Livre blanc de la Commission européenne sur la défense
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le Livre blanc de la Commission européenne sur la défense, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains . - En Europe, évoquer la défense était iconoclaste ; hors les questions d'élargissement, de marché unique, de zone euro ou d'accords commerciaux, il n'y avait point de salut.
Mais la réalité, violente, nous rattrape : des États ont tout misé sur la puissance, considérant traités et principes comme des barrières de papier. Ainsi, parmi les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, trois sur cinq ont adopté des comportements problématiques.
Dès 2008, la Russie a mené une guerre éclair en Géorgie. Elle s'est ensuite attaquée à l'Ukraine en 2014 puis en 2022. Elle exerce de fortes contraintes dans de vastes zones autour de l'Europe.
De son côté, la Chine se dote rapidement de tous les moyens économiques, technologiques et militaires pour bouleverser l'ordre mondial à son profit.
Quant aux États-Unis, leur attitude inquiète. Donald Trump a accéléré le processus de divergence entre les partenaires transatlantiques et se concentre sur ses objectifs, la Chine et l'Iran, ainsi que son obsession pour l'Arctique qui le conduit à vouloir mettre la main sur le Groenland. Pour la défense de ses intérêts, le président américain semble disposé à sacrifier l'Ukraine et peut-être la sécurité de l'Europe.
Depuis quelque temps, l'Europe réagit. Mais les États membres ne se posent pas tous la question de la défense dans les mêmes termes. La plupart considèrent que la défense européenne relève de l'Otan et du parapluie nucléaire américain, d'où leurs faibles investissements.
Si la défense relève de la souveraineté des États, l'Union européenne n'est pas restée inactive pour tenter de donner corps à l'autonomie stratégique européenne : elle a récemment présenté le plan Réarmer l'Europe et un Livre blanc pour la défense européenne.
Ma première observation portera sur la temporalité : l'horizon de préparation est 2030, ce qui paraît optimiste au regard de la complexité des sujets, du nombre de domaines jugés prioritaires et de l'ampleur des efforts à mener pour faciliter la mobilité militaire.
La mobilisation de moyens financiers extraordinaires est impérative. La Commission européenne annonce un plan de 800 milliards d'euros qui correspond essentiellement à de la dette, nationale mais aussi commune. Il ne faudrait pas que ces mécanismes deviennent un moyen pour Bruxelles de contrôler la défense des États membres. Et quelle sera la marge de manoeuvre des États qui, comme la France, ont déjà une dette élevée ?
Le Livre blanc insiste sur la nécessité d'encourager les financements privés : c'est la reconnaissance d'un problème longtemps occulté. Hélas, je ne suis pas certain que les réticences des acteurs financiers soient toutes durablement levées ; il faut maintenir la pression.
Les défis sont immenses pour produire des volumes importants à moindre coût, tout en sécurisant et diversifiant les filières d'approvisionnement. Si l'accroissement des dépenses militaires se confirme, il devra se faire au profit des entreprises européennes dans un cadre de coopération renforcé. Encore faut-il que les Européens produisent et achètent européen.
Jusqu'ici, la situation est largement profitable aux États-Unis, qui, sous couvert d'interopérabilité avec l'Otan, imposent leurs standards et créent des dépendances. Certains de nos voisins persistent d'ailleurs à maintenir des commandes importantes aux États-Unis, donc une dépendance envers eux pour les deux prochaines décennies. Par ailleurs, toutes les coopérations européennes n'ont pas été fructueuses ; certaines ont abouti à des échecs, des retards ou des surcoûts.
Que certaines acquisitions soient faites à l'étranger en dépit d'alternatives européennes compétitives est évidemment troublant. Ne nous figurons pas que les Américains vont abandonner le marché européen alors qu'un afflux de crédits s'annonce. Sans oublier la Corée du Sud et Israël.
Les questions de concurrence intracommunautaire et les règles d'exportation hors Union européenne doivent aussi être prises en compte.
En général, j'accueille les initiatives de la Commission européenne et de son actuelle présidente avec prudence. Leur propension à se mêler de tout, à interpréter avantageusement les traités et à surréglementer est avérée. La Commission est aussi à l'origine d'une taxonomie qui ne reconnaît pas comme durables les activités liées à la défense, alors que nos concurrents étrangers bénéficient d'un large soutien public et privé. Des simplifications ont été annoncées : nous verrons ce qu'il en est.
Peu de développements sont consacrés au Royaume-Uni. Hors la France, c'est pourtant la seule puissance nucléaire et le seul membre permanent du Conseil de sécurité sur le continent. Ce pays dispose d'un spectre large de compétences et de capacités, ainsi que d'une expérience du combat.
Nous avons eu la clairvoyance de conclure, en 2010, un partenariat de défense avec le Royaume-Uni, qui demeure après le Brexit. Cette initiative bilatérale fonctionne et pourrait servir de modèle à une plus grande échelle. Mais les États-Unis laisseront-ils les autorités britanniques agir comme elles l'entendent ?
Forts de cette prise de conscience des enjeux de sécurité en Europe, nous devons préparer la guerre de demain, qu'il s'agisse d'une guerre de haute intensité ou de la multiplication d'actions multichamps en « zone grise », sous le seuil de conflictualité. Pour aller au-delà des déclarations d'intention, nous devrons être pragmatiques et innovants, travailler avec quelques États en fonction des domaines et en partant des besoins opérationnels, nous défaire des lourdeurs administratives, renforcer la ressource humaine, militaire comme industrielle - certains industriels européens importent de la main-d'oeuvre d'Asie.
Nous sommes à un tournant de l'Histoire : mettons-nous, Français et Européens, en état de compter sur la scène internationale du XXle et de ne pas être la proie des nouveaux empires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe. - Oui, nous sommes à un moment de bascule historique face à la menace que fait peser la Russie sur nos démocraties et aux incertitudes qui entourent la relation transatlantique et la garantie de sécurité américaine. C'est l'opportunité pour notre pays, pour notre continent, de prendre leur destin en main en investissant massivement pour se réarmer.
Nous partageons votre souci de promouvoir la préférence européenne : les futurs financements doivent donner de la visibilité à nos industriels pour monter en capacité et maintenir leur savoir-faire.
Nous reviendrons certainement lors de ce débat sur la gouvernance et les objectifs des instruments que nous allons mettre en place en Europe pour répondre à ce nouveau contexte géopolitique.
M. Pascal Allizard. - Plutôt que d'Europe de la défense, je préfère parler de défense de l'Europe. L'Europe est aussi une géographie : n'oublions pas nos voisins britanniques, mais aussi norvégiens et d'autres encore. Nous avons besoin d'une approche collective à l'échelle des États, en incluant bien évidemment l'Union européenne et sans oublier l'Otan - car un travail considérable a été accompli dans ce cadre, et ne pas s'en servir serait une erreur.
M. Jean-Pierre Grand . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) Des négociations viennent de se tenir en Arabie saoudite entre l'Ukraine, les États-Unis et la Russie - sans l'Union européenne. Situation aussi révoltante que paradoxale, car l'Europe est concernée au premier chef par le conflit en Ukraine.
Après l'Ukraine, ce sont la Pologne, l'Estonie, la Lituanie ou la Lettonie qui pourraient subir l'agression russe. En 2021 déjà, la Pologne et la Lituanie ont été victimes d'une attaque hybride menée par la Russie et la Biélorussie, fondée sur l'exercice d'une pression migratoire ingérable.
L'Union européenne s'est mobilisée, mais pas suffisamment. De fait, ses fondements sont ceux d'une union pour la paix par la prospérité, et non par la force. Les bouleversements géopolitiques récents nous obligent à changer d'approche.
Une prise de conscience avait eu lieu lors du premier mandat de Donald Trump - en témoigne la mise en place du Fonds de défense européen, en 2021. Puis la guerre en Ukraine a donné lieu à de nombreuses initiatives, dont la boussole stratégique européenne. La réélection de Donald Trump nous oblige à aller plus loin.
C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté le mois dernier son très attendu Livre blanc sur la défense européenne. Si l'Otan reste la pierre angulaire de la défense du continent, l'Union européenne a désormais le devoir d'assurer sa propre sécurité.
Le soutien à l'industrie européenne est une orientation majeure du Livre blanc, la Commission européenne identifiant les secteurs critiques dans lesquels des projets réunissant au moins deux pays doivent être menés : défense aérienne et antimissile et intelligence artificielle, par exemple.
La Commission européenne préconise aussi d'améliorer la mobilité militaire et de renforcer nos frontières extérieures, notamment avec la Russie et la Biélorussie. Elle appelle à une assistance militaire accrue à l'Ukraine, ainsi qu'à une plus grande intégration des industries européenne et ukrainienne.
Ces mesures s'accompagnent de propositions financières ambitieuses dans le cadre du plan ReArm Europe, destiné à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros pour notre défense. Il prévoit notamment une dérogation au pacte de stabilité et de croissance (PSC) pour les dépenses en matière de défense. La Commission européenne propose aussi une facilité de prêt pour les dépenses militaires, jusqu'à 150 milliards d'euros. La mobilisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) sera également décisive.
Le groupe Les Indépendants soutient les mesures proposées dans ce Livre blanc, mais restera vigilant sur leurs effets concrets. Le mois dernier, le consensus n'a pas pu être réuni, à cause de la Hongrie ; demain, il est possible que d'autres États bloquent les décisions. Et n'oublions pas que, pendant des années, les États membres ont été divisés sur les questions de défense. À nous, Européens, d'être unis et au rendez-vous pour ne pas sortir de l'histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Exclusion possible des dépenses de défense du calcul du déficit, plan SAFE, prêt de 150 milliards d'euros contracté par la Commission européenne, refléchage de certains fonds : le réarmement de notre continent franchit un cap important.
Mais nous devrons aller plus loin et rehausser nos ambitions sur le long terme. Je pense au recours au mécanisme européen de stabilité ou à un possible grand emprunt pour la défense, à l'instar de celui lancé face à la crise Covid pour la relance de notre économie. Ces mesures feront partie des priorités que la France défendra auprès de ses partenaires, à commencer par le nouveau chancelier allemand.
Nous travaillerons, bien sûr, à inclure tous nos partenaires, en particulier les Britanniques et les Norvégiens. Nous le faisons déjà avec le Premier ministre Starmer pour la définition des garanties de sécurité pour l'Ukraine, afin d'assurer une paix juste et durable.
M. Jean-Luc Ruelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce Livre blanc était nécessaire, parce que le contexte géopolitique a profondément changé depuis la parution de la Boussole stratégique, en 2022 : il est devenu impératif de prendre le virage d'une véritable défense européenne. Très attendu, il est, hélas, décevant.
Sur la forme, ce document est le parangon de ce que peut produire la bureaucratie européenne : défaut de structuration, redondances, banalités, assertions irréalistes.
Sur le fond, il ne propose aucun nouvel axe sérieux et entretient la confusion sur la création d'une véritable industrie de défense européenne et sur la conduite des opérations militaires.
Certes, des mécanismes sont proposés pour améliorer la coopération et la coordination interétatique en vue d'un marché unique, mais aucune structure n'est prévue pour faire converger les actions des États. Quant à une mutualisation des budgets militaires pour des acquisitions conjointes, elle n'est pas même abordée.
Ce ne sont pas là les seules lacunes du Livre blanc. On n'y trouve aucune solution de financement commune novatrice. Un investissement colossal de 800 milliards d'euros est envisagé, mais 150 milliards seraient à la charge des États, sans prise en compte de leur capacité d'endettement. Quant à la possibilité pour les États de renoncer à la TVA dans le cadre de l'instrument SAFE, elle représente des montants ridiculement faibles.
Il faudrait, par exemple, envisager la défiscalisation totale des filières de production de défense et modifier la taxonomie européenne pour inciter le système financier à soutenir l'industrie de défense.
Plus problématique encore : le réarmement européen n'est conçu qu'en réaction au conflit russo-ukrainien, et le cadre stratégique proposé a pour vocation première d'intégrer l'Ukraine dans l'architecture de sécurité européenne. Une fois de plus, les dispositifs envisagés semblent davantage circonstanciels et court-termistes que réfléchis dans une perspective de renforcement durable de la base industrielle et technologique de défense européenne. Entendons-nous bien : je ne remets pas en cause notre aide militaire à l'Ukraine, mais la structuration de la stratégie européenne autour de ce soutien.
Tout aussi problématique est l'affirmation selon laquelle l'Otan reste la pierre angulaire de notre défense. Une articulation entre l'Europe de la défense et l'Otan est à l'évidence nécessaire ; du reste, l'Union européenne ne pourrait se passer de l'Otan à brève échéance. Mais faire de l'Alliance atlantique notre centre de gravité géostratégique est une grave erreur, notamment du fait de l'imprévisibilité américaine.
La vocation de l'Union européenne est d'organiser le marché unique de la défense, tandis que la gestion des personnels et des opérations appartient aux États disposant de capacités militaires effectives, y compris le Royaume-Uni et la Norvège. C'est la seule voie possible vers l'autonomie stratégique.
M. le président. - Votre temps de parole est écoulé.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Pour fréquenter abondamment les documents de la Commission européenne, je ne puis qu'approuver vos commentaires stylistiques...
Je vous trouve sévère, en revanche, sur la construction de ce document. L'objectif est d'identifier les domaines dans lesquels nous avons des lacunes et des dépendances, notamment vis-à-vis des États-Unis, afin de concentrer nos efforts d'investissement pour rattraper ces retards d'ici cinq à dix ans. Je pense par exemple aux satellites - voyez le rôle joué par Starlink en Ukraine. Bref, il s'agit de hiérarchiser les priorités et d'investir ensemble.
Il n'est pas question de fédéralisation de la défense : les États membres garderont leur souveraineté sur l'outil militaire. Il convient, en revanche, de mettre en commun les priorités et les dépenses.
Je suis parfaitement d'accord avec vous sur la taxonomie. Nous avons d'ailleurs obtenu la modification du mandat de la BEI. Les institutions privées doivent maintenant montrer qu'elles ont intégré ce changement de culture et se départir de leur frilosité à soutenir nos PME et start-up dans le domaine de la défense.
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Maryse Carrère applaudit également.) Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir suscité ce débat utile.
Je déplore vivement qu'un document de cette importance ne soit disponible dans sa version intégrale sur le site de la Commission européenne qu'en anglais. C'est insupportable ! (Nombreuses marques d'assentiment) J'aimerais, monsieur le ministre, que vous relayiez ce coup de gueule, ou plutôt ce carton rouge adressé à la Commission européenne. Sous la présidence française de l'Union européenne, Clément Beaune et moi-même avions confié une mission à Christian Lequesne, qui nous avait remis des propositions concrètes pour faire du multilinguisme une réalité dans les institutions de l'Union européenne.
S'il est le premier du genre, ce document s'inscrit dans la lignée d'exercices précédents s'y apparentant. Mais puisque la notion de Livre blanc est employée en France depuis un demi-siècle pour des documents fixant notre stratégie de défense et de sécurité, je tiens à préciser ce que ce Livre blanc européen n'est pas.
Il n'est ni un document fixant une chimérique stratégie supranationale de défense ni une feuille de route qui poserait les bases d'une armée européenne intégrée. En matière de défense, il ne peut y avoir de supranationalité. Mal en a pris à ceux qui, dans les années 1950, ont imaginé confier les clés de la défense des six pays fondateurs à un ministre de la défense commun, à la tête d'une armée commune sous le commandement ultime du commandement supérieur des forces atlantiques en Europe... Soyons clairs : il ne s'agit pas d'y revenir.
Notre politique de défense nationale repose sur des piliers fondamentaux : une revue nationale stratégique, une loi de programmation militaire, des lois de finances annuelles qui traduisent ces ambitions en moyens. Ce triptyque, qui ne relève que des pouvoirs exécutif et législatif nationaux, existe et continuera d'exister.
J'en viens à ce qu'est ce Livre blanc : une reconnaissance des positions défendues avec constance par la France depuis de nombreuses années. Dès 2017 - le président Patriat s'en souvient -, dans son premier discours de la Sorbonne, le Président de la République constatait : « Nous vivons en Europe (...) un désengagement progressif et inéluctable des États-Unis », précisant qu'en matière de défense, notre objectif devait être la capacité d'action autonome de l'Europe, en complément de l'Otan.
Que d'énergie il a fallu déployer pour faire accepter à tous les États européens ce qui paraît aujourd'hui une évidence : le concept d'autonomie stratégique européenne.
Ce Livre blanc est aussi une validation du choix initié par la France en 2017, et même 2012, d'augmenter les crédits de la défense. Les deux lois de programmation militaire (LPM) ont fait passer ce budget de 34 à 51 milliards d'euros, marquant notre volonté de consolider notre modèle complet d'armée. Les commandes ont été passées, les matériels renouvelés.
Ce Livre blanc est la conséquence du réveil stratégique des Européens qui ont enfin ouvert les yeux sur les menaces conventionnelles ou hybrides. Le réveil est brutal pour ceux qui avaient mis tous leurs oeufs dans le même panier transatlantique, moquant la volonté française d'autonomie européenne comme un ersatz de gaullisme suranné, dans ces années 2000 qui fleuraient bon la fin de l'histoire. Mais la guerre en Ukraine a mis en évidence le caractère imprévisible de l'allié américain. Certes, le Mur de Berlin est tombé et le rideau de fer levé, mais ce n'est pas l'ère de la paix perpétuelle chère à Kant. De nouveaux murs invisibles menacent de diviser notre société à coups d'infox ou d'ingérences.
Le Livre blanc est un bon début, un starter au sens mécanique du terme. Il permet un rattrapage, grâce aux 150 milliards d'euros de prêts SAFE et aux 650 milliards d'euros de dépenses nationales additionnelles. Il enclenchera une dynamique. Mais de grâce, pas de complexification ! La seule norme défendable, c'est le contenu européen des armements commandés. La position de la France, de 80 % et non 65 % de la valeur totale d'un système d'armement d'origine européenne, doit être entendue, car elle est de bon sens.
Il faut faire en sorte que les jeunes pousses et les PME soient encouragées.
J'ai commencé mon propos par un carton rouge ; je le termine par un feu vert à l'égard de la Commission. Il est heureux qu'elle mette en place des outils pour aider les États membres à renforcer la défense européenne. Elle doit mettre les bouchées doubles ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Depuis 2017 et le discours de la Sorbonne du Président de la République, la France a l'ambition de l'autonomie stratégique de l'Union européenne, face à un monde compétitif, aux menaces, aux questions sur l'avenir de la garantie de sécurité américaine. Déjà le président Obama évoquait en son temps le pivot vers l'Asie et avait mis en danger la sécurité de l'Europe par son inaction en Syrie. En 2014, on a vu le début de l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Les Européens doivent réaliser un réinvestissement massif dans leur défense et mettre fin à leurs dépendances technologiques, face au rôle de TikTok ou X dans l'espace public. Nous devons réindustrialiser notre continent et rehausser nos ambitions en soutenant nos entreprises.
Nous continuons de défendre cette ambition haute pour une Europe souveraine capable de se défendre. Beaucoup de nos partenaires, longtemps sceptiques, nous rejoignent. Nous canaliserons cette énergie pour avoir une Europe plus forte. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Des chantiers industriels majeurs seront développés. Nos pépites peuvent être vulnérables financièrement. Il faut les préserver, en protégeant leurs brevets par exemple. La direction de l'industrie de défense à la direction générale de l'armement (DGA) dirigée par Alexandre Lahousse fait un travail remarquable. Nous devons rester vigilants. Le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) a montré que les alertes vont croissant notamment de la part d'alliés. Suivez mon regard... (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. André Guiol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La situation internationale nous pousse à mieux prendre en charge notre souveraineté en matière de défense, en assurant notre autonomie stratégique, prônée par la France depuis des années. L'opportunité de cette initiative est avérée. En vingt ans, la part de l'Europe dans les dépenses militaires mondiales est passée de 27 % à moins de 16 %. La Chine l'a doublée. La Russie consacre plus de 6 % de son PIB à la défense.
Pendant ce temps, l'Europe a réduit ses arsenaux, sous-investi et parié sur les dividendes de la paix.
Depuis que la Russie est devenue une menace existentielle, la compétition entre puissances ne se cache plus derrière les traités. La Russie transforme l'Ukraine en laboratoire de la guerre d'attrition. La Chine étend patiemment ses réseaux logistiques, de l'Indopacifique à la Méditerranée. Les États-Unis assument une lecture purement transactionnelle des alliances, rappelant que l'article 5 de l'Otan n'est plus une promesse inconditionnelle.
La France, seule puissance nucléaire de l'Union, a un rôle à jouer. Nos intérêts vitaux ont une dimension européenne. Il est donc légitime d'associer nos partenaires à la réflexion sur notre dissuasion. Ni partage, ni délégation, mais la marque d'une confiance sans faille en la souveraineté européenne.
Le Livre blanc n'aborde pas encore la question du partage de la dissuasion nucléaire. À terme, il devra intégrer cette réalité. Toutefois, la Commission européenne assume un discours de puissance. Surtout, elle structure un effort budgétaire coordonné. C'est une avancée que le RDSE soutient sans ambiguïté.
La clause dérogatoire au pacte de stabilité permettra aux États membres d'augmenter temporairement leurs dépenses militaires jusqu'à 1,5 % du PIB. Ce levier est indispensable, mais il faudra éviter qu'il ne serve qu'à requalifier des dépenses déjà budgétisées.
L'instrument SAFE est le plus ambitieux des mécanismes du Livre blanc ; nous y sommes favorables. Le principe d'une dette mutualisée est une avancée politique majeure que les pays frugaux commencent à entendre.
Le Livre blanc propose de mobiliser l'épargne privée via la BEI, ce qui n'est pas immédiatement pertinent au regard du modèle social que nous défendons. Avant de solliciter l'épargne des Français, explorons les mécanismes de contribution des entreprises les plus aisées, en particulier celles du secteur de la défense.
Nous souhaitons que le Livre blanc engage une réflexion stratégique, planifiée, sans se limiter à l'expression d'un catalogue capacitaire. N'ayons pas peur d'en faire un instrument politique.
Nous saluons les mesures en faveur de l'Ukraine. Cette solidarité ne doit pas masquer l'essentiel : nous devons préparer l'Europe à un scénario de haute intensité. Cela suppose des stocks, des corridors logistiques protégés, une défense effective des frontières orientales, mais aussi une meilleure préparation aux attaques cyber et aux guerres hybrides.
Ce Livre blanc ne doit pas rester au stade de la déclaration d'intention. Le groupe RDSE soutiendra les instruments budgétaires et financiers qui ancreront cette dynamique dans les politiques publiques des États. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui, nous devons favoriser les coopérations individuelles. On connaît les redondances entre armements ; il est donc important de définir des domaines capacitaires où investir en commun.
La meilleure garantie de sécurité pour l'Ukraine sera de disposer d'une armée robuste, forte et indépendante. Cela passe par le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) et le prêt financé sur les intérêts des avoirs gelés de la Russie. Nous devons rapprocher au maximum l'Ukraine de nos industries de défense.
La préférence donnée aux armements européens passe aussi par la maîtrise de l'autorité de conception. En effet, se pose la question de la souveraineté dans l'usage, l'exportation et le savoir-faire technologique de ces armements.
M. André Guiol. - En tant qu'ancien de la DGA, je suis sensible à la fabrication des armes au niveau européen. Il y a eu de gros échecs, sur le char, l'avion ou l'hélicoptère. Mais le bouclier européen est le sujet qui me préoccupe le plus. Il y a deux écoles : d'un côté les Allemands, associés aux Américains et aux Israéliens ; de l'autre, les Français associés aux Italiens. Il y a quelque chose à faire ensemble, pour garder notre souveraineté.
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'Union européenne a tout d'une grande puissance. Elle est peuplée de 450 millions d'habitants, dotée d'un PIB de 18 000 milliards d'euros, elle domine les classements de développement humain, ses écoles attirent le monde entier. L'Union européenne a tout d'une grande puissance, mais c'est un colosse aux pieds d'argile dans le domaine de la défense.
Depuis 1945, les États européens ont privilégié la protection des États-Unis plutôt que d'investir dans leur propre défense.
« Les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts », disait le général de Gaulle. Les yeux de Washington sont rivés sur le Pacifique et la Chine. L'isolationnisme américain a ressurgi. Outre-Atlantique, on s'interroge : pourquoi mourir pour l'Europe ? Nos dollars doivent-ils financer la défense des Européens ?
Le constat pour l'Europe est sévère. Nous avons accumulé un trop grand retard dans nos politiques militaires et ne sommes pas en mesure de faire face aux menaces.
La France a choisi l'autonomie stratégique, se dotant de l'arme nucléaire et d'une armée complète, mais elle ne peut concourir à la course à l'armement que la Chine, la Russie et les États-Unis se livrent.
Nos tentatives de structurer une politique de défense commune au sein de l'Union européenne sont longtemps restées infructueuses, nos partenaires privilégiant la protection américaine. Pourtant, le constat du renforcement et de l'autonomisation de nos forces armées fait désormais consensus. Si les Européens veulent la paix, ils doivent préparer la guerre.
Nous aurions dû anticiper ce réveil brutal de la guerre dès le 24 février 2022 et la violation russe du territoire ukrainien. Qui peut croire que la Russie s'arrêtera à l'Ukraine ? Que le dictateur du Kremlin n'attaquera pas l'Europe si elle est faible ?
La Russie s'arme contre nous et les États-Unis préparent dans notre dos les conditions d'une paix inacceptable pour l'Ukraine dont nous ferons inévitablement les frais.
Si nous voulons nous protéger, les 27 membres de l'Union européenne doivent mener une politique de réarmement, de Lisbonne à Tallinn, de Stockholm à Athènes. Saluons les investissements massifs de l'Allemagne. Cependant, ce réarmement européen ne sera pas immédiat, tant le retard est grand.
La majorité des armées européennes sont structurées comme des soutiens à l'armée américaine et non des forces de projection indépendantes. Leur dotation matérielle dépend de la BITD américaine.
Enfin, notre coordination stratégique doit être renforcée.
Le Livre blanc apporte une réponse à ces défis pour 2030. L'instrument SAFE fournira 150 milliards d'euros sur quatre ans. L'Union européenne activera aussi la clause dérogatoire au PSC pour quatre ans, pour dégager au total 800 milliards d'euros.
Ce Livre blanc cible des priorités pour notre résilience stratégique, tels que les stocks de munitions, les drones, l'innovation technologique ou encore la protection des infrastructures. Veillons à ce que ces armes soient bien fabriquées sur notre sol, tout en respectant la souveraineté des États.
La Commission européenne veut renforcer ses liens avec le Royaume-Uni, la Norvège, le Canada, la Turquie, les États voisins de l'Union, les pays de l'Indopacifique, tout en rappelant que l'Otan reste la pierre angulaire de notre coordination.
Nos relations avec les États-Unis doivent prendre en compte que les intérêts américains ne convergent pas toujours avec les nôtres. En témoigne la question du Groenland. Les forces militaires européennes doivent être en mesure de dissuader les ambitions expansionnistes du 47e président des États-Unis.
Dans un monde qui se réchauffe, et pas seulement climatiquement, les Européens doivent redoubler d'efforts pour se doter d'une force militaire capable de dissuader, d'opérer et de défendre nos valeurs.
Avec la chute de l'Union soviétique, nous avons cru naïvement à la fin de l'histoire, sous la protection du gendarme américain, où nous pourrions devenir des rentiers recevant les dividendes de la paix. Les jours de paix se couchent à l'ouest ; la nuit tombe à l'est, avec son lot de guerres et d'incertitudes. L'Europe est le témoin de ce sinistre crépuscule.
Ensemble, nous sommes plus forts. C'est pourquoi le Livre blanc est un pas en avant historique pour dissuader nos adversaires et nous réarmer moralement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. François Patriat applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nos efforts visent à renforcer le pilier européen de l'Otan et l'interopérabilité de nos armements telle que définie par celle-ci. Les domaines capacitaires du Livre blanc correspondent à ceux de l'Alliance.
Des questions se posent sur la posture des États-Unis au sein de l'Otan, quand ils menacent l'intégrité territoriale du Danemark.
Il n'y a pas d'incompatibilité entre le fait de renforcer l'autonomie stratégique européenne et celui de rééquilibrer, dans un partenariat renouvelé, la relation transatlantique, si les États-Unis font le choix de rester ancrés dans la sécurité du continent européen.
M. François Bonneau. - Le temps presse. L'Europe doit montrer le meilleur d'elle-même et ne pas tomber dans ses travers réglementaires et normatifs. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)
M. Philippe Folliot. - Très bien !
Mme Michelle Gréaume . - Le Livre blanc traduit un aveuglement sur les causes des conflits actuels. Pire, la Commission européenne ne tire pas les leçons du passé. Le bilan de trente ans d'élargissement de l'Otan vers l'Est tout comme la nécessité d'une évolution des discussions sur notre sécurité collective sont ignorés alors que notre continent s'enfonce dans les tensions avec notre voisin russe.
La plupart des Européens considèrent qu'ils n'ont d'autre choix que la guerre, alors que l'objectif doit être la paix négociée, qui ne soit pas la capitulation de l'Ukraine. La stratégie guerrière laisse derrière elle un bilan dramatique de morts et de sacrifices.
Alors qu'au printemps 2022, à Istanbul, Kiev accepte la neutralité et que Moscou concède le retrait de ses troupes sur les territoires occupés depuis février 2022, les pays occidentaux, plus préoccupés par le cas de Poutine, préfèrent fournir des armes à l'Ukraine plutôt que de répondre aux garanties de sécurité qu'elle demande. Cette stratégie présente un risque : avec un accord de paix ressemblant à une capitulation, ces armes pourraient tomber dans les mains d'un régime ukrainien revanchard souhaitant reconquérir par la force les territoires perdus, au risque de déclencher un nouveau conflit régional.
Le Livre blanc veut avancer sur l'« Europe puissance », mais il contient des contradictions. L'Union européenne souhaite un renforcement des coopérations en accord avec nos valeurs, mais se vautre dans des deals inadmissibles avec la Turquie d'Erdogan ou l'Inde de Modi. Parler de situation fragile à Gaza, c'est méconnaître le génocide qui s'y déroule, reconnu par l'ONU. Ce double standard participe à l'effondrement du droit international. Poutine utilise nos incohérences à son profit, alors qu'il faut détacher la société russe de son emprise.
En réalité, on assiste en Europe au grand retour de l'idéologie atlantiste.
Une étroite collaboration avec l'Otan est nécessaire, selon la Commission européenne, qui ajoute que la course aux armements serait la voie vers une autonomie stratégique budgétaire européenne. Monsieur le ministre, laissez-moi en douter, face à une Allemagne et une Pologne qui souhaitent acheter des armes américaines, au détriment de notre industrie.
Cette référence à l'Otan a surtout pour but d'accorder des Européens divisés en fixant le cap depuis Washington. Pourtant, les États-Unis de Trump et Vance ne sont plus nos alliés.
Même sans les États-Unis, l'Europe surpasse la Russie dans tous les domaines. Les États membres de l'Union européenne dépensent déjà 460 milliards d'euros par an pour la défense, soit quatre fois plus que la Russie. Ces 800 milliards d'euros ne répondent pas à un objectif sécuritaire mais idéologique. Alors que le secteur automobile européen est en difficulté et que l'Allemagne entre en récession pour la troisième année consécutive, l'ère du réarmement d'Ursula von der Leyen apparaît comme la solution miracle. Nous disons non à cette escalade. Perpétuer des rivalités économiques et militaires dans ce contexte n'est pas responsable. Nous appelons à reprendre la voie de la diplomatie, en restaurant ses moyens. Nous ne pouvons donner à notre jeunesse la guerre comme seule perspective.
Quelles dépenses seront sacrifiées sur l'autel de cette politique belliciste ? L'école ? Les hôpitaux ?
Enfin, sur la forme, le Parlement n'a jamais pu se prononcer sur les projets de la Commission européenne, qui n'a aucune légitimité démocratique ni compétence en la matière. Votre chemin n'est pas le nôtre. Si nous voulons la paix, préparons la paix, et un avenir serein pour nos enfants.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Quelle inversion des valeurs et des responsabilités ! On ne prépare pas la paix par la soumission, le défaitisme et le renoncement ! Vous nous parlez d'une Ukraine revancharde ? D'une escalade des Européens à l'égard de la Russie ? Mais c'est la Russie qui a tourné le dos à la diplomatie et a choisi l'agression des Ukrainiens.
Le président Zelensky a accepté le principe d'une trêve de trente jours, mais le président russe persévère : c'est l'effacement de l'Ukraine en tant que nation indépendante que vise la Russie.
C'est nous qui sommes visés, par des attaques cyber, des ingérences, des menaces ; les frontières d'États membres sont menacées. Ne confondons pas les responsabilités. Ne nous autoflagellons pas sur notre rôle.
Pour préserver une Europe de paix et de liberté, nous devons défendre nos intérêts et dissuader l'agresseur d'agir. (M. François Patriat applaudit.)
M. Christian Cambon. - Très bien !
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Après le plan Réarmer l'Europe présenté début mars, la Commission européenne a présenté sa déclinaison opérationnelle : le Livre blanc.
Alors que l'article 122 du traité de l'Union européenne exclut le Parlement de tout droit de regard, il est bienvenu de tenir ici ce débat démocratique.
Nous saluons la volonté de construire les fondations d'une réelle autonomie stratégique. Avec 650 milliards d'euros de dépenses à la seule charge des États membres, le Livre blanc laisse penser que nous allons plutôt vers plus de défense de l'Europe que d'Europe de la défense.
Néanmoins, je noterai quelques points positifs. Le programme SAFE prévoit 150 milliards d'euros levés par l'Union européenne sous forme d'emprunts mutualisés, pour des achats groupés, à 65 % au profit de notre industrie de défense. Monsieur le ministre, je reconnais là le travail d'influence de la France. Je me satisfais de cette jauge ambitieuse. Nous saluons aussi l'ouverture du programme à l'Ukraine, dont la BITD est montée en puissance ces dix dernières années. Ce programme fera évoluer les habitudes nationales, pour avancer collectivement vers un réflexe d'achat européen.
Il faudra articuler ce premier pas de coordination avec la définition parfois trop autocentrée des intérêts nationaux. La réactualisation de la revue nationale stratégique n'intègre pas assez les perspectives de l'Union ; j'espère une nouvelle version avant l'été.
Un mot aussi de l'IA et des drones autonomes. Certaines tournures de phrases nous inquiètent. Nous rappelons notre opposition totale à toute évolution de la législation européenne en matière de drone, qui interdit l'utilisation de toute arme autonome capable de tuer un être humain sans une décision explicite d'un autre être humain.
Concernant les financements, nous sommes inquiets. Jusqu'à 2027, nous sommes contraints de recourir à la dette collective et à celle de chaque État, via un assouplissement temporaire du PSC, qui s'avère insuffisant. Il faut réformer intégralement ce mécanisme, pour y inclure non seulement la défense, mais aussi la transition énergétique, la justice sociale et les investissements d'avenir. Les dépenses militaires ne doivent pas entrer en concurrence avec nos autres dépenses essentielles. L'autonomie stratégique européenne n'existera pas sans transition énergétique : nous devons stopper notre dépendance aux énergies fossiles et à l'uranium russe. Elle n'existera pas non plus si des populations paupérisées placent l'extrême droite alliée de Poutine au pouvoir.
Il nous faut des ressources complémentaires, et de la justice. Nous ne pouvons enrichir éhontément les actionnaires des entreprises de la défense. Leurs dividendes doivent être encadrés. Il faut mettre nos compatriotes les plus aisés à contribution, comme le propose Gabriel Zucman. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je vous remercie d'avoir salué l'influence de la France, notamment pour la reconnaissance de la préférence européenne au sein de SAFE et d'Edip.
Il n'est pas question de revenir sur la législation sur les drones.
Une harmonisation des règles de l'IA sur le marché européen est aussi prévue, ainsi qu'un encadrement sur les plans éthique et militaire.
Nous porterons une ambition haute pour le budget de l'Union européenne, en particulier sur les volets militaire et spatial, tout en respectant les règles de préférence européenne et en soutenant la compétitivité, l'innovation et la décarbonation. Le rapport Draghi souligne un retard d'environ 800 milliards d'euros par an.
Il faudra des instruments publics, un cadre financier pluriannuel, mais aussi des ressources propres de l'Union européenne et la libération des financements privés. C'est là que je ne vous rejoindrai pas. Ce n'est pas en taxant plus, en instaurant plus de contraintes pour nos entreprises que nous permettrons à l'épargne privée, qui franchit aujourd'hui l'Atlantique, de s'orienter vers nos start-up et nos PME. Au contraire, c'est en rendant notre continent le plus compétitif au monde, en simplifiant nos règles et en unifiant nos marchés de capitaux que nous défendrons notre souveraineté. (M. François Patriat applaudit.)
M. Guillaume Gontard. - Comment finance-t-on cette défense européenne ? Mais aussi la transition énergétique, essentielle à notre souveraineté ? Comment définir une contribution juste ? La taxe Zucman s'élève à 2 % seulement... Ne pas faire contribuer les plus grandes fortunes ouvrirait la voie à des victoires politiques que l'on ne souhaiterait pas et qui mettraient notre armée dans des mains très dangereuses. (M. Jacques Fernique applaudit.)
M. Didier Marie . - (Mme Hélène Conway-Mouret applaudit.) Il aura fallu les violations du droit international par la Russie, les menaces de Trump, la mise à l'écart de l'Union européenne des négociations sur l'Ukraine pour que l'idée d'une défense européenne prenne enfin corps. Le parapluie européen menace de se refermer, l'appartenance à l'Otan n'est plus une garantie fiable. Qui peut croire que Trump activera l'article 5 du traité de l'Otan si un pays de l'Union est attaqué ?
Depuis l'agression de l'Ukraine par Poutine, les pays de l'Union européenne ont mené des efforts de réarmement sans précédent, mais de façon dispersée. Les problèmes d'interopérabilité sont patents, tout comme les dépendances aux importations américaines.
Les 450 millions d'Européens ne devraient pas dépendre des 350 millions d'Américains pour se défendre contre les 150 millions de Russes, pour reprendre les mots du commissaire Kubilius.
Notre défense, notre puissance passent par une véritable politique coordonnée.
Le plan présenté par Mme von der Leyen démontre une prise de conscience pour un réveil européen. La volonté de faciliter la circulation des biens de défense au sein de l'Union, d'alléger les charges administratives ou d'encourager les projets conjoints est à souligner.
Ce Livre blanc n'est qu'une première étape sur le chemin de l'autonomie, que l'Union aurait dû franchir bien plus tôt.
Les plans ReArm Europe et SAFE restent insuffisants. Nous avons besoin de beaucoup plus d'argent. Nous regrettons les tergiversations des États membres sur l'emprunt de 500 milliards d'euros, tout comme l'absence de consensus sur l'utilisation des 200 milliards d'avoirs russes gelés pour aider l'Ukraine. N'oublions pas que l'Ukraine est notre première ligne de défense. Dans le face-à-face américano-russe, elle a plus que jamais besoin de solidarité européenne.
Ensuite, l'exigence de la souveraineté militaire ne peut se faire au détriment de nos piliers sociaux et de la lutte pour le climat. Nous ne pourrons construire une Europe puissance en fragilisant nos sociétés.
Ce Livre blanc et ReArm Europe sont une première étape et pointent des priorités. Dépenser mieux et ensemble pour renforcer nos domaines capacitaires, élargir nos partenariats, intégrer la BITD ukrainienne : tout ceci va dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin et adopter le programme Edip.
Ce Livre blanc ne peut être la seule stratégie face aux menaces hybrides. La mise en place d'un bouclier démocratique européen est essentielle pour défendre nos valeurs et la place de l'Europe dans le monde. Les dirigeants européens doivent prendre leurs responsabilités et apporter une réponse forte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage votre exigence et votre ambition. Le plan ReArm Europe va dans le bon sens, mais il faudra aller plus loin. Nous avons demandé à la Commission européenne un emprunt commun, comme pendant la crise du covid. Beaucoup nous disaient alors que nous allions nous diviser, tentés par des réponses nationalistes. Au contraire, nous avons su nous unir.
Face à une autre menace existentielle, à nous de prendre des décisions historiques. C'est l'ambition de la France. Un amendement allant dans ce sens a recueilli une majorité de voix favorables au Parlement européen. Les choses vont dans le bon sens.
Les avoirs gelés de la Russie sont utilisés au travers de leurs intérêts ; un prêt de 50 milliards d'euros est ainsi accordé à l'Ukraine. Il y a urgence à accélérer son décaissement, nous devons aller plus vite : c'est l'ambition défendue par la France à Bruxelles.
M. Didier Marie. - Monsieur le ministre, un emprunt est nécessaire, vous l'avez dit. Mais il faudra le rembourser. Cela renvoie à la question des ressources propres soulevée par Guillaume Gontard. Un peu d'imagination serait bienvenue...
La Russie accentue la pression sur l'Ukraine ; sur le front, la situation est difficile. Les Ukrainiens doivent être urgemment renforcés. Ces 200 milliards d'euros d'avoirs gelés constituent une opportunité.
M. Stéphane Ravier . - Il y a cinq ans déjà, pendant le covid, chaque État européen a défendu ses intérêts, quitte à marcher sur ses voisins. Puis la Commission non élue de Bruxelles a contracté des dettes pour réindustrialiser. Mais, aujourd'hui, toujours rien !
Mme von der Leyen présente un Livre blanc. Il faudrait la croire sur parole. Mais je suis comme saint Thomas, et comme les Français : je ne crois que ce que je vois. Les bonnes intentions couchées sur ce papier ne peuvent résister à la réalité. Ce seuil de 65 % seulement de composants européens nous laisse dans la main des États-Unis.
Le Livre blanc ouvre la voie à des achats communs avec le Royaume-Uni, le Canada ou l'Australie. L'Australie, par exemple, qui a rompu le contrat historique de douze sous-marins nucléaires il y a quatre ans à peine ! Ils s'en mordent les doigts maintenant. Toutefois, nous prévoyons d'oeuvrer avec eux...
Pas moins de 100 milliards d'euros ont été consacrés à l'avion de combat franco-allemand Scaf, aujourd'hui dans l'impasse, tandis que l'entreprise française LMB Aerospace passe sous pavillon américain.
Ce Livre blanc assume le rapport de force quand il est question de l'est de l'Europe, mais c'est la totale soumission à l'égard du Sud : des islamistes, de l'Algérie, de la pression migratoire.
Quand on parle de réarmer, nous devons aussi pointer du doigt ceux qui ont désarmé. Nous ne pouvons vous faire confiance, vous qui n'avez pas écouté le général de Villiers, et seulement la naïve Commission européenne.
Ne pensez-vous pas que nous avons moins besoin d'un Livre blanc de la Commission européenne que d'un Livre bleu blanc rouge ? Notre armée doit rester aux ordres de Paris, et non être soumise à un conglomérat berlino-bruxellois.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - C'est une grande émotion que d'entendre vos leçons sur la naïveté, quand on se souvient de vos réactions à la suite de l'élection de Trump. C'est frappant de vous entendre parler de naïveté, alors que vous avez prôné l'alliance avec le régime de Poutine et participé à l'observation d'élections truquées en Russie...
M. Stéphane Ravier. - Pas plus qu'à Marseille !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sans naïveté, avec lucidité, au contraire, nous réarmons notre quotidien ; oui, nous sommes capables d'assumer des rapports de force ; oui, nous sommes capables aussi de nous protéger face au défi migratoire.
La meilleure réponse, c'est la coopération européenne, comme nos alliés européens s'en aperçoivent eux-mêmes. C'est de mutualiser nos instruments sur les visas, l'aide au développement, la conditionnalité des accords commerciaux. Même l'Italie de Meloni le demande.
Face aux menaces, nous faisons le choix européen. (M. Didier Marie et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent.)
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec ce Livre blanc et son plan ReArm Europe, la Commission acte ce que beaucoup d'entre nous constatent depuis des années : l'ère des dividendes de la paix est révolue. Sans base industrielle solide, pas de puissance stratégique.
Face aux nouvelles menaces, à la guerre en Ukraine, à la fragilité de l'ordre international, l'Europe n'a d'autre choix que de se préparer et de s'armer, sans déposséder les États membres de leurs prérogatives régaliennes.
Les efforts étaient insuffisants, fragmentés, souvent inefficaces. Beaucoup ont nourri les entreprises de l'armement américain, en ignorant les solutions existantes, notamment françaises. Or cet allié américain n'a que ses seuls intérêts comme boussole.
L'heure est à la prise de conscience, tant mieux !
L'Europe ne pourra faire l'économie d'une harmonisation des standards et des procédures, indispensable à l'interopérabilité.
La France a un rôle central à jouer en tant que puissance nucléaire disposant de compétences reconnues et d'un véritable tissu industriel. La France est un acteur important au sein de l'Union et de l'Otan.
La Commission propose 800 milliards d'euros de financements répartis en trois axes : un effort budgétaire national coordonné via la clause dérogatoire au pacte de stabilité, la création de l'instrument SAFE, la mobilisation de l'épargne privée et de la BEI. C'est une avancée majeure.
Ce plan répond à l'urgence, en soutenant concrètement l'Ukraine, et soutient aussi une vision de long terme.
Il y a trois conditions indispensables à sa réussite. L'Europe ne pourra se contenter d'un empilement de dispositions nationales. Il faudra de la lisibilité budgétaire.
Le renforcement de notre BITD ne doit pas être sacrifié sur l'autel d'achats rapides ou d'intérêts particuliers. Le soutien à l'innovation, aux PME, aux capacités critiques doit rester central. Nous devons garantir que chaque euro investi ira bien à la BITD européenne, et non à des industries étrangères.
Enfin, ce plan ne pourra réussir sans une volonté politique forte, constante et partagée par les États membres. La France a une responsabilité historique dans cette dynamique.
S'il ne règle pas tout, ce Livre blanc marque un sursaut : l'Europe ne veut plus subir, mais choisir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage votre constat et vos propositions.
Une cohérence est effectivement nécessaire dans les projets industriels, comme dans le respect de la souveraineté des États membres. Cela fait partie des objectifs du plan SAFE.
Renforcer à long terme notre BITD en soutenant nos innovateurs et nos start-up, notamment dans l'IA et le quantique, en est un autre. Nous devons être véritablement compétitifs à l'échelle internationale. Nous avons raté plusieurs tournants technologiques des années précédentes.
Nous devons combler nos lacunes actuelles et faire en sorte que nous n'en ayons pas d'autres à l'avenir. Cela peut passer par le développement d'une Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa) européenne, à l'image de l'institution américaine.
Bien sûr, il faut une volonté politique. La France a une responsabilité et un rang particuliers à tenir. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle porte depuis 2017 cette ambition de l'autonomie stratégique, et elle continuera à le faire.
Mme Hélène Conway-Mouret . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Ce Livre blanc, le premier du genre, est l'affirmation d'une volonté politique d'avancer ensemble. Mais l'ambition ne suffit pas : il faut aussi des moyens.
Depuis 2021, les efforts européens en matière de défense ont augmenté de 31 %, mais le compte n'y est pas et nous devons mutualiser nos efforts. Il est possible de structurer une véritable BITD grâce à des coopérations bilatérales ou multilatérales, à l'instar de l'accord CaMo que nous avons conclu avec la Belgique.
Mais un obstacle persiste : la concurrence intra-européenne entre industriels, qui s'ajoute à la concurrence internationale. Pourquoi ne pas envisager un marché intégré de la défense ? L'Union européenne est un puissant levier pour faciliter les coopérations, renforcer l'interopérabilité, réduire les coûts et soutenir les infrastructures à double usage.
Votre collègue Sébastien Lecornu a déclaré que l'argent européen ne pouvait servir à produire sous licence des équipements américains. Je partage cette position. Pouvons-nous encore dépendre d'un standard de liaison de données tactiques de l'Otan, alors que des solutions européennes pourraient émerger ? Que faisons-nous pour sécuriser nos accès aux matériaux critiques et renforcer notre main-d'oeuvre ?
Sur le plan financier, de nombreuses propositions vont dans le bon sens. En revanche, la révision du Feder risque de conduire à subventionner des usines produisant du matériel américain exporté vers les États-Unis.
Ce Livre blanc nous invite à penser l'avenir sous la forme d'une alliance européenne, peut-être étendue au Royaume-Uni et à la Norvège, fondée sur l'acquis otanien et articulée autour des forces de dissuasion franco-britanniques, des capacités terrestres allemandes et polonaises et des capacités navales espagnoles, grecques et italiennes.
Dans ce paysage, la France peut être un moteur avec son modèle d'armée complet et sa dissuasion nucléaire autonome, à condition de prendre des engagements politiques et stratégiques plus fermes.
Nous devons prendre des mesures concrètes avec nos partenaires. Ainsi, n'est-il pas temps d'adosser notre garantie de sécurité au déploiement de troupes et de capacités, par exemple en Pologne ?
Nos lacunes restent nombreuses en matière de commandement, de défense sol-air, de renseignement satellitaire, de frappe dans la profondeur ou encore de guerre électronique. Les combler exigera des investissements colossaux, qui dépassent les capacités d'un seul pays.
Ce Livre blanc devra irriguer nos politiques nationales : ses conclusions seront-elles intégrées dans la prochaine revue nationale stratégique ?
De retour de Washington, je puis vous affirmer que les Américains s'organisent pour renforcer leur industrie et créer des emplois chez eux. Et nous, Européens, quel est notre cap ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sur le développement d'un marché intégré, j'appelle à la prudence. La défense n'est pas une industrie tout à fait comme les autres : l'aligner sur les règles concurrentielles alors qu'il s'agit d'un instrument de souveraineté ne me paraît pas approprié.
L'indépendance dans le renseignement est essentielle, notamment dans le domaine spatial. Voyez le rôle joué par Starlink en Ukraine et le débat en Italie sur l'utilisation de ce système. Il est urgent d'accélérer le déploiement du système IRIS2.
Enfin, il n'est pas question d'avoir juste des entreprises américaines sous pavillon européen à travers des joint-ventures. Nous devons garder l'autorité de conception et au moins 65 % de composants européens dans les matériels.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous ai interrogé sur le marché intégré non parce que j'y crois, mais parce que je voulais entendre votre réponse.
Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir initié ce débat. Dans un contexte d'inquiétude croissante parmi nos compatriotes, nous avons besoin d'entendre des engagements fermes de la part du Gouvernement, notamment sur les nécessaires coopérations renforcées. Un vrai débat s'impose aussi sur la façon dont la France pourrait faire bénéficier l'ensemble du continent de sa dissuasion nucléaire.
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Livre blanc sur la défense présente des pistes pour renforcer les capacités militaires européennes et coordonner la défense sur notre continent.
Il est essentiel de garder à l'esprit que la défense est une compétence régalienne des États. À cet égard, nous émettons des réserves sur certaines propositions, estimant que le renforcement des défenses européennes ne doit pas être synonyme de dilution de la souveraineté des États membres.
Il est inconcevable que 80 % des dépenses européennes de défense continuent de servir à l'achat de matériels non européens. Nous soutenons donc l'introduction de critères de préférence européenne pour le choix des matériels, afin de mettre un terme à des dépendances dangereuses. Il ne s'agit pas de protectionnisme à outrance, mais de pragmatisme pour garantir l'autonomie stratégique de l'Europe.
Il ne faut pas confondre coopération et intégration supranationale. Nous soutenons une Europe forte et compétitive mais refusons que l'Union européenne impose une vision uniforme de la défense, qui doit rester sous le contrôle exclusif de chaque pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous partageons votre vigilance à l'égard du respect de la souveraineté des États.
M. le président. - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je vous remercie pour ce débat de qualité.
À l'heure où nombre de nos partenaires évoluent sur la question de l'autonomie européenne, nous avons tous un rôle à jouer pour accompagner le débat européen et faire entendre la voix de la France. Je sais que vous jouez le vôtre, notamment dans le cadre des groupes interparlementaires d'amitié ou de forums et cercles de réflexion.
J'étais il y a quelques jours à Sarajevo. En Bosnie-Herzégovine, l'unité et l'ordre constitutionnel sont menacés par des velléités de sécession : un terrain de plus où la Russie tente par ses ingérences de répandre le chaos. Nous commémorons cette année les trente ans du génocide de Srebrenica et des accords de Dayton-Paris. On entend beaucoup que la guerre serait de retour en Europe depuis le 24 février 2022. Mais nous avons été dans une forme de déni : la guerre n'a jamais disparu de notre continent. Souvenons-nous que, il y a trois décennies, nous avons dû attendre l'arrivée des États-Unis pour mettre fin à un génocide sur notre sol.
La Russie a attaqué la Géorgie dès 2008. En 2014, ce fut le tour du Donbass et de la Crimée. Ce pays menace aujourd'hui l'ensemble de nos démocraties par de multiples ingérences, des cyberattaques et la mise en cause des frontières.
Les questions qui se posent autour de la garantie de sécurité américaine sont cruciales. Un mouvement de fond est à l'oeuvre, qui dépasse la personne de M. Trump : qu'il s'agisse du pivot vers l'Asie, du protectionnisme ou de l'unilatéralisme, ces tendances existaient déjà sous les administrations précédentes. La France porte toujours le même message : notre continent doit prendre le chemin de l'autonomie et du réarmement, matériel et moral. Car l'Europe a trop longtemps ignoré sa force et la réalité des rapports de force.
L'Europe a connu sa plus longue période de paix, et une guerre entre deux pays de l'Union européenne est inenvisageable. Mais cette paix ne nous a peut-être pas préparés à ce que nos rivaux nous désignent comme leurs ennemis et choisissent la guerre quand nous aurions préféré la diplomatie. Face à ce retour des conflictualités, faisons le choix de l'union et du réarmement pour défendre collectivement nos valeurs et notre sécurité. (Mme Hélène Conway-Mouret applaudit.)
M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 3 juillet 2013, la commission des affaires étrangères et des forces armées publiait le rapport Pour en finir avec « l'Europe de la défense » - Vers une défense européenne, dans lequel elle pointait une idée séduisante parce qu'ambiguë. Dénonçant une impasse conceptuelle, elle n'en estimait pas moins que la défense commune européenne était une impérieuse nécessité.
Douze ans plus tard, où en sommes-nous ? Les conflits se multiplient dans le monde et la guerre est aux portes de l'Europe, tandis que les alliances nées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont remises en cause. La défense commune européenne est plus que jamais d'actualité, mais encore faut-il sortir du concept général pour préciser le mode opératoire. Parle-t-on d'Europe de la défense, soit une action communautaire, ou de la défense de l'Europe, qui renvoie à une union d'États ayant des intérêts communs ? Dans le premier cas, on va vers une Europe fédérale. Dans le second, on construit une Europe des États.
Le Livre blanc ne répond pas à cette question, mais la Commission se propose d'aider les États à identifier les insuffisances et priorités capacitaires et de faciliter l'interopérabilité. Or, en l'état des traités, la Commission européenne n'a formellement ni mandat, ni compétence, ni légitimité pour mettre en place une politique européenne de défense. C'est d'ailleurs par le prisme de ses compétences en matière industrielle que la Commission intervient, en faisant croire qu'il existe une BITD européenne, ce qui est un abus de langage. En effet, l'industrie de la défense ne s'inscrit pas dans une logique de marché et de libre concurrence. Ses clients sont les États à travers les états-majors. Or, à ce jour, il n'existe pas d'État européen. Ce sont là les limites du projet Edip.
En période de tensions, l'heure n'est pas au montage industriel entre pays, mais à la désignation de chefs de file. On peut s'inquiéter que les dotations annoncées, basées sur la demande et étayées par des plans nationaux, doivent être approuvées par la Commission, selon des procédures dont elle a le secret, et qui n'ont pas pour premières caractéristiques la simplicité et la réactivité.
Une défense commune de l'Europe ne peut être pilotée qu'au niveau du Conseil, comme le préconisait déjà le rapport de la commission des affaires étrangères il y a douze ans.
Le financement pose aussi problème. Il y a trois mois, on ne parlait que du déficit de 3 300 milliards d'euros. Il n'en est plus question, et les milliards sont de sortie : 800 milliards d'euros pour Mme von der Leyen, 100 milliards d'euros pour le ministre Lecornu.
En réalité, les milliards de Mme von der Leyen n'existent pas : c'est de la dette supplémentaire pour les États. Chacun sait que la France a déjà explosé tous les compteurs. Peut-on encore augmenter le déficit ? Poser la question, c'est y répondre. Commençons par payer nos fournisseurs, alors que nous avons 8 milliards d'euros de reports de charges. Essayons aussi de respecter la LPM et les financements prévus. Le programme 146 aurait été amputé de près de 1 milliard d'euros en 2024.
Il y a urgence. Sachons transformer une crise en opportunité pour bâtir un projet commun. Notre réponse ne peut se faire dans un cadre approximatif et instable. Le moment est venu de répondre aux questions de fond : où se prennent les décisions, sous quelle forme, avec quelles procédures ?
La France est le seul pays à disposer de l'arme nucléaire et d'une véritable BITD. Cela nous confère des responsabilités, mais aussi une force. Sachons nous montrer à la hauteur de nos ambitions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)