Situation au Proche et Moyen-Orient

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient.

M. François Bayrou, Premier ministre .  - Nous débattons ce soir de notre politique étrangère, après que notre pays a été spectateur et partie prenante d'un basculement historique : le 24 février 2022, les troupes de Vladimir Poutine ont franchi la frontière ukrainienne à Kharkiv. Nous sommes alors entrés dans un monde profondément différent de celui dans lequel nous vivions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce monde était fondé sur l'idée - certains diront peut-être : l'illusion - que les relations internationales reposaient sur le droit, protection de tous, y compris des plus faibles. Depuis Hammurabi, ce principe s'énonce ainsi : « Pour empêcher le puissant d'opprimer le faible, j'instituerai dans la contrée le droit et la justice ». Au XXe siècle, la Charte des Nations unies, dont nous célébrons le 80e anniversaire, l'a consacré au niveau international ; elle garantit l'intangibilité des frontières, le respect des droits fondamentaux et l'égalité des nations.

Dès l'instant de l'invasion de l'Ukraine, nous avons perçu le risque de contagion, le risque que cette violation de l'intégrité territoriale d'un pays ne libère les volontés de puissance et qu'une lame de violence ne frappe d'autres terres. La Russie a fait naître un axe : celui du désir de domination au mépris du droit. Les bruits de bottes se sont, dès lors, multipliés : le 47e président des États-Unis en a fait entendre au Groenland et au Mexique, le président du Venezuela au Guyana ; ces bruits se sont, parfois, amplifiés jusqu'à l'affrontement, comme entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh.

Puis une détonation supplémentaire a ébranlé le monde : le 7 octobre 2023, en Israël, à Reïm, Kfar Aza, Nir Oz et Be'eri, le pire pogrom depuis la Shoah a été perpétré. Parmi les 1 200 victimes, 49 de nos compatriotes. Le coupable de ces actes sauvages doit être nommé : c'est le Hamas. Son but était politique : rendre la haine inexpiable et toute réconciliation entre Israël et la Palestine à jamais impossible. Le 7 octobre a détruit l'espoir suscité par les accords d'Abraham, qui liaient Israël à des puissances du monde musulman. Cette tentative de paix, ouverte et réaliste : voilà quelle était la cible.

Dès le lendemain, les affidés de la République islamique d'Iran ont cherché, à l'instigation de leur parrain, à profiter de la faiblesse d'Israël : après le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban, les milices chiites en Syrie et en Irak et les Houthis au Yémen.

Nous l'avons dit dès la première minute : il est légitime qu'Israël se défende. Ayant défendu sans jamais faiblir sa sécurité, nous sommes d'autant plus fondés à exprimer notre désarroi face à la situation humanitaire à Gaza, qui heurte nos consciences. Que des femmes et des enfants allant chercher de quoi se nourrir soient pris pour cible est insupportable. L'aide humanitaire doit pouvoir être distribuée sans entraves.

Le séisme qui a débuté le 7 octobre a connu ces derniers jours de violentes répliques : les frappes intensives menées par Israël contre le programme nucléaire et balistique de la République islamique d'Iran, qui a toujours clamé son intention de rayer Israël de la carte. Qu'un pays aussi proche et aussi hostile soit presque parvenu à disposer du matériel nécessaire à la fabrication de dix bombes atomiques était un danger mortel pour toute la population israélienne, mais aussi pour les grands pays sunnites de la région et même certains pays européens, étant donné la portée des missiles balistiques iraniens. L'Iran disposait de 409 kg d'uranium enrichi à 60 %, alors qu'une production pacifique d'électricité ne nécessite qu'un enrichissement de 5 à 7 %.

Pendant les douze jours de ce conflit, notre première préoccupation a été le sort de nos ressortissants : grâce aux moyens mobilisés, plus d'un millier de Français ont quitté l'Iran et Israël.

Nous avions de grandes inquiétudes pour nos deux ressortissants détenus en Iran depuis plus de trois ans, Cécile Kohler et Jacques Paris : nous savons depuis hier qu'ils sont sains et saufs. Que tous ceux qui les soutiennent sachent que nous mobilisons tous les moyens disponibles pour obtenir leur libération.

Un cessez-le-feu a été établi il y a huit jours. La France appelle l'Iran à revenir à la table des négociations, car la seule réponse possible au danger que représente le programme nucléaire iranien est un règlement négocié. Si les frappes américaines ont sans doute été efficaces, l'Iran conserve des capacités résiduelles, comme l'a indiqué le directeur général de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). Nous exhortons la République islamique d'Iran à respecter l'accord de Vienne de 2015 : les inspecteurs de l'AIEA doivent pouvoir reprendre leurs inspections sans délai.

Face au retour des empires, des volontés dominatrices, de la violence désinhibée, notre politique étrangère doit tracer une direction sans ambiguïté. Comment la France appliquera-t-elle aujourd'hui les principes qui la guident depuis 1945 ?

D'abord, en continuant d'apporter un soutien sans faiblesse à l'Ukraine, dont la résistance à Vladimir Poutine est héroïque. La France met en garde infatigablement contre le risque de lassitude de l'Occident, afin d'empêcher que ne s'insinuent parmi les peuples, les états-majors et les gouvernements une fatigue de soutenir ceux qui se battent au nom de notre idéal européen et de liberté.

La Russie redouble de violence : il y a trois jours, l'Ukraine a subi une attaque aérienne parmi les plus massives qu'elle ait eue à connaître - plus de 500 drones partis de Russie, dont une partie est construite en Iran. Nous craignons une nouvelle offensive russe dans les prochaines semaines, dans la région de Soumy. Ne laissons pas l'Ukraine, qui est comme une part de nous-mêmes, succomber à cause de notre découragement.

Il n'est pas inutile de rappeler que les démocraties savent se battre. Sur 31 guerres impliquant des démocraties contre des autocraties entre 1815 et 2020, 84 % ont été remportées par les premières. Oui, les démocraties savent faire preuve de résilience et trouver en elles-mêmes les forces indispensables pour l'emporter.

Notre soutien à l'Ukraine doit donc rester résolu, tout autant que notre volonté de trouver une issue au conflit. Comme l'a rappelé le Président de la République, la France appelle de ses voeux l'ouverture de négociations pour un règlement solide et durable.

Ensuite, notre soutien à la stabilité au Proche et au Moyen-Orient passe par la solidarité avec Israël, qui continue d'être la cible d'attaques balistiques lancées par les Houthis. La première des solidarités, c'est de ne pas oublier les victimes des pogroms, ceux qui sont morts en détention et les otages. N'oublions jamais qui a armé le détonateur, qui est le premier responsable de l'horreur.

Ce soutien constant au droit d'Israël à l'existence et à la sécurité n'enlève rien à notre liberté de parole ni aux désaccords dont j'ai parlé avec la politique du gouvernement israélien, notamment à l'égard des civils à Gaza. La France soutient les efforts en cours pour obtenir un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la libération des otages. Elle prône une solution à deux États, qui suppose des garanties de sécurité données par l'ensemble des acteurs à Israël et la possibilité donnée au peuple palestinien de disposer d'un État.

Il faut aborder aussi la situation au Liban, que le Hezbollah a entraîné dans un conflit dévastateur : le mandat de la Finul doit y être renouvelé et consolidé, afin de garantir la sécurité. Le pays fait face au défi de sa reconstruction politique et économique. La France espère que ce pays frère retrouvera sa pleine souveraineté.

Quant à la Syrie, sa souveraineté et son intégrité territoriale doivent être respectées. La levée des sanctions économiques européennes a été décidée moyennant de solides garanties en matière de bonne utilisation des fonds internationaux et de lutte contre l'État islamique. Récemment encore, des attaques terroristes ont visé les chrétiens, en particulier à Damas, le 22 juin : nous ne pouvons rester silencieux face à cette persécution, qui fragilise la transition politique dans le pays.

Pour ouvrir un chemin de paix et de stabilité en Ukraine et au Proche et Moyen-Orient, il nous faut, en premier lieu, construire la puissance européenne. Nous devons comprendre que la justice sans force est impuissante. La France plaide pour sa propre puissance, mais aussi pour celle de l'Europe, qui doit forger sa volonté d'organiser sa propre défense et son autonomie stratégique. Nous devons aussi faire de l'Europe une puissance économique, financière, commerciale et industrielle, en défendant des règles équitables.

Nous ne pourrons assurer notre autonomie stratégique si nous ne sommes pas en mesure de nous équiper nous-mêmes. Or, l'année dernière, les Européens ont acheté 79 % de leur équipement militaire hors Union européenne et 63 % auprès des États-Unis. Nous devons renverser ces logiques d'approvisionnement. Une première étape est sur le point d'être franchie avec l'adoption par le Parlement européen d'un programme européen de l'industrie de défense.

Cette volonté, le Président de la République a été le seul à la défendre de manière constante et jamais découragée. En 2017 déjà, dans son discours de la Sorbonne, il appelait à bâtir une Europe forte, autonome, souveraine et démocratique.

M. Rachid Temal.  - Huit ans...

M. François Bayrou, Premier ministre. - Seule l'Europe peut nous assurer une souveraineté réelle et nous permettre d'exister dans le monde actuel pour y défendre nos intérêts matériels et moraux.

En second lieu, la France doit continuer de jouer son rôle singulier. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la négociation de l'accord de Vienne de 2015 : le programme nucléaire iranien a reculé grâce à la diplomatie française. Hélas, Donald Trump a quitté l'accord en 2018, ce qui nous a amèrement déçus. Nous avons fait tout notre possible pour faire revenir les États-Unis dans l'accord et inciter l'Iran à respecter ses engagements. Avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, nous sommes restés à l'initiative pour une solution négociée.

Pour garantir à long terme que l'Iran ne se dote pas de l'arme nucléaire et que le régime mondial de non-prolifération soit respecté, ne serait-ce que plus ou moins, un accord robuste et vérifiable est indispensable. Les dirigeants iraniens doivent accepter de s'engager dans cette voie et démontrer que des résultats pourront être atteints rapidement. La France est prête à apporter sa compétence et sa constance dans ce dossier qu'elle suit depuis dix ans.

À la mondialisation des problèmes doit répondre une mondialisation des solutions. Aucun pays n'imposera ses solutions à tous. Elles seront le fruit des discussions menées en commun. C'est pourquoi nous défendons le multilatéralisme : la paix par le dialogue et l'insertion de nos intérêts dans des espaces partagés où la puissance des uns s'accorde à celle des autres.

Hélas, les trois principaux membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU - Russie, Chine et États-Unis - semblent aujourd'hui se détourner de ces principes. La France, elle, refuse la logique des blocs. Elle oeuvrera à bâtir ce que le Président de la République a récemment appelé la coalition des indépendants, en cohérence avec la vision du général de Gaulle.

M. Rachid Temal.  - Rien que ça !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Réunir tous les pays prêts à garantir un ordre international fondé sur le dialogue est le seul moyen d'assurer l'équilibre des puissances, notre principe en politique étrangère. Retrouvons l'inspiration et le rôle de notre pays depuis 80 ans. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, sur de nombreuses travées du RDSE et du groupe UC ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) Le 7 octobre 2023, les assassins du Hamas menaient sur Israël des raids barbares, faisant subir à leurs victimes les pires atrocités et emmenant avec eux des otages dont, pour certains, on ne sait toujours rien. Ce jour-là, l'irréparable était commis et un basculement s'opérait, amenant Israël à s'engager dans une lutte implacable contre ceux qui avaient juré son anéantissement.

Hamas, Hezbollah, Houthis, milices chiites en Syrie et en Irak : tous font partie du réseau des affidés de Téhéran ; tous appartiennent à l'internationale terroriste de l'islamisme radical, qui a fait couler le sang aussi dans notre pays. Des années durant, ces djihadistes ont professé la haine du peuple juif et fomenté des dizaines d'attentats, jusqu'à se rendre coupables des massacres qui ont déclenché la crise actuelle.

Il est clair qu'Israël a le droit de se défendre contre ses ennemis, à commencer par l'Iran : l'imminence d'un régime théocratique doté du feu nucléaire faisait peser sur lui une menace existentielle. L'incompatibilité entre les dénégations iraniennes et les taux d'enrichissement constatés est manifeste, et le développement exponentiel des capacités balistiques de ce pays dit tout de ses volontés offensives.

N'oublions pas non plus la terrible répression du mouvement « Femmes, vie, liberté », qui a rappelé la véritable nature du régime iranien. N'oublions pas que nous appelons encore et toujours à la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris, retenus par l'Iran pour servir à une abjecte diplomatie des otages.

Soyons clairs : l'Iran ne doit pas devenir un État nucléaire. L'opération Am Kelavi a repoussé cette perspective et porté un coup sérieux aux ambitions du régime. À défaut d'avoir été décisive, elle a été utile. Toutefois, si le cessez-le-feu a éloigné le spectre de l'embrasement régional, un dénouement de la crise au Moyen-Orient demeure loin d'être acquis. Il dépendra de nombreux facteurs, mais aussi de la volonté d'Israël, qui a remporté des succès tactiques éblouissants mais dont le succès stratégique reste une question toujours en suspens. Quelle autre issue qu'une paix durable pourrait-on qualifier de véritable victoire ?

Il faut éviter l'impasse d'un état de guerre permanent. Tous les regards sont tournés vers Gaza, point zéro de la déflagration actuelle. Nous connaissons les paramètres qui amorceraient une résolution du conflit : libération de tous les otages, démantèlement politique et militaire du Hamas, établissement d'une administration transitoire favorable à la paix et à la coexistence. Sur tous ces points, la communauté internationale devra faire montre d'une implication beaucoup plus forte, en particulier les États voisins, s'ils sont sincères dans leur désir de paix.

Tant que le Hamas s'accrochera à son pouvoir dictatorial, non seulement il fera le malheur de son peuple, mais toute sortie de crise demeurera hors de portée. Dans ces conditions, si reconnaître un État de Palestine est inéluctable, le faire maintenant n'aurait aucun sens, car aucune des conditions n'est remplie pour que cet acte soit utile à la paix.

Bien qu'elles n'aient pas été anéanties, les capacités de nuisance de l'organisation terroriste sont considérablement réduites. La situation militaire actuelle peut donc difficilement expliquer, et encore moins justifier, la tragédie subie par la population gazaouie. Israël doit changer de stratégie : c'est sa responsabilité, mais aussi son intérêt car, demain, Gaza sera peuplée par ces mêmes Palestiniens.

Penser le jour d'après dans une optique de paix juste et durable est exigeant. Cela impose à Israël d'assurer sa sécurité sans s'aliéner définitivement les Palestiniens, de protéger son avenir sans obérer le leur. Israël ne doit jamais perdre de vue les valeurs attachées à ce qu'il est : une authentique démocratie, la seule du Moyen-Orient.

C'est sur une ligne de crête analogue que nos amis israéliens devront cheminer au Liban et en Syrie, deux pays à la croisée des chemins. À Damas, le régime de Bachar al-Assad a fini par tomber. À Beyrouth, l'étreinte du Hezbollah est enfin desserrée. Mais, dans les deux cas, tout reste fragile et sujet à mille prudences, en particulier en Syrie où le nouveau pouvoir est très loin d'avoir convaincu de ses intentions, notamment vis-à-vis des minorités.

Reste que, comme jamais depuis plus de trente ans, l'ombre de Téhéran s'éloigne et des possibles s'ouvrent. Veillons à ce qu'ils ne se referment pas sans offrir de perspectives. La chute du régime des mollahs serait sans doute une excellente nouvelle, avant tout pour les Iraniens eux-mêmes : ce grand peuple mérite infiniment mieux que le pouvoir qu'il subit depuis plus de quarante-cinq ans. Mais l'expérience récente nous a instruits des dangers d'un renversement de régime imposé par les armes étrangères. Une telle issue ne ferait qu'ajouter aux malheurs des Iraniens et de leurs voisins. La fin du régime ne pourra venir que du peuple iranien, agissant par lui-même et pour lui-même.

La tension dans la région a baissé de plusieurs crans, mais la situation reste très volatile. Dans ce contexte incertain, que peut faire la France ? Bien moins que nous le souhaiterions, hélas.

Militairement, toute action est évidemment exclue. Non seulement parce que notre pays n'a aucune vocation à participer à une opération offensive dans la région, mais aussi parce que, en dépit de notre présence au Liban et de nos emprises militaires en Jordanie, aux Émirats arabes unis et à Djibouti, nos moyens militaires ne nous permettent pas de peser réellement. Nous ne pourrions sans doute pas participer à une action défensive pendant plus de quelques jours - et encore, avec une contribution certes efficace, mais bien modeste.

Diplomatiquement, le chemin est à peine moins obstrué. Depuis de nombreuses années, notre influence au Moyen-Orient a dramatiquement reflué. Plus récemment, les positionnements fluctuants, l'activisme désordonné et les propositions parfois déroutantes du Président de la République ont fragilisé la lisibilité de notre action diplomatique : de son implication critiquée au Liban à l'invitation prématurée du nouveau président syrien, de sa proposition de coalition militaire internationale contre le Hamas aux doutes qu'il a laissé planer sur une reconnaissance unilatérale et inconditionnelle de la Palestine, c'est peu dire que ses initiatives ne dessinent pas une ligne directrice claire.

Pourtant, la France a des choses à dire et à faire. Au Liban, pays ami, nous devons jouer un rôle actif dans la refondation qui s'esquisse, en apportant notre soutien aux pôles de stabilité qui émergent et en oeuvrant à réduire l'influence du Hezbollah et des forces centrifuges. Hélas, comme cette « guerre des douze jours » l'a montré, notre pays en est réduit à commenter, s'inquiéter ou mettre en garde, sans parvenir à influencer ni à se faire écouter, sans même être tenu au courant des initiatives de ses alliés.

Nous ne pouvons qu'encourager les efforts de la France, aux côtés des Britanniques et des Allemands, pour se frayer un chemin jusqu'à la table des négociations sur le nucléaire iranien. Mais reconnaissons que notre capacité à influer sur les acteurs du conflit restera faible. Si notre ambition est de parvenir à une alternative crédible aux opérations militaires, nous devrons changer profondément d'approche, en nous souvenant du peu de confiance qu'on peut accorder au régime iranien, qui a systématiquement rompu ses engagements dès 2004.

Le schéma qui n'a pas permis d'éviter la crise actuelle ne peut pas être reproduit : si accord il y a, il devra être infiniment plus coercitif que celui de Vienne et ne plus laisser place à aucune ambiguïté ou naïveté. Toute perspective nucléaire devra être rendue impossible et la capacité à déstabiliser de la République islamique devra être jugulée. Soyons conscients qu'obtenir des engagements fermes de Téhéran et être en mesure de les faire appliquer relèvera de la gageure.

Le Moyen-Orient est à un carrefour de son histoire, et le nouveau chapitre qui s'ouvre s'écrira en grande partie autour de la question iranienne. Si des voies de passage diplomatiques existent, il est de la responsabilité de la France de contribuer à les chercher.

Au moment où, dans notre pays, certains sont prêts à tous les aveuglements et à toutes les compromissions avec ceux qui crient « mort à Israël ! » comme on criait hier « mort aux Juifs ! », la France doit réaffirmer sa volonté farouche de préserver la paix et d'oeuvrer à la stabilité internationale. N'oublions jamais que ces principes impliquent le refus absolu de voir prospérer le totalitarisme islamique du Hamas, du Hezbollah et de leur parrain iranien.

C'est ainsi que se concrétisera la volonté maintes fois exprimée par la France d'être une puissance d'équilibre. De Gaulle disait avec justesse : « Ce qu'il faut surtout pour la paix, c'est la compréhension des peuples. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas, Olivier Henno et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quand le droit international est piétiné, c'est à la diplomatie de trouver la force de le remettre sur pied.

La puissance du dialogue a été évincée par la force brutale, qui cherche à détruire les équilibres et parfois à restaurer les empires du passé. Dans le fracas des bombes, elle méprise le droit international, que la déraison des États a saccagé.

Face à la loi de la jungle, nous devons revenir à nos valeurs refuges : la démocratie, le multilatéralisme, l'autodétermination et les moyens pacifiques, consacrés par l'article premier du traité de l'Atlantique Nord.

La nouvelle agression de l'Ukraine par la Russie, en 2022, a montré que notre continent n'était pas épargné par l'épidémie de brutalité qui s'est emparée du monde. Une épidémie qui nous enjoint à avoir une pensée pour les victimes, les civils morts, les peuples meurtris, ceux que l'on veut effacer, les otages, les personnels de nos ambassades. Une pensée, aussi, pour les opposants politiques progressistes qui militent au péril de leur vie, et qui trouveront toujours des alliés dans cet hémicycle.

Quand le droit international est piétiné, c'est à la diplomatie de retrouver la force de le remettre sur pied. La déflagration qui frappe le Moyen-Orient nous y invite.

Israël a lancé sans sommation une offensive dans la nuit du 12 au 13 juin dernier contre les missiles balistiques et les capacités militaires de l'Iran. Les appels à la retenue n'empêchent pas la riposte iranienne ni n'arrêtent les frappes israéliennes.

Les Européens tentent de relancer la voie diplomatique à Genève, initiative décrédibilisée par Trump, qui lance le 22 juin une offensive contre trois principales cibles iraniennes. En retour, l'Iran cible la plus grande base américaine de la région située au Qatar, après en avoir avisé Washington. C'est en réalité un deal à la Trump, une opération de communication bien huilée, une transaction indécente : j'épargne ton régime, tu gardes la face et je montre ma capacité à mettre fin à la guerre en douze jours. Mais personne n'est dupe face à la supercherie, et rien n'est réglé.

La République islamique d'Iran est l'adversaire absolu de nos valeurs : elle opprime son peuple, humilie les femmes et enferme dans ses geôles ses opposants, mais aussi nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris (applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST), incarcérés dans des conditions inhumaines. Nous n'attendons qu'une seule image, celle de leurs retrouvailles avec leurs proches. Le Gouvernement doit réaffirmer auprès du régime iranien que leur libération est urgente.

Le régime des mollahs doit-il pouvoir disposer de la bombe atomique ? Jamais ! C'est une condition de notre survie collective. Nous partageons les inquiétudes de l'AIEA, dont le directeur général fait l'objet de menaces inacceptables.

La Corée du Nord s'est dotée d'armes de destruction massive. Nous devons inviter tous les pays qui ne l'ont pas fait à signer le traité de non-prolifération des armes nucléaires.

Comment la France compte-t-elle agir pour favoriser le retour à la coopération ?

Et quels sont les buts de guerre du gouvernement israélien ? Ce n'est pas seulement le monopole de l'arme nucléaire au Proche-Orient. Benyamin Netanyahu veut défaire un régime par la force et par l'extérieur, selon une méthode qui a montré pourtant qu'elle ne servait à rien sinon répandre le chaos. Israël a mené une guerre préventive, précisément au moment où des négociations importantes avaient lieu.

Chacun doit remettre du politique derrière le militaire, de la diplomatie derrière la violence, de la dénonciation derrière l'horreur. Et l'horreur, c'est Gaza, où la tragédie s'aggrave chaque jour ; Gaza, où un peuple marche lentement vers la mort, et où les distributions alimentaires deviennent une arme. Le 17 juin dernier à Khan Younès, 59 personnes affamées venues s'approvisionner ont été froidement abattues - une scène récurrente. Il faut lever le blocus humanitaire, et démilitariser l'aide humanitaire. Depuis le 7 octobre, 56 000 Palestiniens ont été tués, dont 17 000 enfants.

L'Europe et la France ont le devoir d'indiquer la porte de sortie diplomatique à Israël. Peut-on croire Trump, ce faiseur de paix autoproclamé qui annonçait de manière indécente vouloir faire de Gaza un complexe hôtelier touristique, quand il prétend qu'il a réussi à convaincre l'État hébreu d'accepter un cessez-le-feu ?

Peut-on écrire l'avenir avec ceux qui abandonnent l'Ukraine ? Peut-on confier les clefs à l'architecte du chaos ? L'avenir ne peut s'écrire avec le fanatisme des mollahs, mais pas davantage avec ceux qui agissent par des déflagrations interposées.

La désescalade doit venir de ceux qui défendent la solution à deux États, position historique des socialistes. Elle doit venir de ceux qui se mobilisent activement pour la paix, à l'instar d'Ehud Olmert ou de Nasser al-Qidwa, de ceux qui entendent contribuer à la stabilité en Cisjordanie, au Liban, dans tout le Moyen-Orient.

La France doit rappeler que le droit doit primer la force. Le groupe SER saura être aux côtés de l'exécutif s'il va dans cette voie. Mais il faut pour cela des positions constantes, transparentes.

Or le Président de la République a repris brutalement des échanges avec Poutine, rompant avec trois ans de silence, sans prévenir la représentation nationale.

Oui, nous sommes prêts à travailler. Mais encore faut-il que nous soyons d'accord sur le socle de valeurs ! Encore faut-il que vous cessiez de ponctionner le Quai d'Orsay et de compresser les moyens de notre diplomatie ! Encore faut-il que vous ayez la volonté de définir les intérêts diplomatiques de notre pays dans un cadre partagé !

La politique diplomatique de la France devra se construire via des échanges ininterrompus avec toutes les forces politiques. Faites un pas vers ceux qui veulent construire.

Ce qui est en jeu, c'est la parole de la France et la force de nos valeurs héritées des Lumières. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dimanche 22 juin, église Saint-Élie à Damas, l'assaillant entre dans l'église ; Grégoire, Bashar et Pierre le plaquent au sol ; ils ont choisi de mourir pour sauver 250 personnes.

Le groupe UC présente ses condoléances à Sa Béatitude le patriarche Jean X d'Antioche, ainsi qu'aux familles endeuillées par cet odieux attentat qui visait directement la communauté chrétienne de Syrie. Le patriarche m'avait averti des menaces sur les chrétiens d'Orient. Voici mon premier message : relayer son appel à ne pas détourner le regard et à protéger toutes les communautés religieuses.

Je pense aussi à Cécile Kohler et Jacques Paris. Merci, monsieur le Premier ministre, de nous avoir rassurés sur leur sort. Notre groupe appelle à leur libération immédiate. Nous n'oublions pas non plus les 50 otages retenus par le Hamas. Nous remercions le Quai d'Orsay qui a oeuvré pour rapatrier les Français vivant en Iran et en Israël.

Fin 2020, après l'attentat de Djeddah, j'avais demandé à Jean-Baptiste Lemoyne, alors ministre, que le processus de communication de crise soit formalisé et que nos élus fassent l'objet d'une information spécifique. Le groupe Les Indépendants de l'Assemblée des Français de l'étranger demande d'intégrer les élus dans la gestion de crise. Les élus des Français de l'étranger doivent pleinement jouer leur rôle d'interface.

Depuis sa création, le régime des mollahs appelle à la destruction d'Israël et menace les monarchies du Golfe.

La France a été l'un des premiers pays à reconnaître l'État d'Israël et elle lui a toujours manifesté sa solidarité. Les massacres du 7 octobre ont été monstrueux et ont entraîné une réponse justifiée d'Israël. N'oublions pas les 42 victimes françaises dans cette attaque.

Mais rien ne serait pire que de confondre le Hamas avec la légitime revendication de la population palestinienne, devenue otage de cette organisation terroriste soutenue par l'Iran.

Le Hamas n'est pas le seul proxy de l'Iran : Hezbollah et Houthis s'en sont pris à l'État hébreu.

Israël a choisi l'effet de surprise pour bombarder l'Iran. Trump a ensuite décidé de lancer l'opération Midnight Hammer, dans la nuit du 21 au 22 juin. À l'issue de ces frappes, le régime iranien est affaibli et isolé.

Reste à désarmer le Hezbollah. Il faut que le Liban retrouve sa pleine et entière souveraineté. Le nouveau gouvernement libanais nourrit beaucoup d'espoirs, sous réserve qu'il se débarrasse du Hezbollah et de sa tutelle iranienne. Mais le mouvement bénéficie des revenus issus du trafic de captagon, qui représentait 90 % du PIB de la Syrie à la chute de Bachar al-Assad. Les douanes libanaises ont récemment intercepté 866 kg de cette drogue.

L'envoyé spécial américain pour la Syrie, Thomas Barrack, a fixé un ultimatum au 7 juillet : les autorités libanaises doivent se positionner sur le monopole des armes. Or l'État libanais, via son armée, doit être l'unique détenteur de la force armée.

L'explosion du port de Beyrouth fut la plus grande explosion non nucléaire de l'histoire. En retrouvant les familles le 27 avril dernier, je leur ai remis votre lettre, monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Votre geste les a profondément réconfortées. L'enquête est reprise et le ministre libanais de la justice a entrepris plusieurs réformes.

Je reviens au port de Beyrouth : faire disparaître les silos serait une insulte à la mémoire des victimes. Intercédons auprès du gouvernement libanais pour empêcher cette décision.

À Gaza, les plus de 50 000 vies perdues, dont 17 000 enfants, sont une honte pour l'humanité. Le blocage de l'aide humanitaire a transformé Gaza en un lieu de mort. La France a condamné une frappe israélienne qui a causé la mort de deux employés d'une ONG le 26 juin dernier. Nous devons protéger les civils et les travailleurs humanitaires. Nous soutenons l'appel du Gouvernement à un cessez-le-feu et à une solution politique fondée sur deux États.

Lors de mon déplacement dans le Golfe en avril dernier, j'ai rencontré le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères du Qatar, ainsi que d'autres ministres des affaires étrangères. Tous fondaient leur espoir sur le plan qui devait être présenté par Mohammed ben Salmane et le Président de la République le 18 juin devant les Nations unies. C'était la seule solution sérieuse. Mais la conférence a été reportée : quand pourra-t-elle se tenir ?

Lors du sommet de sécurité de Shangri-La, le Président de la République a dit : « Si nous considérons que la Russie peut s'emparer d'une partie du territoire ukrainien [...] que pourrait-il se passer à Taïwan ? » Le ministre australien de la défense a affirmé que la Chine augmentait ses capacités militaires à un niveau jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le secrétaire américain à la défense aurait évoqué 2027 comme date limite que Pékin se serait donnée pour que l'armée chinoise soit en mesure d'envahir Taïwan. Nous devons agir. Sans quoi, nous pourrions nous retrouver dans la même situation qu'en Ukraine et au Moyen-Orient.

Tout est lié. Faisons en sorte d'arrêter les conflits, surtout avant que ceux-ci ne débutent. (MM. Vincent Capo-Canellas et Olivier Henno applaudissent.)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On ne ment jamais autant qu'après une chasse, avant une élection ou pendant une guerre, disait Clemenceau. C'est ainsi que tournent sur les réseaux sociaux les dessins animés montrant la bombe américaine en Iran percer 80 mètres de granit avant d'exploser. Même les services de renseignement américain n'arrivent pas à faire semblant d'y croire, malgré les ordres de leur président.

Les mollahs de Téhéran rabâchent : « Même pas mal ! » Et Netanyahu de tordre les déclarations de l'AIEA pour expliquer que l'Iran était à quinze jours de déclencher l'apocalypse nucléaire.

Personne ne se plaindra de la correction infligée à l'Iran, mais qui peut croire que la situation est réglée ? La guerre continuera tant que l'on ne garantira pas à la fois les droits des Israéliens et ceux des Palestiniens.

Je ne multiplierai pas les prophéties à court terme, mais parlerai plutôt d'un sujet angoissant : où est passée l'Europe ? Elle est en train de s'effacer, comme un château de sable au bord du rivage. Trump la méprise, Vance la déteste, la Chine n'y voit qu'un marché, la Russie un continent décadent. Quatre ou cinq fois par an, vingt-sept chefs d'État se réunissent dans le grand hôtel d'une capitale historique, délivrent des discours prérédigés et accouchent difficilement d'un plus petit dénominateur commun. Une photo, puis l'avion.

En cas de crise, le scénario se détraque. C'est alors la course au premier qui trouve une idée. La France a successivement lancé la proposition d'une coalition baroque contre le Hamas, annoncé son soutien inconditionnel à Israël puis condamné la dévastation de Gaza, convoqué avec l'Arabie saoudite une conférence tuée dans l'oeuf par les frappes en Iran, puis proposé plus modestement une aide humanitaire aux Palestiniens et, hier, appelé le boucher de Moscou. Aucune de ces initiatives n'a connu le commencement du début d'un effet.

Concernant l'Ukraine, le réveil européen s'essouffle. La France a proclamé l'économie de guerre en 2022 : nous en sommes loin. Après trois ans d'un chancelier allemand qui s'est comporté comme une limande apeurée, son successeur montre les muscles, dit qu'il livrera les Taurus, puis se ravise.

Les dirigeants européens ne sont que des commentateurs, campés devant les caméras comme la mouche qui, posée sur l'essieu d'une charrette, se dit : « Quelle poussière je soulève ! »

Plus jamais la guerre entre nous, c'était le projet européen. Mais c'est désormais la guerre avec les autres, les dictatures. On a transmis le fardeau aux Américains quand l'Union européenne est devenue le continent du pacifisme, oubliant ce que disait Mitterrand : les pacifistes sont à l'Ouest, les missiles à l'Est. La chute du Mur de Berlin a nourri la fable des dividendes de la paix. Dans un monde où les dictateurs ont juré de prendre leur revanche, c'est un contresens absolu.

La première conséquence de l'impuissance, c'est l'humiliation : en Iran, d'abord, où Cécile Kohler et Jacques Paris sont retenus dans des conditions inhumaines ; lors du prêche de Vance à Munich ; quand Trump dit aux Européens qu'il n'y a pas besoin d'eux au Moyen-Orient.

Il regrettera son mépris s'il comprend un jour qu'il n'y a rien de pire que de combattre avec des alliés, si ce n'est de combattre sans eux, comme disait Churchill en 1943. Les Européens se sont prosternés devant Trump à La Haye.

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Très bien !

M. Claude Malhuret.  - Voir l'ancien secrétaire général de l'Otan appeler Trump « papa » est un symbole éloquent de l'Europe d'aujourd'hui.

Trump vient d'annoncer la fin des livraisons d'armes à l'Ukraine. Nous sommes seuls et au pied du mur. Nous n'avons pas mis ces trois dernières années à profit. C'est tragique pour l'Ukraine aujourd'hui, c'est tragique pour l'Europe demain.

L'urgence va à la coordination des forces européennes. Nos retards sont immenses en matière de guerre hybride. La priorité, c'est de ne plus dire que nous ne sommes pas en guerre, alors que cyberattaques, provocations dans les airs et coupures de câbles sous-marins se multiplient.

Comment convaincre les Français de porter le budget de la défense à 3,5 % du PIB ? À l'Assemblée nationale, les deux extrêmes se détestent mais sont d'accord sur le pire : le soutien aux dictateurs.

MacArthur disait que les batailles perdues se résumaient en deux mots : trop tard. L'Europe doit se réveiller, il faut des peuples qui se souviennent de leur histoire et des dirigeants qui prennent la mesure des périls. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)

M. Xavier Iacovelli .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Moyen-Orient est en feu et le monde regarde, impuissant. À Gaza, au Liban, au Yémen, les lignes bougent, les fronts s'embrasent. Il ne s'agit plus d'observer, il faut agir. La France ne peut rester spectatrice, elle doit parler haut et agir juste.

Agir juste, c'est défendre la sécurité collective et le droit international. Nous partageons un objectif commun avec les Américains et les Européens : que l'Iran ne se dote jamais de l'arme nucléaire. Mais la France doit garder son autonomie de jugement, et notre diplomatie doit être fidèle à son histoire, à sa voix singulière.

Nous devons empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire et permettre à Israël de se défendre. Mais nous nous méfions d'une politique de changement de régime, telle que défendue par l'administration Trump. C'est un piège. Nous connaissons le peuple iranien, nous l'avons vu défier les interdits. Nous devons porter sa voix, mais ce combat ne saurait être mené à sa place : la liberté durable ne s'impose pas via une puissance extérieure.

Nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris doivent être libérés. Je salue l'action de Patricia Schillinger. Nous ne devons jamais abandonner les nôtres.

Les événements en Iran ne doivent pas nous faire oublier la crise humanitaire majeure qui se joue à Gaza. Sur 360 kilomètres carrés, la faim, la mort règnent. Les enfants meurent sous les décombres. Et nulle hiérarchie des souffrances n'est possible. Pendant ce temps, le peuple israélien vit dans l'angoisse des roquettes, du retour de 58 otages. Quel avenir pour une génération née sous les bombes ?

Les civils et les enfants paient le prix d'une guerre d'adultes. Le droit international humanitaire doit être préservé partout, et toujours. Soigner, nourrir, protéger, éduquer : telles sont nos priorités. Mais cette urgence humanitaire ne doit pas masquer une réalité politique : le Hamas est une entité terroriste. Les attaques du 7 octobre 2023 furent un véritable pogrom sanguinaire et barbare. Le Hamas ne saurait occuper aucune place dans ce processus politique.

Nous soutenons l'idée d'une coalition des pays arabes. La seule voie d'avenir, c'est la solution à deux États. C'est la position de la France.

Le feu de la guerre à Gaza trouve du combustible ailleurs. Au Liban, le Hezbollah intensifie les provocations. Il menace la frontière nord d'Israël et déstabilise le Liban, au bord du gouffre économique et institutionnel. C'est pourquoi la France reste engagée dans ce pays : notre soutien est historique, séculaire, profond et constant.

Plus au sud, les Houthis, soutenus par l'Iran, multiplient les attaques. Quand la mer Rouge devient une zone de guerre, les chaînes logistiques mondiales vacillent.

Nous devons tenir une ligne claire : condamner toutes les violences, parce qu'aucune cause ne justifie la terreur.

Le Moyen-Orient est en pleine recomposition. Voulons-nous être spectateurs ou acteurs ? Commenter l'histoire ou en écrire la suite ?

La France doit être fidèle à son histoire, à sa voix de paix et d'équilibre, dans le respect du droit international. Nous ne sommes ni neutres ni passifs. Nous sommes aux côtés des peuples et des enfants de tous les pays de la région. On ne construit pas la paix avec des missiles ni l'avenir avec des ruines. Mais on peut bâtir cet avenir avec courage, grâce au droit et à une diplomatie forte.

L'histoire jugera ceux qui instrumentalisent le conflit, même dans notre pays. La France a choisi, bien avant nous, de militer pour la paix, la liberté et le droit. Nous ne sommes que les héritiers de ce choix. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Bernard Fialaire et Jean-Yves Roux applaudissent également.)

Mme Cécile Cukierman .  - La réponse de l'Union européenne et de la France aux frappes américaines en Iran a révélé une vassalisation si profonde aux intérêts américains qu'elle nous conduit à piétiner le droit international et nos propres intérêts.

Les États-Unis ont frappé le territoire iranien sans nous consulter. Voilà comment Washington traite ses alliés ! Et les dirigeants européens bredouillent une rhétorique mensongère et ressortent une vieille recette : instiller la peur. On agite l'épouvantail de la menace nucléaire, on applaudit les frappes américaines et on exhorte l'Iran à rejoindre les pourparlers qu'il n'a jamais quittés. Qu'importent les conclusions de l'AIEA et des services de renseignement américains, selon lesquels aucune bombe n'était en préparation !

Face à cette logique orwellienne, rappelons que l'arme nucléaire est détenue par seulement quelques pays. L'Iran est signataire du traité de non-prolifération, quand Israël ne l'est pas. L'Iran est régulièrement contrôlé par l'AIEA. Quand Israël refuse les inspections, que disons-nous ? Quand le pays refuse de signer le traité de non-prolifération, que faisons-nous ? Rien ! Silence !

Si la France veut retrouver sa crédibilité, elle doit cesser le deux poids deux mesures. Si nous voulons réellement incarner un message de paix, renforçons le traité de non-prolifération.

En 2003, la France savait encore se lever comme un seul homme pour faire respecter le principe intangible du droit. Elle a désormais une attitude suiviste. Vous contribuez à l'effondrement du droit international ! Condamnations véhémentes de l'agression de l'Ukraine et étrange silence aujourd'hui...

Cette politique de double standard jette le discrédit sur l'Occident, incapable de porter un discours de paix sincère.

Monsieur le Premier ministre, en légitimant le droit des puissants à mener des guerres préventives, vous sapez honteusement la cause ukrainienne. Vous créez un précédent que ses adversaires ne manqueront pas d'exploiter. En choisissant la raison du plus fort, l'Union européenne et la France deviennent des forces de désordre.

Ramener la paix devient un défi considérable car Trump et Netanyahu offrent une répétition des guerres d'Irak, de Libye, d'Afghanistan, afin de resserrer leurs rangs. En Israël, cette logique alimente une union sacrée au service du pouvoir d'extrême droite nationaliste et suprémaciste qui bombarde à tout-va. Mais la guerre et les destructions poussent aussi, en Iran, au nationalisme, carburant de la République islamiste, contre le mouvement populaire.

Il n'appartient qu'au peuple iranien de déterminer la forme de son gouvernement : nous devons lui en donner les moyens.

Pendant ce temps, Gaza continue de mourir dans l'ombre. Quelque 2,1 millions d'êtres humains doivent faire face à une famine organisée. Le massacre est là.

Monsieur le Premier ministre, laissons l'histoire derrière nous, si tant est que vous écoutiez au lieu de commenter...

Les crimes odieux du Hamas ne peuvent justifier la perpétuation de l'horreur ad vitam aeternam. La paix ne viendra ni du maintien d'un seul rapport de force au profit d'Israël, ni d'un simple corridor humanitaire. L'heure n'est plus à attendre une quelconque conférence internationale. Plus la destruction de Gaza progresse, plus notre silence est coupable.

Notre pays doit rester intransigeant sur le respect des règles. L'inertie de l'exécutif sur la scène internationale aura des répercussions.

Monsieur le Premier ministre, nous ne sommes pas de la même génération. Le Mur de Berlin est tombé depuis longtemps. Sortons des caricatures ! Nous sommes en démocratie, nous avons le droit de critiquer l'action d'un Gouvernement qui observe les morts s'accumuler à Gaza. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Face à Trump qui marchande la paix en échange du pillage des terres rares, de Kiev à Brazzaville, l'Europe servile accepte de consacrer 5 % de son PIB aux industries d'armement américaines.

Renouez avec la voix d'une France non alignée, juste, au service des peuples ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'année 2024 concentre le plus grand nombre de conflits sur la planète. Hélas, 2025 sera aussi d'une brutalité sans fin pour la paix.

La guerre des douze jours a ouvert un nouveau chapitre, invitant la question de l'arsenal nucléaire iranien dans le conflit israélo-palestinien. Une opportunité pour Benyamin Netanyahu, mais a-t-il anticipé les répliques potentielles ? L'Iran, le Qatar, le Yémen sont davantage impliqués, tandis que le drame humanitaire se poursuit à Gaza.

Le RDSE salue ce débat, à un moment difficile pour les relations internationales, mais surtout pour les populations de ces régions. J'ai avant tout une pensée pour les victimes civiles. À Gaza, des centaines de milliers de personnes ont perdu la vie. Si la chasse au Hamas a un sens, l'objectif initial d'exterminer l'organisation terroriste a considérablement évolué. Les privations organisées à Gaza ont-elles quelque chose à voir avec le droit d'Israël à se défendre ?

On ne peut pas rester sourd aux appels de centaines d'ONG.

Le défi existentiel vaut pour tous les peuples.

N'oublions pas les otages, parmi lesquels trois Français. Avec 80 % d'anéantissement de la bande côtière de Gaza, le Premier ministre israélien a choisi de les sacrifier.

Le RDSE exprime aussi sa solidarité à Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus en Iran. Nous souhaitons que la France maintienne l'exigence de leur libération immédiate. Je salue l'engagement constant des agents du ministère, qui veillent au sort de nos ressortissants.

Mais la compassion à l'égard des populations civiles ne peut tenir lieu d'analyse. Tous ces drames, pour quel résultat ? C'est vrai, le Hamas est décapité, mais cette hydre renaîtra toujours des conditions de vie des Gazaouis, et sans souveraineté du peuple palestinien.

L'espoir d'un cessez-le-feu est entre les mains des médiateurs américains, égyptiens et qataris. Soixante jours seraient le minimum. Mais si la question palestinienne n'est pas soldée, elle restera au coeur de la tectonique des plaques dans la région. La normalisation des relations de l'État hébreu avec ses voisins est souhaitable, mais elle ne doit pas être un leurre contre la solution à deux États.

Face à cela, quelle voix pour la France et l'Europe ? Face à l'Iran, réduit au statut de puissance régionale, aux États-Unis qui démontrent par la force leur centralité stratégique, à un Premier ministre israélien qui recompose la situation, soyons réalistes : il reste peu d'espace. La France doit néanmoins maintenir une ligne ferme et tenir une parole fidèle à sa tradition républicaine et humaniste : dénoncer les violations du droit international, faire respecter la Cour internationale de justice, rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait conduire à l'anéantissement de populations entières.

L'Europe doit redevenir un acteur politique, capable de proposer une réponse structurée. Les derniers développements ne doivent pas écarter une réflexion sur le contrat d'association entre l'Union européenne et Israël.

Il s'agit non pas de choisir un camp, mais de redonner du sens au droit des peuples. Une Palestine souveraine est la seule voie.

Albert Camus disait : « La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. »

La situation au Proche et au Moyen-Orient interpelle notre responsabilité collective ; elle engage notre rapport au droit, à la justice, et à la solidarité. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jacques Fernique et M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Merci d'avoir enfin convoqué le Parlement pour évoquer la situation au Proche-Orient. Nous en faisions la demande depuis le 18 mars. Depuis, les bombardements israéliens ont tué 6 000 Palestiniens et en ont blessé 20 000. Il y a à ce jour 56 000 morts civils : un génocide sous nos yeux.

Israël, épaulé par les États-Unis, a lancé un raid sur l'Iran au mépris des règles internationales, faisant un millier de morts civils côté iranien, vingt-huit côté israélien.

La timide voix de la France, qui envisageait de reconnaître l'État de Palestine, s'est évanouie. Face au retour de la violence comme projet politique, cette voix, et celle de l'Europe, sont désespérément attendues. Or elles sont inaudibles, faute de courage, de cohérence, d'unité. Ce n'est pas la première fois que l'Europe manque le rendez-vous de l'histoire. Le 21 août 2013, 1 845 opposants syriens ont péri asphyxiés et 10 000 ont été intoxiqués par le gaz sarin de Bachar al-Assad. Ce jour-là, le droit humain le plus élémentaire a été bafoué.

Faute de vouloir agir sans le grand frère étasunien, la France a laissé mourir l'opposition syrienne et réveillé l'appétit des empires. La Crimée est tombée quelques mois plus tard, provoquant un engrenage délétère.

En 2013, alors que le traumatisme irakien était encore vif, annoncer une nouvelle intervention militaire contre un dictateur arabe était difficile. En 2025, c'est plus simple : nous devons défendre le droit international, la paix, la diplomatie, pour mettre un terme à la fuite en avant meurtrière d'une démocratie amie. La dérive de Benyamin Netanyahu est le fruit de notre incapacité à faire respecter le droit international. Son ambition est l'annexion de Gaza et la colonisation de la Cisjordanie. Aux Gazaouis, il ne laisse que deux choix : la mort ou l'exil. Sa stratégie est de semer le chaos pour gagner quelques années de tranquillité. Estomaqués par la barbarie du 7 octobre, nous le laissons déployer son plan.

En 2025, nous n'avons plus l'excuse de l'ignorance : Afghanistan, Irak, Libye ont montré où conduit le chaos de nos guerres préventives.

La guerre contre l'Iran s'inscrit dans la même veine. Les bombes ne peuvent ni tuer une idéologie ni importer la démocratie. Elles ne créent que désolation et ressentiment. Nous ne savons rien de l'opération militaire, ou presque. Il faudrait pour cela faire confiance au président américain. Le programme nucléaire iranien a sans doute pris du retard, mais l'uranium enrichi circule toujours. Il est désastreux que les agents de l'AIEA ne puissent travailler. La volonté politique de se doter de la bombe précédait la révolution islamique et lui succédera sans doute, dans un monde où prévaut la loi du plus fort.

Si chacun souhaite évidemment la chute de ce régime tyrannique, gardons à l'esprit le précédent irakien. Les deux guerres du Golfe n'ont rien résolu.

Après les bombes, c'est la répression qui s'abat sur le peuple iranien. Nous tremblons avec lui, et avec nos otages, Cécile Kohler et Jacques Paris.

Comme sous Jacques Chirac, la France doit condamner le recours illégal à la force. Comme sous François Hollande, la France doit redevenir une grande nation diplomatique, celle qui a obtenu la signature de l'accord de Vienne ou de celui de Paris.

L'humanité fait face au plus grand défi de son histoire, le réchauffement climatique, qui devrait nous rassembler au nom de la survie de l'espèce ; au lieu de cela, nous retombons dans les pires travers du XXe siècle. Désespérant !

Monsieur le Premier ministre, il est encore temps d'agir. La France doit parler d'une voix ferme et reconnaître immédiatement l'État palestinien, avec ou sans alliés. Nous avons la faiblesse de croire que notre voix pèse suffisamment pour créer un effet d'entraînement.

Il faut suspendre l'accord d'association avec Israël, décréter un embargo sur toutes nos exportations d'armes, appliquer strictement les mandats de la Cour pénale internationale, acheminer de l'aide à Gaza avec notre propre marine, exiger des réformes de l'autorité palestinienne et la tenue d'élections.

La France peut, avec l'Europe, parler d'une voix ferme pour oeuvrer à la refonte du cadre multilatéral hérité de la Seconde Guerre mondiale. Notre diplomatie doit accorder plus de place aux sociétés civiles des pays autoritaires. Il faut mieux cibler l'aide publique au développement, sabrée par les coupes budgétaires, et bâtir une véritable politique d'asile, plutôt que de multiplier les infâmes rafles et les obligations de quitter le territoire français (OQTF). C'est ainsi que nous oeuvrerons à la transition démocratique et à la paix dans le monde.

Monsieur le Premier ministre, la France ne peut pas oeuvrer à la paix mondiale en se repliant sur elle-même. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Pierre Barros applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Monsieur Darnaud, en effet, l'ombre de Téhéran s'éloigne et les possibles s'ouvrent. Après la défaite du Hezbollah au Liban et la chute de Bachar al-Assad, l'Iran est dos au mur. Vous avez critiqué la ligne du Président de la République, pas claire selon vous. Au contraire, elle l'est, très fidèle à la tradition de la France : la fermeté vis-à-vis du régime iranien. Il n'y a pas, pour Israël, d'interlocuteur aussi constant et ferme que la France sur ces questions, tout en dénonçant les violations du droit international. Notre position d'équilibre est de reconnaître le droit d'Israël à se défendre tout en estimant que, dans l'intérêt d'Israël, certaines actions doivent cesser.

Vous avez été dur sur le Liban, or la France est la première à avoir proposé un cessez-le-feu. Nos idées ont été reprises et ont évité l'affrontement. La France a aussi facilité le redressement politique du Liban, permettant la tenue de l'élection présidentielle. Jean-Yves Le Drian, envoyé spécial du Président de la République, était dans la tribune du Parlement le jour de l'élection.

Lors de cette guerre de douze jours, c'est par la France, loin d'être marginalisée, que la proposition diplomatique de cessez-le-feu a transité.

Monsieur Vayssouze-Faure, je ne sais pas si l'on peut dire que rien n'est réglé. Mais nous sommes au milieu du gué. Le plus dur reste à faire : un encadrement strict des activités nucléaires de l'Iran.

Vous avez appelé à la libération des otages. Nous avions indiqué au gouvernement israélien la présence de Cécile Kohler et Jacques Paris à la prison d'Evin. Nous avons dû attendre une durée inacceptable pour obtenir des preuves de vie. Nous espérons leur libération rapide.

Le retour à la coopération avec l'Iran passe par la reprise des discussions, dans l'esprit des négociations de l'accord de 2015. Les protagonistes en étaient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, gardiens du traité de non-prolifération : seuls ces pays ont le droit d'être dotés de l'arme nucléaire. En contrepartie, ils doivent favoriser le développement du nucléaire civil. Ces cinq nations doivent se parler. D'où l'appel du Président de la République à Vladimir Poutine : c'est l'avenir de cette architecture de sécurité qui est en jeu. Même si Vladimir Poutine ne s'est pas montré à la hauteur, la Russie doit être consultée sur ses intentions vis-à-vis de l'Iran.

Olivier Cadic a rappelé le nombre de victimes de l'attentat contre les chrétiens de Syrie. La France considère que la préservation des droits de ces communautés est la condition du pluralisme et de la stabilité. Monsieur Cadic, vous avez souligné le rôle des élus des Français de l'étranger, notamment dans les situations de crise. Par vos nombreux déplacements, vous portez, vous aussi, la voix de la France.

Félicitations pour votre engagement personnel auprès des victimes de la catastrophe du port de Beyrouth.

La conférence sur la solution à deux États se tiendra dans les prochaines semaines - la dynamique est désormais inarrêtable.

Claude Malhuret a dit très justement que la guerre au Proche-Orient dure depuis quatre-vingts ans, et durera tant que le conflit israélo-palestinien ne sera pas résolu. Certains courants de pensée considèrent que ce conflit ne serait qu'une conséquence de la menace du régime iranien, alors qu'il avait commencé au préalable. Si nous devons encadrer le programme nucléaire iranien, il est indispensable de trouver une solution politique au conflit israélo-palestinien.

Il a aussi dit que les dictateurs voulaient prendre leur revanche sur les défaites du XXe siècle et qu'ils ont déclaré contre les démocraties une guerre qui a changé de nature. La revue nationale stratégique (RNS), présentée d'ici peu, y reviendra.

Nous avons un arsenal pour riposter contre les attaques qui abîment l'image de la France.

Notre capacité à peser à l'étranger dépend de notre force intérieure - force militaire, force économique, force morale et politique. Les travaux lancés par le Premier ministre - conclave, préparation du budget, refondation de l'action publique - sont en réalité directement liés à ces sujets internationaux, car c'est notre force intérieure qui nous permettra de porter la voix de la France et de défendre nos intérêts.

Xavier Iacovelli a rappelé que les tensions en mer Rouge avaient des conséquences pour le commerce international. Si la France s'investit dans la résolution des conflits au Proche-Orient, c'est en tant que nation fondatrice des Nations unies et membre permanent du Conseil de sécurité, mais aussi parce que beaucoup de nos intérêts directs se jouent au Proche-Orient.

Nous avons établi des liens avec les nouvelles autorités syriennes, non pour le panache mais pour servir nos intérêts bien compris : sur les questions migratoires ou la lutte contre le terrorisme, c'est dans un échange exigeant avec elles que nous pourrons obtenir gain de cause.

Vous avez parlé des enfants qui grandissent sur ces théâtres de conflit, qui en sont les premières victimes, et qui auront du mal à devenir demain artisans de paix.

Mme Cukierman a parlé du programme nucléaire iranien comme s'il était dérisoire, innocent. Il y a dix ans, grâce à l'accord que la France a contribué à faire signer, nous avions obtenu un recul substantiel du programme nucléaire iranien - jusqu'à ce que les États-Unis sortent de cet accord en rétablissant les sanctions, ce qui a conduit le régime iranien à relancer son programme nucléaire. Résultat : avant les frappes, l'Iran disposait d'un stock d'uranium enrichi trente fois supérieur et de capacités d'enrichissement dix fois supérieures aux limites maximales fixées il y a dix ans, avec une nette accélération depuis trois ans. Il y avait donc bien une intention, sans justification civile, de développer un programme nucléaire. Faut-il rappeler que l'Iran proclame sa volonté d'anéantir Israël ? Qu'il soutient des groupes terroristes, qu'il s'est félicité du 7 octobre, qu'il livre des drones à la Russie, qu'il détient nos compatriotes, qu'il a réprimé le mouvement « Femmes, vie, liberté » ?

Il n'y a pas « deux poids, deux mesures ». Nous n'avons pas participé aux frappes israéliennes et américaines ni à leur planification. Nous avons dit qu'elles n'étaient pas conformes au droit international, qu'elles n'empêcheraient par l'Iran de reconstituer un programme nucléaire et que seul un encadrement négocié éloignerait durablement le danger.

Madame Carrère, vous avez condamné la distribution militarisée de l'aide humanitaire à Gaza. Vous avez salué l'action des agents de mon ministère, très mobilisés. Lors du Conseil européen, les chefs d'État et de Gouvernement ont pris acte de la violation de l'article 2 du contrat d'association entre l'Union européenne et Israël : le conseil des affaires étrangères en tirera les conséquences le 15 juillet. Il ne s'agit pas de choisir un camp, mais de faire respecter le droit des peuples, avez-vous conclu. C'est exactement la position que la France entend défendre.

C'est l'apparence de notre faiblesse qui réveille l'appétit des empires, a dit le président Gontard. C'est vrai ! C'est pourquoi il faut rendre fort ce qui est juste.

Netanyahu serait un opposant à la solution à deux États ? Je vous cite les propos qu'il tenait en 2009 : « Dans ma vision de la paix, deux peuples vivent librement côte à côte dans l'amitié et le respect mutuel. (...) Si nous recevons cette garantie concernant la démilitarisation et les besoins de sécurité d'Israël et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l'État du peuple juif, alors nous serons prêts, dans le cadre d'un futur accord de paix, à parvenir à une solution où un État palestinien démilitarisé existera aux côtés de l'État juif ».

M. Guillaume Gontard.  - C'était en 2009...

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - La conférence que nous entendons organiser sera l'occasion pour la France et d'autres de reconnaître l'État de Palestine et pour les pays arabes et l'Autorité palestinienne de prendre les engagements garantissant durablement la sécurité d'Israël.

L'année 2015 fut un grand millésime diplomatique pour la France : accord sur le nucléaire iranien, accord de Paris.

M. Rachid Temal.  - François Hollande !

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Souhaitons que 2025 fasse aussi bien, avec le traité de la haute mer, la conférence de Nice sur l'océan et bientôt un accord sur le nucléaire iranien, plus robuste qu'il y a dix ans. Ainsi pourra s'éloigner l'ombre de l'instabilité et de la guerre permanente.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Le ministre Barrot l'a dit, notre puissance de conviction dépend de notre confiance en nous-mêmes, en ce qu'est la France, de par son histoire.

Ayons confiance dans nos forces armées, très exposées dans la région. M. Darnaud a cité la Finul, mais nous menons aussi des opérations comme Chammal, dans le cadre de l'alliance Inherent Resolve, avec des bases positionnées pour la lutte contre le terrorisme.

Des pays accueillent des bases militaires françaises : c'est le cas aux Émirats arabes unis ou à Djibouti, base qui dessert l'ensemble du Golfe.

Monsieur Darnaud, nos forces n'ont pas mandat pour mener une action offensive ; pour cela, il faut l'article 35 de la Constitution, et l'opération Chammal a été votée par le Parlement. La mission Aspides montre l'endurance spectaculaire de notre marine, qui n'a jamais tiré autant de missiles Aster-15 ou Aster-30.

Même chose pour la protection du ciel ou de nos bases. Mes propos à l'Assemblée nationale ont été critiqués par l'Iran, mais quand des drones tirés par l'Iran sur Israël mettent en danger nos emprises, nous assumons, en lien avec le pays hôte, d'en assurer la sécurité.

Les efforts de réarmement entamés depuis 2017 font que les forces armées prépositionnées au Moyen-Orient sont les mieux équipées, compte tenu du contexte régional.

Un mot sur le Liban. Nous connaissons tous la Finul, dont certains critiquent le mandat. Certes, il n'est pas parfait, mais personne n'a encore trouvé de meilleure idée. C'est soit cela, soit le vide. Je rends hommage à nos militaires qui exécutent ce mandat, dans des conditions de sécurité très dégradées ; je rappelle que nous avons perdu un soldat l'an dernier, mort pour la France : Fany Claudin, dont je salue la mémoire. Si l'on déplore des morts, c'est que nous ne faisons pas rien !

Citons aussi l'état-major franco-américain, imaginé avec l'administration Biden, qui permet aux uns de parler aux Libanais, aux autres de parler aux Israéliens ; c'est un utile complément de la Finul. J'invite les parlementaires à s'intéresser davantage à ce mécanisme prometteur pour les initiatives diplomatiques à venir.

Monsieur le président Gontard, ne passons pas sous silence l'action des forces armées pour l'aide à Gaza.

M. Rachid Temal.  - C'est vrai.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Nous sommes le seul pays à l'avoir fait, grâce à nos militaires. Depuis 21 h 30, on se fait du mal entre Français, à dire que nous ne ferions rien. J'ai démontré le contraire. L'armée française a largué des denrées et des médicaments, avec les Jordaniens, dans des conditions opérationnelles et diplomatiques très difficiles. Le Dixmude est le seul bateau de guerre européen qui accompagne les civils. Ce n'est pas à la mesure de ce qui se passe à Gaza, me direz-vous - mais actez que cela a été fait.

Nos forces armées écoutent nos débats, lisent les comptes rendus. Parfois, il y a un décalage énorme entre ce qu'on leur demande, les grandes envolées et la réalité de la compréhension de ce qu'ils ont fait. Je le rappelle avec prudence et humilité devant le Parlement, pour leur rendre justice.

Madame Cukierman, vous avez raison : ce sont des sujets politiques, au sens noble, qui méritent débat.

Nous sommes évidemment favorables au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Le général de Gaulle lui-même se disait favorable au désarmement nucléaire - si les autres en faisaient autant. Parmi les États parties au TNP, nous sommes le plus exemplaire des pays nucléaires. Vos camarades députés ont mené une commission d'enquête sur les essais nucléaires en Polynésie : là aussi, tout n'est pas parfait, mais de tous les pays ayant mené des essais, nous sommes celui qui assure le mieux la transparence, la justice et la réparation.

En matière de renseignement sur le programme nucléaire iranien, nous ne sommes plus aussi dépendants des Américains qu'il y a sept ans : je peux fournir au Président de la République et au Premier ministre des renseignements de source nationale, grâce aux efforts budgétaires que vous avez consentis.

L'avancée des programmes d'enrichissement et balistiques rendait l'assemblage d'un programme nucléaire imminent. Regardez les progrès réalisés en deux ans par l'Iran en matière de frappes balistiques : il y a un saut technologique.

Mme Cécile Cukierman.  - La guerre des douze jours n'a pas apporté de solution !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Non, c'est d'ailleurs ce qu'a déclaré le Président de la République, et c'est pourquoi nous n'avons pas soutenu les frappes. Avec le ministère des affaires étrangères, nous avons souligné les risques de dissémination et de non-suivi par l'AIEA. La situation n'est pas celle de l'Irak en 2003.

Monsieur le président Gontard, je l'ai dit hier, je vous le dis ce soir et vous le redirai demain : il n'y a pas de vente d'armes de la France à Israël. (Murmures sur les travées du GEST) Il y a un an, j'ai considéré que l'honnêteté suffisait ; c'était compter sans La France insoumise. On a inoculé ce virus de la désinformation à nombre de nos concitoyens. Tout est faux ! Non, la France ne livre pas d'armes à Israël pour faire la guerre à Gaza. De toutes les grandes démocraties ayant une grande industrie de défense, nous sommes celle qui encadre le plus ses exportations d'armes. (Moues dubitatives sur les travées du GEST) Sur ce point, nous sommes irréprochables.

Monsieur Malhuret, changement d'époque, nouvelle guerre : vous avez raison. Hier en commission, nous avons plus parlé de reports de charges que de guerre hybride, de cyber, de New Space ou de prolifération nucléaire. Le Parlement doit s'emparer de ces sujets : ce n'est pas seulement l'affaire de l'exécutif. Hybride signifie qu'il y a une dimension civile. Une attaque cyber contre un hôpital, c'est tragique ; 300 attaques cyber contre 300 hôpitaux, c'est une nouvelle forme de déclaration de guerre. Le sujet est aussi local que global, et la chambre des territoires a un rôle à jouer. J'espère un jour un débat qui vienne nourrir de grandes orientations sur le sujet.

M. Rachid Temal.  - Avec un vote ?

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - S'il y a quelque chose à voter ! C'est d'abord une affaire d'orientation, de répartition des rôles, de la part assumée par le privé... On peut créer des passerelles, des consensus plus forts qu'on ne le croit.

Prochaine séance demain, jeudi 3 juillet 2025, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 3 juillet 2025

Séance publique

À 1h 30 et l'après-midi

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : Mme Marie-Pierre Richer, Mme Céline Brulin

1Proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai, présentée par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°777, 2024-2025)

2Proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental, présentée par Mme Nadège Havet (procédure accélérée) (texte de la commission, n°779, 2024-2025)