Conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - Je suis ravi d'évoquer avec vous les principaux enjeux du Conseil européen des 24 et 25 juin. Lors de sa dernière réunion extraordinaire, les 24 et 25 mai, le Conseil avait abordé la gestion de la covid-19, la lutte contre le changement climatique, et des dossiers internationaux dont la Biélorussie, la Russie, le Mali et le Brexit.

Sur le plan sanitaire, la courbe de l'épidémie s'inverse mais la vigilance s'impose sur le suivi des nouveaux variants, à travers le séquençage, la protection, la cartographie européenne.

Les progrès de la vaccination sont une source de soulagement et de satisfaction. Quelque 300 millions de doses ont été livrées fin mai, 250 millions ont été administrées. Presque la moitié de la population européenne adulte a reçu une première dose : 52 % en France. La vaccination des 12-15 ans va pouvoir commencer, le vaccin Pfizer-BioNTech ayant été approuvé par l'Agence européenne du médicament (EMA). L'heure est à la levée progressive des restrictions et à la coordination européenne. Le pass sanitaire européen devrait être reconnu partout en Europe au 1er juillet, après un vote demain du Parlement européen.

Cependant, nous restons prudents : la réouverture des frontières sera progressive et ciblée sur les pays « verts », et des règles strictes seront maintenues vis-à-vis des pays « rouges ».

L'heure est à la solidarité internationale, un domaine dans lequel l'Europe a pu nourrir des reproches. Nos valeurs et engagements internationaux sont en jeu : l'objectif est de donner au moins 100 millions de doses aux pays qui en ont le plus besoin. La France et l'Allemagne se sont engagées sur un minimum de 30 millions.

Le Conseil européen a aussi évoqué le changement climatique. L'objectif de limitation des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici à 2030 sera difficile à tenir. Des mesures législatives seront présentées par la Commission le 14 juillet, pour une décision du Conseil européen en octobre.

Le cas biélorusse a également été évoqué, après le détournement spectaculaire et terrifiant du vol Ryanair entre deux capitales européennes. Des sanctions et des interdictions de survol ont été décidées. Le Brexit a été abordé à la demande de la France, préoccupée par la mise en oeuvre incomplète, pour le dire pudiquement, de l'accord par le Royaume-Uni. Le Conseil a affirmé la nécessité d'une application rapide et intégrale, notamment sur les sujets de la pêche et du protocole nord-irlandais.

Le Conseil européen ordinaire de juin portera sur la covid-19, la relance économique, la situation migratoire et les relations avec la Russie et la Turquie.

Concernant la covid, il est temps de tirer les conséquences de la gestion de la crise au niveau européen, notamment en matière de cartographie des variants et de coordination sanitaire. Globalement, la réaction a été tardive et insuffisante, car la compétence sanitaire européenne était inexistante au début de la crise.

Dans ce domaine, le Président de la République portera deux sujets prioritaires. D'abord, la création d'une agence sanitaire européenne chargée de financer l'innovation et la recherche médicale. La Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) a été un très grand avantage pour les États-Unis dans la réponse vaccinale. Le projet d'une Health Emergency Response Authority (HERA) européenne a été ébauché mais les financements pour sa préfiguration sont pour le moment très limités.

Nous avons également besoin de capacités renforcées pour suivre l'épidémie, alors que nous n'avons toujours pas de données harmonisées ni de cartographie commune. Nous en avons besoin pour définir, entre autres, des mesures de restriction à nos frontières.

Le Conseil européen abordera aussi la relance économique. Nous avons franchi une étape très importante avec la ratification par les 27 États membres, à la fin mai, de la décision sur les ressources propres votée en février par votre assemblée.

Dix mois se seront écoulés entre l'accord politique et la ratification finale ; cela peut sembler long, mais ce fut un temps démocratique européen, et le processus a été plus rapide que les fois précédentes.

Grâce à cette décision, la Commission a pu lancer le 1er juin l'émission d'une part de dette commune pour financer son plan de relance. La France attend 5 milliards d'euros pour le mois de juillet, premier versement sur un total de 40 milliards d'euros.

En matière migratoire, l'Europe ne fait pas face à des crises passagères mais à un phénomène durable. Nous l'avons vu récemment à Ceuta et avec la reprise des arrivées sur les côtes italiennes. Sur le Pacte sur la migration et l'asile, la Commission, dans sa proposition refondue présentée fin septembre, a trouvé un bon équilibre mais le consensus n'est pas encore là. La France et l'Italie y travaillent : sur la régulation des arrivées, les reconduites effectives, la solidarité européenne, il faut avancer pendant l'été.

Nous devons conjuguer responsabilité, solidarité et protection des frontières. Frontex, dirigée par un de nos compatriotes, monte en puissance ; mais nous ne pouvons pas demander d'efforts supplémentaires en matière de contrôle aux frontières à la Grèce, à l'Espagne ou à l'Italie sans leur garantir une solidarité européenne dans l'accueil ; or plusieurs pays y restent réticents.

Nous évoquerons aussi la Turquie, un sujet qui n'est pas sans lien avec le précédent. À la demande de la France, des sanctions ont été préparées en décembre et le dialogue s'est réengagé. Les signes positifs envoyés par la Turquie, comme le retrait de ses bateaux de Méditerranée orientale, ne suffisent cependant pas. La France a fait bouger les lignes par sa fermeté, mais un dialogue constructif ne sera possible que si la Turquie engage une véritable désescalade en Méditerranée, en Libye et en Asie centrale. Des comportements à visée interne comme le retrait de la Convention d'Istanbul ne contribuent pas à un dialogue apaisé.

Pas d'amélioration dans nos relations avec la Russie : le pouvoir russe est frappé d'un complexe obsidional. Comme le Président de la République l'a dit au mois de mai, notre approche est trop faible et insuffisamment engagée. Le dialogue politique reste limité ; nos sanctions n'ont pas produit d'effet, même s'il convient de les maintenir. Nous devons engager une discussion profonde, informelle, dans un équilibre entre dialogue et fermeté. Cela correspond à la stratégie bilatérale engagée par la France.

Je n'exclus pas que de nouveaux sujets s'invitent au Conseil mais si tel était le cas, je serais heureux de prolonger mes échanges avec la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Jean-Claude Requier et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comment aborder ce débat sans évoquer les suites du Brexit ? Le Royaume-Uni persiste à remettre en cause ses engagements, prolongeant jusqu'en octobre la dispense provisoire des contrôles sanitaires sur les produits agro-alimentaires entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. La Commission européenne a lancé le 15 mars une procédure d'infraction contre le Royaume-Uni qui a répondu le 14 mai. Londres fait dépendre le dossier de la marche des unionistes le 12 juillet. David Frost, négociateur en chef, déclare qu'il est difficile de considérer que le protocole nord-irlandais sera soutenable longtemps...

Pendant ce temps, nos pêcheurs souffrent : les conditions d'obtention de licences dans les îles anglo-normandes sont modifiées sans préavis, et les négociations sur les volumes capturables patinent. Le climat général est dégradé et la situation des expatriés européens au Royaume-Uni nous inquiète.

Nos partenaires britanniques ne semblent pas vouloir s'impliquer dans la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne ; ils sont sortis d'Althea et leur dernière revue stratégique ne fait mention que de l'OTAN. Comment faire pour éviter que ne se brise l'élan vers une sécurité européenne ?

L'OTAN justement, dont le sommet du 14 juin marquera le retour réel des États-Unis, avec la venue du président Biden à Bruxelles, ne semble pas décidée à sanctionner la Turquie. L'Union européenne est donc la seule structure collective capable de fermeté face à ce pays, qui ne reconnaît toujours pas le droit de la mer. Les récentes dénégations de son ministre des Affaires étrangères en visite à Paris ne masquent pas le nationalisme expansionniste de la Turquie, qui malmène les libertés et droits de la personne, tout en disant vouloir rejoindre l'Union européenne.

L'Union a bien fait de sanctionner les responsables dans l'affaire Navalny, mais l'option du dialogue doit rester sur la table pour ne pas pousser la Russie dans les bras de la Chine. Les États-Unis ne s'opposent plus à Nord Stream 2 ; il y a une ligne de crête à trouver entre la sanction des provocations et violations du droit international et la poursuite de relations diplomatiques étroites.

Dans sa réponse au détournement d'un avion civil par la Biélorussie, l'Union européenne a pris des sanctions qui vont dans le bon sens, mais il faut exiger la libération des deux prisonniers. Nous avons renforcé notre crédibilité grâce à une réaction ferme et rapide, mais la crédibilité se mesurera aussi aux effets de cette politique. Notre puissance économique doit servir nos intérêts stratégiques ; à cet égard, la proposition de fourniture de vaccins à la Biélorussie contre une relation plus coopérative va dans le bon sens.

Une politique internationale européenne ne sera pas opérante sans traduction concrète de notre politique de sécurité et de défense. Comment faire pour que nos partenaires s'investissent dans le projet de boussole stratégique européenne ? Quelle est la position du Gouvernement sur ces différents sujets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - Alors que notre pays, comme l'ensemble de l'Union européenne, retrouve un peu d'oxygène, la relance économique constituera un sujet majeur. On espère le bout du tunnel. La croissance européenne s'élèverait à 4,2 % pour 2021, 4,4 % en 2022 si la situation sanitaire s'améliore durablement.

Le Conseil européen sera l'occasion de faire le point sur le plan de relance européen. La ratification de la décision sur les ressources propres était une première étape pour la mise en oeuvre de la Facilité pour la reprise et la résilience. Notre commission, en la personne de notre collègue Jean-Marie Mizzon, en suivra attentivement le déploiement. L'entrée en vigueur le 1er juin est une étape importante, après que les craintes de la Hongrie, de l'Autriche et des Pays-Bas ont été levées. Le délai de mise en oeuvre a été respecté. Les premiers préfinancements pourront être versés aux États membres qui auront transmis leurs programmes nationaux de relance.

Monsieur le ministre, lors du débat préalable au précédent Conseil européen, je vous avais interrogé sur le dimensionnement de ce plan de relance. Selon M. Paolo Gentiloni, Commissaire européen à l'économie, il n'est peut-être pas suffisant, la crise sanitaire ayant été plus longue qu'anticipé. Doit-il être complété ? Si oui, selon quel calendrier ? L'échéance de 2023 semble trop tardive.

De plus, la mise en oeuvre du plan de relance n'épuise pas la question de son remboursement. Sans nouvelles ressources propres, celui-ci ne reposera que sur des contributions des États membres : cela représenterait 2,5 milliards d'euros par an pour la France, à partir de 2028.

Trois priorités sont affichées : la redevance numérique, l'ajustement carbone aux frontières et l'échange des quotas d'émission carbone.

La Commission européenne a formulé trois propositions de ressources propres : une redevance numérique, l'ajustement carbone aux frontières et un système d'échange de quotas d'émission. Comment le premier point s'articule-t-il avec l'accord obtenu au G7 sur la fiscalité internationale des entreprises, alors que certains États de l'Union européenne semblent réticents ? Dans la mise en oeuvre du mécanisme d'ajustement carbone, il conviendra d'être attentif aux conséquences pour nos entreprises importatrices de matières premières.

Enfin, le système d'échange de quotas repose sur un équilibre délicat dans les secteurs visés, pour articuler rendement budgétaire et incitation écologique sans peser excessivement sur nos entreprises. Quels secteurs d'activité seront ciblés dans le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La vigilance reste de mise à l'égard des variants, mais l'épidémie reflue. La moitié des Européens ont reçu leur première dose de vaccin et le pass sanitaire entrera en vigueur dans trois semaines. Mais le retour à la normale n'aura lieu que si le vaccin est disponible aux quatre coins du monde. L'Union européenne en prend sa part, elle qui exporte près de la moitié de ses vaccins et est le premier bailleur de l'initiative Covax.

Plutôt qu'une levée pure et simple des brevets, la Commission européenne a proposé d'utiliser les flexibilités de l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic) pour en faciliter l'accès aux pays les plus vulnérables, grâce à des licences obligatoires et une facilitation de la production des vaccins dans les pays en développement.

Le Président de la République a beaucoup tergiversé sur le sujet, puis annoncé qu'il se déterminerait à la fin de l'année. Mais quelle sera la position de la France dans quinze jours ?

L'adoption de la décision Ressources propres ouvre la voie à l'emprunt mutualisé sur lequel est fondé le plan de relance européen. Le parquet européen a commencé ses activités le 1er juin à Luxembourg. C'est une autre bonne nouvelle : il garantira le bon usage des milliards de l'Union européenne.

Mais je dois confesser plusieurs sujets d'inquiétude. Sur le délai d'application du plan de relance, d'abord. Nous avons voté fin avril : est-il réaliste de compter sur des versements dès fin juillet ?

Ensuite, le Conseil européen devrait conditionner le versement des fonds au respect de l'État de droit, mais Hongrie et Pologne contestent ce mécanisme devant la Cour de justice de l'Union européenne.

Or la Commission européenne n'a toujours pas fixé de lignes directrices pour la mise en oeuvre de ce mécanisme - alors que la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe déplorait récemment un recul de la liberté des médias en Slovénie, pays qui présidera le Conseil de l'Union européenne dès le 1er juillet prochain...

Le Conseil européen du 24 mai a rappelé que l'accord de commerce et de coopération en vigueur depuis le 1er mai constitue le cadre des nouvelles relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, avec l'accord de retrait signé en octobre 2019. Il s'est également penché sur les conditions de concurrence ; vous savez combien j'y suis sensible.

Il faut faire usage de toutes les mesures prévues par ces accords et continuer à dialoguer. Pouvons-nous compter sur la détermination du Gouvernement sur la pêche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Franck Menonville .  - La politique vaccinale s'est beaucoup accélérée et l'horizon se dégage. L'Union européenne prend toute sa part en matière de solidarité internationale ; c'est heureux, car la crise se réglera à l'échelle planétaire.

Sur le volet industriel piloté par le Commissaire européen Thierry Breton, l'accélération a été nette également. Après l'ouverture de la vaccination à tous les adultes, c'est la gestion des variants qui doit nous mobiliser. L'Union européenne se prépare-t-elle à une réaction rapide ? Qu'en est-il du certificat numérique ?

Le second volet de la crise est économique. Le plan de relance européen a enfin été ratifié par tous les États membres. Les premiers versements auront-ils lieu dès juillet ?

Je salue l'avancée historique réalisée au G7 finances avec l'instauration d'un taux d'imposition minimal de 15 % des multinationales ; c'est une mesure de justice, notamment au bénéfice des classes moyennes.

La crise nous a également interrogés sur nos dépendances. Nous devons être plus souverains, notamment en matière d'alimentation. La PAC est au coeur de cet enjeu. La défense des équilibres est primordiale, alors que le récent trilogue n'a pas débouché sur un accord. Il faut aboutir avant la fin juin. La position définie par le Conseil des ministres, notamment sur les écorégimes, est satisfaisante : 25 % serait un seuil souhaitable.

La Commission européenne a proposé de nouveaux renforcements des contrôles aux frontières européennes pour éviter des contrôles intra-européens. L'agence Frontex est de plus en plus critiquée. Quelle est la position française sur la révision de Schengen, et comment faire le lien avec la réforme de l'asile ?

Roumanie, Bulgarie et Croatie devraient-ils faire partie de l'espace Schengen ? La Commission a demandé au Conseil européen de se prononcer sur la question.

La politique migratoire est difficile à 27. Les terribles images de Ceuta montrent que l'Union européenne ne peut plus la sous-traiter à ses voisins : l'expérience turque nous l'avait déjà enseigné.

Le dirigeant actuel de la Turquie ne peut être considéré comme un allié. Alors que l'instrument d'aide de pré-adhésion va être versé, quelle est la position française ? L'entrée de la Turquie n'est ni souhaitable ni envisageable. Sa situation au sein de l'OTAN interroge également.

À sa prise de poste, Ursula von der Leyen déclarait vouloir « une Commission géopolitique » ; depuis, les crises ont montré nos difficultés à parler d'une seule voix. L'Union européenne doit renforcer son poids politique et diplomatique dans le monde. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

M. Jacques Fernique .  - Peut-on se laisser entraîner par la petite musique française dans le concert européen ? L'Europe aurait changé de logiciel : la jungle néolibérale, les contraintes du pacte de sécurité et de croissance, l'obsession austéritaire, c'était avant ! Place à l'Europe sociale, au Pacte vert, aux investissements dans la transition à venir avec des ressources propres et un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Cap sur la justice fiscale avec l'avancée historique qu'est le taux minimal de 15 % d'imposition des multinationales. Comme nous aimerions que se déroule ce beau tapis vert, sous l'impulsion de la France ! Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas tout à fait convaincus.

La décision sur les ressources propres a fini par être adoptée, mais avance-t-on au rythme programmé ? La proposition prévue pour le mois de juin a été repoussée. La taxation sur les entreprises a spectaculairement avancé... mais sur l'impulsion du président Biden. Quelle leçon ! Encore voulait-il 21 %... Qui a freiné, qui a fait une contre-proposition à 12,5 % ? Non : notre pays n'a pas joué un rôle moteur contre le moins-disant fiscal. L'Union européenne ne peut accepter des modèles économiques fondés sur le dumping fiscal, déclare Bruno Le Maire : mais ses actions sapent ces ambitions déclarées.

Pourquoi un tel écart sur l'ajustement carbone aux frontières, sur la taxe sur les transactions financières ? L'ajustement ne sera-t-il pas dénaturé si la ligne française consistant à défendre des quotas gratuits pour les entreprises les plus polluantes l'emporte ? De même, la directive Transparence ne sera efficace que si l'on peut identifier les lacunes du système ; or vous proposez une clause de sauvegarde permettant de garder secrètes des informations comptables de base pendant cinq ans...

Le paquet Climat est attendu, pour faire entrer dans la législation européenne l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030.

Mais la France, pays garant de l'accord, tient-elle son rang de leader ? Notre loi Climat ne saurait être autant en deçà de l'objectif des moins 55 % d'émissions : notre Gouvernement doit se reprendre.

M. André Gattolin .  - Adoncques, le compte à rebours est commencé. Dans six mois et pour six mois, la France présidera l'Union européenne, un moment devenu rare au fil des élargissements successifs - notre dernière présidence remonte à treize ans.

Une présidence du Conseil européen est l'occasion de promouvoir de grands desseins. La limitation à deux quinquennats interdit arithmétiquement à un président français d'exercer deux fois cette présidence ; Angela Merkel est la seule dirigeante européenne à l'avoir fait depuis 2004. Viktor Orban pourrait aussi y arriver s'il est réélu en 2022 - on frémit à cette perspective !

Quand on connaît le temps de négociation des accords et de ratification, six mois de présidence sont bien courts, donc très intenses. Leur succès dépend de la préparation en amont, de l'aboutissement de projets précédemment engagés et de la capacité à articuler des réponses nouvelles sur des questions trop peu traitées.

Vaccination, nouveaux variants, libre circulation seront à l'ordre du jour du Conseil des 24 et 25 juin - avec la relance économique, sujet étroitement lié aux précédents.

Ces dernières semaines ont apporté leur lot de bonnes nouvelles. La pandémie semble enfin régresser significativement dans toute l'Europe. Le pass sanitaire permettra à l'industrie touristique de repartir, et l'on enregistre déjà un frémissement dans plusieurs pays, dont la France.

Dans une décision historique, le G7 a enfin décidé une fiscalité minimale des multinationales et une meilleure répartition de la valeur entre les territoires. C'est une réponse importante à la question du remboursement de la dette publique covid.

Des incertitudes continuent cependant de peser. Le plan de relance européen et les plans de relance nationaux ont été conçus au second semestre 2020. La Commission européenne envisageait alors une reprise de 6 à 7 % en 2021. Mais avec les rebonds épidémiques et les nouveaux variants, ne faut-il pas prévoir un second plan de relance ? Les réticences de certains pays ne risquent-elles pas d'être redoublées ?

Le vaccin est un enjeu colossal pour les pays en voie de développement, notamment l'Afrique. Si nous échouons à être solidaires, ne risquons-nous pas des vagues renforcées de migration ? Nos politiques de régulation migratoire ne sont plus adaptées aux enjeux. Trouverons-nous un accord sur une réforme de Schengen avant la prochaine crise migratoire ?

L'Union européenne est confrontée à des voisins agressifs et inquiétants : Russie, Turquie, Bélarus... Et que dire de la Chine, qui se comporte non plus en partenaire mais en rival systémique ? L'ordre du jour de ce Conseil européen n'est donc, cette fois, ni à rebours de l'actualité, ni hors sol. Nous devons revoir nos relations avec la Fédération de Russie. Nous craignons que les élections législatives prévues à l'automne dans ce pays ne soient ni libres, ni équitables. Or les approches ne convergent pas. Les États membres pourront-ils accorder leurs violons avant les élections allemandes et les longues négociations qui suivront pour la formation d'une coalition ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.) Depuis quelques semaines, les États membres sont entrés dans une nouvelle ère, celle du possible retour à une vie normale.

La stratégie vaccinale ne fonctionne pas si mal, même si la vigilance reste de mise. Les difficultés sanitaires que traverse l'Asie, érigée en modèle au début de la crise, montrent qu'une certaine humilité et une certaine retenue dans la critique des politiques publiques s'imposent.

Comment aborder l'avenir ? La Commission européenne a proposé une révision des restrictions sur les déplacements grâce au certificat sanitaire. Le RDSE a déjà affirmé son soutien à ce dispositif, à la condition qu'il ne soit ni un facteur de discrimination ni un biais pour la captation de données.

La pandémie sera jugulée quand 70 % de la population sera vaccinée. Mais seuls 2,1 % des Africains ont reçu au moins une dose. C'est bien trop peu. Le partage des brevets ne serait pas tabou, dit-on au Gouvernement, mais la sémantique est ambiguë : ce n'est ni une opposition, ni une approbation claire. La Commission européenne a, elle, proposé d'utiliser les flexibilités de l'Adpic, avec des licences obligatoires.

Il faut également préparer le monde d'après, avec le retour à une croissance économique durable. Nous devons engager rapidement les fonds européens, à condition d'engager des réformes structurelles. Au nom de la solidarité entre les générations, est-ce bien le moment d'engager une réforme des retraites ?

La Commission européenne demande également des investissements dans six domaines, dont la transition écologique. Or dans la nouvelle PAC, certaines mesures vont directement à l'encontre du développement durable. Ainsi les aides de l'agriculture biologique sont menacées, tandis que l'objectif de 15 % de surface agricole utile en bio ne sera pas atteint. Le verdissement de l'agriculture n'est pas négociable.

La France a souvent défendu la lutte antidumping, mais le taux minimal de 15 % pour la taxation des multinationales décidé par le G7 est-il suffisant ? Probablement pas.

Le pacte de stabilité et de croissance a été suspendu jusqu'en 2023. C'est une bonne chose, mais nous devrons en rediscuter les règles à la lumière de la crise sanitaire. Ne faudrait-il pas plutôt un second plan de relance, comme le préconise le Commissaire européen Gentiloni ? Comment ce plan s'articulerait-il avec la stratégie industrielle de la Commission européenne ?

L'Europe ne devrait-elle pas relancer l'Union pour la Méditerranée et renforcer les liens avec l'Afrique ? Le Maroc et la Turquie ont les mains libres pour exercer un véritable chantage migratoire, parce que l'Europe n'a pas su se doter d'une politique consolidée. L'externalisation trouve ses limites, et le renforcement de Frontex n'est pas une réponse suffisante. Il faudra trouver des mécanismes permanents et solidaires.

Le ministre des affaires étrangères a évoqué devant le Sénat, lors de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire, la « diplomatie des valeurs » de la France. Il faut l'encourager pour aller vers un monde plus solidaire à tous les niveaux, sanitaire et économique. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Pierre Laurent .  - J'évoquerai quatre sujets à l'agenda du Conseil européen.

À la veille de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la Commission européenne a annoncé qu'elle ne soutiendrait pas la levée des brevets sur les vaccins. Les 36 millions d'euros dépensés en lobbying par les laboratoires ne l'auront pas été en pure perte...

Alors que le développement des vaccins a été principalement financé par les États et que la pandémie a fait 3,5 millions de victimes dans le monde, la pénurie de vaccins menace la sortie de crise. Sous prétexte de protéger la propriété industrielle, l'Union européenne protège les profits !

Sur 1,9 milliard de doses injectées, seules 0,3 % l'ont été dans les 29 pays les plus pauvres - qui comptent 9 % de la population mondiale.

Une coopération européenne et le développement d'un pôle public du médicament sont nécessaires pour promouvoir le vaccin comme bien commun mondial, au lieu de la logique de charité au compte-gouttes que nous pratiquons aujourd'hui.

Sur la fiscalité minimale au niveau mondial, j'entends un concert de louanges. Je suis circonspect. Bruno Le Maire parle d'un accord historique, mais réclamait un taux bien supérieur... Gabriel Zucman, qui vient de créer l'Observatoire européen de la fiscalité, parle d'une avancée dérisoire.

Rien ne garantit la fin des paradis fiscaux. C'est plutôt l'officialisation du dumping pour les multinationales pourtant les moins vertueuses en termes sociaux et environnementaux.

L'inégalité fiscale avec les autres entreprises est ainsi légalisée !

Et l'optimisation va continuer - comptez sur Amazon et consorts...

Comment la France peut-elle se réjouir d'un tel accord, qui ne lui rapporterait que 4 petits milliards d'euros, au lieu des 510 milliards - dont 26 pour la France - qu'aurait fourni à l'Union européenne un taux minimal à 25 % ?

Le pacte européen sur l'asile est marqué par l'aveuglement et l'inhumanité. Il se fonde davantage encore sur une approche sécuritaire, au détriment de l'accueil. On dépense des millions pour construire des barrières. Pour la première fois, des dérogations aux règles de l'asile sont prévues. L'Europe foule aux pieds ses propres valeurs et ne sait plus penser son rapport au monde. Elle le paiera cher politiquement.

S'agissant enfin des rapports avec la Turquie, où la répression antidémocratique s'accentue, plus violente que jamais, que signifie le titre du Figaro de ce matin : « Paris et Ankara jouent la carte de l'apaisement » ?

La Turquie cherche-t-elle à obtenir le silence de l'Europe sur une nouvelle offensive en territoire kurde ? Que s'est-il négocié à Paris hier ? Nous devons défendre les démocrates de Turquie et nos alliés kurdes. Pour ma part, le 14 juin, je me rendrai à Erbil pour réaffirmer notre solidarité.

M. Pierre Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les députés européens sont de retour à Strasbourg pour la session de juin : c'est une bonne nouvelle !

Le plan de relance de 750 milliards d'euros est une première en matière de solidarité européenne. Ce plan comprendra 15 milliards d'euros pour le développement rural. Quel montant sera alloué à la France ?

Je plaide pour une harmonisation de la fiscalité européenne. Le taux d'imposition mondial des Gafam est une avancée, mais l'Europe doit progresser urgemment vers une fiscalité commune. Il y va de notre compétitivité et de notre indépendance commerciale et industrielle. Il faut aussi travailler à relocaliser nos industries pour conforter l'indépendance de l'économie européenne.

La refonte annoncée du code Schengen d'ici la fin de l'année doit être l'occasion d'une harmonisation des règles de circulation à l'échelle européenne.

Sur le fait sanitaire, les voyageurs intra-européens vaccinés devraient être exemptés de quarantaine.

L'Union européenne a mis en place un mécanisme d'aide à la Turquie de 15 milliards d'euros, conditionné au respect de l'État de droit. Est-il légitime de conclure un accord avec M. Erdogan, dont les agissements sont inacceptables ? Il multiplie répressions d'opposants et provocations à l'égard de l'Europe et de la France.

L'arrestation récente au Kenya par les services turcs du neveu de Fethullah Gülen, opposant majeur au régime, a déclenché peu de réactions, ce qui nourrit le sentiment d'impunité.

Pour se faire respecter, l'Europe doit devenir une puissance militaire.

(Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. André Gattolin applaudit également.)

Mme Laurence Harribey .  - Le denier Conseil européen de la présidence portugaise s'inscrit dans un contexte de sortie de crise sanitaire. L'Union européenne est à la croisée des chemins, même si on dit cela depuis des décennies... (Sourires)

La crise sanitaire a fait bouger les lignes, avec le plan de relance fondé sur un emprunt mutualisé, la suspension des règles budgétaires et le soutien au chômage partiel.

Même si l'Union européenne n'a qu'une compétence d'appui, notre capacité à élaborer une stratégie commune contre l'épidémie s'est renforcée avec les contrats d'achats groupés et les accords pour la répartition des vaccins.

À la faveur de la crise, tous les États membres, même ceux dits « frugaux », ont compris que nos destins étaient liés. La présidence portugaise a fait de l'Europe sociale le coeur de sa feuille de route. De fait, une réorientation de la croissance est nécessaire vers les transitions écologique et numérique. Les conséquences doivent être anticipées, notamment en matière d'emploi. Nous regrettons l'absence d'un fonds spécifiquement consacré aux mesures sociales.

Paolo Gentiloni préconise une révision des règles budgétaires pour mettre la croissance et non le niveau de la dette au coeur de notre politique. Pourtant, la proposition de la Commission ressemble au semestre européen classique, avec des conditionnalités inopportunes. En France, certains membres du Gouvernement annoncent même des restrictions budgétaires pour l'après-crise sanitaire : l'heure est-elle venue du remboursement de la dette « quoi qu'il en coûte » ?

Nous pensons que la solution passe par une harmonisation fiscale en Europe. Nous saluons l'avancée du G7, mais nous craignons qu'un accord ne puisse être trouvé à 27 dans l'Union européenne...sauf s'il reste un voeu pieux. Une coopération renforcée serait un bon levier.

Les conclusions sur le paquet Climat restent très vagues. Les négociations de la PAC sont en échec sur la répartition de l'effort. Les baisses de financements pour la filière bio en France sont graves et incohérentes.

Une véritable stratégie industrielle européenne, annoncée depuis mars, est toujours à construire, même si le projet HERA va dans le bon sens. Il y faudra des investissements d'avenir, ce qui pose la question d'un deuxième plan de relance et de la pérennisation de l'emprunt commun.

Le Conseil des Affaires étrangères du 20 mai dernier a achoppé sur trois points essentiels : l'équilibre entre ouverture des marchés et protection des entreprises européennes, le respect de l'accord de Paris comme clause essentielle des accords de libre-échange et l'accord commercial avec le Mercosur. Sur ce point, alors que les négociations sont closes, comment obtenir des garanties contre la déforestation par exemple ?

Dernier point de vigilance : le respect de l'État de droit. L'Union européenne peine à prendre des positions communes. Si elle a conquis la paix, elle n'a pas la puissance : elle réagit aux événements au lieu de construire une stratégie. C'est le cas avec la Biélorussie et la Russie - face à cette dernière, on en reste aux condamnations incantatoires. Les relations avec le Royaume-Uni se dégradent, ce qui nous inquiète.

Sur les migrations et l'asile, l'approche sécuritaire est une régression en matière de respect des droits fondamentaux. La question des flux migratoires à long terme n'est pas du tout résolue. La dernière initiative danoise montre tout le cynisme dont on peut faire preuve. Il y a urgence à agir et à réformer Frontex, étrillée par la Cour des comptes. Le Parlement européen a avancé des propositions : mécanisme européen de sauvetage en mer et décriminalisation de l'assistance humanitaire - la non-assistance à personne en danger est un crime, pas un outil de gestion des frontières !

Urgence sociale, réorientation économique stratégique et affirmation des fondements de l'État de droit : l'avenir européen reste à forger. Nous aimerions que la France joue un rôle efficace en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. André Gattolin et François Patriat applaudissent également.)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les déplacements au sein de l'Union européenne sont un sujet essentiel à l'ordre du jour du Conseil européen. Un certificat dit « vert » a été mis en place. Les Européens qui en disposent pourront circuler sur le territoire européen. La vaccination ne sera pas obligatoire pour voyager : je salue cet arbitrage équilibré.

La protection des données sera bien assurée, mais la question de la gratuité des tests se pose, certains pays les réservant aux personnes présentant des symptômes. Les plus défavorisés risquent de ne pas jouir pleinement de leur liberté de circulation.

En territoire frontalier, la règle des bassins de vie est une réussite, notamment pour les travailleurs transfrontaliers. Son maintien est essentiel. Elle devrait même être étendue au-delà de 30 kilomètres.

Dans les 278 communes de la Haute-Savoie sauf une, il y a des travailleurs frontaliers... La règle du bassin de vie devrait être appliquée à tous les départements ayant une frontière avec un État étranger. La Suisse semble y être favorable. L'été dernier, cela s'était fait sans difficultés.

La réforme de l'espace Schengen vise à en combler les lacunes. La situation est bloquée depuis l'échec de la réforme de 2017. La Commission européenne doit en tirer les leçons.

L'interopérabilité doit être mise en oeuvre rapidement. Nous devons avoir plus d'efficacité, pour ne pas avoir à rétablir des contrôles internes.

La situation migratoire est de plus en plus problématique depuis l'échec du pacte Asile en 2016. Je suis pessimiste. Il y a peu de chances qu'un accord soit conclu avant la présidence française en 2022, malgré la volonté des Portugais.

Si les partenariats externes ne sont pas à fustiger, ils ont leurs limites. Monsieur le ministre, la voie d'un accord interne est-elle abandonnée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La décision de l'Union européenne de mettre en oeuvre un plan de relance a redonné confiance en la construction européenne. Les conditions de ratification laborieuses nous ont cependant laissés perplexes.

Je salue la ratification par les deux derniers pays, l'Autriche et la Pologne, le 27 mai.

Monsieur le ministre, comment le déploiement du plan de relance dans notre pays fonctionnera-t-il ? Il s'agira d'éviter les superpositions de programmes entre les différents fonds européens.

L'expérience du Sénat et des élus locaux sur les déploiements de financements européens est assez négative. Quelle sera la capacité des pays à assouplir les dispositifs ?

Le projet de fiscalité mondiale est une évolution significative. Il ne faut pas que ces recettes nouvelles soient comptées deux fois : si elles sont utilisées pour le remboursement du plan de relance, elles ne pourront pas bénéficier aux États !

Le passeport sanitaire européen ne doit pas être confondu avec le pass français qui s'arrêtera au 30 septembre - le Parlement y compte bien...

Comment les réciprocités d'accueil se négocient-elles ? Est-ce au niveau national ou européen ? Cela va au-delà du tourisme.

J'insiste sur les sanctions vis-à-vis de la Biélorussie. Je ne partage pas vos propos sur la réactivité de l'Union. Dire que l'on n'accueille pas les avions biélorusses ne suffit pas. Des sanctions réelles sont nécessairement économiques. La situation des droits de l'homme est dramatique en Biélorussie. De plus, détourner un avion irlandais allant d'Athènes à Vilnius viole gravement la souveraineté européenne.

Il est difficile de comprendre les réformes de Frontex : est-ce un formidable outil ou une agence masquant l'incapacité européenne ? Les critiques de la Cour des comptes à son encontre sont-elles justifiées ? Qu'en pense le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec René-Paul Savary et Véronique Guillotin, nous avons publié un rapport de la délégation à la prospective sur l'usage du numérique pour atténuer les effets de la crise sanitaire.

Le passeport sanitaire - à ne pas confondre avec le pass sanitaire français, est moins complexe que le contact tracing : il reprend le principe du carnet de vaccination en garantissant un haut niveau de fiabilité.

Le 17 mars 2021, la Commission européenne a présenté son propre projet de pass, adopté au Parlement européen le 29 avril. La France, qui y était opposée, a été la première à proposer un système équivalent !

France, Allemagne ou Pays-Bas ont exprimé des réserves liées aux droits et libertés, tandis que les pays très dépendants du tourisme comme la Grèce, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal ont plaidé pour le certificat « vert » européen. La Grèce a pris les devants en signant un accord bilatéral avec Israël.

Le projet de portail européen permettant d'assurer la cohérence des pass nationaux entre eux a été confié à deux entreprises allemandes qui ont déjà développé l'application de contact tracing d'outre-Rhin, Corona-Warn-App - laquelle est compatible avec toutes les applications européennes, sauf... TousAntiCovid !

La France est-elle prête à adopter la solution technologique européenne ? Le protocole souverain Robert (ROBust and privacy-presERving proximity Tracing) n'est pas interopérable. Cette spécificité n'a pas aidé à déterminer les chaînes de contamination... Les smartphones sont les mêmes partout en Europe, et il est difficilement justifiable de refuser d'en tirer profit.

La Commission européenne affirme que le certificat vert est temporaire et sera suspendu dès que l'OMS aura levé l'alerte. Pourquoi ne pas le garder à l'état de veille ? C'est une solution pour remplacer les carnets de vaccination et le certificat jaune pour la fièvre jaune ; cela fluidifie le parcours des voyageurs.

La Chine a annoncé qu'elle se dotait d'un passeport sanitaire pérenne. Bien sûr, si ce certificat devait devenir indispensable aux voyages au même titre que les documents d'identité, il faudrait approfondir la question des droits et libertés des voyageurs.

Comme je l'ai signalé dans mon rapport pour avis sur le projet de loi Climat devant la commission des finances, près de 44 % des quotas sont alloués gratuitement dans le domaine de l'aérien. Ne faudrait-il pas une réflexion d'ensemble avec nos partenaires européens sur cette question pour que, conformément à l'article 35 du projet de loi Climat, le transport aérien s'acquitte d'un prix du carbone suffisant ?

La révision à la baisse du budget de la recherche pour financer la relance pèse sur le plan Horizon Europe, qui passe de 150 milliards d'euros prévus en 2017 à 95 milliards d'euros. L'Europe donne l'impression d'être en retard sur les États-Unis, qui ont massivement investi dans les semi-conducteurs. Emmanuel Macron et Mario Draghi ont plaidé pour plus d'investissement, propos répétés par le ministre de l'économie devant notre commission. C'est seulement par l'innovation que nous parviendrons à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Présidente du groupe d'amitié France-Liban, je souhaiterais savoir si le Liban, bloqué politiquement, sera évoqué au Conseil européen. Seule la France sanctionne des personnalités responsables de cette situation. La question a été évoquée au Conseil affaires étrangères du 10 mai. Le sera-t-elle à nouveau ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vais vous parler de la politique agricole commune (PAC), apparemment sans rapports avec le sujet - et pourtant, elle pourrait conditionner des migrations venant perturber nos territoires ; elle est également cruciale pour notre souveraineté alimentaire.

Le 17 juillet 2017, dans son discours de la Sorbonne, le Président de la République avait appelé à ce que le budget européen se consacre à de nouvelles politiques. Mais pour cela, il fallait bien sûr que le budget des politiques existantes diminue.

C'est ce qui est arrivé : le budget de la PAC a baissé de 9 % en euros constants entre les périodes 2014-2021 et 2021-2027 - même si en euros courants, on peut chercher à se consoler.... Cela s'est bel et bien traduit dans les exploitations par une réduction des aides et une hausse des charges. La baisse n'a fait qu'en prolonger une autre, de même ampleur, pour la période précédente : en quatorze ans, les aides de la PAC auront reculé de plus de 18 %.

Le Président de la République avait aussi annoncé que grâce à la subsidiarité, la politique agricole commune deviendrait de moins en moins commune. En France, le transfert du premier pilier sera limité à 7,53 % - c'est une bonne chose. Mais attention : la Pologne transfère 25 % du second pilier vers le premier, renforçant ainsi sa compétitivité au détriment de l'écologie, pour inonder nos marchés de ses produits.

Nous pouvons nous féliciter du maintien de l'indemnité compensatoire du handicap naturel (ICHN) à 1,1 milliard d'euros, mais la Commission fait passer le taux de cofinancement de 75 à 65 %, ce qui nous oblige à débourser 108 millions d'euros de plus.

Le chaos des discussions d'il y a quelques jours montre que tous les pays ne sont pas alignés. Je soutiens la position du ministre de l'Agriculture, avec une convergence à 85 % : nous ne pouvons monter à 100 % aussi rapidement. Je maintiens aussi qu'il faut une limite à 30 % des pertes : les exploitations ne peuvent supporter une différence aussi forte en aussi peu de temps. Il faut un accord du trilogue sur les écorégimes. La meilleure politique fixerait des écorégimes à 25 %, certainement pas une progressivité entre 22 et 30 %. Soyons clairs !

On ne peut pas accepter que les fonds inutilisés pour les écorégimes - en grande partie parce que les contraintes sont trop fortes chez nous - repartent de France. Nous avons besoin d'une forme de fongibilité, au profit par exemple des droits à paiement unique (DPU).

Le couplage des aides doit être respecté, en particulier le « 13 + 2 » : 2 % pour les protéines. L'Union européenne ne peut imposer un autre diktat, qui aurait des conséquences graves sur l'élevage allaitant. Les mélanges graminées-protéines font la force de notre agriculture de montagne et de notre agriculture de l'herbe en général.

Nous n'acceptons pas que la reconnaissance de l'ICHN en reste à 40 % du second pilier. Elle doit bien sûr monter à 60 %, afin de promouvoir les élevages extensifs qui font la beauté de la France.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Laurent Duplomb.  - Un quart du premier pilier sera verdi. On ne peut pas modifier tous les jours cette donnée pour satisfaire telle ou telle ONG ! (M. Stéphane Piednoir renchérit.) N'essayons pas de courir derrière quelque chose qu'on ne peut pas attraper. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Arnaud Bazin .  - Les Balkans occidentaux ne devraient pas figurer à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. Pourtant, ils le mériteraient. C'est une région stratégique au coeur de l'Europe. Elle a été la principale porte d'entrée migratoire en 2015. Elle connaît encore de fortes tensions, que les propositions de modifications de frontières ne peuvent que raviver. « Cet espace produit plus d'histoire qu'il ne peut en consommer », avait dit Churchill. L'Union européenne y perd de son influence au profit de puissances comme la Russie, la Turquie et la Chine, qui y voient une porte d'entrée en Europe. L'Union ne parle malheureusement pas d'une seule voix sur ce sujet.

Ainsi, l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie reste bloquée à cause du veto de la Bulgarie, en raison d'un différend portant sur la langue macédonienne.

Si des négociations d'adhésion ont été ouvertes avec la Serbie et le Monténégro, la Commission a relevé un manque de progrès, voire des reculs, sur le respect de l'État de droit, la liberté de la presse ou l'indépendance de la justice.

En Bosnie-Herzégovine, le système institutionnel issu des accords de Dayton est paralysé.

La corruption, endémique dans ces pays, ouvre la voie à tous les trafics. La jeunesse ne rêve que de s'exiler en Europe et la région subit une grave crise démographique.

La stratégie de l'Union européenne à l'égard des Balkans ne peut donc se résumer à l'élargissement. Face à la Russie, la Chine et la Turquie, elle doit faire entendre sa voix pour défendre les valeurs de la démocratie mais aussi ses intérêts économiques et énergétiques.

Monsieur le ministre, quelle est la stratégie européenne et française dans les Balkans occidentaux ? Quelle est la position de la France sur l'adhésion de la Macédoine du Nord et de l'Albanie ? Comment renforcer l'influence française dans cette région ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - Oui, nous sommes prêts à envisager des mesures de rétorsion - de compensation, comme on dit pudiquement - pour le Brexit. L'Union échange avec le ministre britannique sur cette question. L'accord de commerce et de coopération a été ratifié, ce qui nous permet d'appliquer de telles sanctions - notamment sur la pêche ou le protocole nord-irlandais.

Après dix mois de négociations, nous avons un plan de relance. J'avais annoncé une ratification pour la fin mai ; nous y sommes. Le décaissement commence ce mois-ci, et les versements suivront dès juillet pour la France comme pour les autres pays.

Le plan national de relance et de résilience devra être soumis à la Commission européenne, qui rendra un avis entre le 15 et le 20 juin.

La France recevra plus de 40 milliards d'euros. Ne débattons pas à nouveau du plan de relance, alors que nous devons investir !

Nous avons mis en place des mesures d'urgence, comme le chômage partiel ou les prêts garantis par l'État, mais nous devons accroître nos investissements dans les technologies d'avenir afin de ne pas décrocher par rapport aux États-Unis. Il faudra un nouvel accord franco-allemand, à négocier avec les autorités allemandes issues des élections de septembre.

Comment encadrer les finances publiques dans une zone budgétaire commune tout en garantissant la soutenabilité de notre dette ? Les discussions sur les capacités d'investissement et les règles budgétaires communes font partie du même débat. La présidence française devra s'y atteler.

Il y aura des propositions législatives sur les ressources propres dès cet été, notamment sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la taxe numérique.

Oui, le débat sur la taxe numérique devra évoluer, car il a changé de nature. L'imposition minimale que nous prônions a été évoquée par les États-Unis lors du G7. Il faudra ensuite inscrire ces principes internationaux dans les textes législatifs européens et nationaux.

Si un accord international est conclu, nous veillerons à ce que la position européenne y soit conforme. Le débat sur les ressources propres de l'Union européenne dépassera donc le seul sujet du numérique.

Oui, le plan de relance est conditionné au respect de l'État de droit. La Commission, sans attendre la finalisation des lignes directrices - dont l'élaboration doit s'accélérer - ni la décision de la Cour de Justice de l'Union européenne, a commencé à instruire les premières dépenses du plan de relance.

Depuis le 1er janvier 2021, les fonds européens sont soumis à ce mécanisme de vérification de l'État de droit. Il n'y aura donc pas d'impunité.

Au-delà des polémiques, c'est bien l'Europe qui a oeuvré depuis un an pour que la notion de bien public mondial s'applique aux vaccins et se traduise dans les faits : à court terme, cela implique de livrer des doses de vaccins aux pays qui en ont besoin, avant d'envisager la levée des brevets. Il y va de la solidarité à l'égard de ces pays.

Pour vacciner les soignants africains, il faut lever les interdictions d'export. J'appelle les Américains à en faire de même. Nous avons amorcé la pompe de la solidarité avec les mécanismes Covax. Nous appelons aussi à des transferts de technologie et à un accroissement des capacités de production. Nous soutenons les initiatives en ce sens en Afrique du Sud et au Sénégal.

Il faut que les laboratoires puissent vendre leurs licences d'exploitation, comme cela se fait déjà pour le VIH.

Le Président l'a affirmé : aucune règle de propriété intellectuelle ne fera obstacle au déploiement des vaccins mais cela prendra au moins six mois, comme l'a reconnu la Secrétaire d'État américaine au commerce. En attendant, il faut lever les interdictions d'exportation.

Espérons ensuite que la levée des brevets suive. Contrairement à d'autres pays européens, nous n'y sommes pas hostiles.

Non, nous n'avons pas sacrifié le budget de la PAC ! Le débat sur les euros courants ou constants n'a pas lieu d'être : l'agriculteur reçoit des euros courants. La baisse évoquée de 9 % repose sur une inflation surestimée... Aurions-nous pu aller plus loin ? La Commission européenne avait prévu une réduction de 15 milliards d'euros. Nous avons sauvé la PAC en euros courants, lorsqu'on y ajoute le plan de relance pour le deuxième pilier. La France a su conserver les paiements directs à nos agriculteurs.

Fixer des règles européennes communes aux écorégimes est important, mais il faut surtout qu'elles soient obligatoires, pour éviter des distorsions de concurrence au sein même de l'Union.

Je ne puis laisser dire que l'Europe a été à la traîne sur la fiscalité internationale. C'est d'abord la France et l'Allemagne qui ont introduit à l'OCDE les deux piliers, imposition minimale et taxation des multinationales. Les États-Unis avaient fermé le verrou avant d'ouvrir la porte. Nous envisagions un taux d'imposition de 12,5 % auparavant, ce qui semblait chimérique avec la précédente administration américaine. Il est de notre intérêt de porter cette réforme le plus haut possible.

Le pass sanitaire français et le pass européen reposent sur des bases juridiques différentes. Le pass français, adopté par une loi, a une durée de vie limitée au 30 septembre ; le pass européen a pour base un règlement européen d'application directe.

Mais le code est le même. Dès le 21 juin, le format français sera converti en format européen.

Le pass européen se prolongera jusqu'à l'été 2022. Il sera peut-être encore utile par la suite, mais le prolonger exigera un nouveau vote du Parlement européen.

Il n'y a pas de cible sociale stricto sensu dans le plan européen - il y a, en revanche, des cibles environnementales et numériques. Mais la part sociale est importante dans les plans nationaux. Je pense au plan « Un jeune, une solution » en France. En outre, l'Europe a déjà décaissé 100 milliards d'euros pour les assurances chômage et dix-neuf pays en ont déjà bénéficié. Peut-être la France les rejoindra-t-elle.

Frontex permet de répondre à la crise migratoire et nous avons veillé à ce que ses effectifs augmentent. Cette agence de police protège les frontières de l'Europe dans le strict respect des règles humanitaires, mais ce n'est pas une ONG comme le voudraient certains.

Le pacte Asile et immigration devra certes être débattu. Nous devrons trouver des solutions cet été sur l'accord de La Valette, pour aider des pays de première entrée comme l'Italie.

La France est le pays ayant accueilli le plus grand nombre de migrants réfugiés dans ce cadre. Tous nos partenaires doivent respecter leurs engagements. Cet accord de La Valette est une rustine provisoire, j'en conviens, mais il répond aujourd'hui à l'urgence, avant l'été.

Les mesures mises en oeuvre par l'Allemagne sur les travailleurs frontaliers sont levées. À partir de demain, nous reconnaîtrons les tests antigéniques. Pour tous les déplacements du quotidien, les exceptions de 30 kilomètres et de 24 heures demeurent. Nous devons faciliter la vie de nos frontaliers, nombreux vers la Suisse, le Luxembourg, l'Allemagne,...

Il n'y a malheureusement pas de principe général européen de gratuité des tests ; l'Union européenne n'a pas compétence pour l'imposer. En revanche le Parlement européen s'est prononcé en faveur de prix abordables.

La France est l'un des deux seuls pays européens où les tests sont gratuits. C'est généreux, mais nous considérons que cela obéit à une nécessité sanitaire.

Le Liban n'est pas à l'ordre du jour du Conseil européen, mais à celui du Conseil des Affaires étrangères du 21 juin. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme la présidente.  - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous pouvez conclure. Vous n'êtes pas responsable du temps qu'a pris ce débat.

M. Jean-François Rapin, président de la commission .  - Une conclusion n'est pas forcément une synthèse... Nous craignions, il y a deux ans, le Brexit. Désormais, nous nous inquiétons de l'après-Covid...

M. Duplomb a fait un point sur la PAC, M. Allizard sur la pêche : ce sont deux politiques intégrées européennes. Il faut les revoir et profiter de l'après Brexit-Covid pour envisager le futur.

Frontex est un gardien aux frontières pour empêcher les rentrées - mais peut-être aussi les sorties... Des Hauts-de-France à la Normandie, on voit se reconstituer de nouveaux camps. Avec les beaux jours, nous craignons la multiplication des traversées dangereuses vers le Royaume-Uni.

Pour appuyer les forces de police et de gendarmerie qui n'en peuvent plus, pourquoi ne pas confier à Frontex une nouvelle mission avec, bien sûr, des moyens européens supplémentaires ?

Monsieur le ministre, je vous remercie de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La séance est suspendue quelques instants.