Commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, présentée par MM. Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini, David Assouline et Hussein Bourgi, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Discussion générale

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce mardi 17 octobre 1961, le temps est gris sur Paris. Le Président de la République, le Général de Gaulle, a présidé une réunion du commissariat au plan.

Si les évènements d'Algérie se sont traduits par des attentats des deux côtés de la Méditerranée, la France reste une démocratie dont les institutions fonctionnent. M. Debré est à Matignon et son gouvernement a engagé des négociations avec le gouvernement provisoire de la République algérienne.

Alors que nos compatriotes s'apprêtent à passer à table, des Français musulmans d'Algérie, comme on les appelle depuis 1946, s'habillent chaudement pour manifester. Ils sortent de leur bidonville, de leur chambre d'hôtel pour se rendre à une manifestation pacifiste, mais interdite. La présence de forces de l'ordre apparaît donc logique, comme les arrestations.

Pour autant, l'instauration d'un couvre-feu réservé à certains Français en fonction de leur statut interroge. Les musulmans d'Algérie ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone.

Ce qui interroge, surtout, est la violence de la répression. Les historiens écrivent l'histoire. En les lisant, en parcourant les archives et les quelques photographies disponibles, on la saisit. Dans les regards des manifestants arrêtés se lisent la douleur et la peur.

La manifestation rassemble environ 20 000 personnes, qui se heurtent immédiatement, au pont de Neuilly, sur les grands boulevards, sur le boulevard Saint-Germain, à la répression des forces de l'ordre. De Brunet à Einaudi, en passant par le rapport Mandelkern, les faits sont établis. Un manifestant sur deux - 11 538 personnes précisément - est arrêté. Ils sont détenus, parfois pendant plusieurs jours, dans différents lieux de la capitale : le Palais des sports, le stade Pierre-de-Coubertin, divers commissariats.

On dénombre plusieurs centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts. Les faits, les chiffres sont incontestables. Ces morts marquent d'une tache indélébile notre histoire nationale.

Nous parlons de citoyens français, d'êtres humains, de pères, de frères, de maris, de fils. Soixante ans après les faits, les familles ont le droit de connaître la vérité. Dans un État de droit, rien ne saurait justifier ces morts et blessés.

Cette proposition de loi s'inscrit dans un travail de reconnaissance ancien, mais inabouti. Je salue, à cet égard, l'action de Bernard Delanoë au Conseil de Paris le 23 septembre 2001, l'adoption d'une résolution communiste au Sénat le 23 octobre 2012, la proposition de loi du député Patrick Mennucci en 2016, les prises de paroles des présidents Hollande et Macron, respectivement en 2012 et en 2021.

Il est demandé au Sénat d'être, une nouvelle fois, au rendez-vous de l'Histoire.

Le travail de mémoire apparaît nécessaire au rassemblement des Français. Nous respectons toutes les mémoires : celle des rapatriés, des harkis, des appelés du contingent, des immigrés. Elles sont complémentaires, pas concurrentielles.

Nous examinerons bientôt une proposition de loi sur la reconnaissance du drame des harkis. Nous ne sommes ni dans la repentance, ni dans la demande de pardon, ni dans la condamnation, mais dans la reconnaissance.

Il ne s'agit pas non plus d'un message adressé à l'Algérie, mais de l'histoire de la France. Aussi, j'ai été surpris par le rapport de la commission des lois. La répression a touché des citoyens français tabassés et tués au coeur de la capitale, par notre police aux ordres du sinistre Maurice Papon.

Nous ne hiérarchisons pas les tragédies. J'ai salué la volonté du président Macron de légiférer sur les harkis en septembre dernier, comme j'avais salué les propos tenus en 2012 par Nicolas Sarkozy et en 2016 par François Hollande.

Nous avons déjà voté des lois mémorielles. J'ai été touché d'entendre, en 1995, le président Chirac reconnaître le rôle de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv'. C'est l'honneur de la France de regarder son passé dans les yeux.

Je suis fier, également, que nous examinions un texte sur les harkis. La rapporteure elle-même avait déposé un texte à l'Assemblée nationale sur la rue d'Isly et Oran.

Nous savons débattre. Alors que certains font du révisionnisme leur fonds de commerce, il est du devoir du Sénat de regarder lucidement notre histoire. La République se doit d'être exemplaire et ne l'a pas été le 17 octobre 1961.

« Les mémoires divisent, seule l'histoire rassemble », a dit Pierre Nora. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois .  - La commission des lois n'a pas adopté le texte de cette proposition de loi, symbolique et mémorielle, car les faits dont elle traite sont soit amnistiés, soit prescrits.

Un important travail historique est mené sur les événements du 17 octobre 1961, depuis le premier ouvrage qui y a été consacré en 1985. Environ 200 articles en ont traité. Cette profusion rompt avec l'occultation qui régnait jusque-là. Elle a notamment été permise par l'ouverture des archives de la préfecture de police après le procès de Maurice Papon en 1997. Il aurait fallu, sinon, attendre 2021.

Un travail mémoriel est en outre réalisé depuis longtemps par les associations. Le Président de la République s'est associé, cette année, à la commémoration annuelle, prenant position comme l'avait fait François Hollande. Le Sénat, pour sa part, a voté en 2012 une proposition de résolution à l'initiative de Mme Borvo Cohen-Seat.

Faut-il aller plus loin ? Nous ne le pensons pas, même si la répression elle-même ne fait pas polémique. La commission des lois estime qu'il n'existe pas de consensus entre historiens sur la responsabilité de la France, que reconnaît l'article premier du texte. En effet, certains évoquent une réaction de vengeance de la police. Rappelons que des attentats du Front de libération nationale (FLN) avaient fait vingt-deux morts au sein des forces de l'ordre, dont treize les deux semaines précédant la manifestation.

Les violences de la guerre d'Algérie ont concerné toutes les communautés. Les Français musulmans d'Algérie se voyaient obligés de payer un impôt révolutionnaire. Leur statut particulier, rappelons-le, tient à leur refus d'être soumis au code civil, au contraire des Juifs des trois départements du Constantinois, de l'Oranais et de l'Algérois, par le décret Crémieux de 1870.

La proposition de loi qualifie les manifestants d' « Algériens », dénomination juridiquement inexacte, même si elle fait consensus chez les historiens.

En outre, le texte présente la volonté d'indépendance de l'Algérie comme l'origine de la manifestation. Or certains manifestants protestaient surtout contre le couvre-feu décrété par la préfecture de police. Sur ce point non plus, le consensus n'existe pas et la loi ne peut imposer une lecture historique.

L'article 2 impose une commémoration annuelle à la date du 17 octobre. Outre qu'il faudrait alors établir des commémorations particulières pour les autres victimes, il existe, depuis 2012, la date du 19 mars, que je déplore à titre personnel, pour toutes les commémorer, sans compter celle du 27 septembre pour les harkis et du 5 décembre pour les morts de la guerre d'Algérie. Ces deux dernières dates ont été établies sans lien avec un événement, afin d'apaiser les mémoires.

La commission des lois a estimé qu'il n'était pas souhaitable de se livrer à une concurrence mémorielle, ni de trancher par une loi une question historique. Elle ne souhaite donc pas l'adoption de ce texte.

Le travail de recherche historique et de mémoire doit se poursuivre. Bon nombre d'archives ont été ouvertes. Restent certaines archives militaires qui, selon l'armée, ont été perdues. Les historiens estiment cependant disposer de suffisamment d'informations pour travailler. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC)

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État, chargée de l'éducation prioritaire .  - Le Président de la République s'est rendu au pont de Bezons pour les soixante ans des événements tragiques du 17 octobre 1961. En présence des familles et des descendants des différentes parties, il a observé une minute de silence en mémoire des victimes.

La tragédie a longtemps été tue, même si des cérémonies ont parfois été organisées. Désormais, la violence de la répression de la manifestation ne fait plus aucun doute. Elle a été reconnue par le Sénat, comme par le Président de la République. Pour la première fois, un chef de l'État a honoré la mémoire des victimes d'actes « inexcusables pour la République », commis sous l'autorité de Maurice Papon. Cela s'inscrit dans une démarche de lucidité sur l'histoire franco-algérienne.

Le travail historique doit se poursuivre. Le Président de la République a confié une mission en ce sens à Benjamin Stora. La reconnaissance des événements du 17 octobre 1961 faisait partie de ses suggestions. En outre, des restes humains ont été remis à l'Algérie à l'été 2020, l'assassinat de Maurice Audin a été reconnu, les archives ont été ouvertes.

Nous voulons que le dialogue se poursuive avec nos partenaires algériens pour aboutir à une relation apaisée à notre passé commun.

M. François Bonhomme.  - C'est mal parti !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - La proposition de loi, cependant, apparaît peu consensuelle en ce qu'elle cherche à imposer une version de notre histoire.

Le Président de la République a ouvert la voie du dialogue. Nous souhaitons que la démarche mémorielle et historique se poursuive. Le Gouvernement est donc défavorable à la proposition de loi.

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, au moins 20 000 Algériens défilaient pacifiquement à Paris pour demander une Algérie algérienne et rejeter le couvre-feu qui leur était réservé.

Il existe un consensus historique sur la violence de la répression. Le nombre de morts, certes encore discuté, n'en demeure pas moins édifiant. Le traitement politique, médiatique et historique de l'événement en fit une affaire dans l'affaire.

J'ai longtemps enseigné l'histoire et je me suis toujours intéressé à la façon dont les sociétés se racontent, voire se romancent. La mémoire collective relève d'un exercice difficile. Bon nombre d'historiens, comme Paul Veyne, ont montré l'extrême complexité de l'élaboration des récits historiques, entre recherches factuelles et controverses.

Le passé n'a d'intérêt que parce qu'il est complexe, fait d'enchevêtrements. La loi n'est donc pas un outil adéquat pour écrire le fait historique.

Nous déplorons aussi l'inflation législative. Selon Jean-Jacques Rousseau, la loi doit établir les « règles qui conviennent à la Nation » et organiser la vie commune. Elle doit demeurer l'expression de la volonté générale, non affirmer une vérité historique. Laissons l'histoire aux historiens.

Cette proposition de loi porte un paradoxe entre le fond et la forme. Oui, sur le fond, l'État doit reconnaître sa responsabilité.

M. Rachid Temal.  - Voilà !

M. Jean-Claude Requier.  - Mais cette démarche a été amorcée depuis longtemps. Sur la forme, la loi ne représente pas le véhicule adéquat.

Le RDSE salue la mémoire des victimes et s'abstiendra.

M. Stéphane Ravier .  - La gauche nous propose de voter une proposition de loi reconnaissant la responsabilité de la France dans les événements du 17 octobre 1961 - comme elle portait les valises autrefois, par la haine de la France. (Protestations à gauche)

Le FLN était un ramassis d'assassins ayant tué plus de 6 000 Algériens en métropole entre 1955 et 1962 et commis des actes abominables contre les Français d'Algérie et les harkis. Le 17 octobre 1961, il appelle à manifester et 20 000 soutiens du terrorisme provoquent la police, qui ne fait que répliquer.

Le Parti communiste français, jamais en retard d'un mensonge ni d'une collaboration avec l'ennemi (vives protestations sur les travées du groupe CRCE) a protesté, faisant comme à son habitude de la propagande anti-française.

M. Pierre Laurent.  - Et les résistants ?

M. Stéphane Ravier.  - Les faits, pourtant, sont têtus : un seul cadavre, celui de Guy Chevalier, est retrouvé. Selon le rapport remis à Élisabeth Guigou par la commission Geronimi en 1998, seuls 48 Nord-Africains sont morts au mois d'octobre 1961. La gauche, pourtant, renoue avec l'exagération. Par haine de la France et pour la condamner, elle se fait faussaire de l'histoire ! (Protestations à gauche)

Vous oubliez les autres victimes de la guerre d'Algérie. Celles du massacre d'Oran le 7 juillet 1962 étaient sans doute trop françaises pour vous !

Demandez plutôt l'ouverture de ses archives à l'Algérie et, une fois la vérité connue, exigez des excuses !

La France a créé l'Algérie et le FLN l'a ruinée, à tel point que ses descendants trouvent refuge dans la prétendue puissance colonisatrice, véritable pays civilisateur.

Nous ne vous laisserons pas falsifier l'histoire et souiller la France ! (Vives protestations à gauche)

Rejoignez-moi sur la barricade de la vérité pour défendre le drapeau de la France !

M. Pierre Ouzoulias.  - Pourquoi ne pas finir par « travail, famille, patrie » ?

M. Jean-Marc Todeschini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Que dire après un tel discours, quand on veut parler de paix des mémoires et de rassemblement ? Ces propos ont heurté l'ancien secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire que je suis.

Les historiens ont établi une vérité scientifique indiscutable sur les événements du 17 octobre 1961, lors desquels les valeurs de notre République, de liberté d'expression et de manifestation, ont été bafouées. Avec lucidité, la France a reconnu les crimes commis sous l'autorité de Maurice Papon. Ils sont inexcusables ; il ne s'agit pas d'une opinion, mais d'un fait.

Cette journée relève d'un processus mémoriel populaire. La flamme du souvenir est entretenue et ne s'éteindra pas.

Ce texte prétend traduire cette dynamique dans la loi et donner un caractère officiel à la commémoration.

Il y eut d'abord la plaque fixée par Bertrand Delanoë le 17 octobre 2001, puis la courageuse reconnaissance de François Hollande, le 17 octobre 2012. En tant que secrétaire d'État à la mémoire, j'ai assisté à plusieurs rassemblements et travaillé avec des historiens, tel Jim House. Ce mouvement a conduit à la présence du Président de la République au pont de Bezons, le 16 octobre dernier.

Chaque citoyen représente un maillon de la chaîne de la mémoire.

La France est un grand pays, car elle sait reconnaître quand elle a failli et regarde son passé avec lucidité.

En avril 2015, je suis allé reconnaître à Sétif le massacre du 8 mai 1945 qui a frappé des Français autant que des Algériens. L'humanité, ainsi frappée, n'a plus de nationalité ; il ne reste que des mémoires douloureuses. En janvier 2016, j'ai déposé une gerbe avec mon homologue algérien, Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, à la plaque du pont Saint-Michel. À chaque fois, j'ai mesuré la force de la réconciliation.

N'ayons pas peur de mener un travail d'analyse ! Une certaine mode prétend que notre pays décline - elle est lucrative pour ceux qui la professent, mais représente un danger pour la démocratie.

Ce texte représente un pas de plus vers la concorde mémorielle qui permettra aux générations futures d'avancer sans peur.

Nous pensons à tous les déracinés qui ont dû tout quitter en quelques heures, et à tous les appelés qui ont dû attendre Lionel Jospin en 1997 pour que leur combat soit reconnu comme une guerre. La France, cependant, ne peut mener seule le devoir de mémoire sur l'Algérie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce sujet essentiel a fait l'objet d'une analyse de fond à l'occasion du rapport remis par Benjamin Stora au Président de la République sur les mémoires de la guerre d'Algérie. L'enjeu réside dans l'émergence d'une mémoire collective.

Ce texte inscrit dans la loi la responsabilité de la France dans la répression brutale de la manifestation du 17 octobre 1961 et la commémoration officielle de ces actes.

Sur ce dernier point, la loi est inutile. De fait, le Président de la République, en octobre dernier, a commémoré ces événements qu'il a qualifiés d'inexcusables, se refusant à opposer les mémoires. Nous approuvons sa démarche. Nous ne nous opposerons toutefois pas à l'article 2.

Sur la responsabilité de la France, point n'est besoin d'une loi. Attention à ne pas faire entrer le législateur dans un débat d'historiens. Ainsi, les manifestants réclamaient-ils l'indépendance ou protestaient-ils contre le couvre-feu ?

M. Rachid Temal.  - Ce n'est pas dans le texte !

Mme Nicole Duranton.  - Nous devons éviter toute parcellisation des drames et, au contraire, oeuvrer à la pacification des mémoires.

La commémoration à laquelle a participé le Président de la République le 16 octobre, la reconnaissance de la France dans la mort de Maurice Audin et de l'avocat et nationaliste algérien Ali Boumendjel, le prochain projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis constituent des avancées vers une mémoire lucide et apaisée.

Le 30 novembre dernier, un groupe de descendants de militaires français, de harkis et d'indépendantistes remettait au Président de la République un rapport qui intégrait, dans un travail narratif, toutes les mémoires sans les opposer. Nous partageons cette volonté.

Le RDPI s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Franck Menonville .  - Le 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de personnes sont mortes à Paris ; nous salons leur mémoire.

Il faut se souvenir du contexte. En 1961, depuis sept ans, la lutte armée pour l'indépendance sème la violence en Algérie et en métropole et divise la société française. L'Organisation de l'armée secrète (OAS) voit le jour ; elle causera plus de mille décès. En avril, son dirigeant, le général Salan, est l'un des responsables du putsch. Régulièrement, des attaques violentes du FLN frappent les forces de l'ordre.

Le Général de Gaulle se prononce, le 12 juillet, pour l'indépendance de l'Algérie. Il déclare sans équivoque : « la France accepte que les populations algériennes se constituent en un État entièrement indépendant ». Pourtant, les meurtres de policiers continuent, engageant le préfet de police à décréter un couvre-feu à compter du 5 octobre pour les Français d'origine algérienne. Le 17 octobre, la manifestation qui s'y oppose est réprimée avec une violence inexcusable. Des dépouilles de manifestants sont jetées à la Seine...

Les présidents François Hollande et Emmanuel Macron ont reconnu la responsabilité de la France dans ces actes. La demande du groupe SER d'inscrire cette reconnaissance dans la loi me semble satisfaite.

Le texte crée également une commémoration spécifique. Pourquoi célébrer cet évènement plutôt qu'un autre épisode de la guerre d'Algérie ?

Notre avenir nécessite d'assumer notre histoire et les pages sombres de notre passé, mais la France n'est pas la seule à devoir s'y confronter.

La France et l'Algérie doivent maintenant travailler à bâtir un avenir meilleur, sur la base de coopérations.

Notre groupe rend hommage aux victimes, mais ne votera pas ce texte. Il serait néfaste de rouvrir ce dossier.

M. François Bonhomme .  - Cette proposition de loi se saisit des troubles intérieurs survenus dans le contexte de la guerre d'Algérie, en marge de la manifestation du 17 octobre 1961. Aucun doute ne subsiste sur la brutalité de la répression.

Ce texte ne poursuit pas un objectif d'apaisement ni ne recherche la responsabilité pénale des actes. Il confond histoire et mémoire.

Déjà, en 2012 et en 2021, les Présidents de la République successifs ont reconnu la responsabilité de la France. Le rapport Stora a également contribué à l'apaisement mémoriel.

L'article premier n'a pas fait consensus au sein de la commission des lois. La répression était illégale ; il ne s'agit donc pas de la responsabilité de la Nation, mais de celle des auteurs de ces actes et de leurs complices. Le travail historique a beaucoup avancé sur ce point.

Les intentions sous-jacentes de ce texte et de certains amendements m'interrogent : le terme de « crime d'État » est impropre, mais surtout irresponsable, car il nourrit l'instrumentalisation et la rente mémorielle cultivée de l'autre côté de la Méditerranée.

Notre commission des lois, à raison, s'est exprimée défavorablement sur ce texte qui ne contribuera pas à l'apaisement des mémoires, y compris s'agissant de la commémoration de l'événement.

Le Président de la République n'a-t-il pas lui-même parlé de « sables mouvants de la mémoire » ? L'approche mémorielle reste sujette à manipulation. Notons que M. Macron n'est pas exempt de reproches dans ce domaine, ayant qualifié la colonisation de crime contre l'humanité...

L'article premier pose la responsabilité de la France dans la répression. Cette disposition mémorielle, dépourvue de tout aspect normatif, conforte une minorité qui se complaît dans l'identité victimaire et qui réduit l'histoire de notre pays à une longue liste de crimes qui devraient donner lieu à autant de repentances. Cette vision essentialiste fait fi du contexte historique.

Ne tombons pas dans le piège ! Respectons le travail des historiens, sans le corrompre. Loin de l'apaiser, ce genre de texte ne ferait qu'attiser la concurrence des mémoires et crisper les confrontations idéologiques.

En 2003, un décret a créé une journée d'hommage aux harkis. La loi du 6 décembre 2012 concerne, pour sa part, les victimes civiles et militaires.

M. Rachid Temal.  - C'est donc possible !

M. François Bonhomme.  - Gardons-nous de confondre le travail d'historien - qui dit ce qu'a fait ou pas la France - et de législateur.

Ces faits sont connus et dénoncés. L'examen de conscience de la France l'honore. Je ne pense pas que beaucoup de pays aient mené une réflexion aussi poussée - pas l'Algérie en tout cas. Laissons le temps aux esprits de se pacifier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - Le 17 octobre 1961, des Algériens ont été tués à la suite d'une répression sanglante.

François Hollande et Emmanuel Macron ont reconnu la responsabilité de la France dans ces faits. Elle regarde désormais son histoire avec lucidité.

Le mouvement de la connaissance à la reconnaissance relève d'un travail ancien, relancé par Benjamin Stora. Son rapport rejette les demandes de pardon et prône une politique des petits pas, l'ouverture des archives et la reconnaissance des événements du 17 octobre 1961 comme un crime d'État.

Le Président de la République n'est pas allé si loin. Il s'est certes recueilli devant la plaque posée par Bertrand Delanoë, mais le nombre de victimes demeure minimisé -  nous proposerons d'y inclure celles des jours précédant la manifestation  - et on observe encore de nombreux blocages d'archives.

Nous saluons cet article premier, mais nous voulons aller plus loin en parlant de « crime d'État ». La mise en cause de Maurice Papon ne doit pas faire oublier que ce préfet a été nommé...

Le Sénat aurait pu faire davantage, mais notre rapporteure voit au mieux dans ce texte une reconnaissance redondante et, au pire, une position non consensuelle...N'est-ce pas une insulte faite aux victimes ?

Quel argument byzantin que de vouloir distinguer la responsabilité de la France de celle du préfet de police ! Le 17 octobre 1961 s'est, en réalité, étendu sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ce fut une organisation d'ampleur, coordonnée, qui a impliqué l'État.

Certains réclament une réciprocité du gouvernement algérien. Cela n'a pas de sens... Qu'il y ait d'autres coupables ne fait pas de vous un innocent.

Comme le disait Albert Camus, marseillais fils de l'Algérie, « mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ».

Benjamin Stora s'est prononcé contre les excuses officielles.

Notre pays est capable de reconnaître son histoire. Il n'a pas besoin de l'action d'un autre pour agir. Oui, le sujet est sensible. La guerre d'Algérie a laissé des plaies profondes, y compris chez les juifs pieds noirs dont je fais partie. Nous pouvons les panser, ne nous en privons pas. Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

M. Pierre Laurent .  - « Ici on noie les Algériens ». Nous avons tous en mémoire cette photo, publiée en une de L'Humanité en 1986.

Le 17 octobre 1961, des Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire imposé par Maurice Papon. Cette mobilisation fut très violemment réprimée : au moins 200 morts et 11 000 arrestations.

Que d'années écoulées jusqu'à la reconnaissance officielle, par un communiqué de presse de François Hollande, en 2012 ! La même année, notre groupe et sa présidente Nicole Cohen Borvo-Seat furent à l'initiative d'une résolution adoptée par le Sénat.

En juillet 2020, souhaitant « réconcilier les mémoires », Emmanuel Macron demandait un rapport à Benjamin Stora qui préconise la poursuite de commémorations.

L'article premier de ce texte propose de reconnaître la responsabilité de la France dans cette répression ; l'article 2 d'organiser tous les 17 octobre une commémoration officielle rendant hommage aux victimes.

La commission des lois du Sénat a choisi de rejeter cette proposition de loi mais le Sénat s'honorerait à l'adopter.

Certains restent dans le déni : c'est regrettable. Il faudrait plus de dignité et de hauteur.

Ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 n'était pas un événement isolé, mais le paroxysme d'une guerre coloniale. Chasses à l'homme dans les rues de la capitale aboutissant à des assassinats orchestrés par le sinistre Papon : nous pouvons parler de crime d'État.

Souvenez-vous de la sauvage répression du 8 mai 1945 à Sétif, des massacres de Madagascar en 1947, de l'Indochine, de la bataille d'Alger, du métro Charonne, de Maurice Audin. La mémoire n'est pas encore apaisée. Toutes les archives concernant les guerres coloniales et leur cortège de répression doivent être ouvertes.

Cette proposition de loi recueille tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Arnaud de Belenet .  - Le groupe UC ne souscrit pas à cette proposition de loi. Je salue la pondération de notre rapporteure, que nous suivons. Ces actes furent perpétrés par Maurice Papon et ses complices, non par la Nation tout entière. Et il y a tant d'autres dates tout aussi douloureuses. Pourquoi ne consacrer que celle-ci dans la loi ?

Nous pourrions aussi débattre du pacifisme de cette mobilisation, quelques mois après la fin du putsch, quelques semaines après l'attentat du Petit-Clamart...

Nous devons rechercher l'apaisement mémoriel pour les victimes du 17 octobre, celles de la rue d'Isly le 26 mars 1962, celles du métro Charonne le 8 février 1962, pour les massacrés du 5 juillet 1962 à Oran...

M. Rachid Temal.  - Déposez donc une proposition de loi !

M. Arnaud de Belenet.  - ... pour les ouvriers de Constantine, pour les 27 000 engagés qui ne sont jamais revenus d'Algérie, pour les 1 630 Européens enlevés et disparus, pour les supplétifs, les harkis, les moghazni, abandonnés à la vengeance ou ramenés en France, pour les morts après le cessez-le-feu, pour les officiers français déchirés, qui se demandent soixante ans après s'ils ont bien agi...

Pour eux tous, nous devons travailler à l'apaisement mémoriel. Cette proposition de loi y contribue-t-elle ? Je ne le crois pas. Il faut des réponses plus subtiles, moins partielles, moins partiales.

Contribuera-t-elle à la réconciliation avec l'Algérie ? Je ne le crois pas davantage. L'Algérie nous sait-elle gré de nos avancées en 2012 ? Quels pas a-t-elle esquissés depuis ? Les cimetières français d'Algérie sont à l'abandon. L'État algérien, enfermé dans le dogme d'une « rente mémorielle », pour reprendre les justes mots du Président de la République, s'indigne, insulte, instrumentalise. L'apaisement mémorial ne peut être unilatéral et partiel.

Il faudrait que la France et l'Algérie toutes entières regardent avec lucidité et vérité toute leur histoire commune. (Applaudissements sur les travées des groupeUC, INDEP, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Valérie Boyer, rapporteure - Bravo !

M. David Assouline .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat vient de loin. Ce fut un de mes engagements de jeunesse, en tant qu'historien et militant de la mémoire. Je salue Samia Messaouidi, présente en tribune.

Le communiqué officiel faisait état de trois morts. Je suis allé regarder les premières archives officielles à la fin des années 1990, au parquet de Paris, qui montraient que des dizaines de corps avaient été repêchés dans la Seine -  certains avaient dérivé jusqu'à Rouen. Personne ne conteste plus ce bilan.

Une manifestation de 20 000 personnes, neuf policiers blessés, 13 000 arrestations, des dizaines de morts parmi les manifestants. Aujourd'hui, ce serait impossible. (M. Stéphane Ravier ironise.)

Y a-t-il une responsabilité de l'État ? On ne saurait se défausser à ce point sur les policiers, massivement déployés. Une telle organisation suppose un État très structuré, et le préfet de police avait déjà fait ses preuves sous Vichy, à Bordeaux...

Ce sont les mêmes négateurs de l'histoire qui disaient que Léon Blum avait trahi la France, à son procès de Riom.

Il a fallu attendre le merveilleux discours de Jacques Chirac, reconnaissant la responsabilité de la France.

Comment la nier, quand cela s'est passé au coeur de Paris, à côté du Grand Rex et des grands magasins ?

Assumons nos responsabilités, sans nous défausser sur une prétendue bavure. Pour apaiser les mémoires et bâtir un avenir en commun, nous avons besoin de reconnaissance.

M. Philippe Tabarot.  - Madame la présidente, le temps est écoulé.

M. Stéphane Ravier.  - Le temps de parole est terminé ! C'est fini !

M. David Assouline.  - Nous parlerons demain des harkis, parce qu'ils méritent notre respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

M. Philippe Tabarot .  - Cette proposition de loi relève d'une démarche idéologique et politicienne. On nous demande une nouvelle fois d'oublier le contexte de l'époque pour verser dans l'autoflagellation mémorielle.

Cette proposition de loi est opportuniste, provocante et partiale.

M. Rachid Temal.  - Rien que ça !

M. Philippe Tabarot.  - En ne choisissant qu'une douleur, elle alimente inutilement la bataille des mémoires.

Restons sur une ligne claire et évitons d'agiter et de revoir l'histoire. Je ne suis pas comme Emmanuel Macron qui demande un jour, sur CBS, à déconstruire notre histoire, puis, un autre, se ravise.

Les célébrations du 19 mars, que la gauche a imposées par une manoeuvre grossière, ne vous suffisent pas ? (M. Rachid Temal s'insurge.)

Cette surenchère culpabilise encore et toujours la France en ne retenant que les heures sombres. Oui, nous étions en guerre, en Algérie mais aussi en métropole. Oui, le FLN a tué et massacré civils et militaires. Dans les mois qui ont précédé cette manifestation interdite, 22 policiers avaient été tués et 79 blessés. Voilà le contexte.

Votre proposition de loi préfère la logique victimaire à la logique de vérité. (Protestations sur les travées du SER) Il faut plus que deux lignes dans une proposition de loi pour rendre compte de la vérité.

M. François Bonhomme.  - Absolument !

M. Philippe Tabarot.  - On ne peut sélectionner les mémoires, oublier le massacre d'Oran du 5  juillet 1962.

M. Rachid Temal.  - Déposez donc une proposition de loi !

M. Philippe Tabarot.  - Où sont les plaques en hommage aux victimes harkis et pied-noir à Alger ? Arrêtons de prétendre que seule la France aurait commis des fautes ! Et le FLN ?

Ce sens unique mémoriel est insupportable. Il alimente la propagande victimaire anti-France, le communautarisme et le séparatisme. (Protestations sur les travées du groupe SER)

M. Rachid Temal.  - Sûrement !

M. Pierre Laurent.  - Et Maurice Papon ?

M. Philippe Tabarot.  - Assez de ces actes de repentance à répétition, de ces décisions prises parfois bien malgré nous. Les pieds noirs et les harkis en ont assez, ils veulent vivre et mourir en paix, loin de leur terre natale.

Laissons le passé aux historiens et arrêtons de vouloir le réécrire pour s'attirer les bonnes grâces d'une partie de l'électorat. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)

Je connais mieux que vous ces déchirements. Certains y ont laissé la vie, d'autres ont tout perdu, y compris leurs racines.

La France peut reconnaître ses torts mais il n'y a rien à célébrer les 17 octobre ni les 19 mars, dates de sinistre mémoire, synonymes de douleur.

Il faut montrer à nos enfants qu'il existe un autre chemin que celui de la résignation, un chemin de grandeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Stéphane Ravier applaudit également.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Pierre Ouzoulias .  - Le travail des historiens fait consensus : ils récolent les actes avec méthodologie. Mais nous sommes incapables, encore aujourd'hui, de savoir combien il y eut de morts. La préfecture de police a pourtant nécessairement dû recenser ces morts violentes en plein Paris.

Par la loi du 30 juillet 2021, votre Gouvernement a réduit l'accès aux archives. Les événements de 1961 sont-ils concernés ? Toutes les archives de la préfecture de police sont-elles librement consultables ?

M. Pascal Savoldelli .  - Dans ma ville d'Ivry-sur-Seine, le maire Philippe Bouyssou a organisé une commémoration et inauguré une rue, dans un lieu hautement symbolique.

Nous avons un devoir de mémoire. Il n'y a eu non pas deux morts mais des dizaines d'Algériens tués par la police : c'était un mensonge d'État, diffusé à l'époque devant les élus et les parlementaires. De nombreuses archives ont été détruites et les médias ont procédé à une censure.

Pourtant, la connaissance historique est une éducation à la citoyenneté. La mémoire est un vécu. Il ne s'agit pas seulement d'une relation d'État à État, mais d'une responsabilité que la France doit assumer en reconnaissant les crimes commis. Le fait tragique fait partie de l'histoire de nos deux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MMRachid Temal, Hervé Gillé et Guy Benarroche applaudissent également.)

M. David Assouline .  - Mme la rapporteure et Mme la ministre l'ont reconnu, un pas important a été franchi lorsque Bertrand Delanoë, à ma demande, a gravé dans la pierre des rues de Paris, en face de la préfecture de police, un lieu mémoriel de ces événements. Mais ce n'est pas venu tout seul. Au conseil de Paris, les débats avaient été hystériques.

En quoi y a-t-il eu davantage de crispations, de tensions victimaires depuis ? Bien au contraire, les descendants des victimes peuvent voir que leur histoire est reconnue dans les rues de Paris, dans ces gerbes déposées tous les 17 octobre. L'histoire reconnue apaise. Non reconnue, elle attise les dissensions.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Après le mot :

jours

insérer les mots :

précédents et

M. Guy Benarroche.  - Quelques semaines avant la manifestation du 17 octobre 1961, il y avait déjà des disparitions de militants algériens en région parisienne, dont certaines avaient fait l'objet d'une déclaration à la police. Les historiens ont établi ces faits de longue date et les ont inscrits dans un engrenage de violence qui dura plusieurs semaines. Dans un souci de vérité, nous demandons d'inclure la mention des « jours précédents et suivants » la manifestation.

Mme Valérie Boyer, rapporteure.  - La mise en contexte des événements est importante. Cet amendement pose cependant problème dans la mesure où l'article premier vise spécifiquement la manifestation du 17 octobre. Si l'on intègre les jours précédents, le climat général, il faut aussi évoquer les violences contre les policiers et la levée de l'impôt révolutionnaire dans la wilaya de Paris. Avis défavorable.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - La loi n'a pas vocation à imposer une version de l'histoire. Le travail des historiens est en cours, respectons-le. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - Je salue la rapporteure. Elle nous expliquait tout à l'heure qu'il y avait un contexte général et maintenant, elle recentre le propos sur le 17 octobre !

Nous nous opposons à cet amendement et préférons la version initiale de notre texte.

M. Pierre Ouzoulias.  - Madame la ministre, je suis obstiné - vous allez devoir me répondre. (Sourires) Les historiens ont-ils librement accès à la totalité des sources archivistiques concernant l'événement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Rachid Temal.  - Non !

À la demande de la commission, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°60 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption   30
Contre 314

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

La France reconnaît que cette répression, perpétrée par les forces de l'ordre sous l'autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, constitue un crime d'État.

M. Guy Benarroche.  - La reconnaissance par Emmanuel Macron de « crimes inexcusables pour la République » est une première pierre, mais cette déclaration ne va pas assez loin. La responsabilité d'un tel massacre est à chercher au plus haut sommet de l'État français.

La volonté de dissimulation par l'État est avérée : pendant plus de trente ans, le bilan officiel ne fut que de trois victimes, alors que nous savons que la répression a causé plusieurs dizaines de morts.

Enfin, les travaux des historiens montrent que cette violence est à mettre en regard avec les techniques de répression coloniale. Près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri, certains furent torturés.

Nous demandons à ce que la répression sanglante des manifestants algériens, commise sous l'autorité du préfet de police Maurice Papon, soit reconnue comme crime d'État.

Mme Valérie Boyer, rapporteure.  - Avis défavorable. La commission des lois estime que la reconnaissance de la responsabilité de la France ne fait pas consensus. De plus, la notion de crime d'État n'a pas de consistance juridique.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - Même avis.

M. David Assouline.  - Parler de responsabilité de la France ou de crime d'État, c'est la même chose. Dire que c'est un crime d'État est une évidence. Sinon, on dit qu'il y a eu bavure, faisant peser la responsabilité sur les policiers ou sur le préfet. Dans ce cas, cela signifierait que le principal agent de l'État à Paris était hors de contrôle.

La volonté politique de cacher les faits est manifeste.

Dans les guerres, oui, il y a des débordements. Mais nous étions au coeur de Paris, lors d'une manifestation pacifique. Jamais la presse de l'époque ne fait état de violences envers les policiers.

M. Rachid Temal.  - Nous avons présenté un texte d'équilibre, qui est un acte politique. Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.

M. Pierre Ouzoulias.  - Je suis obstiné, madame la ministre. Les historiens peuvent-ils accéder librement à la totalité des archives ou la loi du 30 juillet 2021 a-t-elle supprimé l'accès à certaines pièces ?

Votre Gouvernement pourrait aujourd'hui prendre l'engagement de prendre un arrêté sur la base de l'article L. 212-26 du code du patrimoine. Cela rassurerait les historiens.

Mme Esther Benbassa.  - Je ne suis pas d'accord avec le terme de « crime d'État ». L'État d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui. Le Président Chirac évoquait la responsabilité de la France -  c'est plus juste.

M. François Bonhomme.  - Les termes employés posent question. L'amendement pousse la logique victimaire de génuflexion forcée jusqu'au bout.

Cela s'entrechoque avec la logique qui consiste à laisser les historiens travailler. Attention, la pente est glissante.

Ce n'est pas à la loi de prescrire la vérité historique.

Madame la ministre, vous ne répondez pas aux questions... (Mme la ministre le conteste.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Merci !

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas convenable et guère respectueux du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

Cet amendement ne va pas vers l'apaisement.

M. Éric Kerrouche.  - Étant universitaire comme Pierre Ouzoulias, je voudrais être sûr que la ministre a compris (sourires) : les historiens peuvent-ils travailler sur cette période ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - J'ai entendu les interpellations. L'amendement n°3 rectifié me donnera l'occasion de vous répondre.

M. Éric Kerrouche.  - Passons tout de suite à la saison 2 ! (Sourires)

À la demande de la commission, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°61 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption   29
Contre 315

Le Sénat n'a pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°62 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption   94
Contre 236

Le Sénat n'a pas adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme Benbassa.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'accès des archives relatant cette période doit être assuré de plein droit et sans entrave à tous les citoyens.

Mme Esther Benbassa.  - Le 9 mars 2021, le Président de la République promettait d'ouvrir les archives sur ces évènements, mais le Gouvernement est revenu sur cette promesse avec la loi Sécurité globale, qui restreint l'accès aux archives classées « secret-défense ».

Les chercheurs ne peuvent mener à bien leurs travaux ; la douleur des familles est ravivée. Les descendants sont en droit de connaître la vérité dont une partie est dans les archives. Il est temps de lever cette omerta et de soigner cette blessure mémorielle.

Les droits à l'information et à la recherche sont inaliénables.

Monsieur Bonhomme, il y a déjà eu plusieurs lois mémorielles, par exemple concernant les Arméniens...

Mme Valérie Boyer, rapporteure.  - Je regrette de répondre avant la ministre.

Cet amendement ouvre les archives de cette période de plein droit à tous les citoyens.

Les archives sur le 17 octobre 1961 sont ouvertes par dérogation à la loi de 1979 depuis plus de vingt ans. Jean-Paul Brunet en a tiré deux ouvrages qui se fondent sur une exploitation minutieuse des sources.

M. Rachid Temal.  - Un peu orientés !

Mme Valérie Boyer, rapporteure.  - Madame la ministre, pouvez-vous apporter des précisions sur les archives militaires concernant la rue d'Isly, dont on nous dit qu'elles ont disparu ? On attend aussi depuis soixante ans des éléments probants sur les disparus d'Algérie. (M. Rachid Temal s'exclame.)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Parlons de la Syrie et de Bachar el-Assad !

Mme Valérie Boyer, rapporteure.  - Oui, madame Benbassa, le Parlement vote des lois mémorielles. La loi reconnaissant le génocide du 24 avril 1915 n'a pas de valeur normative, puisqu'il n'y a pas de pénalisation du négationnisme - l'affaire reste pendante.

Cette proposition de loi symbolique n'a pas non plus de valeur normative. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - Bref, deux poids, deux mesures !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - Le ministère de la Culture, dont je salue le travail, a entamé une démarche de dérogation pour ouvrir plus largement les archives de la guerre d'Algérie, quel que soit leur lieu de conservation. Retrait ou avis défavorable.

M. Pierre Ouzoulias.  - Le 30 juillet 2021 a été votée une loi qui restreint l'accès aux archives qui étaient jusque-là consultables. Il y a un recul ! Dois-je conclure de vos propos, madame la ministre, que cette loi ne s'appliquerait pas aux événements du 17 octobre 1961 ?

La même loi oblige les Archives nationales à rendre public le déclassement, le récolement des pièces et les délais de communicabilité.

Nous attendons une réponse très précise. C'est important. Des travaux d'édition sont interrompus faute de visibilité sur la communicabilité des archives.

M. Rachid Temal.  - Je suis favorable à cet amendement. Certaines archives n'ont jamais été retrouvées, telles que le rapport du préfet Papon.

M. Ouzoulias a raison : il y a des problèmes d'accès aux archives. Or l'ouverture des archives - moyennant, bien sûr, des règles de sécurité - est nécessaire à la compréhension de ce qui s'est passé.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - Je salue votre détermination, monsieur le sénateur Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias.  - Elle est absolue !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État.  - Le ministère de la culture, compétent en matière d'archives, a engagé une réflexion sur la possibilité d'une dérogation. Je m'engage à me tourner vers lui, puis à revenir vers vous avec une réponse précise.

Mme Esther Benbassa.  - Le livre de Jean-Paul Brunet, cité par la rapporteure, est ancien et a été écrit sans archives ; c'est l'un des rares à mentionner des policiers tués.

En France, pays démocratique, les archives sont ouvertes à tous : enseignants, étudiants, citoyens. On ne vous demande jamais votre carte d'historien.

Pourquoi donc les archives dont nous parlons ne sont-elles pas ouvertes ? Il n'y a pas de danger, pas de secret-défense ! Le Gouvernement doit s'engager précisément sur un délai, car des travaux historiques sont en cours.

Je remercie M. Ouzoulias pour sa persévérance sur ce sujet important.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Une grande loi sur les archives a été votée en 2008, avec le soutien de Robert Badinter. Loi de liberté, elle permettait aux historiens de travailler dans des conditions claires.

M. Ouzoulias et moi-même avons bataillé ensemble contre la loi du 30 juillet 2021. Les membres du Gouvernement s'obstinaient à ne pas nous répondre précisément. À nouveau, la réponse n'est pas claire : Mme la ministre parle de consulter le ministère de la culture... C'est un faux-fuyant !

Je regrette l'attitude néfaste du Gouvernement envers les historiens. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

M. David Assouline.  - Madame la ministre, l'ouverture que vous avez annoncée est-elle une dérogation ou une application de la loi ?

M. François Bonhomme.  - L'objet de l'amendement s'inscrit dans un registre compassionnel. Mme Benbassa entretient ainsi la confusion entre mémoire et histoire.

Or la concurrence, la surenchère, la sélectivité des mémoires engendrent des tensions. Au contraire, le travail des historiens est fait de précision et de rigueur. Si les archives doivent être ouvertes à tous, c'est sur ce travail que nous comptons.

Les sujets dont nous parlons sont extrêmement douloureux ; plusieurs décennies ont passé, mais les plaies ne sont pas refermées.

L'histoire est une vallée de larmes : le politique devrait se tenir à bonne distance de son caractère tragique, irrémédiable, pour éviter des dérives.

À la demande de la commission, l'amendement n°3 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°63 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 229
Pour l'adoption   91
Contre 238

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Rachid Temal.  - Je remercie mon groupe d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour.

Chacun reconnaît les faits : la terrible répression, les centaines de blessés, les morts. Mais certains expliquent qu'il y avait un contexte.

M. François Bonhomme.  - C'est l'évidence !

M. Rachid Temal.  - On aurait donc le droit de tuer, quand il y a une raison ? Rien ne justifie que des manifestants arrêtés soient tués ou blessés !

Je ne reviens pas sur les propos dignes de l'OAS du représentant de l'extrême droite.

La majorité sénatoriale a fait le choix d'une mémoire sélective : quand il s'agit du massacre d'Oran, des harkis, elle a moins de pudeurs...

Nous devons poursuivre le travail historique, nous le devons à tous les Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. François Bonhomme.  - Replacer des événements dans leur contexte, c'est la base du travail de l'historien. (M. Franck Menonville approuve.) Cela n'a rien à voir avec une occultation ou une atténuation des faits.

Lisez donc les historiens, les vrais ! (Marques d'ironie à gauche) Lisez Marc Ferro, Jacques Julliard sur les lois mémorielles.

M. David Assouline.  - Lisez Stora ! Un crime d'État !

M. François Bonhomme. Par nature, la mémoire est déformée par les passions humaines.

Peut-être alors douterez-vous un peu plus, au lieu d'affirmer de façon définitive. (M. Jean-Marc Todeschini s'exclame.)

M. Bruno Belin.  - Ne nous donnons pas de leçons les uns aux autres ; il faut beaucoup d'humilité devant l'histoire.

Évidemment, il y a un contexte. J'ai une pensée pour les appelés du contingent envoyés en Algérie.

M. Rachid Temal.  - On parle de Paris !

M. Bruno Belin.  - L'histoire est un tout. On ne la saucissonne pas !

Mme Esther Benbassa.  - M. Bonhomme lit de petits extraits de Wikipédia.

M. François Bonhomme.  - On prend de la hauteur...

M. Stéphane Ravier.  - Quel mépris ! Elle détient la vérité !

Mme Esther Benbassa.  - J'ai écrit un livre sur la souffrance comme identité et je suis contre les lois mémorielles. Mais, là, c'est différent...

M. François Bonhomme.  - Bien sûr !

Mme Esther Benbassa.  - Il s'agit de reconnaître un fait. J'espère une petite lueur pour mettre fin à l'omerta.

L'histoire est faite de moments sombres et de moments grandioses. Reconnaître les événements dont nous parlons est important pour la cohésion nationale.

M. Olivier Paccaud.  - L'histoire de France comporte des chapitres glorieux mais aussi des pages sombres et même quelques heures troubles, dont le 17 octobre 1961 fait partie - nul ne le nie.

Devons-nous aller plus loin en votant une loi mémorielle ? En tant que législateur et en tant qu'agrégé d'histoire, je ne le pense pas.

La guerre d'Algérie a été une succession de drames, un chapelet d'ignominies. La cohérence voudrait que nous votions une loi par ignominie. N'en faudrait-il pas une aussi pour la Toussaint rouge ?

Oui, nous devons regarder notre histoire en face. Jacques Chirac a eu raison de prononcer le discours du Vél' d'Hiv. Mais c'était un discours - pas une loi.

Les commémorations ne peuvent pas être hémiplégiques.

Nous souhaitons tous l'apaisement et la réconciliation avec l'Algérie, mais cela suppose la réciprocité.

Je ne voterai pas cette proposition de loi.

M. Bruno Belin.  - Très bien !

M. Pierre Laurent.  - La majorité sénatoriale refuse d'affronter ce qui est une question politique.

Le travail des historiens va continuer, là n'est pas la question. M. Ouzoulias a d'ailleurs posé à cet égard une question précise.

Il ne s'agit évidemment pas de figer ce travail, mais de savoir si nous affirmons clairement la nécessité de marquer cette date, celle d'un drame épouvantable dans les rues de Paris.

L'expression « loi mémorielle » n'est donc pas appropriée.

M. François Bonhomme.  - Tiens donc !

M. Pierre Laurent.  - Il s'agit de poser un acte politique. Nous pensons que ce serait l'honneur de la France de le faire.

M. Philippe Tabarot.  - Je suis novice dans cette assemblée, mais il me semble qu'il y a un petit problème de forme.

Quand vous siégez au fauteuil de la présidence, madame Rossignol, qui représentez-vous ? Le parti socialiste ? (Vives protestations à gauche)

Deux orateurs du groupe SER ont pu déborder d'une minute chacun, alors que, ce matin, les trente secondes de dépassement de Mme Boyer ont été retirées à M. Belin. (Marques d'indignation à gauche)

M. Éric Kerrouche - Comment peut-il dire cela ?

M. Pierre Ouzoulias.  - Vous attaquez l'institution !

Mme la présidente.  - Aux termes de l'article 35 bis de notre règlement, il appartient au président de séance de veiller au respect du temps de parole, dans le respect de la clarté et de l'intelligibilité des propos des orateurs. Il existe donc une marge de manoeuvre.

Dans le cadre de votre apprentissage des us et coutumes sénatoriaux, monsieur Tabarot, vous devriez vous former aussi au sens de l'humour. Quand j'ai dit ce matin à M. Belin que je lui retrancherais trente secondes, c'était un trait d'humour. Votre collègue l'a d'ailleurs parfaitement compris.

Permettez-moi de vous dire que je trouve vos remarques incongrues et partisanes. Jusqu'à présent, personne n'avait jamais remis en cause ma présidence.

M. Philippe Tabarot.  - C'est donc chose faite !

M. Éric Kerrouche.  - Vous êtes un idiot !

M. Patrick Kanner.  - Rappel au règlement ! Les propos de M. Tabarot sont insultants. C'est d'autant plus inacceptable que les sénateurs Les Républicains, largement minoritaires dans l'hémicycle, usent et abusent du scrutin public, amputant le temps de débat dans le cadre de notre ordre du jour réservé. (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Acte vous vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche.  - Le 17 octobre 1961 est un acte politique - même si, bien sûr, il intervient dans un contexte. Le préfet nommé par l'État français a décidé d'une répression sanglante, qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés.

Il ne s'agit pas de faire concurrence à d'autres événements, eux aussi tragiques. Il ne s'agit pas non plus de nous comparer au gouvernement algérien, dont le niveau démocratique n'est pas le nôtre.

Ce que nous voulons, c'est que les historiens aient un accès libre à la totalité des archives ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Rachid Temal et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°64 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 310
Pour l'adoption   96
Contre 214

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.