« La réforme en cours de l'éducation prioritaire »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La réforme en cours de l'éducation prioritaire », à la demande du groupe CRCE.

Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Le groupe CRCE porte le débat sur l'une des rares politiques nationales qui vise à lutter contre les inégalités sociales. Mais elle présente bien des carences, comme l'a montré le rapport de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas en réseau d'éducation prioritaire, REP ou REP+.

Ce dispositif doit être revu. L'éducation prioritaire, ce sont des moyens supplémentaires mais surtout un travail en réseau. D'après l'article premier du code de l'éducation, le service public de l'éducation « contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. »

Mais la réalité est tout autre : la France est en queue du peloton dans le domaine de la réduction des inégalités. Des fermetures de classes en réseau d'éducation prioritaire sont incompréhensibles. Le maillage REP est insuffisant. Les écoles rurales en sont exclues. Il n'y a pourtant pas lieu d'opposer les écoles de quartier et celles des campagnes.

Comme le pointe le rapport Mathiot-Azéma, l'éducation prioritaire a fait l'objet d'un recentrage, au détriment des zones rurales. Même en ville, de nombreuses écoles en sont exclues car leur collège de secteur ne remplit pas les critères : ce sont des écoles orphelines.

Vous prévoyez une expérimentation sur trois académies, mais nous craignons que le remède soit pire que le mal. Comment obtenir un meilleur maillage à moyens constants ? Sanctuariserez-vous au moins les moyens des REP+ ? La révision de la carte des REP sera-t-elle à nouveau reportée, comme 2019 ?

La contractualisation prévue nous interpelle : l'application commune des critères est souvent très technocratique ; les écoles conserveront-elles le dédoublement en cas de non-reconduction du contrat après trois ans ? Malheureusement, poser la question, c'est y répondre...

La durée du contrat est-elle suffisante pour engager une dynamique positive ? La contractualisation porte en outre les germes d'une mise en concurrence ; je l'ai vu dans mon département de la Seine-Maritime avec un refus de label « école numérique » à une école rurale car elle était en classe unique. Comment donner plus à ceux qui ont moins ? Cela passe par des moyens supplémentaires.

Les enseignants se préparent à faire cours à des classes de plus de 28 élèves en collèges et lycées. Les heures supplémentaires ne sont pas effectives. Dans le Val-de-Marne, un collège en REP attend le remplacement d'un professeur d'histoire dont l'absence doit durer jusqu'en juillet !

Un élève de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de scolarité, faute de remplaçants.

Moins de 3 % des 2 milliards d'euros consacrés à la formation des enseignants concernent les REP : c'est inversement proportionnel aux besoins.

Il n'est pas pertinent de fondre la prime REP dans la prime d'activité. Il faut relancer le processus de l'éducation prioritaire en ciblant les écoles des quartiers de la politique de la ville et les communes qui reçoivent la dotation de solidarité urbaine ou la dotation de solidarité rurale. La formation des enseignants doit être renforcée. Une pluriannualisation de la gestion des postes permettrait d'éviter les décisions couperets. Il faudrait plus d'infirmières, d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et d'assistants d'éducation.

La crise sanitaire mute en crise sociale. Plutôt que de tuer l'éducation prioritaire, donnez-lui un nouveau souffle ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Julien Bargeton .  - La lutte contre les inégalités sociales en matière scolaire est très importante pour ce Gouvernement ; preuve en est la création de votre poste, madame la ministre de l'Éducation prioritaire, intitulé de fonctions ministérielles inédit dans la Ve République. Au-delà du symbole, c'est un véritable signe de volonté politique (M. Didier Rambaud le confirme.). Le Gouvernement a dédoublé les classes en REP pour 300 000 élèves de CP et CE1, avec un succès certain.

Par ailleurs, le dispositif des « devoirs faits » bénéficie à la moitié des collégiens en REP. Il faut renforcer les compétences pédagogiques de nos professeurs en français et mathématiques.

Les résultats en termes de réduction des inégalités ne sont pas à la hauteur, certes. Il faut lutter contre les ghettos. Les dispositifs ne corrigent pas suffisamment les inégalités. Comment renforcer la mixité sociale ? Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le maire préfère que les élèves aillent dans les arrondissements voisins plutôt que de construire un nouveau lycée...

Le rapport Azéma-Mathiot a dénoncé la concentration des lycées dans certains quartiers. L'Éducation nationale est aussi le réceptacle d'une réalité sociale, mais il y a des trous dans la raquette.

Les contrats locaux d'accompagnement (CLA) permettent le sur-mesure et l'équité. À partir d'une analyse de la situation, ils permettent la différenciation chère au Sénat. Il faut du dialogue social et de la concertation pour les réussir.

Cette expérimentation sera évaluée par un comité de suivi : aucun risque, donc, de perturber les actions actuelles. Madame la ministre, sans doute pourrez-vous nous rassurer sur ce point.

Les zonages ne seront pas modifiés avant 2022, date d'évaluation de l'expérimentation. Il ne s'agira pas de réaffecter des moyens.

Attaquer les inégalités à la racine, c'est donner plus à ceux ayant moins, mais aussi instaurer de la progressivité pour éviter le « tout ou rien », qui fait jusqu'à présent qu'on est en REP ou on ne l'est pas. Voilà ce que fait le contrat local d'accompagnement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Après quarante d'existence, la réforme propose un changement de paradigme pour l'éducation prioritaire. Le rapport Mathiot-Azéma appelle en effet à réduire les effets de seuil. Des CLA de trois ans doivent être expérimentés dans trois académies à la rentrée. Ils pourraient à terme remplacer les REP, avec plus de souplesse et d'efficacité et une meilleure différenciation des moyens selon les besoins locaux.

Cette avancée majeure rompt avec le pilotage national ; 70 % des enfants défavorisés ne sont pas scolarisés en REP et 25 % des enfants de REP ne devraient pas s'y trouver...

Les REP recouvrent des situations très différentes. Les zones rurales en décrochage économique et des établissements isolés pourront bénéficier de cette réforme, comme les écoles orphelines.

Les critères d'attribution ne vont pas changer, mais de nouveaux leviers comme le climat scolaire et le taux de décrocheurs seront pris en compte, de même que le turn over des enseignants.

Madame la ministre, la réforme sera financée par des moyens spécifiques, mais lesquels, et au détriment de quels programmes ? Revaloriser les bourses scolaires serait également essentiel au regard de la situation catastrophique des étudiants. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jérémy Bacchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) La réforme de l'éducation prioritaire pose de nombreuses questions. Nous doutons de la pertinence des réponses du Gouvernement. Difficile d'avoir une vue complète sur l'expérimentation annoncée. Dans les Bouches-du-Rhône, qui font partie d'une académie test, les retours sur les CLA sont inquiétants : seulement 39 des 72 écoles pouvant être sélectionnées seront concernées. Pourquoi ? Comment les moyens seront-ils répartis ? Les syndicats n'ont pas obtenu de réponses.

Comme l'indique Marc Douaire, de l'Observatoire des zones prioritaires, passer d'une logique territorialisée à une logique d'établissement représente un bouleversement profond. Or il faut prendre en compte l'aspect social de l'éducation prioritaire.

Des établissements REP déjà en difficulté risquent de perdre leur label. Les nouveaux critères inquiètent les professeurs et les parents. Le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc), pourtant classé plutôt à droite, demande déjà le retrait de la réforme.

Le rectorat prendra-t-il en compte les aides extérieures ? Comme s'en inquiète Jean-Yves Rochex, ne risque-t-on pas de favoriser le clientélisme ? Évitons de concentrer les jeunes enseignants dans les zones difficiles. Attention à ne pas donner de nouveaux cadeaux à l'enseignement privé, qui n'est pas, loin s'en faut, un champion de la mixité. Certains établissements pourraient échanger des remboursements de frais aux familles contre la manne de l'État.

S'il faut rapatrier dans le dispositif 70 % des élèves qui n'y sont pas, au détriment de 25 % de ceux qui y sont mais ne devraient pas y être, cela ne pourra pas se faire à moyens constants.

Vous devriez être plus claire : vous avez annoncé au Sénat une réforme à moyens constants, puis avez indiqué devant l'Assemblée nationale une voie « parallèle » avec des moyens propres. Attention à ne pas déshabiller certains établissements pour en habiller d'autres.

L'année dernière, pour quinze postes supprimés dans les Bouches-du-Rhône, dix concernaient les sections d'enseignement général professionnel adapté (Segpa) et cinq des REP+. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quarante ans après les premiers REP, 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. La Cour des comptes dénonce un cadre trop rigide et des effets de seuil.

En 2019, Jean-Yves Roux et Laurent Lafon avaient plaidé pour une politique départementale de l'enseignement prioritaire, concertée avec les élus.

Les CLA qui seront le socle de votre expérimentation se veulent plus adaptables, et devraient résoudre le problème des établissements au seuil des REP et des établissements ruraux. L'expérimentation sera une première réponse aux 500 écoles dites « orphelines » accueillant des élèves boursiers des catégories défavorisées et présentant un fort taux de redoublement : leurs 51 000 élèves ne peuvent pas actuellement bénéficier des mesures REP comme le dédoublement des classes, pourtant particulièrement utile pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Cette expérimentation permettra de prendre en compte les besoins spécifiques des écoles en zone rurale, jusqu'ici trop souvent oubliées.

Les difficultés ont été aggravées par la crise sanitaire. Comment comprendre les fermetures de classe dans ces territoires ? Dans la commune de Petosse en Vendée, une fermeture de classe est prévue alors que les élèves sont en difficulté socialement et scolairement.

Sur les trois régions choisies, les Pays de la Loire sont retenus pour l'expérimentation. Nous serons donc particulièrement attentifs à ses résultats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Monier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'éducation prioritaire est au coeur de la promesse républicaine. Alors que le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République, il faudrait se souvenir que l'école concourt puissamment à la lutte contre les séparatismes. Le ministère a prévu une ambitieuse réforme de ce dispositif créé en son temps par Alain Savary.

Je remercie le groupe CRCE de ce débat qui nous permettra, je l'espère, de mieux comprendre l'articulation avec la politique de la ville, la mixité, le sort des écoles orphelines, la revalorisation des salaires du personnel à la hauteur de leur investissement et la prise en compte des établissements ruraux.

La carte scolaire se fait dans la douleur : dans la Drôme, la rentrée est à moyens constants ; il faudra trouver ailleurs les enseignants pour le dédoublement en REP. J'espère une prise de conscience de la nécessité d'aider à la fois les REP et les écoles rurales.

La temporalité de l'expérimentation, un an, semble trop courte, alors que les CLA dureront trois ans. Pourquoi une telle précipitation à la fin du quinquennat ? Il faut une concertation sur le temps long.

Quel en sera le financement ? Vous annoncez un budget de 3,2 millions d'euros. Comment évaluerez-vous si ce montant est adapté ? Selon quels critères ? Sur quel budget le prendrez-vous ? Comment les établissements retenus seront-ils choisis ?

Il y a un risque de dilution des critères sociaux, avec l'adoption de nouveaux critères. Cela rompra l'égalité entre les territoires. Les acteurs de terrain doivent être mieux consultés, certes, mais il ne faut pas pour autant négliger le cadre national.

Le groupe SER propose de retourner le problème : consultons le terrain avant de constituer la carte nationale de l'éducation prioritaire, en adaptant les moyens aux besoins.

Madame le secrétaire d'État, saisissez cette opportunité ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie le groupe CRCE pour ce débat.

« Le français, la morale, le calcul » disait Jules Ferry, insistant sur l'école primaire. Puis l'école a suivi le besoin de spécialisation et de qualification, devenant un vecteur de l'ascension sociale, conformément au principe d'égalité des chances.

C'est ainsi qu'en 1981 est née l'éducation prioritaire. Mais quarante ans après, elle n'atteint pas ses objectifs de mixité et de réduction des écarts.

Un élève de lycée français coûte 30 % plus cher que la moyenne de l'OCDE, tandis qu'un élève de primaire coûte 20 % moins cher. L'éducation prioritaire a souffert du non-respect de son caractère temporaire : ce marquage au fer des établissements a engendré le départ des familles et le turn over des enseignants.

Soyons clairs : cette politique était indispensable, mais nous devons débattre de la modestie de ses résultats.

La réduction des effectifs des classes est insuffisante, les enseignants contractuels trop nombreux. L'absence d'autonomie des établissements et de marge de manoeuvre des chefs d'établissement pèse également.

Les dérogations à la carte scolaire ont réduit la mixité sociale.

Madame la ministre, détournez-vous d'une politique centralisée. Ne vous limitez pas à une réforme paramétrique.

Pour réussir l'éducation prioritaire, il faut adapter les modalités de gestion, former et stabiliser les équipes, affecter des enseignants chevronnés. Il faut augmenter le nombre de postes à profil, adapter l'école à la diversité des territoires, mieux rémunérer les enseignants. Il faut rentrer dans une école du contrat, contrairement à ce qui a été dit avant moi.

Vous devez aussi échanger avec les élus sur leurs attentes, leurs difficultés, leurs idées et même leurs revendications.

Pour réussir, faites du sur-mesure au plus près des établissements. Desserrez l'étau de la centralisation, et permettez aux équipes de terrain de prendre une part active à l'école républicaine de demain. Voilà le chantier de l'éducation prioritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Decool .  - L'éducation prioritaire, initiée par Alain Savary en 1981, devait être temporaire. Il s'agissait de limiter à 10 % les écarts de niveau entre les zones les moins favorisées et les autres. Quarante ans plus tard, les différences sont de 20 % à 35 % selon les établissements.

En 2017, le REP couvrait 1 000 collèges, dont 356 en REP+ et 7 000 écoles, dont 2 500 en REP+, pour un coût de 1,6 milliard d'euros.

Les critères pris en compte - taux de boursiers, CSP, redoublement - sont pertinents, mais les moyens manquent souvent leur cible, avec des effets de bord importants.

L'éducation prioritaire s'accompagne aussi d'une stigmatisation, facteur d'évitement des familles les plus aisées et des enseignants expérimentés - les titulaires sont moins nombreux, les taux d'arrêt maladie et de mutations élevés - ce qui annule les effets positifs du dispositif.

Le dédoublement des classes de CP, de CE1 et de grande section est moins flexible que le dispositif « maître plus », alors que les deux sont complémentaires.

La revalorisation des salaires des enseignants et l'augmentation de leur nombre sont également indispensables à la réussite du dispositif.

La mise en place des classes coopératives donne de bons résultats pour favoriser l'apprentissage du vivre ensemble et régler les problèmes de vie scolaire. De la même façon, le dispositif « devoirs faits » déployé depuis 2017 dans les collèges du réseau est très demandé.

Le Gouvernement a annoncé en novembre la mise en place de CLA dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. Cette expérimentation donnera des moyens supplémentaires à certains établissements, notamment en zone rurale.

Une réforme globale de l'éducation prioritaire est indispensable, avec un maillage plus souple et une dissociation entre collèges et écoles. Les cinq cents écoles orphelines, ou rattachées à des collèges hors REP alors qu'elles répondent à tous les critères REP, pourraient ainsi être intégrées au réseau.

Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry s'interrogeait sur l'avenir d'un enfant né dans la misère : « Ce qui me tourmente, c'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné »...

Concentrons-nous sur le plus jeune âge, en leur donnant le sésame qui ouvre ensuite vers tous les autres apprentissages. (Mme Marie Mercier et M. Marc Laménie applaudissent.)

M. Thomas Dossus .  - Je remercie le groupe CRCE pour ce débat.

La France est l'un des pays de l'OCDE où le lien entre la condition sociale de l'élève et sa performance scolaire est le plus fort. Notre système éducatif est ainsi particulièrement reproducteur des inégalités sociales. Regardons la réalité en face : il est en panne !

Le 25 janvier, et pendant dix-sept jours, deux enseignants de la région lyonnaise, à Givors, ont entamé une grève de la faim courageuse pour demander un rattachement de leur collège au REP+.

Les écarts de niveau de la troisième sont de l'ordre de 35 % pour la maîtrise du français entre collèges Éclair - écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite - et collèges hors éducation prioritaire. Face à ce constat, votre Gouvernement a décidé une réforme et seuls les REP+ devraient être pérennisés. La contractualisation avec les établissements sera de mise.

La réforme prévue prévoit-elle des financements nouveaux ? Vous vous êtes contredite sur le sujet, madame la ministre. Il risque d'y avoir des gagnants et des perdants. Nous refusons la mise en concurrence entre les établissements !

La contractualisation peut aggraver les inégalités entre les territoires et ouvrir la voie à l'arbitraire.

Le privé assèche certains établissements et certains territoires. Comment concevoir que ces établissements accèdent aux fonds réservés à des établissements en difficulté ? On ne résoudra pas les problèmes en faisant des cadeaux au privé !

Comme en matière d'urbanisme, il faut assurer une vraie mixité sociale à l'école pour s'attaquer efficacement aux inégalités. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)

Mme Sonia de La Provôté .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quarante ans après la création de l'éducation prioritaire, une réforme est nécessaire, sans déstabiliser l'existant. Une expérimentation est proposée dans cette logique. Les situations culturelles, sociales, familiales sont très diverses. Une approche plus territorialisée est souhaitable pour éviter les effets de frontière liés au zonage.

La perte de label REP fait perdre le statut prioritaire aux dépens des élèves : c'est absurde. Ne perdons pas de vue les élèves : le véritable enjeu, c'est l'accompagnement individualisé !

Le premier écueil de cette expérimentation réside dans la répartition des moyens des contrats locaux. Les caractéristiques des établissements devront être bien ciblées pour ne pas diluer les crédits. Les problématiques des territoires ruraux et celles des quartiers ne sont pas les mêmes : il ne faudra donc pas aborder ces questions de manière uniforme.

Deuxième interrogation : qui évaluera cette expérimentation ? Si elle est prometteuse, il faudra absolument l'étendre.

Les territoires éducatifs ruraux privilégient une approche transversale qui a fait ses preuves pour accompagner le parcours des enfants. Si les moyens restent constants, des arbitrages seront inévitables.

Enfin, l'accompagnement individualisé des enfants impose de revoir les rapports avec les collectivités locales. Or elles n'ont pas les mêmes moyens en fonction de leurs tailles et de leurs ressources, notamment dans les zones rurales. La réforme ne pourra reposer sur elles.

On a trouvé des postes pour dédoubler les classes ; il faudra en trouver aussi pour territorialiser et individualiser. La réforme doit réussir : c'est un objectif prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE pour son initiative. Le zonage REP ne couvre que 30 % des élèves en difficulté. Beaucoup d'écoles, notamment rurales, ont besoin de moyens supplémentaires ! C'est spécialement le cas dans le Pas-de-Calais qui a récemment subi des chocs sociaux. Je songe notamment à Bridgestone Béthune.

Depuis votre annonce de novembre sur l'expérimentation, les inquiétudes sont nombreuses, d'autant que la politique d'éducation prioritaire est la seule politique nationale de lutte contre les inégalités sociales, comme l'a rappelé la Cour des comptes en 2018.

Pourquoi ne pas réviser la carte des REP et des REP+ qui laisse de côté 70 % des élèves défavorisés ?

Le financement de votre expérimentation semble incertain. Lors de la précédente révision des zones d'éducation prioritaires, en 2014, la majorité de gauche d'alors avait dégagé 350 millions d'euros de budget supplémentaire dont 100 millions pour les indemnités de personnel.

Le regroupement d'établissements et des fermetures d'écoles sont à craindre ; ainsi que des transferts de moyens des ghettos urbains vers les zones rurales. Les écoles rurales ont besoin de moyens, mais aussi d'une prise en compte de leurs spécificités.

Les interrogations se renforcent en raison du lancement en janvier d'une autre expérimentation, les territoires éducatifs ruraux, sur les académies d'Amiens, de Nancy-Metz et de Normandie. Les expérimentations se chevauchent, et les inquiétudes sont fortes.

Je m'interroge aussi sur le choix des académies tests : pourquoi les outre-mer en sont-ils exclus ?

Avec mon groupe, je m'opposerai à toute tentative de détricotage d'une politique en faveur des élèves les plus défavorisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Paccaud .  - La République théorique, c'est l'égalité des droits. La République idéale, c'est l'égalité des chances. École et République sont consubstantielles, depuis la IIIe République et la création de l'école gratuite et obligatoire par Jules Ferry. C'est l'école qui, métamorphosant ses élèves en citoyens instruits et éclairés, a profondément enraciné la République jusqu'à nos jours, hormis la sinistre parenthèse de Vichy.

Le fameux âge d'or de la Ille République doit être nuancé. Après l'école primaire, la poursuite des études était rare. L'Ancien Régime et les privilèges avaient été effacés, mais les castes et les classes perduraient. Selon que vous étiez puissant ou misérable, les portes s'ouvraient ou restaient closes.

La scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans en 1959, la création du collège unique en 1975, ont eu pour objectif l'égalité des droits et des chances. Mais les résultats des élèves sont restés très inégaux et largement liés à l'origine sociale.

D'où l'éducation prioritaire, créé en 1981, pour favoriser les défavorisés, selon le principe de discrimination positive. Elle bénéficie à 20 % de nos enfants pour un coût, un surcoût en réalité, de 1,5 milliard d'euros.

Ses modalités doivent être réformées pour que le système soit plus juste et plus efficace. Est-il juste aujourd'hui ? Non, puisque 70 % des enfants défavorisés sont hors de l'éducation prioritaire. Nous connaissons tous des écoles ou des collèges accueillant un public fragile et qui mériteraient des moyens supplémentaires, notamment en milieu rural. L'expérimentation des territoires éducatifs ruraux est bienvenue, mais modeste.

Ainsi, dans l'Oise, où plus de la moitié des habitants sont ruraux, deux collèges et leurs écoles de campagne, inclus en REP ou REP+ jusqu'en 2014, ont disparu. Pourtant, les difficultés de la population perdurent voire empirent.

Il faut passer d'une logique de réseau à une logique d'écoles d'éducation prioritaire, car un même secteur peut recéler des situations variées. Faisons confiance aux territoires pour mieux répartir les moyens !

Le dédoublement des classes de CP, CE1 et grande section est une réponse appréciable, mais certains enseignants pointent une perte d'autonomie des élèves. Sans compter la frustration de certains parents d'élèves qui voient leur enfant dans une classe de 28 élèves alors qu'à quelques kilomètres de là, ils ne sont que 12 par classe.

Nous n'avons pas parlé d'une catégorie d'élèves : les lycéens. Ceux qui habitent dans les zones rurales partent tôt le matin pour rentrer tard le soir. Peut-on parler d'égalité des chances alors qu'ils passent deux à trois heures par jour dans les transports ?

Mme le président.  - Il faut maintenant conclure. (M. Olivier Paccaud tente de poursuivre mais Mme le président coupe son micro.)

Mme Sabine Drexler .  - La politique d'éducation prioritaire, créée en 1981 pour donner plus à ceux qui ont le moins, devait faire réussir tous les élèves. C'est ce défi qui m'a donné, la même année, le goût d'enseigner, ce que j'ai fait jusqu'à l'an dernier dans un Rased.

Je connais la détresse des enseignants et des parents dans des zones rurales particulièrement défavorisées. Vers qui se tourner, lorsque la première antenne de soins médico-psycho-pédagogique se trouve à plus d'une heure de route et qu'il faut deux ans pour un rendez-vous ? La fracture est devenue béante entre l'école des villes et l'école des champs. L'éducation prioritaire a été calquée sur la politique de la ville, au détriment des territoires ruraux. L'école en milieu rural sert de variable d'ajustement à la politique de la ville depuis quarante ans. Ceux qui en font les frais sont les élèves vivant dans des territoires moins bien dotés en équipements culturels et socio-éducatifs.

Les professionnels sont épuisés ; ils n'ont pas les moyens de répondre aux problèmes.

Davantage de moyens humains sont nécessaires dans toutes les écoles, et pas seulement dans les zones dites sensibles, d'autant que les troubles du comportement explosent depuis une dizaine d'années.

La détresse scolaire porte en germes les détresses sociales de demain : rétablissons l'égalité à l'école, là où notre avenir, et pas seulement celui de nos enfants, se joue !

Mme le président.  - Je le répète une fois de plus : il faut respecter les temps de parole !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l'éducation prioritaire .  - Merci d'avoir organisé ce débat. Il me donne l'occasion de lever des doutes, en commençant par l'intitulé, la « réforme de l'éducation prioritaire ».

Or ce n'est pas une réforme, mais une expérimentation. Je ne touche pas à l'existant : les mots sont importants. Expérimenter, c'est simplement essayer quelque chose de nouveau.

M. Bargeton l'a rappelé, ce secrétariat d'État est une première et c'est loin d'être anecdotique : le Président de la République veut en effet donner à tous nos élèves un égal accès à la réussite.

Mon action n'est pas de casser, mais de renforcer, d'élargir les moyens et les dispositifs pour mieux accompagner élèves, familles et professeurs.

Je porte depuis toujours deux convictions fortes : la protection de l'enfance et la lutte contre les inégalités. Mes travaux parlementaires sur les violences sexuelles, le handicap ou les enfants aidants en témoignent. J'ai porté une proposition de loi, votée par le Sénat à l'unanimité, sur la prise en charge des cancers pédiatriques.

J'ai d'abord été cadre, puis auto-entrepreneur, puis professeur des écoles en éducation prioritaire. Je connais les difficultés de ces territoires et l'engagement sans faille de nos professeurs.

Depuis 2017, Jean-Michel Blanquer a réalisé le dédoublement des classes de CP et de CE1 ; nous dédoublons aussi les classes de grande section et réduisons les effectifs de toutes les autres classes à 24 élèves.

Citons aussi « devoirs faits », un vrai accompagnement pour nos élèves en difficultés et une mesure de justice sociale.

Mais il y a aussi des biais, que j'ai constatés lors de mes nombreux déplacements : bon nombre des élèves ruraux et de territoires enclavés - notamment en zones de montagne - ne peuvent bénéficier de cette aide aux devoirs parce qu'ils dépendent d'un transport scolaire. Nous y répondons par « devoirs faits à distance ». Dans ce contexte sanitaire, c'est important.

Il y a également les cités éducatives - monsieur Paccaud, j'en ai inauguré une récemment à Beauvais.

Madame de La Provôté, nous construisons de vraies alliances éducatives dans les territoires ruraux pour accompagner l'ensemble de nos élèves. Je pourrais citer les 240 internats d'excellence qui sont à l'étude pour accueillir 13 000 élèves supplémentaires, sans oublier les 20 000 élèves des « cordées de la réussite ».

Beaucoup de questions ont porté sur les CLA. Ils sont nés de mes constats, du rapport Azéma-Mathiot, celui de Salomé Berlioux, celui de la Cour des comptes. Ils montrent les effets de seuil du zonage qui laissent 70 % d'élèves défavorisés à l'écart des REP et REP+. Il existe une zone grise et des écoles orphelines.

Les lycées professionnels, grâce aux CLA, entreront dans les moyens de l'éducation prioritaire. Trop souvent celle-ci est perçue sous le prisme des quartiers prioritaires de la ville et des zones urbaines.

Ces constats m'ont déterminée à lancer cette expérimentation. Sans concertation ? Faux ! J'ai tenu une trentaine d'audiences avec les organisations syndicales. En outre, je travaille avec tous les élus. Cette expérimentation a été annoncée, travaillée, préparée avec eux.

Depuis novembre, nous avons installé un comité de pilotage avec trois académies expérimentatrices : Nantes, Lille et Aix-Marseille.

Le comité de pilotage national comprend mon secrétariat d'État, l'administration centrale et les académies. J'ai demandé à ces dernières d'être attentives aux écoles orphelines, aux lycées professionnels et aux territoires ruraux : ainsi, 172 établissements sont présélectionnés pour faire partie de cette expérimentation, qui ne touche pas au zonage existant, ni aux moyens alloués. Elle reçoit un budget spécifique dédié de 3,2 millions d'euros.

Avec plus de 2 milliards d'euros, les moyens de l'éducation prioritaire ont augmenté de 30 % depuis 2017. Le comité de pilotage se double, dans les académies, de comités de suivi incluant le personnel de l'Éducation nationale, les cadres et, j'y insiste, les élus.

Cette expérimentation rompt avec le zonage et la logique du tout ou rien pour mieux allouer les moyens, répartis en fonction des besoins réels : ici des crédits pédagogiques, là une diminution du nombre d'élèves par classe, ou encore un renforcement des fonds sociaux.

Une expérimentation ne vaut que si elle est évaluée. Nous élaborons un protocole. Selon vous, j'aurais annoncé une généralisation en 2022 ? En aucun cas ! L'expérimentation commence en septembre et, si cela est jugé nécessaire après évaluation, elle sera élargie à quelques autres académies en 2022, avec une ligne budgétaire dédiée dans le projet de loi de finances. Il y aura une trentaine de lycées professionnels et une trentaine d'établissements ruraux sur les 172 retenus pour l'expérimentation.

J'ai entendu que les outre-mer n'étaient pas concernés par l'expérimentation. Mais nous travaillons avec eux à un projet adapté à leurs particularités, l'éducation prioritaire y étant très présente.

Un rappel s'impose sur les fermetures de classes : comme s'y est engagé le Président de la République, pas de fermeture d'école sans accord du maire pour les communes de moins de 5 000 habitants ; pendant la crise du Covid, les fermetures de classes ont elles aussi été soumises à cet accord.

Malgré les 65 000 élèves en moins ces dernières années, nous n'avons cessé d'augmenter les moyens, plus spécifiquement dans le premier degré, afin de consolider les fondamentaux « lire, écrire, compter, respecter autrui ».

Les CLA sont la réponse à la différenciation que plusieurs d'entre vous réclament. L'éducation prioritaire reste une politique nationale ; nous laissons cependant une latitude aux académies, qui ont elles-mêmes élaboré la liste des 172 établissements.

Nos lycées professionnels recrutent beaucoup dans les REP, mais n'ont plus de moyens spécifiques car ils ont été exclus du champ de l'éducation prioritaire.

Je travaille à une restructuration de nos fonds sociaux, sous-consommés dans beaucoup d'établissements. Le taux de non-recours aux bourses reste trop élevé. Dès la fin de l'année scolaire, nos cadres solliciteront les familles en difficulté. Avec Olivier Dussopt, nous envisageons l'automatisation de la notification du droit à la bourse.

Trop d'élèves arrivent à l'école le ventre vide : ils étaient 250 000 à 300 000 il y a trois ans quand nous avons mis en place les petits-déjeuners. Avec Olivier Véran, nous réfléchissons à un nouveau mode de distribution dans les établissements.

Certains d'entre vous trouvent qu'un an pour les CLA, c'est trop court. Mais c'est le principe de l'expérimentation et du tâtonnement : l'évaluation dans un an vise à améliorer et ajuster le dispositif. Les contrats d'accompagnement sont conclus pour trois ans, et je ne sais pas encore si cette clause de revoyure sera nécessaire.

Il n'y a nul hasard, ni clientélisme : les établissements ont été choisis avec rigueur et méthode.

Je conclurai avec une citation de Pythagore : « Un homme n'est jamais si grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant ». C'est ce à quoi je m'emploie. (M. Julien Bargeton applaudit.)

La séance est suspendue à 20 h 30.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 22 heures.