Comment relancer le fret ferroviaire ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment relancer le fret ferroviaire ? », à la demande du groupe CRCE-K.
M. Alexandre Basquin, pour le groupe CRCE-K . - Le fret ferroviaire est un enjeu fondamental en matière d'aménagement du territoire, d'environnement, de sécurité et de développement économique. Or sa part modale n'est que de 10 %.
Depuis la première concession accordée en 1823, la part du fret ferroviaire n'a fait qu'augmenter pour atteindre 73 % en 1948. Un vrai maillage territorial efficace existait alors. Depuis les années 1970, une conjonction d'éléments a oeuvré au profit du tout-routier, avec une perspective court-termiste. Les investissements ne sont plus au rendez-vous, les lignes se délabrent et ferment.
De 75 milliards de tonnes-kilomètre en 1914, nous sommes tombés à 55 tonnes-kilomètre en 1998, 40 milliards en 2005 et 35 milliards en 2021.
En Allemagne, la part modale du fret ferroviaire est de 18 % ; elle est de 32 % en Autriche et de 35 % en Suisse.
Ces dernières décennies, le service public de transport de marchandises a été attaqué : démantèlement du groupe SNCF, fermetures de gares et de lignes, suppression de quelque 10 000 emplois en dix ans.
Le pacte ferroviaire de 2018 a fragmenté le fret, comme le plan de discontinuité, sur lequel l'intersyndicale demande un moratoire.
Pourtant, beaucoup s'accordent sur son intérêt : en 2020, la convention citoyenne sur le climat demandait un doublement de la part modale du fret ferroviaire d'ici à 2030.
Le dérèglement climatique impose de mettre en oeuvre une politique audacieuse en faveur du mode le moins polluant. Un train, ce sont cinquante camions en moins sur la route. Le rail permet de développer le territoire, de le dynamiser.
Je pense à la gare de triage de Somain, dans le Nord, à côté de chez moi, qui demande à être revitalisée plutôt qu'abandonnée, alors que le canal Seine-Nord passera à quelques kilomètres, que l'ancienne base aérienne de Cambrai se développe et que le Dunkerquois accueille de nouvelles activités à grande échelle.
À ce propos, j'adresse une pensée aux 600 salariés d'ArcelorMittal, dont 180 à Dunkerque, qui risquent de voir leur emploi rayé d'un trait de plume, alors que leur entreprise, ayant touché 300 millions d'euros d'aides de la part de l'État en 2023, verse de 300 à 400 millions d'euros de dividendes par an à ses actionnaires.
La relance du fret passera par des investissements conséquents. Il faut rénover et densifier le réseau, rendre le rail plus attractif que le transport routier qui bénéficie d'avantages fiscaux, d'aides et de l'absence de contribution à l'entretien du réseau.
Il faut convaincre les industriels avec une fiscalité favorisant le report modal.
Il est urgent de repenser le modèle de financement des transports ; la conférence nationale sur le financement des mobilités, Ambition France Transport, lancée en mai prochain, devra s'y atteler. Une des pistes est le fléchage des bénéfices des concessions routières - 40 milliards d'euros, à tel point que l'on parle de surrentabilité - vers le fret et le développement du rail. Ce chiffre avait interpellé tout le monde ici, à tel point qu'une commission d'enquête avait été créée en 2020.
Je salue chaleureusement les cheminots, bien trop souvent caricaturés. Je salue leur engagement sincère au service de l'intérêt général. Le fret peut être un atout essentiel pour la relance agricole et industrielle du pays. Pour cela, il faut investir, donner du sens à la politique du fret et en faire un bien commun national. La balle est dans votre camp. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports. - Je vous remercie pour l'organisation de ce débat. C'est l'occasion pour moi de revenir au Sénat, ce qui est toujours un plaisir ; ce sujet me tient aussi à coeur : nous avons eu l'occasion d'en discuter en commission.
Pour vous répondre rapidement, le secteur du fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence en 2006 en vertu des règles européennes. L'ouverture s'est faite aussi en Allemagne, et pourtant son fret ferroviaire est en meilleure santé. Ce n'est donc pas contradictoire.
Nous avons abandonné le fret pendant des décennies, au profit de la route et du transport de voyageurs. Les difficultés du fret sont liées aux difficultés industrielles de notre pays. Les corrélations sont évidentes, entre le déclin de la part de l'industrie dans l'économie, passée de 16,2 % en 1995 à 10,1 % en 2017, et le déclin de la part modale du fret ferroviaire, passée de 16,8 % à 10,8 % sur la même période.
M. Michel Masset . - Merci au groupe CRCE-K pour ce débat.
Espérons que la démarche Ulysse Fret, lancée en mars dernier, permettra de retrouver le chemin du rail, car pour l'instant, on navigue de Charybde en Scylla. Le fret ferroviaire, passé sous la barre des 10 % du transport de marchandises, est en berne. L'année 2023 a connu une très forte baisse, imputable aux mouvements sociaux et au prix élevé de l'énergie, mais il s'agit d'une tendance lourde, y compris dans le transport combiné.
C'est un crève-coeur pour les Français attachés au rail de voir nos infrastructures dépérir, sous-utilisées, alors qu'il s'agit d'un outil majeur pour la décarbonation. Parallèlement, le Parlement européen a voté la révision de la directive Poids et dimensions, qui autorisera les méga-camions. Comment doubler le trafic ferroviaire dans ces conditions ?
Monsieur le ministre, avez-vous de bonnes nouvelles à nous annoncer ? Quelles actions sont d'ores et déjà identifiées ? Le Gouvernement a annoncé un plan d'investissement de 4 milliards d'euros jusqu'en 2032, dont 900 millions en faveur du fret ferroviaire, la moitié passant par les contrats de plan État-région (CPER) - mais nous ne connaissons pas les lignes concernées.
Pérennité des lignes capillaires, projet d'autoroute ferroviaire Cherbourg-Mouguerre, fret fluvial, autant de sujets qui mériteraient un débat à eux seuls.
Aurons-nous bientôt plus de visibilité sur les CPER ? On constate que le tracé de la ligne Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) avance, mais sans réflexion sur le fret.
Il faut mettre tout le monde autour de la table, écouter les besoins des entreprises. Le Lot-et-Garonne a de vrais atouts pour développer le fret ferroviaire, avec les lignes Agen-Auch ou Agen-Périgueux. Le fret léger désengorgerait la RN21 tout en dynamisant les échanges intérieurs. L'État va-t-il soutenir la réouverture de ces lignes, et donc le désenclavement de ce territoire, en faisant d'Agen un carrefour ferroviaire incontournable ?
M. Philippe Tabarot, ministre. - Je suis défavorable aux megatrucks, qui feraient perdre 25 % d'activité au fret ferroviaire - je sais que d'autres ici ont un avis différent. (M. Jacques Fernique indique que ce n'est pas son cas.)
Oui, l'année 2023 a été marquée par des défis importants. Mais le fret ferroviaire retrouve des couleurs en 2024, avec 33,1 milliards de tonnes-kilomètre de marchandises transportées, soit un rebond de 12,1 % par rapport à 2023. Maintenons cette dynamique ascendante. Notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait fixé un objectif : je le garde en tête.
La stratégie nationale de développement du fret ferroviaire comprend 72 mesures concrètes, que nous mettons en place progressivement. L'État travaille à sécuriser les financements : c'est l'objet de la conférence de financement qui s'ouvre le 5 mai. La loi de finances pour 2025 a prévu 370 millions d'euros pour les aides à l'exploitation. Un tel arbitrage est rare, par les temps qui courent !
Enfin, une bonne nouvelle, en exclusivité : le service d'autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre, par un armateur privé, va démarrer très prochainement. Nous avons obtenu l'accord de la Commission européenne.
M. Jean-François Longeot . - La loi Climat et résilience a fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d'ici à 2030, introduit par un amendement du rapporteur de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable - un certain Philippe Tabarot. (Sourires) C'est essentiel pour la décarbonation du transport, sachant que le transport de marchandises est responsable de 13 % de nos émissions de gaz à effet de serre.
Depuis, les vents contraires ont soufflé : grèves, prix de l'énergie, effondrement du tunnel de la Maurienne. L'année 2023 a été marquée par un report modal inversé. Mais la ligne de la Maurienne vient de rouvrir. Le trafic a-t-il retrouvé une trajectoire de croissance ? Quelles sont les perspectives pour 2025 ?
Reste à s'attaquer aux enjeux structurels, dont le vieillissement du réseau, qui entraîne des ralentissements et une pénurie de sillons. Vu l'âge moyen de lignes de fret, il est urgent d'investir pour éviter une baisse du trafic. Le plan Ulysse Fret prévoit 4,5 milliards d'euros entre 2023 et 2035, pour le renouvellement des voies, les équipements de tri à la gravité, les terminaux de fret, le développement du transport combiné, l'augmentation de la capacité du réseau.
Quel sera l'impact de ces investissements ? L'objectif de doublement est-il encore atteignable ? Les travaux ont souvent lieu la nuit. Comment concilier les exigences d'intervention et le maintien du trafic ?
Les péages ferroviaires sont plus élevés pour les trains de voyageurs que pour les trains de fret, ce qui n'incite pas les gestionnaires d'infrastructure à développer le fret. Comment y remédier ?
Enfin, les investissements programmés doivent être effectivement réalisés. La conférence de financement prévoit un atelier dédié. Allez-vous lui soumettre de nouvelles sources de financement, comme l'écotaxe poids lourd qui sera bientôt mise en oeuvre en Alsace ? Développer le fret ferroviaire diminuerait le nombre de poids lourds qui empruntent des routes inadaptées, comme la RN83 dans le Doubs.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Si les années 2021-2022 avaient vu un redressement de la part modale du fret, l'année 2023 a été mauvaise, notamment à cause de la crise énergétique et, il faut bien le dire, des mouvements sociaux, aussi justifiés soient-ils...
M. Alexandre Basquin. - Pas cet argument, monsieur le ministre !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Ils ont fait du mal...
S'agissant des travaux, SNCF Réseau s'attache à ce que le fret soit bien intégré à la planification : sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, les travaux seront réalisés de jour, pour minimiser l'impact sur le trafic fret.
Les péages ferroviaires français sur le fret sont parmi les plus bas en Europe : 1,08 euro par tonne-kilomètre, quand la moyenne européenne est de 2 euros. Nous travaillons à l'optimisation des sillons, en intégrant la problématique des travaux de nuit.
Sur l'écotaxe, nous attendons l'expérimentation de nos amis du Grand Est et de la Collectivité européenne d'Alsace. Dommage qu'une certaine Ségolène Royal soit revenue en arrière sur l'écotaxe, en son temps. Cela représentait 500 millions d'euros par an, soit 5 milliards d'euros - exactement la somme que nous cherchons aujourd'hui...
Mme Marie-Claude Varaillas . - Depuis la proposition de résolution de mon groupe du 7 décembre 2022 sur le développement du transport ferroviaire, ce sujet central est resté le parent pauvre de nos débats, sinon pour restreindre le droit de grève et stigmatiser les cheminots - je salue à cet égard les syndicalistes présents en tribune, qui défendent inlassablement les droits des salariés de la SNCF, des usagers et le service public.
Deux ans après les annonces d'Élisabeth Borne, qui promettait 100 milliards d'euros d'ici à 2040 pour faire oublier un contrat de performance fort régressif, la situation s'est aggravée. Le réseau est en mauvais état. Les prix sont exorbitants, forçant les usagers à se rabattre sur la voiture ou l'avion, plus polluants.
L'effort public pour le rail, saboté par des décennies de libéralisme, n'est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, alors que 24 % des émissions issues des transports sont liées au transport routier.
Faute d'entretien, les lignes capillaires qui connectent entrepôts et usines au réseau principal ont une moyenne d'âge de 73 ans. Une voie sur quatre a fermé ces six dernières années. Le fret conventionnel a baissé de 19,6 %, le transport combiné de 23,5 %, alors qu'il a gagné 22 % en Italie par rapport à 2019, 10 % en Allemagne, 2 % en Suisse.
À la suite du plan de discontinuité décidé par le Gouvernement en réponse aux injonctions de la Commission européenne, Fret SNCF, démantelé en deux sociétés, a dû vendre du matériel roulant et abandonner 23 lignes, les plus rentables. Son successeur Hexafret se voit obligé de réduire ses parts de marché. C'est une aberration, à l'heure où nous devons réindustrialiser, réduire nos émissions et retrouver notre souveraineté en limitant la place des entreprises étrangères.
Le transport ferroviaire ne peut fonctionner sans soutien public. La recherche du profit et l'ouverture à la concurrence dans ce secteur sont forcément contraires à l'intérêt général. La recherche de la rentabilité maximum conduit à supprimer des emplois, à fermer des guichets voire des gares. Il faut au contraire soutenir l'intermodalité et un maillage fin.
Des financements sont possibles. Il faudra renationaliser les autoroutes dont les concessions prennent fin, en conservant des péages pour financer la décarbonation des transports, dont des services express régionaux métropolitains.
La France ne peut continuer à afficher des ambitions climatiques sans les traduire en actes. Relancer le fret est une exigence économique, écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Philippe Tabarot, ministre. - Nous avons agi ces dernières années : triplement des aides à l'exploitation, notamment au wagon isolé, doublement des investissements de l'État dans les infrastructures.
La Commission européenne a ouvert en janvier 2023 une procédure formelle d'examen des aides à Fret SNCF. Le plan de discontinuité, décidé par mon prédécesseur, était nécessaire pour éviter la disparition complète de l'activité fret et de 5 000 emplois de cheminots. Ces emplois, nous les sauvegardons, sans casse sociale.
La discontinuité négociée est proportionnée au regard de la jurisprudence Alitalia. Nous avons garanti trois lignes rouges : préservation de l'outil industriel, ni licenciement, ni report modal supplémentaire vers la route.
Dans le cadre de la conférence de financement qui débutera à Marseille le 5 mai, j'ai souhaité un atelier spécifique sur le transport de marchandises. J'espère que nous aboutirons à un fléchage des financements venant de la route, notamment des autoroutes.
M. Jacques Fernique . - Merci à nos collègues communistes pour ce débat, alors que nous attendons le rapport de synthèse de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et que nous sommes à la veille d'une conférence de financement.
La volonté du Gouvernement est-elle bien de sécuriser le financement de la trajectoire d'investissement nécessaire pour l'essor du fret ferroviaire d'ici à 2040 ? Alors que la loi de finances subit un nouveau rabot, le ferroviaire, notamment le fret, sera-t-il touché par le reflux des crédits de l'écologie ? Quid du plan Ulysse Fret ? Remettez-vous en cause les 4 milliards d'euros annoncés pour le fret ?
Il est trop tôt pour connaître les conséquences du démantèlement de Fret SNCF, mais où en sommes-nous de la trajectoire fixée par la loi Climat et résilience ? Maintenez-vous l'objectif de doublement de la part modale en 2030 ?
L'effort à consentir pour le fret ferroviaire n'est pas une mise sous perfusion. Certes, le wagon isolé nécessite par nature un soutien public pour être rentable, certes, nos péages pour les trains de fret sont très bas, mais n'oublions pas que le ferroviaire consomme six fois moins d'énergie que le camion, et neuf fois moins de carbone à la tonne transportée ! Pour que ces atouts puissent se déployer, il faut imiter nos voisins qui ont opéré un rééquilibrage compétitif entre la route et le rail, car le transport routier ne paie pas ses externalités négatives.
Alsacien, je mesure la différence avec nos voisins. La Suisse, l'Allemagne ou les Pays-Bas ont investi pour des sillons performants, des terminaux connectés, et imposé des taxes poids lourds significatives. Dégager de telles recettes permettrait l'investissement massif nécessaire pour moderniser les voies de service. Augmentons les prélèvements sur le transport routier, plutôt que d'en rester au minimum que prévoit la directive Eurovignette.
L'insuffisante capacité de notre réseau vieillissant, le déficit de la qualité de service, les travaux de nuit, la ponctualité déficiente, l'absence de complémentarité avec le routier sont autant d'obstacles à l'essor du ferroviaire - et un projet de directive envisage d'autoriser des méga-camions de 60 tonnes ? Le Sénat a exprimé sa désapprobation, dans une résolution européenne, dont j'étais rapporteur ; vous la partagez, monsieur le ministre. Le sujet est à l'ordre du jour du Conseil transport de juin : quelles perspectives, dans ce trilogue crucial, pour que ce projet ne tourne pas au détriment du fret ferroviaire ?
M. Philippe Tabarot, ministre. - Malgré les coups de rabot, le projet de loi de finances a prévu 370 millions d'euros par an ; l'enveloppe dédiée au wagon isolé est passée de 70 à 100 millions d'euros - un petit exploit ! J'espère conserver cette dynamique en 2026.
Les résultats de la réorganisation de Fret SNCF sont encourageants. Hexafret et Technis sont opérationnels depuis janvier. Deux tiers du personnel ont déjà retrouvé un poste au sein du groupe, sans aucun licenciement économique. Les services ont été maintenus, évitant tout report vers la route. Hexafret a signé un contrat avec des entreprises de sidérurgie, bientôt avec des céréaliers, et fonctionne plutôt bien.
Sur la qualité de service, les utilisateurs sont satisfaits des efforts de SNCF Réseau en matière de sécurisation des sillons, de refonte des systèmes d'information et de plateformes de services et d'infrastructures. C'est indispensable pour faire prospérer le fret et tenir les engagements pris dans la loi Climat et résilience.
M. Olivier Jacquin . - Je remercie grandement le groupe communiste pour ce débat très politique, tant les impacts du fret sont forts et pourtant mal mesurés.
Le fret ferroviaire est un vecteur essentiel de la réindustrialisation, un maillon essentiel de notre système de défense à l'heure du retour de la guerre sur notre continent, un outil essentiel d'aménagement durable du territoire et de lien entre les territoires. En cela, il est d'utilité démocratique. C'est un outil indispensable face à la crise écologique : moins de camions, c'est moins de pollution, de pertes de recettes pour l'État français dues aux traversées sans faire le plein, d'usure des routes. Nos concitoyens paient pour des camions qui dégradent nos infrastructures. Qu'en sera-t-il demain si les méga-camions sont autorisés ? La course au gigantisme doit cesser.
Le fret ferroviaire, comme le fret fluvial, est l'un des principaux vecteurs de réduction des externalités négatives du transport routier. Un gage d'efficacité et d'économies, à l'heure où vous cherchez 40 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Assez des têtes à queue, comme sur le Pass rail. Il faut donner des perspectives sur le temps long.
Adoptons les solutions qui ont fait recette ailleurs ! Nos amis suisses et autrichiens ont interdit la circulation routière sur les axes dotés d'une véritable alternative ferroviaire.
Pouvez-vous nous faire un point de situation, monsieur le ministre ? Le flux et de la volumétrie de marchandises transportées sont-ils en hausse ou en baisse ? Où en est-on de la réalisation des 72 mesures de la stratégie nationale de 2020, dont plusieurs jalons étaient fixés pour 2022 ? Pouvez-vous vous engager à rendre régulièrement compte des évolutions du secteur devant le Parlement ?
Quid de la pérennité en 2026 des aides à la pince, que nous avions rehaussées de 30 millions d'euros dans le projet de loi de finances ?
La stratégie nationale pour le fret ferroviaire, le plan Ulysse sont-ils encore tenables, alors que vous recherchez 40 milliards d'euros d'économies ? Allez-vous encore mettre les collectivités à contribution ? Après les injonctions au département de Meurthe-et-Moselle et à la métropole de Nancy pour relancer une ligne d'équilibre du territoire à destination de Lyon, voilà que vous voulez inscrire le fret dans le CPER.
Comment allez-vous lutter contre les méga-camions ? Les gouvernements précédents n'ont pas utilisé toutes les armes à leur disposition face à la Commission européenne, mais désormais il faut se tourner vers l'avenir.
Pouvez-vous nous rassurer sur la viabilité économique d'Hexafret ? Où en sommes-nous de l'ouverture du capital ? De la réattribution des 23 lignes que devait lâcher la SNCF ? Le ferroviaire tient son rang, avez-vous dit, et le trafic routier n'a pas progressé.
Je dois enfin évoquer la situation sociale de l'entreprise. L'inquiétude était forte en fin d'année dernière. Votre prédécesseur s'était voulu rassurant sur l'absence de plan social. Pour autant, le climat ne semble pas radieux. Comment développer le ferroviaire sans cheminot ? Il est temps de lancer un grand plan pour l'emploi et les compétences.
Nous nous sommes battus ensemble ici, monsieur le ministre, pour renforcer les investissements publics en faveur de cet outil stratégique. Souhaitons que vous parveniez à sortir le fret ferroviaire de l'impasse.
À une semaine de la conférence Ambition France Transports, je vous invite à reprendre votre proposition de loi du 11 janvier 2022 pour mieux valoriser le fret dans le contrat de performance de SNCF Réseau, et à expérimenter l'obligation d'emprunter le rail ou le fleuve sur les axes des autoroutes ferroviaires. Êtes-vous prêt à lancer la réflexion ?
Enfin, je reconnais que l'abandon de l'écotaxe par une ancienne ministre fut une erreur absolue : il faut au contraire généraliser une écotaxe poids lourd, en suivant la voie ouverte par la région Grand Est. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
M. Philippe Tabarot, ministre. - Je salue votre détermination, monsieur Jacquin : nous l'avons en partage.
Je vous ai dit ma position sur les méga-camions. Le report modal tuerait définitivement le fret ferroviaire en faisant chuter l'activité de 25 %.
Nous avons une partie à gagner d'ici le mois de juin, car si la présidence polonaise est plutôt défavorable aux méga-camions, ce n'est pas le cas de la présidence danoise qui prendra sa suite... J'y mettrai toute mon énergie.
La Suisse et l'Autriche taxent fortement la route - n'ayant pas eu de Ségolène Royal, ils ont pu mener la politique qu'ils voulaient. (Sourires)
Les deux tiers des 72 mesures de la stratégie nationale sont en cours de mise oeuvre, je vous transmettrai les éléments.
Hexafret ouvrira son capital en 2026 comme il s'y était engagé. Cinq cents collaborateurs ont été reclassés au sein du groupe SNCF ; nous veillons à l'accompagnement social.
Le Pass rail coûtait 12 millions d'euros. Nous préférons investir cet argent dans le fret, car les régions étaient peu allantes. Nous trouverons un meilleur produit.
Soyons positifs, cessons de parler du fret ferroviaire négativement. Les acteurs de 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur) y croient plus que jamais. Il y a une vraie envie de continuer à investir dans le fret ferroviaire. Sachons l'accompagner.
M. Pierre Jean Rochette . - J'aurai une voix peut-être dissonante, mais complémentaire. Dans le ferroviaire, il est bon d'avoir plusieurs voies !
Nous devons relancer tout l'écosystème autour du fret ferroviaire. La chaîne logistique ne se limite pas à une brique. Parler du fret sans parler du reste n'est pas la solution. Le fret ferroviaire ne revivra jamais s'il est en opposition avec les autres modes de transport.
S'opposer aux méga-camions est une erreur. Réfléchissons plutôt à une expérimentation encadrée autour des méga-camions qui serve le fret ferroviaire, en complémentarité, plutôt que de les interdire purement et simplement. En effet, les autres pays européens ne les interdisent pas. Avec les méga-camions, on est plus souple, plus agile.
La solution n'est pas dans une interdiction brutale et dogmatique, même si ces méga-camions soulèvent des questions. Si l'on veut relancer le fret ferroviaire, qui permet par nature de transporter les charges les plus lourdes et volumineuses, il faut réfléchir au transport de ces mêmes charges sur le dernier kilomètre. La logistique doit être traitée de A à Z. Le routier est puissant car la chaîne logistique ne fonctionne pas. N'opposons pas les différents modes de transport. Une expérimentation serait une ouverture d'esprit écologique. Il faut avancer sur le camion électrique.
La complémentarité est évidente. Le transport combiné représente 41 % du fret ferroviaire en France, mais le fret ferroviaire à lui seul ne représente que 10 % du transport de marchandises. On est en perte de vitesse, face à des voisins qui ont une vision tout autre : ils n'opposent pas ferroviaire et routier mais les font travailler ensemble.
Les camions ne sont pas adaptés aux longs trajets ; le train est alors meilleur. Mais il y aura toujours le premier et le dernier kilomètre.
Il faut aussi travailler sur les sillons, qui ne sont pas accordés facilement par SNCF Réseau. Modernisons les infrastructures, développons les plateformes multimodales, encourageons la concurrence, facilitons l'accès au rail aux PME et aux petits opérateurs. Nos logisticiens nationaux veulent avoir accès aux licences ferroviaires pour exploiter eux-mêmes du fret sans passer par les opérateurs publics, comme c'est la règle chez nos voisins. Chez nous, les opérateurs privés sont trop peu nombreux. On ne développera pas le fret ferroviaire en s'appuyant uniquement sur des opérateurs publics.
Le fret ferroviaire sert les industries massives - ce n'est pas un travail d'épicier. Inversement, pas de fret performant sans industrie à desservir.
Il faut aussi réfléchir à l'urbanisme. Quand on crée une zone d'activités d'intérêt national ou qu'on installe un opérateur d'importance nationale en France, quid de la connexion au réseau ferroviaire ?
Je suis très favorable au fret ferroviaire, mais nous devons élargir notre spectre.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Nous ne devons pas opposer les modes de transport les uns aux autres, c'est aussi ma philosophie. La complémentarité existe, oui - mais dans le cas spécifique des méga-camions, le coup serait fatal. Je respecte votre position, mais ne la partage pas.
En revanche, je partage votre vision sur le transport combiné, avec pré-acheminement du container par la route. Nous consacrons 50 millions d'euros par an depuis 2021 pour soutenir l'exploitation de ces services. Le schéma directeur de transports combinés, publié en octobre, dessine un maillage cohérent des plateformes sur l'ensemble du territoire.
Vous avez parlé du raccordement direct de certains sites au réseau ferré national : nous avons obtenu de la Commission européenne de pouvoir financer ces projets dans le cadre des CPER.
Sur les sillons, nous améliorons la qualité de service et la visibilité : c'est la clé d'une réussite indispensable pour retrouver des clients qui se sont détournés vers d'autres modes de transport.
Mme Agnès Canayer . - Je salue l'implication et l'expertise du ministre et remercie le groupe CRCE-K pour ce débat.
Élue du Havre, je mesure la nécessité d'une multimodalité pour le transport de marchandises. Un container qui arrive dans le port du Havre a huit chances sur dix de transiter ensuite par la route, une chance et demie de passer par la Seine et une demi-chance par le rail. Cela a des conséquences environnementales et économiques. Comment demain garantir une logistique décarbonée et performante ?
Plus de 325 millions de tonnes de marchandises passent par nos ports. Comment garantir qu'ils soient connectés à un réseau ferroviaire ?
L'ambition de porter la part modale du fret ferroviaire à 18 % en 2030 et 25 % en 2050 se heurte à la saturation chronique du réseau, notamment en Normandie. C'est pourquoi la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) est tant attendue par les acteurs économiques.
Faire du Havre le port de Paris n'est pas une idée nouvelle. Et si Haropa donne corps à l'Axe Seine, le lien entre la capitale et le port du Havre ne peut être seulement fluvial. Pensée dès 1991, portée en 2009 par le président Sarkozy, la LNPN est toujours bloquée par une opposition de la région Île-de-France et la lenteur des études préalables. Or elle désaturerait le réseau existant, soulagerait nos autoroutes, faciliterait la desserte de Paris, étendrait l'hinterland portuaire. Harepa traite 80 % de ses volumes dans un rayon de moins de 160 kilomètres, contre 250 kilomètres pour les ports du range nord ! Si nous voulons faire de l'Axe Seine la colonne vertébrale logistique nationale, cela passe par la LNPN. Le coût du projet est estimé à 10 milliards d'euros, avec une réalisation par phase à l'horizon 2040.
En attendant, pour pallier le manque d'attractivité du fret ferroviaire, il faut investir massivement dans le réseau, renforcer les lignes, augmenter le maillage, s'inspirer des bonnes pratiques européennes, notamment de la Suisse, qui, depuis 2016, réserve à long terme des sillons au fret afin d'assurer l'équilibre entre trains de passagers et de marchandises.
Je me félicite qu'Haropa et SNCF Réseau recherchent des solutions concrètes pour le déploiement du ferroviaire sur l'Axe Seine. C'est une étape importante, en lien avec la stratégie nationale bas-carbone.
Le coût des modes de transport combiné ne peut être évincé. L'aide à la pince, de 23 euros par transbordement, réduit l'écart de compétitivité entre le rail et la route. L'enveloppe budgétaire allouée dans le cadre du plan fret était de 47 millions d'euros par an pour 2021-2024. En novembre dernier, le précédent Gouvernement avait pris l'engagement de préserver ces moyens jusqu'en 2030. C'est bien, mais il faut aller plus loin, concentrer ces aides sur les axes stratégiques.
Face aux impératifs climatiques et énergétiques, le fret ferroviaire doit être la solution stratégique. Le rail est le mode de transport massifié par excellence pour tous les grands pays. Faisons du fret ferroviaire non un supplément mais un pilier de notre politique industrielle, environnementale et territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Philippe Tabarot, ministre. - Mobiliser les modes de transport massifiés comme le ferroviaire et le fluvial est un enjeu majeur pour la desserte des hinterlands des grands ports maritimes.
En 2023, ils représentent 22,5 % des pré et post-acheminements portuaires, un niveau stable depuis la fin de la crise sanitaire.
Mais nous devons être plus ambitieux. D'où la mise en place de deux stratégies complémentaires : la stratégie portuaire en 2021 et la stratégie nationale du fret ferroviaire en 2022. Entre 2023 et 2027, 164 millions d'euros auront été mobilisés pour améliorer la desserte de nos ports.
La logistique et la multimodalité sont au coeur du développement du port du Havre. La chatière, qui reliera directement le fleuve à Port 2000, le port en eaux profondes, sera opérationnelle en 2026, renforçant ainsi l'efficacité de notre chaîne logistique. En outre, 25 millions d'euros sont prévus pour améliorer la desserte ferroviaire de Port 2000.
Un investissement de plus de 120 millions d'euros est également prévu pour le projet Port Seine-Métropole Ouest, opérationnel en 2040.
Je suis conscient du caractère primordial de la LNPN pour votre région. Serge Castel, le nouveau délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, poursuivra la concertation avec les élus.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Le fret ferroviaire est un sujet majeur pour notre économie, pour l'environnement et pour l'avenir de notre système de transport.
Il a toutefois connu de nombreuses difficultés. Le trafic est resté stable entre 1990 et 2000, à 52 milliards de tonnes-kilomètre. Puis il a baissé régulièrement, pour chuter à 30 milliards de tonnes-kilomètre en 2010. La part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises est passée de 20 % en 1990 à 10,5 % en 2006 ; depuis, elle stagne.
La géographie industrielle de la France ne favorise pas le fret ferroviaire : les sites de production sont dispersés et la part de l'industrie dans l'économie a baissé depuis vingt ans. Les clients demandent des livraisons rapides et flexibles, ce qui favorise le transport routier.
Pourtant, le fret ferroviaire est moins polluant, il consomme moins d'énergie et évite les accidents sur les routes.
À l'heure de la transition énergétique, il faut développer des modes de transports propres. Le fret ferroviaire pourrait en outre désengorger les routes. Mais cela suppose des investissements importants pour moderniser les infrastructures ou construire de nouveaux terminaux.
En 2021, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale pour le fret ferroviaire. Publié en mars dernier, le plan Ulysse Fret prévoit 4 milliards d'euros d'investissement, avec, entre autres, la rénovation de 2 700 km de lignes capillaires. Quelque 200 millions d'euros sont prévus pour moderniser la gestion du trafic.
Comment garantir que ces investissements soient faits dans les délais ? Comment assurer la pérennisation des lignes de fret existantes, notamment celles menacées par le démantèlement de Fret SNCF ?
M. Philippe Tabarot, ministre. - Vous avez résumé les grandes lignes du débat. Le Gouvernement a choisi de soutenir massivement le secteur. La stratégie nationale se traduit par deux engagements financiers : le renforcement du soutien à l'exploitation, d'une part, et la rénovation des lignes capillaires, d'autre part.
L'effort doit être amplifié : c'est l'objectif de la conférence de financement Ambition France Transports qui s'ouvrira le 5 mai en présence du Premier ministre.
Le plan Ulysse Fret, issu d'une large concertation, constitue notre feuille de route pour la période 2023-2032. Il associe les acteurs de la profession et servira de base à la prochaine conférence de financement.
Vous avez raison : les livraisons rapides renforcent le mode routier. Les recommandations de l'excellent rapport de Nicole Bonnefoy et de Rémy Pointereau doivent désormais être appliquées.
M. Franck Dhersin . - Je remercie le groupe CRCE-K pour ce débat.
Nous souhaitons tous ici que la part modale du fret ferroviaire atteigne 25 % en 2030. Mais il est d'ores et déjà acquis que cet objectif ne sera pas atteint. Pis : la part modale du fret a diminué en 2024.
Les années passent et le constat demeure. Pourquoi est-il si difficile de faire progresser le transport ferré de marchandises, alors que sa part modale est deux fois plus élevée en Allemagne, trois fois plus en Suisse ?
Le respect des délais de livraison est un critère fondamental pour les chargeurs. Or le fret est trop souvent la variable d'ajustement : sillons de piètre qualité, travaux nocturnes, temps de trajet peu compétitifs face à la route et mauvais état général du réseau.
Une proposition pour rendre notre réseau plus robuste. Les recettes du système européen d'échange d'émissions carbone, l'ETS (Emissions Trading System) augmentent depuis deux ans. Une partie est déjà fléchée vers l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Pourquoi ne pas en flécher une autre partie vers l'entretien du réseau ? Cette somme pourrait aussi servir à dédommager SNCF Réseau, en contrepartie d'une baisse des péages pour les lignes non rentables, afin de stimuler le nombre de circulations.
Les opérateurs alternatifs pourraient générer jusqu'à 900 millions d'euros de recettes en dix ans, grâce aux péages. Ainsi, en dix ans, nous disposerions de 1,5 à 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires par an pour le réseau, sur la base de la somme affectée à l'Anah, soit 700 millions d'euros.
Avec les moyens financiers actuels, nous n'arriverons pas à redresser notre réseau. Faisons preuve d'audace ! Comptez-vous défendre cette position auprès du Premier ministre ? Rendez-vous le 5 mai à Marseille !
M. Philippe Tabarot, ministre. - L'objectif est plutôt de doubler la part modale du fret ferroviaire, pour atteindre 18 %.
Je suis favorable à l'affectation de nouvelles recettes. Nous en parlerons le 5 mai lors de la conférence de financement. J'espère que celle-ci débouchera sur des propositions innovantes. Alliance 4F a évoqué la possibilité d'un financement privé pour certains aspects.
Le ferroviaire pourrait en effet profiter des recettes de l'ETS - mais nous ne sommes pas les seuls sur le coup. (Sourires) Cela dit, je m'emploierai à distiller cette idée au sein du Gouvernement.
M. Franck Dhersin. - Merci beaucoup !
M. Jean-Marc Delia . - La relance du fret ferroviaire est un enjeu majeur. En tant que petit-fils de cheminot, ce sujet me touche. J'ai grandi avec le récit de ces femmes et de ces hommes qui ont fait vivre le réseau ferroviaire avec un dévouement sans faille.
Le Gouvernement souhaite doubler la part modale du fret ferroviaire de 9 à 18 % d'ici à 2030, conformément aux objectifs de la loi Climat et résilience, qui ont été repris dans la stratégie nationale.
Soyons clairs : relancer le fret impose des actes forts.
Le premier pilier consiste en des investissements massifs : tel est l'objet du plan Ulysse Fret. Il faut moderniser le réseau et redonner vie à des lignes capillaires, notamment. Ces investissements sont vitaux pour éviter la dégradation du service et la disparition de la moitié du trafic dans les dix ans à venir.
Dès 2026, 62,5 millions d'euros seront investis chaque année, puis 75 millions d'euros ensuite. Les investissements annoncés sont non une rustine, mais une vraie cure de jouvence pour notre réseau !
Le deuxième pilier consiste en un soutien financier renforcé de l'État : quelque 200 millions d'euros par an seront mobilisés jusqu'en 2030. C'est le gilet de sauvetage du secteur, dont la rentabilité reste fragile. Cette stabilité financière offre aux opérateurs la visibilité nécessaire pour investir et innover.
Le troisième pilier est le développement du transport combiné et de l'intermodalité. Nous voulons multiplier le transport combiné par trois en dix ans et améliorer l'articulation entre le fret ferroviaire et les autres modes de transport.
Le quatrième pilier est l'amélioration de la qualité de service : plus de fiabilité, de ponctualité et de compétitivité. Nous misons notamment sur la numérisation des procédures pour les chargeurs. Le modèle économique du fret est encore fragile, plombé par des péages élevés et le manque de visibilité.
La modernisation du réseau impose une planification rigoureuse. La conférence de financement Ambition France Transports doit apporter des réponses concrètes et pérennes.
Relancer le fret ferroviaire demande l'huile de coude, des investissements importants et de la ténacité. Embarquons tous dans ce train, pour éviter que le routier ne prenne la tête du convoi. Nous le devons à ceux qui ont fait du rail l'épine dorsale de notre économie et nous offrirons ainsi à nos territoires un avenir logistique durable et performant.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Monsieur Delia, je suis heureux et fier de vous entendre à cette tribune.
Le Gouvernement soutient le fret ferroviaire, qui émet neuf fois moins de tonnes de CO2 que le fret routier et consomme six fois moins d'énergie par tonne transportée.
Nous avons besoin de persévérance et d'investissements importants. Le Gouvernement a défini une stratégie claire et priorisé les investissements. Mais il faudra être patient pour voir les résultats concrets de notre action.
Le premier défi est de boucler le financement de la démarche. C'est pourquoi j'ai voulu que le fret ferroviaire soit un thème à part entière de la conférence de financement qui s'ouvrira la semaine prochaine à Marseille, en présence du Premier ministre.
M. le président. - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - Ce débat a mis en évidence les défis auxquels le fret ferroviaire est confronté. Mais, quand nous regardons dans le rétroviseur, nous pouvons être fiers de la première étape franchie pour donner une nouvelle chance à ce secteur essentiel pour la transition écologique.
Je salue le travail structurant et visionnaire de l'Alliance 4F. SNCF réseau, les entreprises ferroviaires, le Cerema et d'autres encore ont joué un rôle décisif.
La dynamique issue de cette stratégie concertée se poursuivra, suivant les quatre axes prioritaires dont j'ai parlé : restauration du modèle économique, amélioration de la qualité de service, investissement dans les infrastructures et renforcement de la coordination.
L'État s'engage financièrement de manière importante, notamment pour l'aide au wagon isolé, seule mesure en hausse dans le budget des transports terrestres. Nous avons mené un travail considérable pour aider le secteur à surmonter ses difficultés depuis le covid. Nous devons garantir la pérennité de ces investissements dans un esprit de complémentarité entre les modes de transports, tout en sécurisant l'ouverture du capital d'Hexafret, qui signe de nouveaux contrats, autant de bonnes nouvelles.
Le moment est décisif pour l'avenir du secteur. Le fret ferroviaire est un pilier de notre politique de décarbonation et d'aménagement du territoire. Il permet de réduire les émissions de CO2 : un train de fret représente l'équivalent de 40 camions. Je sais pouvoir compter sur vous pour soutenir la réinvention du secteur. Quand un train de fret circule, l'avenir de nos territoires se met en mouvement. Le défi est immense, mais la France du rail a toujours su repousser ses limites. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE-K)
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K . - Je remercie mon groupe d'avoir suscité ce débat sur la logistique, thématique qui me tient à coeur. Je remercie aussi les orateurs qui se sont exprimés et le ministre.
Nous nous accordons sur un point : le transport de marchandises est un enjeu qui doit nous mobiliser davantage. La logistique évolue à l'heure du numérique et de l'IA, mais, tant que nous n'aurons pas développé la téléportation, nous aurons besoin de solutions pour transporter des marchandises, dans le respect de l'environnement.
Dans le Pas-de-Calais, la plateforme Delta 3 a été construite sur une ancienne friche minière, en bordure du canal de la Deûle, qui sera bientôt reliée au canal Seine-Nord Europe. Je vous invite, monsieur le ministre, à vous rendre sur place... Il y a vingt-cinq ans, nous pensions faire passer des bâtiments de six à sept mètres de haut ; aujourd'hui, certains font douze mètres !
Nous nous accordons sur la nécessité de soutenir le fret ferroviaire. La décision européenne de démanteler Fret SNCF répond à une logique, celle de la marchandisation de la société : là où il y a un besoin, il y a un marché qui doit générer du profit. Mais cela mène à des dérives. En l'occurrence, les camions sont préférés au fret ferroviaire... Il y a encore quelques mois, lorsqu'une entreprise avait un conteneur à faire transporter par Fret SNCF, bien souvent il était transféré sur Geodis, la filiale de transport routier de la SNCF !
Le Parlement européen a même proposé d'autoriser les méga-camions il y a un an, alors qu'ils sont une véritable aberration écologique, et une concurrence déloyale puisqu'ils ne paient que l'entretien des autoroutes, et non celui des routes départementales, qu'ils préfèrent souvent.
L'ouverture à la concurrence nuit au fret ferroviaire. Les acteurs privés cibleront les lignes les plus rentables. La recherche de rentabilité ne permet pas de répondre aux besoins des usagers.
On le voit : il y a deux visions dans cet hémicycle comme au sein de la commission. Notre groupe considère que le fret ferroviaire ne doit pas être soumis aux lois du marché.
Comment relancer le fret ferroviaire ? D'abord en s'abstenant de lui mettre des bâtons dans les roues !
Nous attendons les conclusions de la grande conférence Ambition France Transports, qui se tiendra à Marseille. Il faudrait plusieurs milliards d'euros par an. Nous, nous savons où les trouver : les fonds autoroutiers. Vous auriez dit que vous pourriez être favorable à y réfléchir... J'espère que votre conviction reste intacte, monsieur le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Plus, plus !
M. Jean-Pierre Corbisez. - Notre groupe plaide pour la nationalisation des autoroutes, les péages étant dès lors consacrés au ferroviaire ; mais on peut aussi envisager de taxer les profits des concessions.
Tout reste à faire. J'espère que les choix qui seront faits lors de l'examen du projet de budget souligneront cette volonté commune de relancer le fret ferroviaire. (Applaudissements)