'obtenir un soutien logistique et financier à la force conjointe grâce à une inscription sous le chapitre 7.

M. Gérard Longuet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec autorité, gravité mais mesure, MM. Cambon et Retailleau ont exprimé le point de vue du groupe Les Républicains. J'y adhère totalement.

À quel niveau de participation européenne la force Takuba représentera-t-elle une véritable coopération de pays volontairement associés à notre effort ? Les participations actuelles restent très minoritaires.

Sur le P3S - le partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel - quelle est votre attitude vis-à-vis de la Turquie ? La mettrez-vous au défi de répondre à ses engagements ?

Même chose pour la Russie, curieusement passionnée par la République centrafricaine, et la Chine, présente économiquement partout, et absente politiquement.

Enfin, Joe Biden représente-t-il une espérance, une inquiétude ou un prolongement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Concernant la Turquie, la Chine et la Russie au Sahel, je suis vigilant, en particulier sur les réseaux d'information. Il est indispensable de les informer honnêtement de ce que nous faisons, car ils siègent au Conseil de sécurité. Enfin, je suis prudent vis-à-vis des projets de développement qui aboutissent parfois à des déséquilibres financiers dans les pays bénéficiaires, mais à l'heure actuelle, aucun de ces trois pays ne participe à de tels projets.

Mme Florence Parly, ministre.  - Difficile de répondre de façon arithmétique à votre question. Pour que Takuba fonctionne, il faut des forces maliennes disponibles en nombre croissant et de façon permanente. Il faut aussi des moyens, des équipements significatifs. La force suédoise est arrivée avec des hélicoptères et la force italienne avec des moyens d'évacuation sanitaire.

Il faut aussi que Takuba entraîne d'autres partenaires. Au-delà des cinq pays déjà engagés, nous avons quatre autres partenaires potentiels : le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas.

Le succès viendra en marchant. La force conjointe sera opérationnelle cet été.

M. Alain Marc .  - En 2020, nous avons assisté à de grands bouleversements. À cause de la pandémie, le PIB français a reculé de 8 % en 2020. En parallèle, les menaces internationales se renforcent et évoluent. Le monde de demain ne sera pas moins dangereux que celui d'hier. Face à cela, plusieurs pays, dont la France, augmentent leurs dépenses de défense. Le Royaume-Uni y consacrera 2,2 % de son PIB pour les quatre prochaines années.

Le Parlement a soutenu la loi de programmation militaire (LPM) pour donner à la France les moyens de sa sécurité. Mais il faut une actualisation avant fin 2021, conformément à l'article 7. Il faudra maintenir le budget de Barkhane.

Les pays européens sont loin d'avoir mesuré l'importance d'une autonomie stratégique commune. Comment le Gouvernement et le Président de la République comptent-ils faire progresser la défense de l'Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Florence Parly, ministre.  - Il y a trois ans, lors de l'examen de la LPM, nous avons recensé les menaces, qui n'ont pas faibli. La réponse se trouve dans la préparation de nos armées et la construction de partenariats. À la veille de la présidence française de l'Union européenne, nous devons continuer à faire prendre conscience aux Européens des menaces qui planent.

Le changement d'administration américaine peut influencer nos partenaires européens alors qu'il nous faut une Europe de la défense plus structurée et puissante. Nous allons continuer à promouvoir les notions d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne même si les Américains s'engagent à nouveau dans le multilatéralisme.

M. Guillaume Gontard .  - L'aide au développement est essentielle. De 800 millions à 1 milliard d'euros sont dépensés chaque année pour l'opération Barkhane, contre 440 millions d'euros entre 2013 et 2017 pour l'aide au développement au Mali.

Si les projets de développement ne servent qu'à favoriser l'acceptation des soldats français par les populations locales, ils ne seront qu'un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région. En outre, les enjeux du changement climatique doivent être pris en compte.

Que prévoit la France pour l'aide au développement et pour lutter contre les tensions communautaires ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je voudrais corriger quelques propos erronés. La mobilisation financière de l'Alliance pour le Sahel est de 20 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros déjà dépensés.

Nous oeuvrons en coopération étroite avec les acteurs locaux. À vous écouter, nous ne faisons rien... Prenons l'exemple de la bourgade de Kona au Mali, où il y a des participations croisées en faveur du port fluvial, de l'éducation des jeunes, de l'éclairage public. Si ce n'est pas du développement, qu'est-ce ?

J'ai évoqué déjà la relance de la grande muraille verte qui est un projet africain, enterré puis relancé grâce à la France.

M. Guillaume Gontard.  - Je parlais des moyens financiers français. Je n'ai pas dit que rien n'était fait mais qu'il fallait rééquilibrer les moyens militaires et d'aide au développement.

La grande muraille verte, qui consiste à planter des forêts en lisière du Sahara, est un ambitieux projet d'agroforesterie.

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En janvier 2013, Serval a stoppé l'avancée djihadiste sur Bamako.

Au Mali, les trafics se développent grâce à la porosité des frontières. Nos soldats opèrent sous la menace permanente d'engins explosifs improvisés et d'embuscades.

La France s'inscrit, avec les membres du G5 Sahel, dans une coalition de régimes politiques et militaires qui luttent contre les groupes armés terroristes, mais la montée en puissance de nos partenaires est contrastée.

Certaines milices sont proches de l'État. Or, selon la Minusma, elles sont responsables de 70 % des décès avec les groupes d'autodéfense... Notre situation est d'autant plus délicate que la population malienne commence à se retourner contre notre présence. Le 3 janvier 2021, nos forces ont été accusées de bavures à côté de Bounti.

Je suis inquiet de la dégradation de l'image de la France. Il est urgent d'établir un agenda politique clair. Quelles mesures comptez-vous prendre pour renforcer la stabilité du Mali ? L'Union européenne envisage-t-elle une stratégie plus intensive d'aide au développement pour faire reculer la pauvreté et le ressentiment, terreaux du recrutement des islamistes ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je connais bien la région, où je me suis très souvent rendu auprès de nos forces, mais aussi des autorités politiques, de la société civile et des acteurs du développement.

Je suis convaincu que les pays et les populations souhaitent la présence française et la manifestation du 3 janvier n'a pas eu le succès escompté par ses promoteurs...

Il y a du respect et de l'attente pour notre action. Il faut un engagement sans faille des autorités du G5 Sahel, y compris dans le processus politique. Cela passe par la reprise de la discussion autour des accords d'Alger. Un comité de suivi se tiendra à Kidal à l'initiative de l'Algérie : les autres pays africains doivent s'y associer.

M. Mickaël Vallet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'opération Barkhane a mobilisé 3 000, puis 4 500, puis enfin 5 100 soldats après le sommet de Pau.

La France n'est pas soutenue à hauteur du profit que tire le reste de l'Europe de cette opération. Certes, il y a le G5 Sahel, l'Alliance Sahel et la force Takuba, mais la très grande majorité des morts et blessés sont Français, soit dit sans minimiser les sacrifices des soldats de la Minusma. Et je crains que renforts italiens et grecs annoncés récemment, certes bienvenus, ne suffisent pas à rééquilibrer le fardeau.

Peut-on se contenter, pour Takuba, d'un simple soutien politique de grands pays européens comme l'Allemagne, sans contribution militaire ? Quel apport minimal en matériel et en soldats au sein de Takuba serait jugé suffisant par la France ?

Mme Florence Parly, ministre.  - Il n'y a pas de seuil arithmétique, mais deux conditions et une dynamique. D'abord, il faut qu'il y ait assez de forces maliennes pour combattre. Nous ne combattons pas à la place de l'armée malienne, nous sommes dans un partenariat de combat. Cette question n'est pas triviale car certains de nos soldats ont combattu sept mois d'affilée...

Deuxième condition : Takuba doit être opérationnellement autonome à l'été. Nous avons déjà la contribution de trois partenaires par ordre croissant : Estonie, République tchèque et Suède.

C'est un travail collectif avec nos partenaires sahéliens et européens, pour franchir ce seuil critique.

M. Hugues Saury .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France n'a pas vocation à demeurer indéfiniment au Sahel. Mais un départ précipité laisserait les mains libres à Daech et à Al-Qaïda, menaçant la sécurité de nos concitoyens sur notre propre sol.

Nos alliés africains doivent relever le défi économique, social, sanitaire avec des services publics stables, une économie plus saine, des forces armées et de sécurité performantes. C'est le sens de l'approche 3D - diplomatie, défense et développement.

Or le troisième D, celui du développement, fait défaut. Aucun des pays du Sahel ne fait partie des douze premiers bénéficiaires de notre aide publique au développement. Comment expliquer que les cinq pays sahéliens ne perçoivent 4,5 % des aides françaises alors que le Maroc bénéficie à lui seul de 5 % ?

Nous avons mis beaucoup de moyens sur le militaire et peu sur le développement. Une stratégie d'aide est le corollaire essentiel à l'action de nos armées. Le temps n'est-il pas venu d'un Barkhane du développement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - J'ai parlé d'un sursaut de Barkhane, qui concerne aussi le développement. Il faut préciser que les pays du Sahel ne reçoivent, au titre de l'APD, que des dons, via l'AFD ou les organismes européens, car les capacités d'emprunt de ces pays sont à risque.

Les organismes donneurs et prêteurs travaillent sans se coordonner au sein de l'Alliance Sahel : voilà le problème. (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.) Il faudrait territorialiser les multiples aides autour d'un territoire pour permettre le développement.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je rends hommage à ceux qui vont jusqu'au sacrifice ultime pour assurer notre protection.

Nos militaires, qui circulent en véhicule blindé léger vulnérables et vieillissants, sont sous la menace des Improvised explosive devices (IED). Il faut réfléchir à un équilibre entre mobilité, protection et discrétion pour nos véhicules blindés d'aide à l'engagement. Un partenariat pourrait être envisagé avec nos amis belges.

Monsieur le ministre, vous avez promu une approche globale 3D pour la reconstruction d'un État de droit. Mais ces pays sombrent dans la pauvreté, ce qui donne une assise populaire aux groupes armés, auprès d'une jeunesse sans espoir. Le véritable enjeu est de tarir la source de recrutement de ces groupes.

Quelles sont les priorités de la France pour reconstruire un appareil régalien fonctionnel ?

Mme Florence Parly, ministre.  - Les IED sont des armes non discriminantes qui montrent que les terroristes ne cherchent pas la confrontation avec nos forces armées. Nous ciblons les poseurs de ces engins et les réseaux et nos récents succès ont permis de réduire la menace.

Dans les prochaines semaines seront livrés des kits de protection de nos véhicules - blindage à l'extérieur, mousse à l'intérieur. Le véhicule blindé d'aide à l'engagement et le Griffon du programme Scorpion seront déployés en 2021 afin d'assurer la protection de nos combattants. À cela s'ajouteront radars, brouilleurs et robots de déminage.

L'arme aérienne est indispensable mais elle ne permet pas tout : il faut des forces au sol pour des actions discriminées afin d'épargner les populations.

Mme Isabelle Raimond-Pavero .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je rends hommage à tous ceux qui sont tombés en opérations extérieures.

Le sommet de N'Djamena doit être l'occasion d'évaluer ce qui a été réalisé depuis celui de Nouakchott, et ce que chaque pays consacre en moyens humains et financiers à la paix.

Madame le ministre, votre homologue américain vous a-t-il informée de l'aide qu'il compte nous apporter en matière de drones, de renseignements, de transports logistiques ? Sans ces aides, des opérations peuvent être compromises.

Ce sommet doit poser clairement la question : quel prix pour quelle paix ? Il doit être moins question de retrait que de responsabilités. Nous ne gagnerons pas la paix sans déconstruire la propagande djihadiste, sans gagner la confiance des populations. N'ignorons pas les influences étrangères en Afrique, qui n'ont pas la même conception des droits humains que nous. L'épisode de Bounti montre que l'information est une bataille en soi.

Quel message sera porté pour que chaque partie assume ses responsabilités, notamment quant au respect des missions des soldats français ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La mise en pratique du P3S n'est pas assez mise en avant. Comment occuper les territoires libérés et pacifiés ? Il convient de rétablir au plus vite la présence physique des autorités locales et de l'État, avec des appareils policier et judiciaire à la hauteur. Sur ce point, la coopération européenne est satisfaisante.

Les manipulations d'informations sont connues et nous savons à qui elles profitent. Le combat est collectif ; nous serons face à ceux qui veulent détruire l'image de la France.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Barkhane est déterminant pour le Sahel mais aussi pour notre sécurité en France et en Europe. Je rends hommage à nos soldats tombés pour nous protéger.

À l'heure où le terrorisme reste une menace dans la bande sahélo-saharienne, où la France est désormais la seule puissance militaire complète et indépendante au sein de l'Union européenne, la pleine contribution des 27 ne devrait-elle pas être mobilisée au Sahel ?

Il y a des signes encourageants d'européanisation des opérations, avec la task force Takuba, la mission ECATP Sahel Mali, mais il faut davantage.

Le Fonds européen de défense (FED) a vu sa dotation divisée par deux, de 13 à 7 milliards d'euros : comment soutiendra-t-il l'action de la France ? Comment favoriser le dialogue entre États membres pour qu'ils soutiennent davantage notre effort militaire ? Comment préparez-vous la présidence française de l'Union européenne de 2022 ?

Mme Florence Parly, ministre.  - Nous essayons d'embarquer avec nous nos partenaires européens - encore faut-il qu'ils soient volontaires et capables. C'est ce que nous observons dans le cadre de la force Takuba.

Au 1er juillet 2021, nous disposerons de la facilité européenne de paix, c'est-à-dire la possibilité d'équiper d'armes létales des soldats formés dans le cadre de la formation EUTM. L'Union est très active dans la formation militaire, notamment en Centrafrique, mais ce sont les Russes qui en tirent bénéfice en achevant la formation. Cette facilité européenne de paix sera donc un atout considérable.

Il est faux de dire que le FED est divisé par deux : zéro divisé par deux, cela fait toujours zéro ! Ce fonds est désormais doté de 8 milliards d'euros pour les sept prochaines années. Il financera la R&D d'une capacité européenne souveraine, qui nous manque cruellement.

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) De Serval à Barkhane, nos soldats sont l'honneur de la France et des acteurs de la paix pour tous les pays de la zone.

La critique est aisée, mais dans quel état serait la zone si la France n'était pas intervenue à la demande du Gouvernement malien ? Notre armée n'est en aucun cas une armée d'occupation ; elle protège la population et forme les forces locales.

L'un des objectifs du sommet de Pau était l'établissement d'un « partenariat de combat » et l'intégration des forces partenaires. Il y avait été convenu de concentrer les efforts en améliorant notamment la formation des armées des pays du Sahel.

Pourriez-vous dresser un bilan de la formation par les Français et de l'autonomisation des troupes maliennes ?

Élue de Moselle où se trouve le premier régiment d'infanterie de Sarrebourg ainsi que le premier régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg, je souhaite connaître les avancées en matière de disponibilité des appareils et sur leur maintien en condition opérationnelle. Les hélicoptères sont de véritables anges gardiens pour les troupes au sol, ceci est d'autant plus vrai en raison de l'immensité du territoire. M. de Legge, dans un rapport, avait appelé à une homogénéisation du parc.

Mme Florence Parly, ministre.  - L'accompagnement et la formation des armées maliennes par nos troupes donnent de bons résultats. Plus de 15 000 militaires maliens ont été formés, en sus des formations réalisées par EUTM-Mali.

La disponibilité des hélicoptères est critique pour Barkhane : le taux de disponibilité en opération est de 75 à 80 %, ce qui est très élevé. Il le faut, car ces machines doivent être disponibles pour appuyer nos forces au sol. Leur usure est très forte en raison des conditions météorologiques. Nous disposons d'une trentaine d'hélicoptères sur place, ils doivent être opérationnels en permanence. Nous les surveillons comme le lait sur le feu.

M. Pascal Allizard .  - Depuis 2013, notre dispositif au Sahel n'a cessé d'évoluer et de croître. De francs succès opérationnels ont été rencontrés, nos modes d'action se sont adaptés, nos troupes et leurs alliés se sont aguerris au contact d'un ennemi rude, solide et organisé. Nos pensées vont à nos soldats tombés.

L'ennemi a un projet politique et une stratégie pour le mettre en oeuvre. Pluriel et protéiforme, il s'appuie sur les tensions communautaires, l'absence d'alternatives sociales et économiques et les difficultés des États locaux. Il a su muter, s'ajuster - et nous avons glissé vers une guerre asymétrique qui s'installe dans la durée.

Quelles sont les conséquences à tirer pour l'engagement de la France dans ses OPEX ? Va-t-on vers des opérations plus ponctuelles, avec une empreinte au sol réduite ? Dans l'approche 3D, va-t-on vers plus de diplomatie et de développement ?

Mme Florence Parly, ministre.  - Une guerre asymétrique engage un adversaire plus faible, qui se dérobe et pour qui tous les coups sont permis : discréditer la France, exploiter les tensions communautaires, cibler les populations civiles, s'affranchir du droit international humanitaire, détruire les écoles, assassiner les chefs locaux...

Face à cette menace, nous devons développer des outils dans des champs nouveaux, notamment celui de l'information et du cyber, dans la continuité de la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Ne soyons pas naïfs et comprenons les armes de l'adversaire pour riposter.

M. Pascal Allizard.  - La confrontation dans le champ informationnel met nos démocraties en difficulté. Faisons évoluer notre doctrine d'information et disons clairement que notre présence au Sahel n'est pas éternelle mais durera le temps nécessaire.

M. Christian Cambon, président de la commission .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.) Pour qui en doutait, l'utilité de ce débat a été amplement démontrée par le nombre de collègues présents et la qualité des interventions. Je remercie le président, les membres de la commission et chacun d'entre vous.

J'ose croire que les échos de ce débat parviendront à nos militaires, qui percevront notre attachement personnel et politique à leur égard. Je remercie Mme et M. le ministre pour la qualité de leurs réponses.

Vous avez senti notre volonté que l'aide au développement soit encore mieux orientée. Beaucoup d'argent a été dépensé depuis des années, pour peu de résultats. Le sommet de N'Djamena doit être celui du sursaut. La mobilisation des forces armées locales doit être une priorité et je sens que les choses bougent dans le bon sens. La France doit peser de tout son poids pour promouvoir la réconciliation.

Je note un consensus sur la présence française. Ce serait un singulier affront à nos militaires que de les rappeler alors que leur mission n'est pas terminée ; l'allègement des effectifs viendra en son temps. Il est important que notre action soit soutenue par l'opinion française. Souvenez-vous de la situation en Afghanistan après Uzbin. C'est aussi à nous, dans nos territoires, de faire passer ce message.

J'espère que nous n'attendrons pas huit ans pour un nouveau débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et RDSE)

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Christine Lavarde.  - Lors du scrutin n°70, mon collègue Philippe Pemezec souhaitait voter contre.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Sécuriser la procédure d'abrogation des cartes communales

M. le président.  L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d'abrogation des cartes communales dans le cadre d'une approbation d'un plan local d'urbanisme ou d'un plan local d'urbanisme intercommunal et à reporter la caducité des plans d'occupation des sols, présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat. Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) On pense souvent à tort que l'urbanisme est un sujet technique. Or cette proposition de loi de Rémy Pointereau soulève une question éminemment politique : souhaitons-nous une modernisation accompagnée, différenciée, de nos politiques d'urbanisme locales, ou une transition à marche forcée ?

Rien ne reflète davantage la diversité de nos territoires que leurs documents d'urbanisme. La loi SRU a créé le plan local d'urbanisme (PLU) mais la transition vers ce nouvel outil se fait lentement, pour des raisons de complexité et de coût ; elle a été retardée par le transfert de la compétence à l'échelon intercommunal en 2017. Résultat, de nombreuses communes, souvent rurales, ont préféré rester régies par une carte communale ou un plan d'occupation des sols (POS). Elles doivent être respectées et entendues.

Or la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a prévu la caducité des POS. Les délais ont été repoussés plusieurs fois, notamment grâce au Sénat.

La proposition de loi fixe une procédure pour le remplacement des cartes communales par des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Elle repousse en outre de deux ans l'échéance de caducité des POS en 2023. Mais, faute de place dans l'ordre du jour parlementaire, cette caducité est intervenue début 2021...

Notre travail en commission a été dicté par un souci de souplesse et de pragmatisme. Réactiver les POS aurait été source de contentieux et d'insécurité juridique. La commission a adopté quatre amendements traduisant ces principes.

À l'article premier, elle a ainsi renforcé la procédure combinée permettant de mener de front abrogation de la carte communale et élaboration du PLUi, avec une enquête publique unique, ce qui réduit les lourdeurs procédurales.

À l'article 2, elle a offert une boîte à outils aux maires frappés par la caducité de leur POS pour gérer au mieux la transition sans que l'application du règlement national d'urbanisme (RNU) ne vienne bouleverser un projet de territoire construit pendant des années.

Nous proposons trois dérogations pour restaurer le droit de préemption et améliorer le dialogue entre le maire et le préfet, dont une dérogation défensive, permettant de demander au préfet de surseoir à statuer, et une dérogation offensive, pour lever des blocages. Ces propositions devront être dictées par l'intérêt communal.

Certaines de nos propositions auraient pu être prises par décret, estime le Gouvernement. (Mme la ministre le confirme.) Dans ce cas, pourquoi avoir tant attendu ? Où en est ce projet de décret ?

D'autres mesures sont de nature législative ; il nous appartient de veiller à la précision de la loi sans nous en remettre à la pratique ou à la jurisprudence.

J'espère que cette proposition de loi sera transmise à l'Assemblée nationale ; la navette pourra en améliorer la rédaction. À défaut de discuter du projet de loi 3D, le Sénat prend les devants. Apportons nos collectivités l'accompagnement et la confiance qu'elles méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Michel Canevet applaudit également.) Je remercie Rémy Pointereau, auteur de cette proposition de loi, ainsi que la commission des affaires économiques pour ce débat consacré à des sujets essentiels pour l'application de l'urbanisme, notamment dans les zones rurales.

Progressivement, les outils d'urbanisme sont devenus des éléments stratégiques d'un aménagement ambitieux et équilibré des territoires. Ils sont appropriés par les collectivités qui construisent des projets sur-mesure adaptés aux réalités de leur territoire. Elles disposent d'une palette d'outils, du plus simple au plus sophistiqué.

Pour certaines, la carte communale ou le RNU sont suffisants, voire préférables car plus simples. Mais progressivement, ces collectivités passent au PLU et au PLUi, tout comme les POS ont laissé la place aux PLU. Il faut faciliter le passage à ces nouveaux outils en levant les incertitudes.

L'article premier précise les règles de procédure applicables aux cartes communales. Or quatre des cinq mesures proposées sont déjà satisfaites : pour abroger une carte communale, c'est bien la commune qui est compétente. Évitons de prendre des textes redondants avec le droit existant.

Pour autant, les règles doivent être claires et la pédagogie réside dans la répétition. C'est pourquoi je m'engage à envoyer une nouvelle instruction pour rappeler le cadre juridique existant à nos services déconcentrés ainsi qu'aux collectivités.

Une des mesures que vous proposez répond à un véritable vide juridique : la période durant laquelle la carte communale est abrogée mais le PLU n'est pas encore en vigueur. Je me suis engagée à rédiger un décret ; il devrait être rapidement signé et je vous le ferai parvenir avant publication.

L'article 2 prévoit de prolonger les POS caducs. La commission n'a pas retenu cette proposition. Vingt ans après la loi SRU, il était temps ! Les délais avaient été plusieurs fois repoussés à fin 2015, fin 2017, fin 2019, fin 2020... Et dans l'intervalle, plus de 91 % des POS ont été transformés en PLU.

Sur les 530 communes revenues au RNU en 2021, 200 ont simplement lancé la procédure sans toutes les étapes.

Le rapporteur a fait le choix de remplacer la prolongation des POS par des mesures visant à empêcher que les projets ne soient bloqués. Là encore, le droit le garantit déjà et assure une transition en douceur.

Le RNU n'empêche pas les projets, et les porteurs de projets ont pu demander des certificats d'urbanisme pour maintenir les règles du POS pendant dix-huit mois supplémentaires.

Mais autoriser le préfet à sursoir à statuer sur un permis de construire ne me semble pas raisonnable car c'est la collectivité qui est compétente. Si je vous l'avais proposé, vous m'auriez objecté qu'il s'agissait d'une recentralisation ! Lui permettre de déroger au RNU pour tout projet d'intérêt communal afin d'éviter de bloquer certains projets est contraire à notre objectif de lutte contre l'étalement urbain. Le RNU laisse la décision à la collectivité.

Vous soulevez toutefois un point important sur le droit de préemption urbain, outil stratégique pour la réalisation d'opérations d'aménagement qu'il convient de bien encadrer, et pas uniquement sur la base de l'ancien POS. Nous réunirons un groupe de travail avec les associations d'élus.

J'ai par ailleurs lancé une enquête auprès des collectivités concernées pour identifier et traiter les problèmes.

Cette proposition de loi a mis en évidence certaines difficultés. Mais il n'est pas souhaitable de l'adopter en l'état.

Je m'engage à répondre rapidement aux points soulevés. D'ici mars, nous rappellerons le cadre applicable à l'abrogation des cartes communales. Un décret comblera d'ici l'été le vide juridique entre suppression de la carte communale et entrée en vigueur du PLU. Nous lançons un groupe de travail et vous invitons, cher Rémy Pointereau, cher Jean-Baptiste Blanc, à y participer. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La maîtrise de l'urbanisme par les communes est un acquis des lois de décentralisation.

Les communes et intercommunalités ont dû s'adapter à un droit de l'urbanisme pathologiquement instable, nécessitant une ingénierie territoriale qui conditionne l'exercice même de leur libre administration.

Le transfert automatique de la compétence urbanisme vers les intercommunalités combiné aux réformes territoriales successives à peine digérées n'est pas chose aisée. Le paramètre financier n'est pas négligeable. Le coût de réalisation d'un PLU, de 25 000 euros à 50 000 euros en moyenne, est un point de blocage.

La loi doit prendre en compte les spécificités des collectivités. Les difficultés soulevées par les élus locaux révèlent encore une démarche descendante de l'État vers les collectivités territoriales.

L'article premier de ce texte renforce la lisibilité du droit de l'urbanisme, avec une procédure combinée entre suppression de la carte communale et réalisation d'un PLU. C'est un progrès, même modeste.

Les POS, souvent jugés archaïques, ont vu leur caducité programmée par la loi ALUR, mais reportée plusieurs fois. Les 530 POS restants sont caducs depuis le 1er janvier 2021 ; parmi eux, 130 étaient à un stade avancé du processus de transformation. Il n'y a pas eu d'inertie des élus locaux. Pourquoi leur refuser une souplesse bienvenue dans le contexte actuel ? La contrainte risque de générer de nouveaux conflits. Laissons le temps aux collectivités d'élaborer un PLU de qualité.

Nous soutenons l'équilibre proposé par le rapporteur, notamment avec les aménagements à l'application du RNU, le temps d'achever leur document d'urbanisme.

Les collectivités territoriales en transition, majoritairement rurales, doivent être accompagnées. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pourrait les aider. Leurs inquiétudes doivent être entendues.

Le groupe RDSE soutiendra la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains)

M. Fabien Gay .  - Cette proposition de loi comble un vide juridique sur l'abrogation de la carte communale. C'est un texte utile et pragmatique que nous voterons... à charge de revanche ! (Sourires)

Adosser la procédure de suppression de la carte communale à celle de l'approbation du PLUi fera gagner du temps.

Les documents d'urbanisme ont beaucoup évolué depuis la loi SRU pour mieux lutter contre l'artificialisation et préserver l'environnement. Ce renforcement des normes et des études n'est pas du superflu coûteux, mais une exigence utile. Alors que l'équivalent d'un département disparaît tous les sept ans du fait de l'urbanisation, nous soutenons l'objectif de zéro artificialisation nette à l'horizon 2050.

Pour autant, nous ne sommes pas pour l'abandon couperet des POS : les collectivités territoriales doivent conserver la maîtrise de leur aménagement.

Les difficultés tiennent largement à l'article 136 de la loi ALUR, qui organise le transfert automatique de la compétence urbanisme, transfert d'autant moins pertinent qu'il s'articulait avec la constitution d'intercommunalités forcées, peu favorable à l'émergence d'un projet d'urbanisme partagé. Ce dessaisissement des collectivités territoriales a dévitalisé la démocratie de proximité.

Cela explique pour beaucoup les retards pris dans l'élaboration des PLU et PLUi.

Avec la suppression de l'assistance technique pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) en 2014, les communes avaient subi une perte d'ingénierie, à laquelle s'ajoute la baisse continue de la DGF : leur capacité d'action est donc triplement bridée.

Le rôle de l'ANCT devrait être recentré sur l'accompagnement des collectivités dans l'élaboration des documents d'urbanisme.

L'État ne doit pas porter une vision autoritaire de l'aménagement du territoire mais faire confiance aux collectivités territoriales et leur apporter son soutien, au service de l'intérêt général et de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Cette proposition de loi opère une clarification juridique et une simplification de bon sens. Je remercie son auteur ainsi que le rapporteur.

Loin des débats manichéens sur le transfert de la compétence urbanisme aux intercommunalités en 2014, ce texte répond à des situations locales réelles.

La disparition des POS, la transformation des cartes communales et le transfert de compétence aux EPCI ne sont pas remis en cause - certains pourront le regretter. Vingt ans après la loi SRU, six ans après la loi ALUR, ce mouvement long est en passe d'aboutir. Plus de la moitié des communes françaises relèvent d'un EPCI compétent en matière d'urbanisme, plus de 18 000 PLU ont été élaborés, et il restait à peine 530 POS fin 2020.

Cette proposition de loi n'est pas conservatrice mais accompagne les élus.

Le droit de l'urbanisme est une matière ardue et mouvante. Ardue car elle combine droit dur et droit mou ; mouvante en raison des changements de lois, des empilements de règles à différents échelons. Les élus locaux font le maximum, mais l'accompagnement de la part des services de l'État ne sera jamais de trop.

M. François Bonhomme.  - C'est certain !

M. Jean-Pierre Moga.  - L'article premier apporte des précisions utiles et fixe une procédure plus efficace et plus simple ; elle encadre la transition et limite les enquêtes publiques sur un même sujet.

À l'article 2, le rapporteur a pris en compte la nouvelle situation du droit au premier janvier et prévu une boîte à outils de dérogations pour les 530 communes ayant encore un POS. Mieux vaut les accompagner que les braquer.

Nous ne connaissons pas encore les détails du projet de loi « 4D », mais, madame la ministre, ne bousculez pas à nouveau le droit de l'urbanisme par de nouveaux transferts et délais ! Accompagnez mieux les territoires en renforçant l'ingénierie de l'État. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet de loi ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Ce n'est pas le moment ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Moga.  - Le groupe Union centriste votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - Très bien.

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Cette proposition de loi explicite le droit et accorde deux ans supplémentaires aux communes n'ayant pas achevé leur transition vers un PLU. En effet, 530 communes sont dans un flou juridique depuis le 1er janvier. Il est regrettable que l'État n'ait pas réglé la situation plus tôt.

Pourquoi ces difficultés à passer du POS au PLUi ? Ce n'est pas une question de négligence. La prise en compte des intérêts des petites communes au sein d'intercommunalités importantes est en jeu. Elles ont besoin de temps, d'ingénierie et de finances pour réaliser le PLU dans les délais.

Madame le ministre, vous rappelez que le RNU existe et que certains maires l'ont choisi et souhaitent le conserver.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Absolument.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Ce souhait est loin d'être unanime, car le RNU nécessite d'obtenir l'avis conforme du préfet et ne s'articule qu'autour de deux notions : terrain constructible ou non.

Dans ce régime restrictif, les situations se règlent au cas par cas, selon la libre appréciation des DDT. On risque de voir des prédateurs fonciers chercher à profiter du système. Le retour au RNU va à l'encontre de la lutte contre l'artificialisation des sols.

Le Sénat s'est vu contraint d'examiner cette proposition de loi après l'expiration du délai de caducité. Une réécriture complète de l'article 2 en découle, qui propose une boîte à outils pour atténuer les conséquences de cette caducité.

Vous avez émis un avis défavorable sur le droit de proposition des maires leur permettant de demander au préfet d'user de son pouvoir de dérogation, au motif que le maire restait l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation, sous réserve de recueillir l'avis conforme du préfet. Mais cela ne vaut que si les deux parties sont d'accord ! Pour les 360 communes qui sont encore loin d'un PLUi, vous avez proposé d'écrire à tous les préfets pour faire remonter les raisons du blocage, et de les accompagner par l'ingénierie de l'État ou via l'ANCT.

Un dialogue cousu main est nécessaire. Nous regrettons que l'État ne l'ait pas mis en place plus tôt.

Le groupe Socialiste, écologiste et républicain votera cette proposition de loi en espérant que l'Assemblée nationale l'inscrive à son ordre du jour avant la fin de la mandature, sinon le problème restera entier.

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Cette proposition de loi vient combler des vides juridiques identifiés par les élus locaux. Il demeure encore des difficultés dans des petites communes rurales, même si la couverture en PLU et PLUi progresse.

La crise sanitaire et le renouvellement différé des exécutifs locaux ont renforcé ces difficultés.

La date limite, repoussée à plusieurs reprises, est dépassée depuis fin décembre. Certains retards sont dus à des changements de périmètre des intercommunalités ou des transferts de compétences. Nous regrettons le manque d'accompagnement et d'ingénierie pour les territoires.

Cette proposition de loi apporte des réponses pratiques. La procédure combinée est une bonne solution, de même que la boîte à outils à l'article 2.

Le couple maire-préfet serait une nouvelle fois sollicité pour rechercher des solutions au plus près des problématiques.

Dans le cadre du RNU, le droit de préemption urbain est circonscrit à la création de logements sociaux. Le texte apporte des solutions pour la période de transition.

Les dérogations proposées sont temporaires. Au-delà du 31 décembre 2022, tout devra avoir été réglé. Le rôle des maires et préfets est central ; ils doivent oeuvrer de concert pour accompagner les communes.

Les politiques de l'urbanisme sont parfois inadaptées aux territoires ruraux. S'il faut lutter contre l'artificialisation des sols et l'étalement urbain, les politiques actuelles sont parfois trop restrictives et empêchent de proposer des terrains à bâtir aux enfants de nos villages. Le développement de nos villages est essentiel à leur attractivité.

Le groupe INDEP votera cette proposition de loi de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Daniel Salmon .  - Nous partageons l'objectif tout à fait louable de cette proposition de loi.

De nombreuses réformes ont affecté le droit de l'urbanisme depuis 2000.

Actuellement, la loi ne précise pas la procédure de transformation de la carte communale en PLUi. Les communes peuvent se sentir démunies et exposées à un risque judiciaire. Les plus petites n'ont pas, ou plus, les moyens humains et financiers de faire face.

La proposition de loi apporte de la souplesse. Nous saluons le renforcement en commission de la procédure combinée.

Initialement, l'article 2 reportait de deux ans la caducité des POS, ce qui nous posait problème. Cela fait tout de même vingt ans que la caducité a été décidée : un an aurait suffi pour que les 530 communes restantes se dotent d'un PLUi.

La caducité ayant finalement été votée au 1er janvier, la commission a proposé des dérogations facultatives et limitées dans le temps. C'est pertinent et utile pour éviter l'application du RNU, qui peut en effet poser problème. Toutefois, les dérogations doivent être encadrées afin qu'elles ne servent pas à déroger aux règles environnementales. Mme la ministre et M. le rapporteur pourraient-ils nous rassurer sur ce point ?

Le GEST votera ce texte qui clarifie le droit et fera consensus - ce qui justifie pleinement l'utilisation de la procédure de législation en commission. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Patricia Schillinger .  - Depuis 1983 et le transfert de la compétence urbanisme aux communes, beaucoup de changements sont intervenus. Avec la complexité croissante des règles et le manque d'ingénierie, les élus locaux peuvent rencontrer des difficultés.

L'article premier de la proposition de loi explicite la procédure applicable à l'abrogation des cartes communales.

L'article 2 rassure les collectivités territoriales sur la suppression des POS. Si le droit doit être lisible, la codification n'est pas nécessaire : les nombreuses jurisprudences et instructions ministérielles montrent que les solutions existent. En matière de codification, le mieux est l'ennemi du bien. Ne générons pas de nouveaux contentieux en nuisant à la lisibilité.

En revanche, la commission a identifié à juste titre un vide juridique entre l'abrogation de la carte communale et l'adoption du PLUi. Mais la voie législative n'est pas pertinente pour y remédier. Nous faisons confiance à la ministre qui s'est engagée à trouver une solution réglementaire.

Nous sommes plus sceptiques sur l'article 2. Nous comprenons l'inquiétude suscitée par la caducité du POS, mais une nouvelle prolongation aurait été injuste et contraire au principe de non-rétroactivité de la loi. En outre, seules 530 communes seraient concernées, dont beaucoup sont en train de se doter d'un PLUi. L'article a été réécrit en commission : il n'est plus question de report, mais nous revenons aux mêmes finalités ; c'est pourquoi ces modifications ne changent pas notre regard sur ce texte.

Les solutions seront plus rapides et efficaces si elles sont apportées par voie réglementaire. Le RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Rémy Pointereau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai déposé cette proposition de loi avec l'appui de plus de 80 sénatrices et sénateurs ; elle émane du terrain. Les élus locaux sont excédés par les changements incessants du droit de l'urbanisme et le manque d'informations. (On le confirme à droite.)

Il est incompréhensible que les cartes communales soient abrogées dès le stade de l'enquête publique en vue de l'élaboration d'un PLUi, alors que le processus peut durer deux à quatre ans.

Aucune loi ne précise comment se fait cette transition. Le rapport de Jean-Baptiste Blanc - que je remercie - précise que certains élus vont jusqu'à relancer une enquête publique.

L'article premier de la proposition de loi dit simplement que la carte communale est abrogée à l'entrée en vigueur du document tel qu'un PLUi. C'est une solution pragmatique et de bon sens.

L'article 2, qui s'est greffé sur le texte en cours de rédaction, émane du terrain - et je sais que je n'ai pas été le seul à être saisi par des élus de mon département de la question des POS. La loi ALUR a instauré la caducité des POS qui a connu plusieurs reports, dont le dernier a été à l'initiative du Sénat. Malheureusement, 536 communes n'ont toujours pas eu le temps de finaliser leur PLU, parfois pour des raisons financières car cela coûte entre 25 000 euros et 50 000 euros. Pourquoi investir cette somme alors qu'un PLUi est en préparation ?

Retomber sous le régime du RNU entraîne des conséquences lourdes telles que la fin du droit de préemption, l'exigence d'un avis conforme pour les autorisations prises par délégation de l'État et la restriction de constructions.

Madame la ministre, vous êtes opposée à nos propositions de bon sens. Mais les services de l'État eux-mêmes ont conseillé aux petites communes de ne pas abandonner leur POS alors qu'un PLUi était en préparation.

En outre, en 2020, les maires ont été occupés par la crise sanitaire et par leur rôle d'avant-poste et d'amortisseur social. Madame la ministre, vous avez été maire et présidente de communauté de communes. Vous ne pouvez ignorer les difficultés des maires.

C'est l'honneur du Sénat, chambre des territoires, que de trouver pour eux des solutions. Merci à la commission des affaires économiques qui a su proposer des voies concrètes d'amélioration. Je vous invite à voter cette proposition de loi, qui aurait pu être déposée par chacun d'entre nous.

Elle a un seul but : apporter de la souplesse et de la simplification aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur la plupart des travées)

Mineurs non accompagnés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les mineurs non accompagnés, à la demande du groupe Les Républicains.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des Présidents.

Je vous rappelle que l'auteur du débat dispose d'abord d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis de ce débat. Ce sujet sensible suscite vives inquiétudes et récupérations politiques. C'est précisément parce que c'est un sujet sensible qu'il faut l'aborder.

Je remercie Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy pour le rapport d'information qu'ils avaient rédigé.

Notre pays doit rester un territoire d'accueil ; pour qu'il le demeure, nous devons être fermes avec ceux qui veulent dévoyer cette politique.

Nous parlons de vies brisées, d'enfants déracinés. Oui, tout enfant privé de sa famille mérite protection. Mais certains individus sans vergogne cherchent à bénéficier d'une aide indue. C'est un drame humain, mais qui a aussi un coût : 2 milliards d'euros par an.

Or, selon l'association des départements de France, 70 % des prétendus mineurs ne le sont pas. Pour faire honneur à nos idéaux, nous devons lutter sans relâche contre les réseaux qui exploitent la misère humaine. Dans les réseaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), on voit parfois arriver plusieurs individus avec le même certificat de naissance. Ils sont aidés par des passeurs qui connaissent très bien les failles de notre système.

Les départements sont débordés et le soutien de l'État est insuffisant. Il est passé de 12 % à 14 % alors qu'en 2010, il y avait 4 000 mineurs contre 40 000 aujourd'hui.

La gestion des flux migratoires est bien une compétence régalienne. Or un tiers des départements, par posture politique, refusent la création d'un fichier national permettant de lutter contre les demandes abusives. À cause de cela, aujourd'hui, des individus reconnus majeurs dans un département peuvent demander à nouveau une prise en charge dans un autre département, puis dans un autre encore... Les forces de l'ordre ne peuvent déterminer la minorité ou la majorité des jeunes concernés, ce qui les empêche de procéder à une reconduite à la frontière des majeurs.

Dans un entretien au Midi libre, le ministre de l'Intérieur se désole qu'il ne soit pas obligatoire de remplir le fichier centralisé. Heureusement que vous êtes aux affaires ! L'incitation financière prévue par le décret du 23 juin 2020 ne suffit pas.

Puisque certains mineurs se présentent avec de faux papiers, voire sans papiers, nous devons pouvoir recourir aux tests osseux, qui ne sont pas infaillibles mais contribuent au faisceau d'indices. Rappelons qu'il s'agit d'une simple radiographie, qui peut être refusée.

Nous devons nous assurer de la minorité de l'individu comme de son isolement. Un débouté en situation irrégulière reste sur le sol français et doit subvenir à ses besoins. Il peut être en proie aux réseaux mafieux qui profitent de sa vulnérabilité et sont ainsi doublement gagnants.

C'est encore plus vrai pour les véritables mineurs. La générosité d'apparat nuit à notre capacité d'accueil : les enfants - car ce sont des enfants - doivent pouvoir suivre une formation, être logés et suivis, et cela représente une somme de 58 000 euros par an.

Pas moins de 37 000 prétendus mineurs arrivent chaque année sur notre territoire. L'enjeu n'est pas départemental mais national. Le Gouvernement entend-il fournir une réponse à la hauteur du problème ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Monsieur Burgoa, merci d'avoir évoqué la sensibilité du sujet. Ces enfants méritent notre protection. C'est notre devoir et notre honneur de les protéger.

Merci au groupe Les Républicains de porter ce sujet. Depuis que j'ai été nommé, il y a deux ans, j'ai demandé à assurer le pilotage de cette politique interministérielle car, derrière cet acronyme de MNA, ne l'oublions pas, il y a des jeunes, des enfants qui doivent être protégés.

Cet acronyme recouvre aussi des réalités très différentes : les MNA ne sont pas un bloc homogène. Les enfants viennent de pays différents - quel point commun entre un enfant venu du Bangladesh et un autre arrivé du Mali, ou encore du Maghreb, si ce n'est que qu'ils sont tous des enfants ?

Leur parcours, leurs motivations, leur volonté d'intégration dans notre pays peuvent aussi différer.

En toute sincérité, j'essaie de considérer la question avec humilité. Je sais que le sujet est compliqué pour les départements. J'essaie d'être pragmatique et j'ai pour seule boussole l'intérêt de l'enfant.

Pour bien débattre, nous devons avoir une vision précise de la réalité. Les MNA étaient 13 000 en 2016 ; fin 2019, ils étaient 31 000. L'augmentation a été particulièrement forte entre fin 2016 et fin 2018. Alors que 17 000 personnes avaient été reconnues mineures en 2018, elles n'étaient plus que 9 000 en 2020 ; 95 % des mineurs sont des garçons, la grande majorité a 15 et 16 ans ; deux tiers viennent de Guinée, du Mali et de Côte d'Ivoire, 10 % d'entre eux - soit 1 771 - sont originaires du Maghreb.

Il y a trois types de protection pour ces mineurs. D'abord un forfait de 100 euros sur les 500 euros fournis par le Gouvernement pour un bilan de santé physique et psychique. La partie psychologique sera renforcée, au vu des traumatismes vécus, au terme d'une mission quadripartite rassemblant, outre mon ministère, ceux de l'Intérieur, de la Justice, de la Santé. Lancée en octobre dernier, elle rendra ses conclusions à la fin du premier semestre.

Autre outil, le fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM). Établi pour que des majeurs n'embolisent pas le système, il est aussi une protection pour les mineurs : une fois que leur minorité aura été établie, elle ne pourra plus être remise en cause en cas de changement de département.

Enfin, l'examen par la préfecture du droit au séjour à la majorité doit être anticipé, et intervenir au plus tard aux 17 ans du jeune, afin de faciliter son insertion professionnelle.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le financement de l'État est assuré via le programme 304. Un forfait de 90 euros pendant quatorze jours, puis 20 euros pendant neuf jours a été fixé en concertation avec les départements. Cela a représenté 96 millions d'euros en 2018 et 33 millions d'euros en 2019. Et l'aide exceptionnelle dite Cazeneuve a été reconduite.

Dès mon arrivée, Stéphane Troussel m'a alerté sur les difficultés liées à la clé de répartition. J'y ai travaillé.

M. le président.  - Il faut vraiment conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - J'évoquerai d'autres exemples lors de mes réponses.

Mme Éliane Assassi .  - Une fois de plus, nous débattons des MNA, autrefois mieux décrits comme des mineurs isolés étrangers.

Le groupe CRCE avait voulu, dès 2018, un débat consacré à la prise en charge de ces mineurs. De prise en charge, aujourd'hui, il n'est plus question. En l'absence d'une problématique précise, ne s'agirait-il pas surtout d'évoquer les troubles qu'ils posent et la réponse pénale nécessaire ? Nous ne partagerions pas cette approche.

Forcés à l'exil par nos politiques, les MNA sont enfermés, criminalisés, pointés du doigt. Il faut cesser de les enfermer, mais assurer leur mise à l'abri inconditionnelle, en supprimant les tests osseux. Il faut aussi un cadre de prise en charge contraignant pour tous les départements. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Ce dispositif que vous appelez de vos voeux existe déjà : le droit international et notre droit interne nous obligent à mettre à l'abri de manière inconditionnelle toute personne se déclarant mineure.

L'État accompagne les départements dans cet effort, et pas seulement financièrement. Les pratiques ont été homogénéisées, notamment grâce à un guide de l'évaluation de minorité, établi par la direction générale de la cohésion sociale.

Attention à ne pas « filiariser » les enfants : les mineurs non accompagnés ont droit à la même protection que les enfants nés sur notre sol.

L'évaluation de la minorité doit se faire par faisceau d'indices. Il doit y avoir une évaluation sociale ; et le Conseil constitutionnel a estimé que si le test osseux n'est pas, en soi, une preuve de l'âge de l'enfant, il ne portait pas atteinte à la dignité humaine. C'est donc un indice parmi d'autres.

Mme Éliane Assassi.  - Vos propos sont en contradiction avec la réalité : les droits des mineurs isolés étrangers ne sont pas respectés lorsque ceux-ci sont enfermés en centre de rétention ou en zone d'attente. C'est cela qu'il faut traiter.

Mme Élisabeth Doineau .  - Merci à M. Burgoa pour ce débat. Avec Jean-Pierre Godefroy, j'avais rédigé un rapport sur ce thème, qui reste central. Nous avions émis trente propositions pour améliorer la prise en charge.

Le boulanger Stéphane Ravacley avait entamé une grève de la faim pour que son apprenti Laye Fodé Traoré obtienne un titre de séjour ; il avait obtenu gain de cause. Il n'est pas seul dans ce cas.

Notre proposition 27 suggérait un partenariat entre le Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés (Casnav) et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Notre proposition 28 recommandait d'élargir à l'enseignement général le critère de formation qui figure dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

Notre proposition 30 préconisait de réitérer par circulaire le droit inconditionnel des MNA à travailler, dans le cadre d'une formation.

Comment faciliter l'insertion professionnelle des MNA et, ainsi, leur obtention d'un titre de séjour ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Merci pour les propositions de votre rapport. Il faut anticiper la majorité : une circulaire du 20 septembre 2020 du ministère de l'Intérieur invite ainsi les préfets à se rapprocher des conseils départementaux dès les 17 ans du jeune, pour lui offrir des perspectives. Je sais qu'elle n'est pas encore appliquée sur tout le territoire.

Tous les jeunes de l'ASE, dont les MNA, bénéficieront du partenariat signé avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Union nationale des missions locales, afin que ces dernières aillent vers les jeunes pour évaluer de quel dispositif ils pourront bénéficier, notamment « Un jeune, une solution ».

M. Hussein Bourgi .  - Je me félicite de ce débat et en remercie le groupe Les Républicains. Dans un courrier du 8 octobre 2020 au Premier ministre, le président de la Cour des comptes a pointé les défaillances de l'État dans la prise en charge des MNA, à commencer par le manque de pilotage interministériel.

Dans l'Hérault comme dans le Gard - M. Burgoa pourrait en témoigner - nous avons le sentiment que l'État se défausse sur les départements. Une politique ambitieuse exige de réunir autour de la table tous les intervenants : les départements, votre ministère, les ministères de l'Éducation nationale, de la Santé, de l'Emploi. Quelles mesures ont été ou seront prises à la suite de ce courrier ? Comment desserrer l'étau autour des départements ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Les remarques du président de la Cour des comptes s'appliquent à l'ASE dans son ensemble. Je l'ai toujours dit clairement, à vous comme aux conseillers départementaux : l'État n'a pas toujours été au rendez-vous de ses responsabilités. Or la protection de l'enfance n'est pas une compétence décentralisée mais une compétence partagée. La vie d'un enfant n'est pas calquée sur notre organisation administrative et institutionnelle. Les points de contact entre les compétences de l'État et des départements sont nombreux : scolarité, santé relèvent de l'État. C'est là tout l'enjeu de la réforme dont, j'espère, vous aurez à débattre bientôt.

M. Alain Cadec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Deux milliards d'euros, c'est le coût annuel de la prise en charge des MNA par les départements : 50 000 euros par an et par mineur en 2020. Le nombre de ces jeunes a triplé entre 2016 et 2018 et les services départementaux doivent s'organiser dans l'urgence.

Les Côtes d'Armor par exemple dépensaient 2,5 millions d'euros par MNA en 2016, mais 8 millions aujourd'hui ! L'État ne compense pas tout : il apporte 141 millions d'euros pour des besoins évalués à 2 milliards...

Chaque département se voit imposer un pourcentage de mineurs - parfois majeurs - à accueillir. L'État laisse les collectivités gérer son manque de courage politique. Il est aux abonnés absents !

Or la politique migratoire est une prérogative régalienne. Cerise sur le gâteau, on interdit l'hébergement dans les hôtels, alors qu'il n'y a pas d'autre solution. L'État va-t-il enfin prendre ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Quand le Gouvernement décide que dans notre pays il ne peut y avoir d'enfant à l'hôtel - des gamins de quinze ans parfois, sans accompagnement éducatif - il prend ses responsabilités. Le confinement a exacerbé ces situations.

Je ne fais pas de politique sur ces sujets. C'est moi qui ai commandé à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), il y a un an, un rapport sur cette situation. On compte 7 000 à 10 000 mineurs hébergés à l'hôtel. Dans 95 % des cas, ce sont des MNA - les 5 % restants sont des enfants aux parcours complexes. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous laissions perdurer cette situation.

Il faut cependant proposer des alternatives aux départements ; c'est ce que nous allons faire en coopération avec l'ADF.

M. Joël Guerriau .  - En septembre dernier, quelques jours après l'attentat de Charlie Hebdo, je me suis entretenu avec une famille hébergeant deux MNA pakistanais venus du même foyer que le terroriste. Ils considéraient, de bonne foi, que le blasphème était un crime et que l'attentat était justifié. Le couple qui les hébergeait leur avait confisqué leurs téléphones, car ils communiquaient avec des personnes partageant leur vision. Ils n'avaient aucun suivi psychologique et éducatif dans leur foyer. Ils arrivent avec leur culture et ignorent la nôtre, mais ne bénéficient d'aucun cours d'éducation civique. L'insertion en lieux de vie serait une bien meilleure solution que les foyers.

Ces mineurs gardent des contacts réguliers avec leur famille ; pourquoi restent-ils en France ?

Les passeurs - ils sont connus - utilisent la misère du monde. Quels moyens prévoyez-vous pour lutter contre eux ? Quelles coopérations avec les pays d'origine envisagez-vous pour démanteler les filières ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le cas dramatique auquel vous vous référez avait suscité des amalgames englobant le suivi par l'ASE. Mais l'auteur de l'attentat n'était pas mineur, selon les services départementaux, et il n'avait donné aucun signe de radicalisation en foyer ni en famille d'accueil. Je m'étonne qu'il n'ait reçu aucun suivi éducatif alors que c'est un principe.

Merci de prendre le sujet dans sa globalité : oui, il faut agir avec les pays d'origine. J'ai toujours considéré qu'il fallait tout faire pour qu'un môme de 15 ans ne traverse pas la Méditerranée sur un canot pneumatique : cela relève de la protection de l'enfance.

Mme Esther Benbassa .  - Malgré une baisse des arrivées en 2020, les MNA sont dans une situation alarmante. Les procédures sont si longues que certains arrivent à majorité avant d'obtenir une réponse de la justice. D'autres sont évalués en un jour, de façon expéditive, et remis à la rue. Problèmes d'hébergement et de scolarisation, absence de prise en charge sanitaire, notamment dentaire. Et ce, en plein hiver et en pleine pandémie. Il est urgent d'appliquer la présomption de minorité et même d'aller au-delà, avec une prise en charge pluridisciplinaire. Quand l'État prendra-t-il ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - En moyenne, les conseils départementaux et les associations délégataires évaluent la minorité en quinze jours. C'est un délai en baisse. Le forfait de 90 euros par jour pendant quatorze jours crée à cet égard une incitation.

Si vous n'êtes pas évalué mineur, vous êtes considéré comme majeur. Les recours en justice ne sont pas des appels. Notre dispositif est là pour protéger avant tout les mineurs. C'est le même problème qu'avec l'asile ! On ne peut pas prendre le risque de pénaliser les vrais mineurs en acceptant une embolie du système.

En 2018, 40 000 personnes se sont déclarées mineures et 17 000 à 18 000 ont été effectivement reconnues telles.

Mme Esther Benbassa.  - Plus de la moitié des jeunes qui font un recours sont reconnus comme mineurs par la justice : ce sont des centaines de mineurs laissés à la rue pendant des mois, voire des années.

M. le président.  - Il faut conclure... Il y a un Règlement à respecter.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La question des MNA à Mayotte déborde largement la question de la protection de l'enfance. Il y a des événements très graves avec des bandes de jeunes armés - deux mineurs ont été tués récemment. Plus de 4 000 MNA étaient dénombrés en 2016 sur notre territoire. Leur proportion parmi les jeunes de l'ASE est le double de la moyenne nationale. La Cour des comptes juge cette situation « atypique », au point qu'elle ne prend pas nos chiffres en compte dans ses statistiques !

Il y a certes la pression migratoire insupportable depuis les Comores. Et l'on ne peut répartir ces MNA entre plusieurs départements. La solution ne peut se trouver en mépris du droit. Monsieur le ministre, vous êtes venu sur place cet automne, vous avez constaté nos difficultés. Quelles actions envisagez-vous ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation à Mayotte est atypique et ne peut être comprise depuis Paris. Je me suis rendu sur place avec vous ; je suis également allé en Guyane l'an dernier.

Il y a 300 MNA, mais plus de 4 000 jeunes ne sont pas véritablement isolés, ils ont de la famille sur place. Une convention spécifique s'est accompagnée d'une dotation de l'État de 10 millions d'euros par an. Nous travaillons à la poursuite de ce financement exceptionnel. En outre, j'ai débloqué 2 millions d'euros pour les associations opérant auprès des enfants à Mayotte. J'ai proposé au président du conseil départemental de contractualiser : il réfléchit... Je reste à sa disposition.

La politique de reconduite à la frontière a concerné 27 000 personnes en 2019, essentiellement vers les Comores.

Mme Nathalie Delattre .  - Depuis deux ans, la quiétude de Bordeaux n'existe plus. Pour la préfecture, 40 % de la délinquance est liée aux MNA. Ce phénomène inquiète les habitants et désarme les forces de police.

Notre politique d'évaluation de l'âge est manifestement un échec.

L'avis du Conseil constitutionnel en 2019 sur les tests osseux aurait dû mettre un terme à la controverse. Pourquoi le recours aux radios osseuses n'est-il pas systématique ? C'est la seule manière de déterminer l'âge ! (Applaudissements sur plusieurs travées au centre et à droite)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'évaluation est un sujet complexe. Les tests osseux déterminent un âge avec un intervalle d'incertitude de plusieurs mois : c'est ce que nous disent les scientifiques. En outre, dans cette tranche d'âge des 15-18 ans, le corps se développe. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a considéré que ces tests pourraient constituer un élément du faisceau d'indices, avec l'évaluation sociale, notamment l'entretien.

La question du fichier AEM se pose aussi. Dans les 80 départements qui l'utilisent ou sont en passe de l'utiliser, le nombre de jeunes qui se présentent a diminué de 20 à 30 % : c'est un outil contre le nomadisme administratif...

Mme Nathalie Delattre.  - Les MNA représentent 15 à 20 % des enfants de l'ASE, pour un coût de 50 000 euros par an. Ces radios osseuses sont fiables. Beaucoup de ces mineurs sont majeurs en Espagne, où ils bénéficient de droits meilleurs en tant que majeurs.

Mme Annick Jacquemet .  - Le nombre de jeunes mineurs étrangers semble se stabiliser. Les départements réclament de la cohérence. Le parcours en deux étapes crée de fausses espérances pour les jeunes - et des coûts pour les collectivités territoriales.

L'étape 1, à la majorité, lorsqu'il y a des doutes sérieux sur l'identité, est marquée par une éventuelle reconduite à la frontière. Il est donc nécessaire de fixer très rapidement les chances du jeune de rester en France, avant qu'il y prenne racine. On a cité le jeune Traoré.

Le fichier AEM est très efficace. Son utilisation doit être généralisée. Il faut rendre obligatoire une demande anticipée de titre de séjour afin que ces jeunes sachent à quoi s'en tenir. Articulons l'usage de l'AEM avec une réponse plus rapide de la préfecture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - C'est tout le sens du fichier AEM. Les services de la préfecture interrogent d'autres bases ainsi que les états civils des pays d'origine - lorsque ces registres existent toujours... C'est aussi le sens de la circulaire du 21 septembre 2020 qui vise à mieux anticiper la situation du jeune à sa majorité. On a connu des situations ubuesques. Si au cours de cette procédure, il apparaît que le jeune n'est pas mineur, la prise en charge s'arrêtera.

Mme Victoire Jasmin .  - (Mme Michelle Meunier applaudit.) Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat sur un sujet épineux. La situation est particulière, outre-mer, en raison de la situation géographique qui entraîne l'arrivée de beaucoup de personnes en situation irrégulière.

En Guyane, c'est la catastrophe, notamment à Saint-Laurent du Maroni : les enfants sont utilisés pour transporter de la drogue à travers le fleuve.

En Guadeloupe et en Martinique, les situations sont critiques aussi. Certains enfants sont confiés à des personnes de leur famille, qui ne sont pas leurs parents. Ils sont très souvent renvoyés après un séjour en centre de rétention.

Enfin c'est triste mais c'est la réalité, certains jeunes alimentent les réseaux de prostitution et de drogue. Ils vivent dans des squats, des zones de non-droit. L'État doit mener des discussions bilatérales avec les autres pays afin que ces derniers prennent leurs responsabilités.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation est complexe en Guyane. À Saint-Laurent du Maroni, beaucoup de jeunes mères sont arrivées du Surinam en traversant le fleuve. Nous travaillons à des coopérations avec le Surinam ou le Brésil, comme avec les Comores s'agissant de Mayotte.

Les données fiables manquent. La déclaration à l'état civil a peu cours en forêt. On compte peu ou pas d'enfants sans identité venus d'Haïti ou du Brésil. Les enfants nés sur le territoire français sont Français et ne peuvent être expulsés, d'autant qu'ils ne sont pas enregistrés au Surinam. Il y a aussi la question de la prostitution et celle des « mules ». Nous avons décidé une intensification des contrôles sur les vols entre la Guyane et Paris.

M. Gilbert Favreau .  - Les jeunes en situation irrégulière en France ne sont pour la plupart pas mineurs et ils prolongent le plus longtemps possible leur présence sur le sol national, notamment via des recours. Ifine, vrais ou faux mineurs, ils restent tous sur le territoire national en situation irrégulière.

Combien sont-ils aujourd'hui, monsieur le ministre ? Je suis certain qu'on en dénombre plusieurs dizaines de milliers. L'État n'a jamais fait ce qu'il fallait pour leur donner un statut légal - ou à l'inverse leur signifier une obligation de quitter le territoire.

Ce ne sont pas les départements qui sont en cause : ils font ce qu'ils peuvent ! Raisonnons en stocks et en flux : quel est le calcul, monsieur le ministre ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je suis ravi de vous retrouver ici au Sénat, après vous avoir rendu visite, quand vous étiez président du conseil départemental des Deux-Sèvres.

En 2017, 44 000 jeunes se sont déclarés mineurs non accompagnés, 14 000 ont été reconnus tels ; en 2018, 17 000 l'ont été sur 51 000 ; et 16 000 sur 31 000 en 2019. Soit entre 30 et 40 %. Chaque année, environ 11 500 accèdent à la majorité. En 2019, 5 630 titres de séjours ont été délivrés et 400 ont été refusés.

M. Hussein Bourgi .  - Évoquer un sujet aussi sensible et grave oblige à parler avec générosité, gravité mais aussi lucidité.

Dans mon département de l'Hérault, des jeunes arrivent de pays en guerre, après avoir traversé mers et continents pour venir travailler ici et envoyer de l'argent à leur famille. Mais il y a aussi les filières mafieuses. Dans l'Hérault l'an dernier, 77 MNA ont été mis en cause dans 254 infractions... et remis en liberté à la charge du département.

Si 90 % des MNA ne posent pas de problèmes, 10 % jettent le discrédit sur tous. La France semble liée par le pacte de Marrakech qui empêche les reconduites à la frontière. Qu'en est-il ? (Mme Victoire Jasmin, MM. Sébastien Meurant et Laurent Burgoa applaudissent.)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - En effet, presque tous ces mineurs sont là pour s'intégrer. Une petite partie d'entre eux sont des victimes de la traite ou des délinquants eux-mêmes.

Un certain nombre de jeunes viennent du Maroc. Ils ne sont pas du tout là pour s'intégrer. Ils ont de gros problèmes de santé, étant polytoxicomanes, souvent accro au Rivotril.

Nous avons mis en place une procédure particulière avec le ministre de l'Intérieur, le garde des Sceaux et des juges. Un schéma de procédure a été élaboré, pour une prise en charge à droit constant dans le cadre de la convention de La Haye, avec une coopération sur la décision de retour. Je vous renvoie à la circulaire du 8 février 2021.

M. Bernard Bonne .  - Les vrais mineurs non accompagnés ne sont pas bien pris en charge.

Le dispositif actuel de l'ASE répond à leurs besoins vitaux mais n'apporte pas un accompagnement social pour une réelle insertion professionnelle.

Si certains, au parcours chaotique, ont besoin d'une aide de type Maison d'enfants à caractère social (MECS), d'autres pourraient entrer en alternance ou en apprentissage. Mais l'hébergement en hôtel ne favorise pas l'accompagnement ni le parcours vers l'emploi.

L'accueil en foyer de jeunes travailleurs se développe-t-il ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous faisons tout pour que les jeunes non accompagnés s'inscrivent dans des filières professionnalisantes, qui facilitent l'intégration.

Nous avons mis en place pour l'ensemble des jeunes de l'ASE un système « aller vers » en partenariat avec les missions locales, dans le cadre de « Un jeune, une solution ». Nous voulons aussi augmenter le quota de jeunes ASE dans les foyers de jeunes travailleurs.

Les progrès sont réels. Nous voulons éviter une rupture supplémentaire dans le parcours de ces jeunes qui en ont déjà connu beaucoup.

M. Bernard Bonne.  - Lorsqu'Olivier Cigolotti était directeur d'un foyer de jeunes travailleurs, nous avions créé des places supplémentaires car le coût est moindre et le suivi allégé.

Vous avez parlé de partage des responsabilités entre l'État et les départements ; très bien, mais 140 millions d'euros sur 2 milliards d'euros, ce n'est pas un partage très équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - Monsieur le ministre, 70 % des mal nommés mineurs non accompagnés sont majeurs.

Dans le Val d'Oise, 65 mineurs étaient pris en charge par l'ASE pour 3 millions d'euros en 2017. En 2019, ils étaient 731, pour 43 millions d'euros.

Selon l'ADF, il y a 40 000 MNA sur le territoire ; 16 700 selon le ministère de la Justice. Qui dit vrai ? Les services de police sont débordés par les plaintes : squat, vols, drogue... Les chiffres d'interpellation et d'infractions sont accablants : 10 000 en 2019 pour la seule agglomération parisienne.

L'absence de recours aux tests osseux conduit à remettre en liberté les « mijeurs » comme dit la police, ces majeurs qui se disent mineurs.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je n'ai jamais nié la difficulté de la situation mais je n'adhère pas à votre vision catastrophiste.

Notre système protège des dizaines de milliers d'enfants et c'est notre honneur. L'ADF a estimé la charge à 2 milliards d'euros. Nous n'avons pas la même évaluation.

En 2019, dans le Val-d'Oise, 1 192 jeunes ont été évalués mineurs. Grâce à la nouvelle clé de répartition, 421 d'entre eux ont été envoyés dans d'autres départements.

M. Sébastien Meurant.  - Laisser faire, c'est être complice des trafiquants d'humains.

Faire passer un mineur, c'est faire passer toute une famille, en raison du regroupement familial entériné par la loi Collomb.

En 2020, la France confinée a accueilli 115 000 demandeurs d'asile, conséquence de votre incapacité à maîtriser les frontières.

En Île-de-France, 60 à 70 % des cambriolages sont dus aux MNA.

Mme Éliane Assassi.  - Nous voilà en plein délire...

Mme Laurence Muller-Bronn .  - L'évaluation de la minorité est défaillante. La fraude est massive et il en résulte pour la protection de l'enfance un coût qui augmente de manière exponentielle.

L'État ne finance que l'évaluation et la mise à l'abri, sur une durée de vingt-trois jours. Les départements, eux, prennent en charge les MNA pendant deux ans en moyenne. Pour la collectivité européenne d'Alsace, où les MNA sont amenés par des filières mafieuses de l'Est, depuis des pays qui ne sont pas en guerre, cela représente 20,3 milliards d'euros, et l'apport de l'État est de 0,5 milliard d'euros, soit 2,5 %. La violence explose dans les lieux d'incarcération pour mineurs où huit jeunes sur dix sont en fait des majeurs.

Seul un contrôle centralisé national, harmonisé, rendrait aux départements la possibilité de se concentrer sur les vrais mineurs. Pourquoi votre futur projet de loi se concentre-t-il surtout sur le contrôle des départements ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je m'entretiens régulièrement du problème avec le président de votre département : et j'ai compris que l'engagement marqué du Bas-Rhin sur ces questions était lié à l'histoire de ce territoire.

Mon intention n'est absolument pas de faire contrôler par les préfets l'action des départements. Quant à la définition d'un pays en guerre, vous la connaissez, vous venez de débattre de Barkhane. Le Mali est en guerre et il est le principal pays d'origine des MNA.

Je n'ai pas de souci idéologique avec les tests osseux, je m'appuie sur les avis scientifiques.

Le travail d'évaluation est très compliqué et nous essayons d'accompagner les départements, avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse, la direction générale de la cohésion sociale et le ministère de l'intérieur.

M. Stéphane Sautarel .  - Le sujet est d'abord migratoire. Il relève donc de l'État, comme le Président de la République l'a reconnu en 2018.

Il y a un enjeu de continuum de la protection de l'enfance. Ces jeunes bénéficient de l'accompagnement de l'ASE, mais pour beaucoup, le parcours s'arrête à la majorité.

Le même État qui demande au département de financer les études des MNA décide ensuite d'expulser ceux-ci. Ils sont chassés, jugés, alors qu'ils étaient en phase d'insertion et construisaient un projet de vie.

Ce contexte kafkaïen engendre des drames humains et met en difficulté des entreprises qui se retrouvent accusées d'emploi de clandestins.

Quelle cohérence y a-t-il à investir sur ces jeunes pour ensuite les renvoyer ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Pour les MNA comme pour les jeunes de l'ASE, les sorties sèches peuvent engendrer des drames.

La coopération entre l'État et les départements doit être mobilisée au maximum.

L'État contribue à hauteur de 500 euros par jeune via les missions locales. Ce, indépendamment de la conclusion de contrats jeunes majeurs.

L'anticipation de la majorité est bénéfique pour tout le monde. Faisons en sorte que le noble investissement sur ces jeunes ne soit pas perdu pour l'avenir.

M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains .  - Mon propos ne posera pas de point final à ce débat indispensable. Une politique publique qui voit son volume multiplié par 12 ou 13 en cinq à sept ans doit nous conduire à nous interroger sur les causes et les conséquences.

La prise en charge des MNA est une compétence majeure et emblématique de l'action sociale des départements. J'ai siégé sept ans au bureau de l'ADF : je puis attester que l'ensemble des présidents de départements sont attachés à bien remplir cette mission pour donner une seconde chance à ces enfants.

Mais les départements sont en difficulté financière. Le nombre de bénéficiaires du RSA a encore augmenté en 2020, parfois de deux chiffres alors que les recettes, les DMTO en particulier, ont baissé.

Nous sommes confrontés à la surdité de l'État qui maltraite les départements. NOTRe, Maptam, baisse des dotations de fonctionnement de 40 %...

Il y a également un angle mort de la politique migratoire.

Ces jeunes mineurs sont souvent mandatés par leurs familles. Le phénomène économique est adossé à des groupes mafieux. On peut vous donner les tarifs par pays et même par région !

Enfin, l'évaluation de minorité est un exercice très délicat.

Les moyens n'ont pas été au rendez-vous, loin de là. Des crédits de 120 millions d'euros, en baisse, c'est incompréhensible. Or cet état d'urgence, temporairement masqué par la situation sanitaire, va prospérer. Il faut des réponses plus solides.

Le phénomène actuel met en danger à la fois la mission de protection de l'enfance assignée aux départements, les finances départementales, et les Français eux-mêmes, confrontés à une délinquance de plus en plus préoccupante, surtout en outre-mer.

Soit nous pouvons agir à droit constant - à vous de nous le dire, monsieur le ministre -, soit il faut s'engager dans une réflexion plus large sur ce qui ne fonctionne pas. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ainsi que sur les travées du groupe SER)

La séance est suspendue à 20 h 30.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 22 heures.

Avenir de la Métropole du Grand Paris

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de la Métropole du Grand Paris.

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le sujet revient chaque année, tel un marronnier : la problématique du Grand Paris n'est pas nouvelle. Au XIXe siècle, s'opposaient la vision de Napoléon III qui imaginait une capitale de Saint-Germain-en-Laye à Marne-la-Vallée et celle, plus réaliste, du baron Haussmann, qui soulignait qu'il avait fallu un combat de dix-sept ans pour créer la ville de Paris à partir des communes de Passy, Auteuil ou les Batignolles.

En 1932, le sénateur André Morizet jette les bases de la réforme administrative du Grand Paris. Il indique que tout reste à faire pour répondre aux nombreux problèmes de l'agglomération parisienne : inégalités territoriales, logements, transports, services publics... En 1949, Jean-François Gravier, auteur du Désert français, propose seize régions avec des super préfets et un Grand Paris. Mais le projet est enterré. En 1964, les départements de Paris, de la Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne sont divisés en sept départements, la petite et la grande couronne.

Le sujet du Grand Paris est ensuite revenu dans les années 2000 avec le constat de l'absence de desserte ferroviaire directe entre le centre de Paris et ses aéroports, les difficultés à rejoindre le pôle de Saclay, un réseau de transport construit en radiale qui ne permet pas d'échanges faciles entre les zones d'emploi et de logement.

La loi du 16 juin 2010 crée le Grand Paris, défini comme « un projet urbain, social et économique d'intérêt national », mais sans regrouper les collectivités franciliennes dans des structures nouvelles. Cette réforme se fait plus tard, contre les élus, avec la loi Maptam qui donne un statut particulier à Paris, Lyon et Marseille. Le Sénat en première lecture rejette les dispositions pour Paris à l'unanimité. Le texte est finalement adopté en octobre 2013 au Sénat, à une courte majorité.

En mai 2014, unanimes, les élus de Paris Métropole réclament la révision de l'article 12 qui supprime les intercommunalités. Cette position est réaffirmée en octobre 2014 : 94 % des membres de la mission de préfiguration du Grand Paris réclament une personnalité juridique pour les territoires et un partage des recettes de la fiscalité économique.

Le régime juridique de la loi Maptam est profondément modifié par la loi NOTRe du 7 août 2015, qui crée les établissements publics territoriaux (EPT), établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sans fiscalité propre mais dotés d'un régime juridique spécifique. La Métropole du Grand Paris est créée sur ces bases le 1er janvier 2016 avec Paris, les 123 communes de la petite couronne et sept communes de grande couronne. Sur les onze territoires, seuls trois préexistaient ; les huit autres ont été imposés par les préfets.

Mme Sophie Primas.  - Eh oui !

Mme Christine Lavarde.  - Cette nouvelle organisation est devenue un échelon supplémentaire d'une organisation territoriale déjà très compliquée dans laquelle chacun cherche à conserver ses compétences. Une seule opération, celle de la zone d'aménagement concertée (ZAC) de Saint-Ouen, a été confiée à la Métropole du Grand Paris qui reste un nain budgétaire : sur les 3,4 milliards d'euros de ressources de la Métropole du Grand Paris, 98 % sont reversés aux communes via les attributions de compensation.

En juillet 2017, le Président de la République annonce des changements majeurs qu'on attend toujours. Les titres de presse se succèdent, les annonces tonitruantes se succèdent jusqu'à décembre 2020 : « les élus LaREM veulent pulvériser la Métropole du Grand Paris !»

Au cours de ces années, plusieurs scénarios ont été envisagés mais rien n'a été décidé. Quel échelon supprimer, quel périmètre, quel statut pour les territoires, qui doit exercer les compétences du quotidien ?

Le chercheur Romain Pasquier estime que la métropole est sous-calibrée, la gouvernance éclatée. « Il faut réformer fort, tout le monde le sait ; mais personne n'est prêt à assumer les coûts politiques pour le faire. » Cela fait penser aux propos prêtés au général de Gaulle survolant la région parisienne : « Delouvrier, mettez-moi de l'ordre dans ce bordel ! » C'est ce que nous allons faire ce soir. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Excellent !

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Merci au groupe Les Républicains de nous donner l'occasion d'évoquer le devenir du Grand Paris ; Mme Lavarde vient de le faire à sa manière. Évoquer ce devenir, c'est se confronter à une grande complexité. Tout y est exacerbé : enjeux, attentes, ambitions, déceptions parfois.

Mais il faut remettre l'ouvrage sur le métier. Les années 2010 ont été marquées par une relation passionnée avec le Grand Paris. Les lois se sont succédé : Grand Paris en 2010, Maptam en 2014, NOTRe en 2015. Le tout dans un climat de défiance envers les métropoles, rendues responsables des fractures territoriales. Sur le sujet, point de consensus, mais la situation ne satisfait personne, car la Métropole du Grand Paris ne répond pas aux immenses défis qui se posent.

Cette situation est le produit d'une histoire faite de compromis, d'occasions manquées, de renoncements. Il faut le comprendre pour éviter de refaire les mêmes erreurs.

Le sujet du Grand Paris relève de l'intérêt général au sens le plus noble, transcendant nos personnes et nos mandats. Voyons la situation avec des yeux informés par cette histoire mais délestés des vieux réflexes, avec « l'innocence du devenir », selon le mot de Nietzsche.

Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? L'impasse actuelle peut se résumer à ces mots de Raymond Aron : « Réforme improbable, statu quo impossible ».

Un retour par l'histoire s'impose : la place de Paris est exorbitante, unique en France, sans équivalent ailleurs. Le Grand Paris, ce sont 1 300 communes, 11 ETP, 8 départements, 800 syndicats, un conseil régional.

Cette fragmentation institutionnelle se traduit par une « orchestration sans chef d'orchestre », comme le disait Wittgenstein.

Depuis 2007, date du discours fondateur du président Sarkozy à Roissy, les réflexions n'ont pas manqué. Pourtant, le territoire grand-parisien concentre toutes les tensions propres aux réalités métropolitaines. Paris est une métropole-monde marquée par de très grandes fractures qui ne se résorbent pas, avec des conséquences concrètes sur la qualité de vie des habitants.

Qui est le premier, de l'oeuf ou de la poule ? Les fractures sont-elles trop importantes pour un destin commun ou l'absence de projet fédérateur pousse-t-elle à consolider les structures antérieures ?

Cela nous ramène au devenir institutionnel de la région capitale. Quels sont les scénarios possibles ? Le Sénat y a apporté sa contribution, comme les élus locaux et la société civile.

Il existe trois grandes familles de scénarios. La première privilégie l'échelle de la région, puisque les grandes infrastructures se trouvent à la périphérie de la MGP ; elle propose donc la fusion de la région et des départements et renforce la logique intercommunale au sein de cet espace. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Je ne fais qu'énoncer les possibilités !

Deuxième option : créer des élus communs aux échelons départementaux et régionaux et assurer une redistribution des ressources financières.

Troisième option : réunir les départements au sein d'un syndicat interdépartemental. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées, tandis que M. Philippe Dallier rit.)

La deuxième famille privilégie le périmètre de la zone dense, c'est-à-dire la petite couronne. La troisième famille... je la décrirai en répondant aux questions.

M. le président.  - Très bien ! (Sourires)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Le financement de la MGP tient de l'usine à gaz. Cette situation provisoire devait évoluer mais le nouveau pacte financier a été repoussé à plus tard. L'attribution de la cotisation foncière des entreprises (CFE) demeure discutée, voire disputée, en attendant une grande remise à plat.

Parler financement alors que la question des compétences et du périmètre reste pendante n'est pas chose aisée. Toutefois, cette régulation budgétaire annuelle n'offre pas de perspective claire aux exécutifs et renforce la fragilité du système alors même que le rôle de la métropole et des territoires est crucial pour la relance.

Est-ce soutenable, compte tenu du contexte sanitaire et économique ? Comment financer les deux échelons en préservant les communes ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le schéma de financement de la MGP n'est pas viable à long terme : nous sommes dans le transitoire, avec des mécanismes de solidarité insuffisants. La loi de finances 2021 maintient les équilibres antérieurs et attribue deux tiers de la CFE à la Métropole du Grand Paris. À plus long terme, une remise en cause est bien sûr indispensable.

La Métropole du Grand Paris ne produit pas assez de services parce qu'elle n'a pas autant de compétences que les autres métropoles. Il faut commencer par l'objectif avant de concevoir les bons tuyaux : construire un espace de solidarité entre les territoires, de partage des ressources entre Paris et les banlieues et entre l'Est et l'Ouest. Il faudra des transferts financiers plus directifs pour financer les grandes compétences structurantes.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Il faut des moyens publics plus importants ; la Métropole du Grand Paris est un outil de rééquilibrage territorial à préserver.

M. Rémi Féraud .  - La coopération entre la MGP, la Ville de Paris et les communes incluses dans le périmètre de l'autoroute A86 a abouti à l'instauration le 1er juillet 2019 d'une zone à faibles émissions métropolitaine (ZFE). Dès 2024, les véhicules diesel n'y auront plus accès. Pour assurer l'effectivité de cette ZFE, il faut en contrôler l'accès : le système le plus performant est le contrôle-sanction automatisé.

Or l'État n'a pas encore mis à disposition les outils de contrôle dont il dispose - le Centre automatisé de constatation des infractions routières et l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions. Le ministre des Transports a évoqué une vidéo-verbalisation transitoire, mais à la seule charge des territoires...

N'est-il pas nécessaire d'accélérer la mise en oeuvre par l'État du contrôle-sanction automatisé ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - L'État s'engage dans la promotion des ZFE pour améliorer la qualité de l'air et les conditions de vie de nos concitoyens. La Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris se sont lancées dans la démarche en restreignant la circulation des vignettes Crit'Air 4 et 5 dès le 1er juin 2021. Concrètement, il s'agit des véhicules diesel, immatriculés avant le 31 décembre 2005, et essence immatriculés avant le 31 décembre 1996. Nous passerons ensuite aux Crit'Air 3 en janvier 2023 puis aux Crit'Air 2 en janvier 2024.

Les administrations concernées poursuivent leurs travaux d'expertise pour élaborer un système de contrôle sanction automatisé dans les meilleurs délais. D'ici à la fin de l'année, un système de verbalisation vidéo devra être mis en place.

M. Rémi Féraud.  - Que le Gouvernement se montre plus volontariste pour accompagner la lutte contre la pollution !

M. Philippe Dallier .  - En 2007, j'étais plein d'espoir quand le président Sarkozy avait posé le sujet du Grand Paris. La commission Balladur avait traité de la question institutionnelle. Le temps a passé, il y a eu les lois NOTRe et Maptam ; lors des votes, j'avais alors conscience que l'on créait de nouvelles difficultés.

En 2017, le préfet Cadot a travaillé sur des propositions...qui n'ont pas été rendues publiques. Puis le ministre Lecornu devait traiter le sujet, mais il a été sollicité sur d'autres dossiers. Le projet de loi 4D, s'il nous arrive, ne traitera pas du Grand Paris : c'est ce que vous avez dit.

Il est trop tard pour proposer une profonde réforme qui ne pourrait entrer en application qu'en 2026 ou 2027. Nous pouvons encore modifier certains éléments pour faire un pas dans la bonne direction et avoir enfin une métropole utile, efficace et qui partage la ressource fiscale.

Quel est l'agenda du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Monsieur Dallier, les conclusions de votre rapport de 2008 ont été largement reprises par la commission Balladur, puis il y eut d'autres rapports.

Je reviens aux trois familles de scenarios : la première, à l'échelle de la région, prend acte du grand nombre de sites essentiels situés en grande couronne ; la deuxième privilégie le périmètre de la zone dense, pour l'essentiel la petite couronne ; la troisième fait entrer la région capitale dans le droit commun, avec des EPT devenus EPCI à fiscalité propre. (M. Philippe Dallier s'exclame.)

Ces trois familles sont présentées comme des étapes intermédiaires dans l'attente d'une réforme institutionnelle d'ampleur.

Je n'ai pas de calendrier, cher Philippe Dallier, et vous le savez très bien, d'où votre question. (Sourires) Je connais votre implication et la permanence de vos propos.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Je ne suis pas élu d'Île-de-France. Néanmoins, j'ai pu assister à un débat entre la maire de Paris, la présidente de région et le président de la MGP. Chacun défend son échelle la plus pertinente... L''État doit s'en mêler, sinon nous n'en sortirons pas !

Je suis élu de l'Aisne. Associez les élus des territoires un peu plus éloignés à une vision dynamique de l'avenir du Grand Paris car ils sont concernés : routes, mobilité ferroviaire ou maritime.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Il faut bien sûr penser les relations entre Île-de-France et régions voisines. L'État est vigilant à cette articulation, qu'il s'agisse de la rénovation de la gare du Nord ou du projet axe Seine, avec la création ce mois-ci de Haropa qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris.

Il en va de même de la nouvelle ligne ferroviaire Paris-Normandie qui améliore la desserte entre Paris et la Normandie, mais aussi des gares franciliennes de l'ouest.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - La Métropole du Grand Paris s'est donné comme objectif de réduire les inégalités territoriales. C'est très loin d'être acquis pour le logement, enjeu majeur. Environ 72 % des demandes de logement social de la région sont localisées dans la métropole. Or il faut neuf ou dix ans pour en obtenir un !

Loin des objectifs initiaux, les inégalités augmentent, des dynamiques de ségrégation sont à l'oeuvre. Partage de la richesse fiscale, certainement. Mais le partage de la richesse foncière et spatiale est tout aussi important.

Vingt ans après son entrée en vigueur, l'application de la loi SRU laisse toujours à désirer : sur 129 communes de la Métropole du Grand Paris, 56 ne respectent toujours pas l'article 55. Comment ferez-vous enfin appliquer la loi ? Au lieu de laisser les élus provisionner pour les amendes, faites de la mixité une priorité.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - L'année 2020 mise à part, les objectifs de construction dépassent les attentes : l'objectif fixé était de 70 000 pour le Grand Paris. Or nous sommes à plus de 80 000 pour la période 2017-2019.

La production de logements sociaux relève des collectivités qui accompagnent les bailleurs. Les communes de la MGP sont plus nombreuses à respecter la loi SRU puisque seules 40 % d'entre elles ont des objectifs de rattrapage. Le taux locatif social est de 30 %. En réalité, ce sont les disparités territoriales qui sont exacerbées.

Le Gouvernement est pleinement mobilisé vis-à-vis des communes carencées.

La mixité, c'est arrêter de concentrer les populations pauvres au même endroit. Aussi, nous serons attentifs aux agréments dès lors qu'il y a déjà plus de 40 % de logements sociaux dans une commune.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Il y a 40 % de communes de la MGP qui ne respectent pas la loi SRU. Il peut y avoir une diversité de populations dans le logement social. Pourquoi s'en tenir à un taux de 40 % ?

Sortons du misérabilisme : le logement social peut être une forme de logement accueillante et source de mixité.

M. Didier Rambaud .  - La Métropole du Grand Paris soulève de nombreuses questions institutionnelles, juridiques, politiques. Mais quel est son sens ? Elle est conçue pour réduire les inégalités entre ses habitants. Mais pour relever ces défis, il faut que les citoyens identifient la MGP. Qui, parmi les Franciliens, connaît les 208 conseillers métropolitains représentant les 131 communes membres ?

Le millefeuille administratif français était déjà impressionnant. La Métropole du Grand Paris qui s'y ajoute est un nain politique, pris dans cinq couches administratives ; et un nain budgétaire, colosse aux pieds d'argile.

Ne doit-on pas simplifier les objectifs, les moyens, les compétences et le périmètre de la Métropole du Grand Paris afin de la distinguer des autres collectivités territoriales ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Autant d'interventions, autant de solutions...

On peut imaginer différentes gouvernances. La première consiste à créer des instances de coordination qui procèdent des collectivités. On pourrait aussi imaginer une forme d'inter-départementalité. Quelles que soient les solutions, les intercommunalités procèdent toujours des communes et c'est à leur échelle que se jouent les scrutins. Chacun a constaté que la Métropole du Grand Paris n'était pas au coeur des préoccupations des municipales de 2020. Le conseil communautaire n'a pas été élu sur le fondement d'un programme électoral métropolitain.

Une autre solution serait de permettre à l'institution de mettre en oeuvre un projet politique métropolitain clairement choisi par les électeurs. C'est le modèle des collectivités à statut particulier qui ont des compétences accrues, avec plus de visibilité et plus de légitimité. Les électeurs valident alors clairement le projet territorial. Une telle collectivité ne ressemblerait pas à une métropole des maires, car elle serait dissociée des autres collectivités du fait du principe de non-tutelle.

M. Jean-Claude Requier .  - Je supplée Olivier Léonhardt, avec un accent plus méridional que celui de son territoire du Hurepoix. (Sourires et applaudissements à droite)

La création de la Métropole du Grand Paris avait suscité de vifs débats. Ce nouvel échelon devait s'inscrire dans une vision plus globale. En 2014-2016, de nombreux élus de terrain avaient alerté sur le risque de relégation des territoires les plus éloignés du centre de Paris. Leurs craintes se réalisent et le rapport de force institutionnel déséquilibré conforte les inégalités territoriales au sein de la région : Paris et la petite couronne accaparent l'essentiel des investissements alors que le réseau RER implose... De même, la création d'une zone à faible émission décidée unilatéralement par la Métropole du Grand Paris pénalise les automobilistes de grande couronne.

Quelles réformes envisagez-vous pour rééquilibrer la gouvernance et réduire les inégalités au bénéfice de tous les Franciliens ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Il faut sortir de la logique en étoile et éviter d'obliger les Franciliens - et les Français !  - à traverser Paris pour se rendre ailleurs. Selon le rapport de François Durovray, président du conseil départemental de l'Essonne, les différents projets d'infrastructure de transports desserviront principalement la première couronne. Les besoins sont certes criants -  mais les inégalités entre la zone dense et la deuxième couronne seront renforcées.

L'État est engagé aux côtés de la région pour financer le plan de mobilisation pour les transports. L'aménagement des routes franciliennes avec des voies réservées aux transports en commun est une idée prometteuse. Vendredi, le préfet d'Île-de-France réunira une conférence stratégique sur les mobilités routières.

M. Pascal Savoldelli .  - Le fait métropolitain n'est pas nouveau : la métropole existait bien avant sa création institutionnelle.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - C'est sûr !

M. Pascal Savoldelli.  - L'enjeu démocratique a été confisqué, détourné ; le schéma de financement de la Métropole du Grand Paris a encore été reporté. Vous l'imputez au manque de consensus entre les acteurs, mais l'opérateur menace ses échelons départementaux et communaux : les communes qui conservent la clause générale de compétence et les départements qui sont en première ligne pour la cohésion sociale et territoriale.

M. Philippe Pemezec.  - Très bien.

M. Pascal Savoldelli.  - Nous voulons sortir de l'imbroglio, de ce séparatisme métropolitain métropolisé. La Métropole du Grand Paris est déconnectée des besoins des Franciliens. Le mythe des fusions qui réduiraient les coûts a vécu ! Si la métropolisation est une réalité, le fossé entre institutions et administrés renforce la crise démocratique.

Nous préférons fédérer de façon ascendante. Ne faut-il pas plutôt une coordination polycentrique, un espace de coordination légitime car désiré par les acteurs et n'effaçant pas les blocs communal et départemental ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Vous décrivez la troisième famille de scénarios : faire entrer les institutions de la région capitale dans le droit commun, avec des EPT qui deviendraient des EPCI à fiscalité propre en lieu et place de la Métropole du Grand Paris.

M. Philippe Dallier.  - C'est l'anti-métropole !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La Métropole du Grand Paris, elle, serait réduite à une sorte de syndicat mixte de la zone dense. C'est peut-être une première étape vers une réforme institutionnelle plus lourde...

M. Arnaud de Belenet .  - Delouvrier disposait de prérogatives de puissance publique exorbitantes du droit commun, à travers les opérations d'intérêt national, et de moyens d'investir.

Nous avons continué à densifier en grande couronne mais l'investissement de la région n'a pas suivi. Ces outils ne sont plus dans l'air du temps.

Les élus des territoires sont les plus légitimes pour faire des propositions mais leur enthousiasme est émoussé après les lois Maptam et NOTRe ; le consensus est tout relatif et les citoyens ne s'intéressent guère à la réforme institutionnelle. Je doute que la campagne des régionales y change grand-chose.

Ne faudrait-il pas plutôt envisager un outil souple pour dégager quelques objectifs, avec un calendrier, un financement, un contrat régional d'intérêt national permettant de fédérer et d'investir pour améliorer la qualité de vie au quotidien ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - L'essentiel est d'avancer sur les projets, en effet, plutôt que de se perdre dans les débats institutionnels.

La Seine-et-Marne représente 50 % de la superficie de l'Île-de-France ; elle est pleinement intégrée dans son bassin de vie, avec des mouvements pendulaires importants. Elle fait partie de ce grand ensemble du bassin parisien - y compris en matière d'inondations.

Le département de Seine-et-Marne siège au conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités, au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris, participe à différents schémas régionaux. Les outils existent pour travailler sur des projets, notamment les chantiers de modernisation des transports de l'axe Nord, RER B et Charles de Gaulle Express. Les choses existent !

M. Arnaud de Belenet.  - La création de richesse, de valeur, d'emploi, peut passer par la grande couronne. Je me tiens à votre disposition pour suggérer des investissements.

M. Rachid Temal .  - Après un candidat réformateur, nous avons un Président de la République conservateur et silencieux. (M. Philippe Dallier s'exclame.) Je fais un constat d'immobilisme.

J'appelle à dépasser le clivage entre la métropole et la région.

Dans les trois scénarios que vous évoquez, vous oubliez que 6 des 12 millions d'habitants d'Île-de-France vivent en grande couronne. La densification ne doit pas se faire à leur détriment. Quel rééquilibrage proposez-vous en matière de création de richesse, d'emplois, de logements ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les problèmes n'ont pas commencé avec Emmanuel Macron...

M. Philippe Dallier.  - C'est vrai !

M. Rachid Temal.  - Vous n'avez rien fait depuis cinq ans !

M. Philippe Pemezec.  - C'est plutôt vous, les responsables !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - J'ai participé, au Sénat comme au Gouvernement, aux discussions sur le Grand Paris : jamais il n'y a eu de consensus entre élus.

M. Philippe Dallier.  - C'est impossible !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  -  Nous pensons évidemment aux citoyens de la grande couronne. Les propositions que j'ai énumérées les englobent. Certains syndicats dépassent les limites des intercommunalités ; il y a des chevauchements et des superpositions à résorber dans ces territoires. Il faut simplifier tout cela.

Faut-il rappeler ce texte, renvoyé à l'Assemblée nationale sans aucune proposition du Sénat ? (M. Philippe Dallier le confirme.) Cessons de nous accuser mutuellement, essayons de construire.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Rachid Temal.  - Je suis surpris par votre ton. Voilà bien le macronisme : quand ça va mal, c'est la faute des autres !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je n'ai jamais dit cela !

M. Rachid Temal.  - Le candidat Macron a fait des annonces, mais quatre ans après, il n'y a rien. C'est factuel. Vous auriez au moins pu venir à ce débat avec des propositions, obliger le Parlement à avancer ! Sans quoi, c'est l'Arlésienne... Je n'ai pas entendu de proposition concrète pour le Val-d'Oise et la grande couronne.

M. Philippe Dominati .  - Tous les présidents de la VRépublique ont apporté une contribution à la région Île-de-France. Mme Lavarde a évoqué le général de Gaulle. Valéry Giscard d'Estaing a donné un maire à Paris, Mitterrand a associé Paris à Lyon et Marseille, Pompidou lui a donné un rayonnement culturel, Chirac l'a dirigée.

Le Président Macron avait bien démarré en assurant qu'il rencontrait tout le monde, qu'il travaillait avec le Premier ministre, que la structuration était trop complexe, qu'il fallait tenir compte de la compétition internationale.

Désormais, qui travaille ? Qui le Président rencontre-t-il ? Quand s'est-il exprimé depuis trois ans sur le sort de la région capitale ?

Vous proposez trois solutions, c'est-à-dire que vous n'en avez aucune. Il n'y a pas de travail, de réflexion, d'intérêt pour la région Île-de-France. Quel est votre agenda ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le Président de la République reçoit et consulte tous les grands élus, la présidente de région Valérie Pécresse mais aussi Patrick Ollier, les présidents des départements de petite et grande couronnes, des maires. Il a estimé, après les propositions du préfet Cadot, que l'aspect institutionnel n'était pas la bonne entrée pour parvenir à une solution équilibrée, que c'est par les projets qu'il faut construire la future métropole. Il est vrai que nous n'avons pas de calendrier législatif pour l'instant.

M. Philippe Dominati.  - Vous confirmez que le Président de la République ne s'intéresse guère à la région capitale. On l'a vu lors des élections municipales à Paris : pas de gouvernance, pas d'incarnation du projet.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Puis-je répondre ?

M. le président.  - Exceptionnellement, soit.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La Métropole du Grand Paris existe.

M. Philippe Dominati.  - Elle ne marche pas !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Elle a des élus. On ne peut toujours tout faire reposer sur les autres. Ceux qui y siègent doivent prendre position.

M. Philippe Dominati.  - C'est le rôle du Président de la République !

M. Vincent Éblé .  - Au début du quinquennat, le Président de la République annonçait vouloir réformer le Grand Paris en cent jours. Des annonces ont été faites, puis reportées... Depuis, comme l'écrivait Louis XVI dans son journal à la date du 14 juillet 1789 : « Rien ».

Ne rien faire quand on ne sait que faire n'est pas une mauvaise solution mais on a annoncé une réforme rapide, laissé entendre que le département serait supprimé, que le bon échelon était la région - tout en demandant à la Métropole de prendre ses responsabilités en matière de qualité de l'air, de lutte contre les inondations, de relance économique... On ne fait pas plus délétère.

Pour agir, les institutions ont besoin de temps et de stabilité. Vous avez fait tout le contraire.

Peut-être le bon moment pour réformer est-il déjà passé ? Que faire en attendant ? Allons-y dit l'un, et finalement ils ne bougent pas... Cela rappelle Godot ; la chose serait comique si cela n'était pas préjudiciable au développement de la région et du pays dont la Métropole est le coeur battant. Les liens de la Seine-et-Marne avec le Grand Paris sont trop essentiels pour que nous ne nous alarmions pas.

Une réforme s'impose, mais vous n'avez pas su rassembler. Comment sortir de cet activisme immobile ?

M. Julien Bargeton.  - Et vous, que proposez-vous ? Quelle est votre position ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je vous entends, mais la création de la Métropole du Grand Paris a fait l'objet d'un vote négatif du Sénat, dans la loi Maptam, sans proposition alternative. Le schéma voté par l'Assemblée nationale n'était pas consensuel. Puis il y a eu la loi NOTRe, et encore des débats à plus soif.

L'action des gouvernements précédents ne s'est pas distinguée par des choix clairs et limpides. Si nous en sommes là, c'est que nous n'avons pas réussi à construire de schéma clair depuis 2010. Il faut maintenant en sortir.

M. Rachid Temal.  - Proposez une loi !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Vous pouvez aussi faire des propositions !

M. Rachid Temal.  - C'est au Gouvernement de le faire.

M. Philippe Pemezec .  - Il était une fois un vieux pays dont l'administration reposait sur trois strates : la commune, le département et la région. Cela fonctionna pendant deux siècles, puis l'on décida de simplifier : s'ajoutèrent alors les intercommunalités et les métropoles.

En Île-de-France, c'est encore pire : une ville-centre qui ignore les communes qui l'entourent, une métropole qui prétend à des fonctions stratégiques mais qui n'inclut pas le neuvième aéroport mondial ni le plateau de Saclay, des maires qui étouffent sous quatre couches de millefeuille.

Ne cherchez plus la solution ! Il suffit de fusionner la métropole et la région ; ainsi disparaissent les EPT de petite couronne et les communes ont le choix entre fusionner, s'associer et recouvrer leur liberté d'action pour les plus grandes. N'est-il pas temps que notre ville retrouve son rang mondial en changeant de statut et de taille ? Rendez aux maires leur liberté au service de leurs administrés.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Voici au moins une proposition qui a le mérite d'être claire : plus d'intercommunalités. J'en prends acte, c'est une contribution au débat. Vous conservez les départements. (M. Philippe Pemezec le confirme.) Mais vous laissez l'intercommunalité aux communes qui le souhaitent...

Mme Christine Lavarde.  - C'est la libre administration !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Soit. Je me suis toujours demandé pourquoi on avait fait de Paris un cas aussi particulier depuis si longtemps. (M. Philippe Dominati renchérit.) Il aurait été préférable de permettre aux communes, comme dans le reste de la France, de former librement - au moins au début - leurs groupements.

M. Philippe Dominati .  - Je représente ici Mme Boulay-Espéronnier, dont la question porte sur la place financière de Paris, la sécurité en Île-de-France - le périmètre de la préfecture de police ne correspondant pas à celui de la métropole - et l'anarchie des transports parisiens. Dans ces trois domaines, les Parisiens ont à subir l'ancien système jacobin, dans lequel l'État veut tout régenter. Sur le plan financier, Paris est depuis le Brexit dans le face-à-face avec Francfort. Il faudrait par ailleurs étendre le périmètre de la compétence du préfet de police à la Métropole du Grand Paris.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Dans l'une de mes dernières discussions avec Patrick Devedjian, celui-ci m'avait confié que le Brexit pouvait être une chance historique pour l'attractivité financière de Paris.

Paris est la métropole qui attire le plus les investissements étrangers en Europe ; 30 % du PIB national y est concentré, 40 % de la R&D avec Paris-Saclay. Il y a de grands projets structurants : le Grand Paris Express, les Jeux olympiques et paralympiques.

Il faut renforcer ces atouts, mais aussi traiter les inégalités qui marquent le territoire.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - La métropole est le résultat d'un cauchemar législatif dont le dernier avatar est la loi Engagement et proximité. C'est un système inefficace associant gouvernance complexe, compétences croisées et budget d'investissement lilliputien de 50 millions d'euros. La métropole est un Grand Paris de l'État, et non des élus et des citoyens.

Pourtant, jamais les enjeux n'ont été aussi importants et la complexité aussi forte. Il faut résoudre cette contradiction.

Peut-on connaître votre position, madame la ministre, ou faut-il attendre un énième comité Théodule de Franciliens tirés au sort ? (MM. Philippe Dallier et Rachid Temal ironisent.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Quel rapport avec la loi Engagement et proximité ? Elle ne contient aucune disposition sur le Grand Paris et les élus en sont plutôt contents.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Nous ne rencontrons pas les mêmes !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les élus à la Métropole multiplient les occasions manquées : le plan métropolitain Habitat et Hébergement n'a pas vu le jour ; le schéma de cohérence territoriale...

M. Philippe Dallier.  - C'est en cours !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les opérations d'aménagement d'intérêt métropolitain...

M. Philippe Dallier.  - Il y en a peu !

M. Philippe Pemezec.  - Laissez faire les communes !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Il faut, à mon avis, s'accrocher aux grands projets pour ensuite passer aux changements institutionnels. Avec les Jeux olympiques, on a su construire des équipements et des lignes. Voilà la méthode : parlons des projets !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - C'est trop court !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je n'ai que deux minutes !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Le Gouvernement sait imposer des choses quand il le veut. Qu'il dise que cette métropole est une singerie ! (« Oh » à droite) Sans la grande couronne, elle ne marchera jamais. Dites-le !

Mme Christine Lavarde .  - Madame la ministre, vous avez dit qu'il n'y avait pas de calendrier. Or il y a un texte sur le bureau de l'Assemblée nationale porté par tous les députés de votre majorité élus de ce territoire. Allez-vous l'inscrire à l'ordre du jour ?

Allez-vous prendre des mesures règlementaires, par exemple pour aligner les compétences des agents des communes limitrophes de Paris avec les agents parisiens afin d'empêcher les effets d'évitement ?

Vous dites que la loi Engagement ne contient rien sur la Métropole du Grand Paris, mais nous avions proposé des amendements relatifs aux EPT. Le ministre Lecornu nous avait invités à attendre le volet de la loi 4D qui porterait sur le Grand Paris. Or il semble clair qu'il n'y aura rien sur le Grand Paris dans le texte...

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Vous le voyez bien : il faut toujours être prudent quand on dit quelque chose ; sinon, après, on vous le reproche ! (On rit de bon coeur à droite et au centre.)

Une proposition de loi a effectivement été déposée à l'Assemblée nationale par des députés de la majorité. Elle a pour but de faire avancer le schmilblick.

M. Philippe Dallier.  - Plutôt de le faire reculer ! (Sourires)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - De faire avancer le débat, si vous préférez. Je suis toujours prête à apporter des réponses, à défaut d'une grande réforme. C'est le cas chaque année en loi de finances : j'essaie de sauvegarder les équilibres entre les EPT et la métropole. Je suis prête à étudier toute solution règlementaire.

Mme Christine Lavarde.  - Je présenterai des amendements à la loi 4D. À chaque texte financier, je propose de corriger quelques erreurs de calcul - bien connues de la Direction générale des collectivités locales - mais rien n'est fait, en attendant une réforme globale...

M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains .  - Je ne reviendrai pas sur ce qui fait manifestement consensus : nous ne pouvons rester en l'état. Nous travaillons avec Didier Rambaud sur un rapport pour la délégation aux collectivités territoriales qui vise à proposer une méthode en mars.

Le périmètre, ce sera la métropole actuelle ou la région - nous ne parlons plus d'une aire urbaine qui rassemblerait 10 des 12 millions d'habitants de la région. Aujourd'hui, nous avons une métropole des maires. Veut-on une métropole-région avec plus de 1 200 maires ? Soyons clairs, ce serait une métropole différente, avec élection à la proportionnelle.

Restera-t-elle un EPCI à statut particulier, ou sera-t-elle une collectivité à statut particulier comme la métropole de Lyon, qui s'est substituée au département ? Sera-t-elle un super-département ou une super-région ? Ou un simple syndicat mixte ? Disons-le clairement : c'est la thèse de ceux qui ne veulent pas de métropole. (M. Laurent Lafon le confirme.)

Autre question, le partage des richesses.

M. Julien Bargeton.  - Et des compétences !

M. Philippe Dallier.  - Il n'y en a pas, pour l'instant à l'échelle de la métropole. Cette métropole est à la fois la plus riche et la plus inégalitaire. Sans mutualisation budgétaire, il n'y aura pas de métropole.

Il faut aussi parler de redistribution des compétences. C'est essentiel. Deux couches ont été ajoutées - quelle horreur ! Mais on a à peine parlé des compétences : la région et les départements sont restés à l'écart.

Il faut voir, pour chaque compétence, quel est le bon échelon et le bon budget. La bonne entrée, c'est le triptyque compétences-périmètre-moyens.

Tous les acteurs - et je ne leur jette pas la pierre - défendent leur propre échelon. Personne ne veut lâcher une partie de son pouvoir ni de ses moyens. Inutile d'attendre ce qui monte des territoires : rien ne monte, sinon la volonté de ne pas bouger ! « Encore un instant, monsieur le bourreau ! » comme disait Madame du Barry sur l'échafaud.

Ce débat se termine et vous m'avez perturbé, madame la ministre, en estimant qu'il fallait partir des projets. Qu'a fait De Gaulle en 1958 ? Il a doté la France d'un outil de gouvernance, la Ve République, ce qui lui a permis de mener à bien des projets.

Si nous voulons lutter contre le creusement des inégalités, commençons par la gouvernance, créons enfin une vraie métropole ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Prochaine séance, demain, mercredi 10 février 2021, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 40.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 10 février 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président du Sénat Secrétaires : Mme Patricia Schillinger M. Pierre Cuypers

. Questions d'actualité

À 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Pierre Laurent, vice-président Mme Pascale Gruny, vice-président

. Débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion (demande de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion)

. Débat sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant » (demande du GEST)

. Débat sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays » (demande du groupe CRCE)