Refondation de Mayotte - Département-Région de Mayotte (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions des commissions mixtes paritaires (CMP) chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat des CMP .  - Je me réjouis de vous présenter le compromis des CMP sur ces deux projets de loi, attendus par tous les Mahorais. Je salue les élus mahorais qui nous ont montré la voie du compromis. Ce dernier n'est toutefois pas sans concessions importantes du Sénat.

La première porte sur la suppression des titres territorialisés en 2030 : nous nous sommes ralliés à la position de l'Assemblée nationale. Nous voulions attendre les effets des mesures de lutte contre l'immigration illégale prises dans ce texte. Au Sénat, monsieur le ministre d'État, vous vous y étiez opposé, mais la navette a fait bouger les lignes sur tous les bancs.

Notre deuxième concession porte sur l'article 19, sur la possession anticipée en matière d'expropriation. Il règne à Mayotte un certain désordre dans la propriété foncière et le cadastre. Nous voulions accélérer les expropriations pour mettre en oeuvre les 4 milliards d'euros d'investissements promis par le Gouvernement d'ici 2031. Le manque d'acceptabilité de la mesure à Mayotte lié certainement à un défaut de pédagogie n'a pas permis de la maintenir. Nous y avons renoncé pour trouver un compromis global sur le texte, mais le rapport annexé mentionnera que le Gouvernement ne sera pas redevable des délais si les procédures durent.

Le dernier compromis concerne l'article 15. L'Assemblée nationale souhaitait une étape supplémentaire, avec une convergence sociale à hauteur de 87,5 % du Smic au 1er janvier prochain. Nous avons accepté de renforcer les mesures de compensation pour les entreprises avec une entrée en vigueur de la loi d'ouverture et du développement de l'économie de l'outre-mer (Lodéom) en 2027.

Néanmoins, nombreux sont les acquis du Sénat à être préservés. Nous avons obtenu de renforcer les pouvoirs du préfet, qui a désormais la maîtrise de l'ensemble des services de l'État et des agences à Mayotte ; de ne faire figurer que des engagements fermes dans le rapport annexé, feuille de route du Gouvernement ; de décliner financièrement les engagements et de mettre en place un comité de suivi. À l'article 31, sur la refonte des institutions de Mayotte, la désignation des élus se fera désormais au sein de treize sections, au sein d'une circonscription unique, pour une meilleure représentativité des élus - les élus mahorais y étaient attentifs.

Nous proposons de faire aboutir ce compromis, qui permettra au Gouvernement de respecter les engagements tant attendus par les Mahorais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et au banc des commissions)

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer .  - Après le vote de l'Assemblée nationale, le vôtre est crucial - pour ne pas dire historique. Depuis six mois que j'ai l'honneur d'être ministre des outre-mer, j'ai fait de Mayotte une priorité absolue.

J'ai rappelé souvent l'engagement total du Gouvernement dans la gestion de crise, la reconstruction et, désormais, la refondation de Mayotte : il s'agit de franchir une étape décisive pour l'archipel.

Les stigmates de Chido ont placé Mayotte au coeur des préoccupations de nos concitoyens. Mais une nouvelle étape vers l'égalité réelle des Mahorais et un développement concret du territoire doit être franchie.

Cet engagement, nous le devons aux Mahorais, qui ont tant de fois manifesté leur attachement à la République à travers plusieurs référendums, dont le dernier sur la départementalisation.

Malgré les nombreux plans et les améliorations passés, les Mahorais expriment un sentiment d'abandon et de scepticisme face aux engagements de l'État. Ce texte va plus loin, pour restaurer la crédibilité de la parole publique et le lien de confiance entre la population et l'État, à l'heure des ingérences étrangères. Contre la déstabilisation de l'État, il est plus que jamais temps de concrétiser la promesse républicaine à Mayotte.

En présentant ce projet de loi fin avril 2025, le Gouvernement a proposé au Parlement un texte ambitieux : lutte contre l'immigration clandestine, renforcée par le Sénat, chère Agnès Canayer et cher Olivier Bitz, et contre l'habitat illégal, chère Micheline Jacques. C'est la première fois qu'un gouvernement inscrit la convergence sociale dans la loi à horizon 2031, effort massif pour plus de justice et d'égalité ; je remercie Christine Bonfanti-Dossat.

Je pense aussi à la mise en place d'une zone franche globale, portée par Stéphane Fouassin et Georges Patient, et aux mesures d'accompagnement de la jeunesse, grande priorité, à la transformation du conseil départemental en département-région de Mayotte, à la révision du mode de scrutin, aux engagements du rapport annexé et aux investissements prévus.

J'ai mené des concertations étroites avec le département, les maires et les forces vives - pas assez, me rétorqueront certains. Je pense aussi au travail mené avec les sénateurs Salama Ramia et Saïd Omar Oili, dont je connais les exigences. Nous avons encore renforcé l'ambition de ce texte, devenu plus solide et crédible grâce aux parlementaires.

Des outils de suivi et de contrôle de l'application de la loi ont été ajoutés, plus utiles que les multiples rapports demandés.

Les titres de séjour territorialisés seront abrogés au 1er janvier 2030, grâce à un compromis intelligent dans lequel Olivier Marleix s'est investi -  je lui rends hommage.

Nous prévoyons un rapprochement du niveau du Smic net au 1er janvier 2026 et un accompagnement des entreprises, ainsi qu'un déploiement de la protection universelle maladie et un allègement des démarches d'attribution de la complémentaire santé solidaire (C2S).

À l'initiative du Gouvernement, soutenu par les rapporteurs, les investissements ont été portés de 3 à 4 millions d'euros pour les six prochaines années.

Dans un contexte difficile, il faut mesurer l'engagement du Gouvernement et du Parlement ces derniers mois : des dizaines de millions d'euros pour accompagner les collectivités, aider la filière agricole, soutenir les entreprises, mettre en place un prêt à taux zéro (PTZ) pour reconstruire les logements ; une mission interministérielle dédiée à la reconstruction et à la refondation dirigée par le général Facon ; deux projets de loi et une proposition de loi de Philippe Gosselin ; un établissement public pour la reconstruction, dont le directeur général sera nommé prochainement.

Ce texte acte des actions qui changeront durablement le visage de Mayotte : fin des coupures d'eau, une fois que l'usine et la retenue seront livrées, fin des rotations scolaires, inacceptables dans notre République, développement de l'intermodalité, gestion durable des déchets, lutte contre l'insécurité, construction d'un nouvel aéroport secondaire.

Le compromis trouvé en CMP consacre un engagement sans précédent de l'État pour Mayotte.

Une première hausse du Smic net est prévue au 1er janvier 2026 - c'est un acquis social majeur et la preuve de la priorité donnée au travail. Un dispositif ciblé renforcera la réduction générale des cotisations sur les bas salaires. Dès le 1er janvier 2026, le point de sortie des allégements des cotisations sera augmenté de 1,4 à 1,6 Smic, et le champ de la réduction générale de cotisations sera étendu à l'assurance chômage, avec dix ans d'avance. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est maintenu dans cette période et la Lodéom sera déployée à compter du 1er janvier 2027.

Je regrette, malgré l'engagement de vos rapporteurs, que l'article 19 ne soit pas rétabli. Il s'agissait seulement, face au désordre foncier persistant, et pour les infrastructures les plus essentielles et urgentes, d'étendre une procédure déjà existante, tout en garantissant les droits des propriétaires. Des raccourcis et des procès d'intention ont nui à son adoption. Cela aura des conséquences sur le rythme de construction des infrastructures. Parfois, il faut savoir reculer pour avancer.

En votant ce texte, vous aiderez le Gouvernement à remplir ses engagements envers Mayotte. Cet après-midi, le général Facon présentera une stratégie planifiée lors du Comité interministériel des outre-mer (Ciom).

Je sais les Mahorais sceptiques, mais je veux leur redonner confiance dans l'action de l'État. Je me suis battu pour que nous construisions ensemble un projet de loi ambitieux et solide, malgré les difficultés et les démagogies.

Mahoraises, Mahorais, ce texte est historique ! Je suis fier de l'action que je mène pour vous. Je remercie le Premier ministre de son soutien ; le choix d'élever le ministre des outre-mer au rang de ministre d'État n'est pas anodin.

Ce matin, j'ai reçu le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. Ce matin, vous adoptez définitivement le projet de loi de programmation pour Mayotte. Cet après-midi, le Ciom actera des mesures pour Mayotte mais aussi contre la vie chère, en prévision d'un projet de loi qui sera débattu à l'automne, ou encore contre le narcotrafic qui mine nos territoires. Je poursuivrai les négociations entamées à Bougival pour construire un avenir commun en Nouvelle-Calédonie.

Jamais les outre-mer n'ont été aussi présents dans le débat public et dans l'action du Gouvernement ; jamais les Mahorais n'ont eu jusqu'ici une réponse à leurs attentes. Il faut agir pour eux. (MM. Marc Laménie, Olivier Bitz et Mme Salama Ramia applaudissent.)

M. Marc Laménie .  - (M. Olivier Bitz applaudit.) La CMP conclusive a consacré le travail de fond des deux chambres.

Nous allons voter un texte d'ampleur qui ambitionne de répondre à la quasi-totalité des problématiques : immigration irrégulière, habitat insalubre, insécurité, retard économique et social, éducation...

Il était temps ! Mayotte, cent-unième département français, est aussi le plus pauvre ; il souffre d'une immigration incontrôlée, il est exposé aux cyclones - je salue les interventions des forces de l'ordre et de sécurité civile, ainsi que de bénévoles, après le passage de Chido - et compte 40 % d'habitations en tôle.

Les quelques actions menées ces dernières années ont été insuffisantes. En 2025, comment accepter que des centaines de nos compatriotes n'aient accès à l'eau qu'un jour sur deux, ou que les enfants pas à l'école toute la journée, faute de classes ?

À Mayotte, il faut donc des écoles, des offres de formation, une nouvelle piste aéroportuaire, des logements neufs, un nouvel hôpital, des moyens considérables pour contrôler l'immigration. Or nous sommes encore loin de la réalisation de ces projets, parfois promis depuis dix ans.

Mayotte est pourtant département français depuis 2011. Nous devons agir au titre de la justice, de l'égalité, de l'équité en matière de développement. La distance ne saurait nous éloigner de notre responsabilité.

Ce projet de loi, dont notre groupe avait salué la version issue du Sénat, grâce au travail des commissions, doit permettre la réalisation de ces projets tant attendus.

Toutefois, nous regrettons la déterritorialisation des titres de séjour en 2030, qui est précipitée. Nous comprenons la déception de nos collègues mahorais qui ne verront l'application de la Lodéom qu'à partir de 2027, mais 2026 paraissait trop proche pour certaines entreprises.

Le texte contient le préalable indispensable aux avancées dont Mayotte a besoin.

Malgré ces quelques réserves, le groupe Les Indépendants votera pour ce projet de loi. (M. Olivier Bitz applaudit.)

Mme Micheline Jacques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sept mois après le passage de Chido, ces textes permettront de mobiliser 3,2 milliards d'euros pour la refondation de Mayotte, un montant à la hauteur des enjeux.

Le cyclone est venu heurter de plein fouet un archipel qui souffre de la pression démographique, du manque d'infrastructures, d'une immigration clandestine étouffante, d'une départementalisation inachevée. Si l'Insee estime la population de l'île à 321 000 habitants, les maires évoquent plutôt 600 000 personnes. La situation sécuritaire est alarmante, justifiant que la reconstruction soit accompagnée d'une politique structurelle.

Selon nous, ce texte ne résoudra pas toutes les difficultés et ne conduira pas Mayotte sur la voie d'un développement durable. Cela dit, nous nous félicitons de l'accord en CMP, notamment des avancées économiques et sociales : alignement du Smic, exonérations des charges patronales, zones franches globales, généralisation des zones QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville). La CMP a adopté conforme l'article 10, relatif aux pouvoirs du préfet, reprenant le dispositif que j'ai défendu au nom de la commission des affaires économiques.

Le groupe Les Républicains se félicite d'avoir renforcé les mesures contre l'immigration clandestine, point nodal de l'avenir de Mayotte, contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, l'habitat illégal et le travail illégal et pour le contrôle des armes. Nous souhaitions une évaluation des dispositions relatives à la lutte contre l'immigration, avec la remise d'un rapport dans les trois ans avant la suppression du visa territorialisé, mais nous acceptons le consensus transpartisan trouvé à l'Assemblée nationale.

Les sénateurs avaient prévu, à l'article 19, de faciliter l'expropriation pour des infrastructures essentielles, qui doit s'accompagner d'une juste rémunération pour ne pas se transformer en spoliation.

Salama Ramia a montré le rôle traditionnel des femmes mahoraises sur le foncier. Sur 370 km2, les besoins sont évalués à 100 km2 d'expropriation, alors que de nombreux défis pèsent sur le foncier.

La reconstruction ne doit pas se faire contre la population, qui doit être placée au centre. Toutefois, l'absence de procédure d'expropriation facilitée engendrera des pertes de temps incompressibles.

Quatorze ans après la départementalisation, le Gouvernement précise le statut de Mayotte par le projet de loi organique, mais la question institutionnelle ne saurait être à elle seule une réponse. Nous avons obtenu le maintien du scrutin en treize sections.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Micheline Jacques.  - Il ne faut pas revenir dessus, car il garantit une représentation équilibrée de la population. Notre groupe votera ces projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Salama Ramia .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Après sept mois de travaux, je me réjouis que la CMP ait porté ses fruits. Je salue les efforts inédits du Gouvernement envers Mayotte, sous la conduite de Manuel Valls. Outre les engagements sans précédent, il faut souligner un changement de méthode de travail. Certains craignent un manque d'engagement financier réel de l'État, mais, selon ses mots, « c'est une obligation morale de s'y tenir ». Nous y veillerons lors de la prochaine loi de finances.

Quatre points ont retenu mon attention.

D'abord, le maintien de la suppression du titre de séjour territorialisé dès 2030 ; la cocotte-minute migratoire pourra ainsi s'éteindre. L'État devra en assurer l'effectivité.

Deuxième point, l'application de la Lodéom ; nous étions pour son application dès 2026, parallèlement à l'alignement du Smic. C'est un premier pas louable pour le pouvoir d'achat des salariés. Mais la Lodéom n'entrera en vigueur qu'en 2027, laissant aux entreprises le soin d'absorber seules la hausse des cotisations en 2026, alors que les TPE et les PME n'ont pas la trésorerie suffisante, si bien qu'elles risquent de disparaître avant de bénéficier de la zone franche, ce qui serait un non-sens social, économique et budgétaire. J'appelle à revoir ce calendrier pour éviter à nos entreprises déjà fragilisées un choc économique.

Troisièmement, la suppression du régime d'expropriation simplifiée maintiendra un climat social apaisé. L'État devra utiliser la faculté d'exproprier avec parcimonie pour éviter une nouvelle crise sociale. À Mayotte, la terre est plus qu'un héritage : le sens de la transmission de père en fils nous porte.

Quatrièmement, le découpage de la circonscription électorale de Mayotte en treize sections.

Sénatrice mahoraise, je salue l'investissement de mes collègues, issus de l'ensemble des groupes : vous avez su être à l'écoute pour servir l'intérêt des Mahorais. Ce texte est indispensable au renouveau de Mayotte, le RDPI le votera. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Mayotte traverse une crise sans précédent, accentuée par la catastrophe naturelle : son PIB est trois fois inférieur à la moyenne nationale, 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, la moitié des jeunes est sans emploi et sans perspective ; l'accès à l'eau, à l'école et aux services publics est un combat quotidien pour des dizaines de milliers de citoyens. Mayotte est française, mais elle reste encore trop à distance de la promesse républicaine.

Le texte du Gouvernement engage des moyens importants, définit une trajectoire budgétaire de 4 milliards d'euros et transforme l'île en département-région.

Nous saluons les mesures en faveur de la convergence sociale : l'alignement du Smic rétablit une égalité entre les citoyens de Mayotte et ceux de l'Hexagone.

Cela dit, le projet de loi durcit le droit des étrangers à Mayotte, au point de porter atteinte à l'unité du droit et à l'égalité des droits - ainsi la possibilité de placer en rétention des familles avec enfants ou le retrait d'un titre de séjour en raison du comportement de l'enfant. Le texte conserve des restrictions bancaires sur les transferts de fonds qui pénaliseront les plus précaires. Il exclut de l'aide médicale de l'État (AME) des prestations sociales pouvant être étendues à Mayotte. Loin de tarir les flux, ces mesures accroîtront la précarité et l'illégalité. L'empilement de dispositions coercitives ne réglera pas les causes profondes des problèmes migratoires dans la région.

Nous ne nions pas ces tensions ni l'exaspération d'une partie de la population. Toutefois, les mesures d'exception ne sont pas une réponse à la hauteur des enjeux. Nous refusons de faire de Mayotte un laboratoire juridique à part, où des pratiques que nous refusons en métropole deviendraient acceptables au nom de l'éloignement géographique.

La régulation des flux migratoires nécessite une stratégie globale : coopération régionale, soutien aux politiques éducatives, sanitaires et agricoles, relance de l'aide publique au développement vers les Comores, par exemple. Or ce texte reste trop timide sur ces sujets.

La majorité du RDSE s'abstiendra ; même si nous partageons l'objectif de refondation, nous estimons que le droit d'exception en matière migratoire est contraire à nos principes républicains les plus fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP, SER et du GEST)

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) La qualité du travail mené avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale a permis l'émergence d'un compromis à la hauteur des liens qui unissent Mayotte et la République.

Le texte issu de la CMP comporte plusieurs concessions. La population mahoraise a été entendue. Ainsi, sur l'article 19 : victime d'un malentendu, cet article a cristallisé les tensions. Considérant que l'on ne peut redresser Mayotte contre les Mahorais, la CMP s'est accordée sur sa suppression. Je remercie Salama Ramia pour son énergie et sa conviction. La procédure d'expropriation de droit commun s'appliquera donc, avec les délais associés.

L'atteinte des objectifs fixés devra tenir compte de l'allongement de ces délais.

Autre concession : la suppression du titre de séjour territorialisé à partir du 1 er janvier 2030, qui servira d'aiguillon au Gouvernement pour obtenir des résultats rapides contre l'immigration régulière. Cette suppression n'est pas gravée dans le marbre - la loi prévoit un bilan à mi-parcours.

Enfin, le Sénat a accepté une augmentation du Smic net à 87,5 % du niveau métropolitain dès 2026 et la mise en place à compter de 2027 du dispositif d'allègement de cotisations patronales dit Lodéom.

De nombreux apports du Sénat ont été conservés, dont l'article 1er bis qui consacre l'autorité du préfet sur l'ensemble des services de l'État ; le mode de scrutin pour l'élection des membres de la nouvelle assemblée de Mayotte, avec un découpage de la circonscription en treize sections au lieu de cinq ; le renforcement des conditions de délivrance des titres de séjour pour motif familial ou l'amélioration du cadre juridique de la rétention des familles accompagnées de mineurs. L'accélération des procédures nécessaires à la construction de la piste longue de l'aéroport a été rétablie sur notre initiative.

Il y a un consensus pour réaffirmer l'ambition de la République pour Mayotte. Le programme d'investissement de l'État s'élève à plus de 4 milliards d'euros sur la période 2026-2031. Le projet de loi confère également à l'État et aux collectivités les moyens juridiques d'agir pour le développement de Mayotte.

Il nous appartiendra de veiller à sa bonne application, au travers du comité de suivi.

Au bénéfice de ces observations, le groupe UC votera ces deux textes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; Mmes Véronique Puissat et Agnès Canayer applaudissent également.)

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - Les besoins de Mayotte sont immenses ; ils sont le résultat d'un abandon par l'État. Or, alors que les Mahorais demandent l'intégration, le respect et l'égalité, certaines mesures de ce projet de loi maintiennent Mayotte à distance du droit commun. Ainsi du retrait des titres de séjour des parents dont les enfants constitueraient une menace à l'ordre public, ou de la possibilité d'enfermer des enfants dans des unités familiales de rétention - mesures aussi inhumaines qu'inefficaces. Les atteintes répétées au droit du sol n'ont pas endigué les flux migratoires ni amélioré la situation de l'île. On ne peut bafouer les droits fondamentaux au nom de la lutte contre l'immigration, et celle-ci ne dispense pas l'État d'investir dans les services publics.

Notre ambition, c'est l'égalité des chances et des droits, y compris pour ceux qui vivent ou sont nés à Mayotte.

La CMP a permis des avancées, dont la fin de la territorialisation des titres de séjours, qui bloquait trop de jeunes à Mayotte, ou la suppression de l'article 19 sur les expropriations dérogatoires. Cette victoire du Parlement impose au Gouvernement de se conformer au droit commun.

À Mayotte, la moitié de la population vit dans des bidonvilles, sans eau potable, assainissement, ni électricité. Or ce projet de loi facilite les destructions de bidonvilles sans obligation pour l'État de reloger ; ce n'est pas ainsi que l'on résoudra la crise du logement. La lutte contre l'habitat indigne passe par la construction de logements sociaux, dont Mayotte manque cruellement.

Au-delà de l'urgence, il faut penser à l'avenir, et anticiper. Quid de l'adaptation au changement climatique ? Mayotte n'est pas préparée aux puissants cyclones ou à la montée des eaux. Les dernières marées ont provoqué d'importantes inondations - or 80 % des constructions de l'archipel se situent en zone littorale.

Ce projet de loi est une occasion manquée pour encourager le développement des énergies renouvelables, notamment photovoltaïque. Si la création des chambres d'agriculture et de la pêche va dans le bon sens, il faut diversifier les filières locales pour rompre avec la dépendance aux importations de produits transformés de piètre qualité et lutter contre la précarité alimentaire.

À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, un habitant sur deux a moins de 20 ans et le Smic est inférieur de 400 euros au niveau pratiqué dans le reste de la France. Nous serons attentifs à l'alignement des prestations sociales d'ici à 2031, ainsi qu'à la concrétisation des promesses de construction d'hôpitaux et d'écoles. Le groupe CRCE-K s'abstiendra sur le projet de loi et votera pour le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Antoinette Guhl .  - Mayotte est exceptionnelle, par sa nature luxuriante, ses mangroves profondes, ses lagons turquoise, ses récifs coralliens, ses tortues marines, ses forêts primaires - c'est un trésor de biodiversité qui devrait faire la fierté de la République. Avant Chido, ce patrimoine était déjà menacé par les effets du changement climatique, de l'urbanisation incontrôlée ou du plastique qui envahit ses côtes.

Que fait-on ? Trop peu, faute d'une stratégie de résilience écologique adaptée aux réalités. Vous auriez pu proposer une réponse qui anticipe les prochaines fureurs climatiques, qui protège la faune et la flore.

Le peuple mahorais, aussi, est exceptionnel : sans eau, sans toit, il trouve la force de résister, dans la solidarité. Les Mahorais sont résilients, mais combien de temps pourront-ils tenir ?

Mayotte est également un territoire d'exception par le niveau de pauvreté, le manque criant d'accès aux droits, les mesures imposées - contrôle au faciès, état d'urgence permanent... Le droit commun ne s'applique plus ; c'est un laboratoire sécuritaire où l'on teste des lois que l'on n'oserait pas appliquer ailleurs en France.

La CMP a validé des dispositions régressives : retrait du titre de séjour aux parents dont l'enfant est accusé de troubler l'ordre public, dans une logique de punition collective indigne ; restriction supplémentaire de l'accès à la nationalité française par l'ajout de nouveaux justificatifs pour les enfants nés à Mayotte ; accélération de la destruction des bidonvilles sans solutions de relogement...

C'est une refondation à double visage : revalorisation du Smic d'un côté, durcissement sécuritaire et exclusion sociale de l'autre. Au lieu de réponses sociales, écologiques et humaines fortes, vous répondez par la répression. Mayotte est française, mais elle est traitée comme une « sous France ». Cela en dit long sur notre République : nous promouvons l'universalité, mais pratiquons l'exception. La République est une et indivisible, ou elle ne l'est pas.

Il faut garantir l'accès aux services publics, à la justice sociale, à la dignité humaine. Mayotte a besoin de plus de République, la vraie, celle qui soigne, protège, respecte. Nous voterons contre le projet de loi, mais pour le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Saïd Omar Oili .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Nous parvenons enfin à la fin de l'examen de ce projet de loi de refondation attendu par la population. Au début des débats, j'avais signifié mes revendications : suppression de l'article 19, fin des titres de séjour territorialisés, accélération de la mise en oeuvre de la convention sociale. Sur ces trois points, il y a eu des avancées. Comme on dit, le bilan est globalement positif. (M. Manuel Valls et Mme Agnès Canayer sourient.) Seize des trente amendements déposés sur le rapport annexé ont été retenus.

Je voterai donc ce projet de loi, avec des réserves sur les mesures restreignant les droits fondamentaux, qui portent atteinte à nos principes républicains. Je comprends ceux de mon groupe qui s'abstiendront.

Permettez-moi de douter de l'efficacité des dispositions censées lutter contre l'immigration clandestine. J'ai publié un bilan sur les politiques menées en la matière depuis vingt-cinq ans à Mayotte, dont vous avez été destinataire, monsieur le ministre. Faire des lois, c'est bien, les évaluer c'est encore mieux. Faisons-le à Mayotte, territoire atypique, dont les réalités sociales, culturelles, économiques et religieuses sont peu comprises par les administrations centrales.

Enfin, le suivi de la programmation retenue dans le rapport annexé doit se faire en toute transparence ; nous serons mobilisés. L'administration se doit d'être exemplaire. Parfois il faut écrire trois courriers ou réclamer plusieurs fois les rapports pour les obtenir ; ne pas les transmettre, c'est alimenter la défiance, déjà grande, des Mahorais envers les autorités publiques. Cette loi est sans doute la dernière chance de retrouver la confiance de la population.

Monsieur le ministre d'État, avec le Gouvernement, soyez à la hauteur des besoins de la population mahoraise, meurtrie par les dégâts du cyclone. Nous veillerons à la bonne application de cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Maryse Carrère et M. Marc Laménie applaudissent également.)

À la demande de la commission, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°351 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 244
Pour l'adoption 228
Contre   16

Le projet de loi est définitivement adopté.

(Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Maryse Carrère et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°352 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 278
Pour l'adoption 278
Contre    0

Le projet de loi organique est définitivement adopté.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Je suis fier de l'adoption de ce texte et vous en remercie. Les Mahorais en attendent l'application. Je m'y emploierai et je sais pouvoir compter sur le soutien du Sénat.