Réforme de l'audiovisuel public (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.
Discussion générale
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Plus de deux ans après la première lecture de ce texte au Sénat, les constats qui le sous-tendent sont encore plus pertinents. M. Hugonet et vous, monsieur Lafon, avez alors indiqué qu'il était « indispensable de donner plus de force à notre audiovisuel public en regroupant ses talents dans une seule structure ». Les constats sont anciens et partagés : en témoignent les travaux de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin en 2015, de Catherine Morin-Desailly en 2018 ou encore de Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet en 2022. Même constat du côté de l'Assemblée nationale, avec les travaux de Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier en 2023, confirmés cette année par ceux de Virginie Duby-Muller et Jérémie Patrier-Leitus.
Je remercie le rapporteur Vial, dont chacun connaît la ténacité (M. Cédric Vial s'en amuse), qui a veillé à l'équilibre du texte. Et je n'oublie pas enfin les rapports d'inspection et celui de Laurence Bloch, dont personne ne saurait remettre en cause l'attachement à l'audiovisuel public, qui partagent les mêmes conclusions.
Contrairement à ce que j'entends parfois, le texte s'appuie donc sur une multitude de travaux, tous convergents.
L'audiovisuel public est l'un des piliers de notre démocratie - je le disais déjà avant d'être ministre de la culture. C'est un patrimoine, un vecteur d'ouverture et d'émancipation, la traduction de la méritocratie.
Or, pour qu'il joue pleinement son rôle, cette réforme est indispensable. L'époque est traversée par de profondes mutations. En 2023, monsieur Lafon, vous le disiez déjà. Ce phénomène s'aggrave. Les contenus d'information, de culture et de divertissement sont de plus en plus consommés sur les plateformes ou les réseaux sociaux, aux dépens de la radio et de la télévision, désertées par les jeunes. Pendant ce temps, les groupes privés se structurent.
Face à cela, deux solutions : premièrement, par facilité et par cynisme, la tentation de l'immobilisme, pour ne froisser personne, au risque d'un affaiblissement général, que certains espèrent d'ailleurs. Deuxièmement, la transformation de l'audiovisuel public, pour l'adapter aux nouveaux usages.
Malheureusement, ce débat a été confisqué à l'Assemblée nationale, au mépris des Français, attachés à ce service public qu'ils financent, et au mépris des salariés. (Murmures à gauche) Quand les Français élisent leurs représentants, c'est pour qu'ils parlent en leur nom, pas entre eux. Je souhaite que le débat ait lieu au Sénat, dans un climat apaisé, puisque nous avons le temps de le faire. (MM. Yan Chantrel et Rémi Féraud en doutent.)
Arrêtons les caricatures : c'est une réforme de la gouvernance. Tous s'accordent à dire qu'il faut renforcer les coopérations. Or le rapprochement par le bas, sans gouvernance commune, n'a pas permis d'atteindre les objectifs fixés, comme le constatait un courrier signé par les présidentes des deux entreprises de l'audiovisuel public. Il faut monter d'un cran pour armer l'audiovisuel public face aux bouleversements en cours.
L'audiovisuel public a besoin d'un chef d'orchestre, un PDG unique. Sortons des fonctionnements en silo.
Certains à gauche ont promis un combat politique, moral, sociétal.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Absolument !
Mme Rachida Dati, ministre. - Ce texte rassemble les forces de l'audiovisuel public pour qu'il s'adresse à tous les Français, qui financent ce service. L'audiovisuel public n'appartient pas à un petit club ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER) Ne vous trompez pas de combat ! Vous vous attaquez à ma personne - c'est une chose (« Oh ! » à gauche), souvent de manière indigne.
Mme Laurence Rossignol. - Ne soyez pas égocentrique !
Mme Rachida Dati, ministre. - Mais nous sommes tous comptables de l'intérêt général.
Partageons ce combat pour un audiovisuel public fer de lance de la lutte contre la désinformation, pour un audiovisuel public en soutien à la création, pour un audiovisuel public qui s'adresse à tous les Français, pour un audiovisuel public qui reste un patrimoine commun. Pour cela, il faut faire évoluer la gouvernance du secteur.
Beaucoup a été dit. Beaucoup a été caricaturé. Mais face aux ingérences étrangères, à la désinformation, à l'instabilité géopolitique, nous avons une responsabilité. L'audiovisuel public est la force de notre pays. Faisons en sorte qu'il se batte à armes égales avec ses concurrents. Donnons-lui les moyens de jouer pleinement son rôle et de s'adresser à tous ; voilà la seule ambition de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) L'examen de ce texte intervient au moment même où des bouleversements profonds affectent notre modèle audiovisuel.
Ce texte n'est ni une réforme technique ni un ajustement marginal. Il est le fruit d'une histoire longue, qui commence avec la création de la Radiodiffusion-télévision française (RTF) à la Libération jusqu'au démantèlement de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1974 et se poursuit avec l'avènement des radios libres en 1981, la création de Canal+, la privatisation de TF1, puis avec le passage de trois à six chaînes, l'arrivée de la TNT dans les années 2000, la création de France Télévisions, et enfin la VOD, l'explosion des plateformes numériques et la domination croissante des réseaux sociaux.
Du walkman à Spotify, à chaque époque, il a fallu s'adapter. Mais la révolution numérique est d'une tout autre ampleur : c'est une rupture systémique qui touche la distribution, la création, comme l'édition des programmes. Il est de notre responsabilité de donner à l'audiovisuel public les moyens de se transformer, d'où cette proposition de loi. Je salue Laurent Lafon et Rachida Dati.
Beaucoup s'interrogent : pourquoi maintenir un audiovisuel public dans un monde saturé de chaînes privées, de contenus gratuits, d'accès illimité à l'information ? Pourquoi le réformer ? Pourquoi le défendre ?
L'audiovisuel public n'est pas un luxe républicain : c'est un pilier de notre démocratie.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
M. Cédric Vial, rapporteur. - L'existence d'un pôle de médias indépendant, rigoureux, impartial et pluraliste est une garantie de stabilité et de souveraineté, face aux instrumentalisations de l'information. Covid-19, gilets jaunes, guerre en Ukraine : chaque fois, l'audiovisuel public a expliqué sans hystériser, informé sans céder à la caricature.
Bien sûr, il y a des dérapages, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
Selon un sondage récent pour La Croix, seuls 12 % des Français estiment que l'existence d'un audiovisuel public est une mauvaise chose. Radio France, France Télévisions et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ont le vent en poupe. France Médias Monde promeut une vision française dans un monde en mutation.
Pourtant, ne sanctuarisons pas l'existant : l'audiovisuel public doit être profondément réformé pour faire face aux enjeux actuels.
D'abord, un enjeu numérique : la télévision linéaire perd du terrain face aux plateformes, comme en attestent les accords entre TF1 et Netflix. Les jeunes regardent de moins en moins la télévision, et consomment des contenus en streaming sans filtre, sans médiation.
La plupart des revenus publicitaires vont aux géants du web, en raison d'une asymétrie de notre réglementation, qui leur profite.
Ensuite, un enjeu économique et culturel. Le secteur représente 260 000 emplois et 12,6 milliards d'euros de valeur ajoutée - plus que l'industrie automobile ! Tout cela grâce à notre exception culturelle.
Enfin, un enjeu de concurrence. Partout en Europe, les médias publics se réorganisent : les groupes privés investissent massivement dans le numérique ; les technologies évoluent, premiers signaux d'une redéfinition complète de notre écosystème, devenu international. Pendant ce temps, l'audiovisuel public reste fragmenté, cloisonné, ralenti par des structures inadaptées. Il est temps d'agir.
La création de France Médias répond à ce défi. Nulle fusion brutale, mais la création d'une société de tête chargée de piloter une stratégie commune. À la forme légère, mais à la vision forte, elle rassemblera France Télévisions, Radio France, l'INA et, j'espère, France Médias Monde. Elle mutualisera des fonctions support, évitera les doublons et mettra le paquet sur le numérique.
Nous avons reprécisé le conseil d'administration de la holding pour garantir impartialité de l'information et respect des règles déontologiques. Le président exécutif, nommé par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), aura un mandat clair. Le contrôle du Parlement sera renforcé via les conventions stratégiques pluriannuelles.
La dotation de l'audiovisuel public est garantie par la loi organique de 2024. Rationaliser les moyens et simplifier les processus peut générer des économies de gestion, suivant le rapport Karoutchi-Hugonet.
Nous proposons non pas une fusion administrative, mais une réforme de raison pour un service public plus agile et plus fort.
Notre société est traversée par des sentiments contradictoires envers l'audiovisuel public : certains ne l'aiment tellement pas qu'ils espèrent le voir disparaître ; d'autres prétendent l'aimer tellement qu'ils refusent tout changement, confondant immobilisme et fidélité - comme le chantait Jean Ferrat, ils l'aiment « à perdre la raison ». (M. Laurent Lafon s'en amuse ; on ironise à gauche.)
Voter cette réforme, c'est bâtir l'audiovisuel public de demain, défendre une information fiable, soutenir l'emploi, la culture et l'innovation, répondre au défi du numérique et du pluralisme et favoriser un audiovisuel public capable de parler à tous les Français.
Je le dis sans provocation : oui, le Sénat est une chambre conservatrice. Mais voir la gauche incarner le conservatisme sur le sujet, quand la droite et le centre prônent le progrès, est étonnant. (Exclamations à gauche)
M. Éric Kerrouche. - Bien sûr...
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Très bien !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Cette réforme n'est ni de droite ni de gauche. (On s'en gausse à gauche.)
Mme Laurence Rossignol. - Elle est populiste !
M. Yan Chantrel. - Trumpiste !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Elle est républicaine ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 de Mme de Marco et alii.
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.) Madame la ministre, pourquoi une telle urgence à inscrire ce texte à notre ordre du jour, alors qu'il ne pourra pas finir son parcours parlementaire avant l'automne ? Pourquoi tordre le bras des parlementaires et corseter notre droit d'amendement ?
Depuis six mois, le Gouvernement navigue à vue. Et voilà qu'il se précipite. Hier, la réforme du mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille - tripatouillage électoral. Aujourd'hui, une réforme à la truelle de l'audiovisuel public.
Ces deux propositions de loi du bloc central, sans étude d'impact, ont eu un parcours chaotique, témoignant de leur utilité douteuse. Mais elles ont un point commun : votre capacité, madame la ministre, à être candidate à la mairie de Paris. Quelle est l'urgence, sinon votre propre ambition, avec la complicité de la majorité sénatoriale ? Pour défendre l'intérêt général, on repassera...
Le 30 juin, la proposition de loi est rejetée sans débat par l'Assemblée nationale. Le 1er juillet, nous apprenons qu'elle sera examinée en commission le 3 juillet, avec un délai limite de dépôt d'amendements le 2 juillet à 18 heures. Le 2 juillet, la Conférence des présidents confirme la dérogation au délai de deux semaines prévu entre l'examen en commission et en séance, mais elle le fait après le délai de dépôt des amendements de commission. Le président de la commission de la culture a oeuvré... Nous marchons sur la tête !
Selon la décision n°2015-712 du Conseil constitutionnel, la faculté reconnue au président de la commission de fixer un autre délai pour le dépôt des amendements doit garantir l'exercice effectif du droit d'amendement. Pourquoi massacrer notre droit d'amendement et la sincérité du débat ? Le président Lafon est juge et partie, puisque cette proposition de loi est la sienne.
Fut un temps, le Sénat tirait sa fierté de sa capacité à bien faire la loi, à respecter le droit d'opposition.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'était avant !
M. Roger Karoutchi. - Avant que vous ne soyez là !
M. Guillaume Gontard. - Désormais, la majorité sénatoriale règne sans partage. C'est pis depuis l'entrée des Républicains au Gouvernement. (M. Roger Karoutchi ironise.)
Mais le socle n'a rien de commun et le Gouvernement a tout d'un poulet sans tête. (Mme Monique de Marco s'esclaffe.) La majorité sénatoriale court après l'extrême droite, tolère à peine le débat et nous présente un musée des horreurs de lois climaticides et de casse sociale.
Ici, haro sur l'audiovisuel public ! En 2017, après un documentaire sur le financement de sa campagne, Emmanuel Macron le qualifiait de « honte pour la République ». Depuis, scandales, soupçons de corruption et de conflits d'intérêts ont émaillé tous les gouvernements, jusqu'à la ministre en face de moi ! Avec autant d'affaires, évidemment, le journalisme d'investigation vous dérange. Résultat : les procès-bâillon, les saisines sans fondement de l'Arcom, les évictions de journalistes pas assez révérencieux s'enchaînent.
Voilà votre socle commun : la détestation de la presse libre et indépendante !
Première étape franchie en 2022 : le remplacement de la redevance par une fraction de TVA, qui met l'audiovisuel public à la merci du Gouvernement. Depuis 2017, c'est 776 millions d'euros en moins. Vous citez le modèle de la BBC, mais son budget est deux fois plus élevé !
Depuis 2012, le nombre d'équivalents temps plein (ETP) à France Télévisions est passé de 10 500 à 8 800. La fusion de France 3 et de France Bleu a abouti à la suppression de la moitié des matinales. Et vous voulez reconquérir l'audience populaire, dites-vous ? Les journalistes, précarisés, ont de plus en plus de sujets à couvrir.
Le réseau de correspondants est réduit à peau de chagrin, comme en témoigne la suppression du bureau Afrique de France Télévisions en 2016 - et vous vous alarmez des sentiments antifrançais ? De grâce, excluez au moins France Médias Monde de la holding !
L'investigation sera la grande victime. Sans la cellule investigation de Radio France, aurions-nous eu connaissance du scandale des eaux Nestlé par exemple, ou des Uber Files ? Les émissions comme « Cash investigation » sont réalisées par des entreprises externes qui doivent passer par le bureau unique des documentaires d'investigation de France Télévisions. Or, depuis le rachat de Canal+ par Vincent Bolloré, certains sujets sont exclus.
En 2022, devant la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias, le syndicat des auteurs réalisateurs de documentaires a affirmé que 60 % d'entre eux s'autocensuraient. La muselière financière fait taire les voix les plus critiques.
Thomas Sankara disait à la tribune de l'assemblée générale des Nations unies en 1984 : « Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage. »
La holding mettra encore davantage les médias publics sous tutelle politique, au nom de l'efficacité et des économies. Mais, selon les estimations, les frais induits coûteront au moins 150 millions d'euros ! (Mme Audrey Linkenheld renchérit.)
Votre vraie motivation : le contrôle de l'information !
La censure se renforce : Anne-Sophie Lapix a été remerciée. Avant les élections européennes de 2024, le directeur de l'information de France Télévisions a demandé un moratoire sur les portraits des hommes politiques. Il fallait le faire ! Vous enfoncez un dernier clou dans le cercueil de l'indépendance des médias publics.
Vous voulez des plateaux réunissant des toutologues parisiens et des émissions de divertissement abrutissantes ; bref, le modèle des chaînes privées où les milliardaires contrôlent l'information. Madame la ministre, nous ne vous laisserons pas faire !
Depuis 1789, la liberté d'expression est une valeur fondamentale de notre République, affirmée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En 1984, le Conseil constitutionnel a élevé le pluralisme de la presse au rang d'objectif de valeur constitutionnelle. Parce que nous aimons l'audiovisuel public, nous enverrons votre réforme dans les poubelles de l'histoire ! (Applaudissements à gauche)
M. Cédric Vial, rapporteur. - Quelle fiction, monsieur Gontard !
Mme Audrey Linkenheld. - Même pas !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Vous prétendez qu'il a été difficile de déposer des amendements ? Or il y en a 380, contre 120 à peine en première lecture (murmures à gauche). Pourtant, nous examinons le texte adopté par le Sénat, celui-ci ayant été rejeté par l'Assemblée nationale. (Protestations à gauche)
Mme Cécile Cukierman. - Il y a eu des élections depuis...
M. Cédric Vial, rapporteur. - Oui, bien sûr, mais le texte est le même. (Mêmes mouvements)
Mme Laurence Rossignol. - La commission a modifié le texte ! Il ne faut pas mentir !
M. Cédric Vial, rapporteur. - De plus, ce texte met à l'écart du politique les variations infra-annuelles. Le financement de l'audiovisuel public n'a pas baissé de 1 euro cette année. (Mme Sylvie Robert ironise.)
Vous évoquez le problème résultant de la fusion entre France 3 et France Bleu, mais elle n'a pas encore vraiment eu lieu ! Ce que vous dénoncez, ce ne sont pas les conséquences potentielles de la réforme, mais la situation actuelle. Nous voulons justement redonner des moyens et une stratégie à l'audiovisuel public local. (Mme Sylvie Robert s'exclame.) Vos arguments ne tiennent pas.
Les membres de l'Arcom, nommés de façon indépendante, veilleront à l'impartialité de l'information - c'est déjà le cas - et au respect des règles éthiques et déontologiques. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
À la demande de la commission et du groupe Les Républicains, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public. (Mme Laurence Rossignol fait mine de s'en étonner.)
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°354 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 241 |
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°2 de Mme Robert et du groupe SER.
Mme Colombe Brossel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À la fin de la session extraordinaire, nous examinons en deuxième lecture la réforme de l'audiovisuel public, après l'adoption d'une motion de rejet par l'Assemblée nationale : voilà que l'avenir des six entités constituant le service public audiovisuel français est entre les mains du Sénat, par votre seule volonté, madame la ministre ; vous imposez votre calendrier personnel, au mépris du travail parlementaire et de la rigueur sénatoriale.
Par caprice, vous avez tout fait voler en éclat. Résultat : des délais déraisonnables, non propices à un débat serein. Et que dire de l'absence d'étude d'impact, qui met en cause le respect du Parlement ?
Il y a deux ans, la proposition de loi visait à coordonner les différentes entités - je parle sous le contrôle de Sylvie Robert, avec une pensée affectueuse pour notre ancien collègue David Assouline - tout en limitant les impacts financiers, dans une situation budgétaire complexe.
Pourquoi les sénateurs socialistes opposent-ils la question préalable ?
M. Roger Karoutchi. - Parce que c'est ainsi !
Mme Colombe Brossel. - Car ce texte a profondément changé de nature.
Mme Sylvie Robert. - Absolument.
Mme Colombe Brossel. - De coordination en rapprochement, nous devons approuver ni plus ni moins qu'une fusion de quatre entités de l'audiovisuel public et la création d'une holding exécutive, profonde transformation de la gouvernance de ce patrimoine commun.
Madame la ministre, vous vous êtes dite inspirée par le rapport de Laurence Bloch paru il y a quelques semaines. Nous n'avons pas les mêmes sources d'inspiration...
Quelles sont les conséquences de ce chamboule-tout ?
Une holding garantirait une vision stratégique tout en veillant à la complémentarité des offres. Mais cette complémentarité existe déjà !
De plus, le sort de France Médias Monde est bien incertain. La majorité sénatoriale est favorable à son intégration dans la holding, mais les modalités sont floues : holding de coopération, ou exécutive ? Et que vient faire l'INA dans cette galère ? Où est la cohérence s'agissant d'un établissement public industriel et commercial (Épic) dont les missions sont particulières, puisque ses salariés sont chargés d'oeuvrer à la conservation et la mise en valeur du patrimoine audiovisuel ?
L'objectif de renforcer l'audiovisuel public est étonnant. Y a-t-il plus puissant ? France Télévisions et Radio France sont les premiers groupes de télévision et de radio gratuites, en parts d'audience, avec respectivement 29,3 % et 29,8 % en 2023. À l'international, RFI et France 24 sont les porte-voix de la France, notamment en Afrique.
Selon le baromètre de Médiamétrie d'avril-juin 2025, France Inter a plus de 7 millions d'auditeurs par jour, pour la quatrième année consécutive. Le compte y est.
Le rapprochement de France 3 et France Bleu de 2018 ne brille pas de mille feux.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - On est bien d'accord.
Mme Colombe Brossel. - Les synergies existent déjà, pour la création de contenus éditoriaux, par exemple, comme en témoigne l'offre éducative de France Télévisions Lumni.
Plusieurs micros valent mieux qu'un. La diversité du paysage actuel garantit un traitement divers de l'information. Les traitements éditoriaux ne sont pas les mêmes entre France 3 et Ici. Pour le procès des viols de Mazan, la complémentarité des regards a servi la démocratie.
L'offre est bien complémentaire. Arrêtons avec ces regroupements à tout-va. Il ne viendrait à personne l'idée de regrouper Air France et la SNCF car il s'agit de sociétés de transport. (M. Laurent Lafon s'en amuse.)
Enfin, la gouvernance. La concentration du pouvoir exécutif dans les mains d'une seule personne serait un gage d'efficacité. Mais quel sera le rôle des futurs directeurs généraux ? Et les salariés, plus de 16 000 personnes, ne seront représentés que par deux collègues au sein du conseil d'administration. Drôle d'idée de la représentativité...
Ne nous cachons pas : on tente de nous imposer une réforme à marche forcée. Nous nous y opposerons, car il s'agit de remettre en cause l'intégrité et l'autonomie de l'audiovisuel public.
Les sénateurs et sénatrices socialistes refusent cette mise au pas de l'audiovisuel public. Notre groupe refuse d'ouvrir cette fenêtre vers une éventuelle privatisation. Nous mettrons tout en oeuvre pour garantir les principes démocratiques face aux évolutions politiques potentielles. Nous ne souhaitons pas qu'en France, il soit possible de supprimer toute limitation de temps de parole gouvernemental dans les débats électoraux, ou que les messages gouvernementaux soient diffusés sans médiation journalistique, comme c'est le cas au-delà des Alpes. Le modèle de Giorgia Meloni n'est pas le nôtre, le nôtre c'est celui où 60 % des Français déclarent faire confiance à l'audiovisuel public, alors que les fausses informations pullulent. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)
Les journalistes sont des piliers au service d'une information de qualité, sourcée, riche de la confrontation des idées. C'est cela qui crée un lien de confiance. Or les fondements de l'audiovisuel public comme service public de confiance sont plus que jamais menacés.
Le mauvais film qu'est le parcours de cette proposition de loi m'interpelle : cinq de vos prédécesseurs qualifient ce débat d'inopérant ; les organisations syndicales pointent un contresens historique. On a rarement raison seul, madame la ministre.
Pourquoi tant de haine ? Nous vous appelons à voter cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. Cédric Vial, rapporteur. - Avis défavorable, sans surprise. (On feint de s'en émouvoir à gauche.)
Vous parlez de la force du service public, mais dix-neuf pays européens sur vingt-sept ont organisé un rapprochement des médias, à l'exception de l'Allemagne, la Bulgarie, la Lettonie, la République tchèque, la Roumanie et la Suède. (M. Roger Karoutchi s'en amuse.)
Vous parlez de fusion, mais on crée une holding, vous avez mal interprété le texte. (Murmures désapprobateurs à gauche)
Mme Sylvie Robert. - Bien sûr ! Elle n'a rien compris !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Vous prétendez ne pas comprendre l'intégration de l'INA au projet, mais c'est aussi l'organisme de formation principal de tous les métiers de l'audiovisuel. C'est une opportunité unique pour lui, une réelle chance. Je le dis en tant qu'administrateur de cet organisme.
Vous dénoncez le manque d'efficacité du rapprochement entre France 3 et France Bleu, mais justement : c'est pourquoi nous voulons une telle réforme. (M. Laurent Lafon renchérit.) Les coopérations par le bas ne fonctionnent pas : stratégies dos à dos, arbitrages longs ou inexistants... Construisons donc un véritable média de proximité.
Vous n'avez pas tort, les parts de marché sont intéressantes, mais en valeur absolue, moins de 27 % des jeunes regardent la télévision au moins une fois par jour ; les audiences décrochent. (Exclamations à gauche)
Mme Audrey Linkenheld. - Cela n'a rien à voir !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Allons chercher les jeunes où ils sont (protestations à gauche), il faut une stratégie numérique. (Mêmes mouvements)
M. Laurent Lafon, président de la commission. - La réflexion sur la holding n'est pas un sujet nouveau, elle était déjà évoquée par Jean-Pierre Leleux et par André Gattolin en 2015...
Mme Sylvie Robert. - Ce n'était pas la même !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - André Gattolin était alors membre du groupe Écologie Les Verts - la gauche a eu un moment de lucidité. (Sourires sur les travées du GEST)
Mme Cécile Cukierman. - On voit où il a fini !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Pourquoi l'ont-ils proposée ? Car une révolution technologique touchait les médias : internet, réseaux sociaux, plateformes. Les médias traditionnels perdent chaque année un public de plus en plus important. Selon Médiamétrie, en un an, c'est 550 000 auditeurs de radio en moins, 2,5 millions en cinq ans, 5,5 millions en dix ans.
M. Thomas Dossus. - Pas sur les podcasts !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Chaque année, la radio classique perd 15 % de ses auditeurs. Idem pour la télévision.
Cette réforme vise donc à adapter notre audiovisuel public, pour qu'il puisse toucher tous les publics et concurrencer les acteurs américains que personne n'a cités : Google, Facebook, Netflix.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le temps est limité !
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
Mme Laurence Rossignol. - Sans explication ?
M. Yannick Jadot. - Nos démocraties sont menacées d'illibéralisme. La dérive commence lorsque le pouvoir politique s'attaque aux médias et organise l'hégémonie de médias qui font de la propagande. En France, c'est le groupe Bolloré, qui attaque depuis des mois l'audiovisuel public, et ce avec votre concours, malheureusement, madame la ministre. Vous avez dénoncé la fermeture de C8. Dans une interview accordée au journal d'extrême droite JDNews, vous n'avez pas eu un mot pour défendre l'audiovisuel public. Le groupe Bolloré défend le droit à la parole raciste, homophobe, climatosceptique. Les pouvoirs illibéraux veulent piloter le service public pour réduire sa capacité d'investigation, la liberté d'expression et le droit à l'information. (Applaudissements à gauche)
Vérification du quorum
M. le président. - J'ai été saisi par écrit d'une demande de vérification du quorum. Nous allons procéder par appel nominal à l'examen de la validité de cette demande, comme le prévoit l'article 51 de notre règlement.
Il est procédé à l'appel nominal.
M. le président. - Je constate que le Sénat n'est pas en nombre pour procéder au vote. Je vais donc suspendre la séance pendant une heure.
La séance, suspendue à 15 h 30, est reprise à 16 h 30.
À la demande de la commission et du groupe Les Républicains, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°355 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 242 |
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Rappels au règlement
M. Éric Kerrouche. - L'article 51 alinéa 4 du règlement du Sénat, qui porte sur la demande de vérification du quorum, ne précise les modalités d'utilisation de cette disposition dans le temps. Ce sont une décision du bureau du Sénat de 2006 et un document intitulé « La procédure législative » qui précisent que le quorum ne peut être demandé qu'une fois par jour. Or, contrairement au règlement, ce document ne fait pas l'objet d'une validation perpétuelle. Quant à la décision du bureau, nous n'étions pas là à l'époque pour l'entériner, et l'exécutif du Sénat a changé maintes fois depuis.
Par conséquent, la limitation du recours à la demande de vérification du quorum mérite d'être éclaircie. Nous ne pouvons pas complètement exploiter le règlement, celui-ci n'ayant pas été mis à jour.
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Roger Karoutchi. - J'ai eu l'honneur de faire, avec un ancien collègue alors socialiste, la réforme de 2015 du règlement du Sénat. L'article 51 alinéa 4 est clair : une fois l'absence de quorum constatée, on suspend la séance une heure, après quoi l'on peut voter. Le vote n'est donc pas en débat. (On en convient sur les travées du groupe SER.)
Deuxième élément : il est de tradition, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, que la possibilité de demander la vérification du quorum soit limitée à une fois par jour.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est un usage !
M. Éric Kerrouche. - C'est ce sur quoi nous demandons des explications.
M. Roger Karoutchi. - Vous pouvez demander une modification ou une précision du règlement, mais vous ne pouvez pas inventer une règle qui n'existe pas. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Éric Kerrouche. - Ce n'est pas écrit dans le règlement !
Mme Laurence Rossignol. - L'article 51 alinéa 4 précise que le vote pour lequel le quorum a été demandé peut avoir lieu une heure après, mais ne dit rien des votes suivants.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement.
Mme Laurence Rossignol. - Si je comprends bien Roger Karoutchi, il s'agit d'un droit coutumier : c'est l'usage, à l'Assemblée comme au Sénat. Nous respectons le droit coutumier, mais sommes attachés à des règles plus formelles. (On renchérit à gauche.) Sur quelles bases légales vous fondez-vous ?
M. Roger Karoutchi. - C'est la règle.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est écrit nulle part !
M. le président. - J'applique une tradition constante du Sénat... (Vives exclamations à gauche) Puis-je finir ma phrase ?
M. Thomas Dossus. - Ça commence mal.
M. le président. - J'applique une tradition constante du Sénat, consacrée par la décision du bureau du 24 février 2006 : le quorum ne peut être demandé plus d'une fois par jour sur un même texte. J'invite nos collègues qui auraient des modifications à demander à saisir le bureau. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°7 de M. Jérémy Bacchi et du groupe CRCE-K.
Mme Cécile Cukierman . - (M. Yan Chantrel applaudit.) La présente réforme revient au Sénat après l'adoption d'une motion de rejet à l'Assemblée nationale. Loin d'entendre ce signal d'alarme, le Gouvernement s'est acharné, inscrivant en urgence ce texte à notre ordre du jour, avec la complicité de la majorité sénatoriale, nous laissant moins de 24 heures pour le dépôt des amendements en commission et quelques jours pour débattre d'un texte qui bouleverse l'organisation et l'identité même du service public de l'information.
Six des dix-huit membres que compte mon groupe n'étaient pas élus en 2023, lors de la première lecture au Sénat ! Cette brutalisation du Parlement est inacceptable. Nous récusons la méthode. Impossible de légiférer sereinement sur un texte aussi dense dans des délais aussi restreints. En empruntant une proposition de loi, madame la ministre, vous vous dispensez de toute étude d'impact. Ce n'est ni rigoureux, ni respectueux. Une telle réforme mérite mieux qu'un passage en force.
Pourquoi une telle précipitation ? Vous vantez une « rationalisation », censée « rendre l'audiovisuel public plus fort » - c'est pour mieux masquer sa mise au pas. En réalité, vous voulez faire taire un contre-pouvoir, à la suite du « Complément d'enquête » vous accusant d'avoir perçu 299 000 euros de GDF-Suez quand vous étiez eurodéputée.
Vous êtes le porte-voix d'une large offensive politique contre l'audiovisuel public - vous avez d'ailleurs remplacé Rima Abdul-Malak, remerciée pour avoir défendu le travail d'investigation de France 2 sur Gérard Depardieu, qualifié par le Président de la République de « montage ». Dès 2017, celui-ci qualifiait l'audiovisuel public de « honte de la République », avant de le fragiliser en gelant, baissant puis supprimant la redevance, sans aucun financement compensatoire. Résultat : l'asphyxie budgétaire. Depuis 2017, l'audiovisuel public a subi 776 millions d'euros de coupes, conduisant à la fermeture de l'antenne Mouv' et de la radio Ici Paris Île-de-France.
Affaiblir, contrôler, ouvrir à la privatisation, voilà votre feuille de route, à l'instar de l'extrême-droite qui, en Hongrie, en Pologne, en Italie, aux États-Unis, asphyxie ou centralise l'audiovisuel public pour mieux le privatiser. D'où le vote favorable des députés du Rassemblement national en commission ! Qu'ils aient voté la motion de rejet relève d'une habile manoeuvre : en échange d'un calendrier accéléré, vous supprimez par amendement toute mesure renforçant l'audiovisuel public...
Cette réforme est le marchepied du RN, qui rêve de privatisation.
M. Roger Karoutchi. - C'est l'inverse !
Mme Cécile Cukierman. - Cette alliance entre centristes, macronistes, droite et extrême droite est grave.
L'audiovisuel public est performant, malgré vos attaques. France Inter a établi un record en janvier avec 7,47 millions d'auditeurs. France Télévisions est le premier groupe au niveau national avec 29,1 % de part d'audience et la plus forte progression annuelle. Les podcasts de Radio France représentent la moitié des téléchargements. Le service public fonctionne, innove, rajeunit ses publics, rayonne à l'international, avec moins de 4 milliards d'euros, soit 40 centimes par jour et par Français !
Le service public de l'information gagnerait néanmoins à être amélioré en matière de pluralisme. (M. Roger Karoutchi acquiesce.) Vous faites le contraire, avec la holding - une stratification bureaucratique dont la mise en oeuvre coûterait 150 millions d'euros par an, alors que l'audiovisuel public, exsangue, subit 80 millions d'euros de coupes. C'est promettre des jambes de bois à des athlètes blessés.
Vous privilégiez les profits financiers et le modèle à la Bolloré ou Saadé. En confiant l'ensemble des médias à une seule gouvernance, vous affaiblissez la séparation des pouvoirs.
On sait la pression exercée par les politiques sur les journalistes. Vous-même, madame la ministre, avez menacé Patrick Cohen de déclencher l'article 40 pour avoir relayé des enquêtes sur les accusations de conflits d'intérêts et de corruption qui vous visent. Vous dites vouloir « le scalp » de la présidente de France Télévisions, qui n'a pas courbé l'échine face à vos pressions.
Alors que vous êtes visée par une kyrielle d'enquêtes, nous devrions croire en votre sincérité, en votre intégrité, lorsque vous dites vouloir renforcer la liberté de l'information ? Soyons sérieux. Pour vous, pour le Rassemblement national, il est urgent de faire taire un contre-pouvoir - le rétrogradage de « Secrets d'Info » montre que vous vous en prenez aux contenus de qualité et d'investigation.
Ce manque de transparence et de sincérité justifie un renvoi en commission. Pour garantir un examen démocratique digne de ce nom, avec évaluation des conséquences et consultation des acteurs, pour nous donner les moyens de délibérer sereinement d'un texte qui engage notre souveraineté culturelle et notre démocratie, votons cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. Cédric Vial, rapporteur. - Merci pour cette intervention tout en finesse. Je ne vais pas « refaire le match », comme disait Eugène Saccomano : avis défavorable. Il est temps de débattre du fond.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Très bien !
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
Mme Sylvie Robert. - Nous voterons cette motion. Ce passage en force ne nous a pas permis d'examiner correctement le texte. Ce n'est plus du tout celui qui a été voté ici il y a deux ans ! Exit la proposition de loi Lafon, bienvenue au texte de Mme Dati ! En commission, nous n'avons pas eu le temps d'examiner les 350 amendements de séance.
Cessez votre procès en immobilisme ; avancez des arguments ! Nous ne voulons pas de régression du service public, du pluralisme, des moyens. Nous soumettre un tel texte sans étude d'impact, alors que notre pays cherche des économies, sans que l'on sache combien coûtera cette holding, c'est nous prendre pour...
Mme Laurence Rossignol. - Des gogos !
Mme Sylvie Robert. - ... des personnes peu sérieuses. Ce n'est pas la coutume du Sénat. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Ouzoulias. - Le Gouvernement n'a pas demandé la procédure accélérée, ni inscrit ce texte à l'ordre du jour de la session extraordinaire de septembre. Où est l'urgence ?
La conférence des présidents qui a décidé de l'inscription du texte à l'ordre du jour s'est réunie le 2 juillet à 19 heures ; notre commission, le 3 juillet à 9 h 30 ; nous n'avons pu exercer notre droit d'amendement que durant la nuit. Sont-ce là des façons de faire ? Imaginez-vous que le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas ce texte, alors que le droit d'amendement des parlementaires n'a pas été respecté ?
Ce texte attend depuis deux ans, il aurait pu attendre octobre. Nous aurions réfléchi, sur la plage, à la meilleure façon de défendre le service public. (Applaudissements à gauche)
Mme Antoinette Guhl. - Nous voterons également cette motion. Sur la forme, on ne nous laisse pas le temps de travailler. Il n'y a aucune étude sérieuse sur le coût de la réforme - or les superstructures coûtent cher, très cher. On va vite, mais on ne sait où.
Sur le fond, c'est une catastrophe : le Gouvernement a asséché les moyens de l'audiovisuel public, et veut maintenant un seul patron pour mieux contrôler l'information. Qui est derrière ce projet ? Mme Dati et le Rassemblement national - l'alliance de ceux qui détestent l'audiovisuel public, l'indépendance de l'information. Le pluralisme, la liberté des rédactions sont en ligne de mire. Gare à la casse sociale !
Alors que neuf milliardaires contrôlent 80 % de la presse en France, la concentration publique est une menace directe pour notre démocratie. (Applaudissements à gauche)
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Rappel chronologique. En 2015, rapport Leleux-Gattolin ; en 2017, rapport Attal ; en 2019, projet de loi Riester, avec étude d'impact ; en 2023, rapport de l'Assemblée nationale et dépôt de ma proposition de loi, complétée par une étude d'impact. Depuis, une étude de l'IGF a établi que la holding se ferait à coût nul.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pétition de principe !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Il y a eu un rapport de la Cour des comptes, de nombreuses prises de position de l'Arcom sur le sujet. Dernière étude en date, celle de Laurence Bloch.
Mme Sylvie Robert. - Ce n'est pas une étude !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Toutes préconisent la holding. La question a été largement documentée et largement débattue au sein de notre commission.
M. Max Brisson. - Très bien !
Demande de vérification du quorum
M. le président. - J'ai été saisi, au titre de l'article 51, d'une demande de vérification du quorum. Je l'ai dit, je ne suis pas en mesure de revenir sur la jurisprudence constante en la matière. Au demeurant, dans votre précédente demande, vous mentionnez vous-même que cette demande ne peut avoir lieu qu'une seule fois par jour de séance. Vous l'avez écrit et signé.
M. Mathieu Darnaud. - Perdu !
M. le président. - J'invite les collègues signataires de la demande à saisir le bureau de cette question.
Nous avons la décision du bureau de 2006.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Donnez-la nous !
M. le président. - Personne n'a jamais remis cette coutume en cause. Par conséquent, je ne donne pas suite à votre demande.
Rappels au règlement
M. Yan Chantrel. - Un texte de cette importance mérite d'être discuté dans une assemblée où le quorum est atteint. En l'inscrivant en toute fin de session extraordinaire, espériez-vous qu'il n'y aurait pas le quorum ?
Le règlement du Sénat, notre constitution, prime des décisions prises par le bureau il y a près de vingt ans. Nous demandons des éléments factuels, ainsi que l'application du règlement. (Applaudissements à gauche)
M. Guillaume Gontard. - Rappel au règlement sur l'article 51. Vous parlez de « coutume », monsieur le président - mais nous travaillons sur la loi, non sur la coutume ! Le règlement est clair : la demande de vérification du quorum a pour objet la validation d'un vote. Logiquement, elle doit pouvoir intervenir avant chaque vote, c'est pourquoi le règlement ne stipule pas autrement. Arguer de « la coutume » pose problème.
Si le quorum n'est pas atteint, ce n'est pas de notre faute. Si vous aimez autant l'audiovisuel public, soyez présents en séance !
M. Mathieu Darnaud. - Pas de leçon !
M. Guillaume Gontard. - C'est vous qui avez voulu inscrire ce texte avant l'été.
Mme Cécile Cukierman. - Je n'aimerais pas être à votre place, monsieur le président. Il y a manifestement un flou juridique.
M. Roger Karoutchi. - Pas du tout !
Mme Cécile Cukierman. - La coutume ferait loi, désormais ? La civilisation, c'est pourtant de passer de la coutume à la loi !
L'article 51 du règlement et l'instruction générale du bureau n'y font pas référence. Aussi, je demande une suspension de séance pour que vous nous fassiez parvenir cette fameuse décision du bureau de 2006. Je ne doute pas de votre sincérité, mais, comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. (Applaudissements à gauche)
M. Roger Karoutchi. - Il ne s'agit nullement de coutume.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est vous qui l'avez dit !
M. Roger Karoutchi. - Madame de La Gontrie, vous entendez peut-être des voix, mais pas la mienne.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Jaloux !
M. Roger Karoutchi. - Il y a la Constitution, le règlement du Sénat, les décisions du bureau. Si le règlement est imprécis, la question est posée au bureau. Sa décision de 2006 est claire...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne l'a pas !
M. Roger Karoutchi. - Nul n'est censé ignorer la loi, ni le règlement.
Vous avez demandé une nouvelle décision du bureau - mais tant que le bureau n'a pas modifié sa décision, impossible de changer la règle.
M. Mathieu Darnaud. - Très bien !
M. Bernard Jomier. - J'ai beaucoup de respect pour la coutume - vous avez employé le mot. (M. Roger Karoutchi le conteste.)
J'ai siégé dans d'autres hémicycles, dont celui du Conseil de Paris.
M. Roger Karoutchi. - Oh, ça...
M. Bernard Jomier. - Mme Dati y siège aussi, même si elle ne vient pas souvent. Son groupe y a demandé la vérification du quorum : tant qu'il n'était pas atteint, il a été impossible de siéger !
M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas la règle ici.
M. Bernard Jomier. - La coutume du Sénat ne peut être d'encourager l'absentéisme !
Cette décision de coutume de 2006, je ne la connais pas.
M. Roger Karoutchi. - C'est une décision du bureau.
M. Bernard Jomier. - Le règlement prévoit qu'avant un vote, on puisse demander la vérification du quorum. C'est ce que nous demandons.
M. Roger Karoutchi. - Vous n'en avez pas le droit.
M. Bernard Jomier. - La meilleure façon de répondre, c'est d'atteindre le quorum ! Inspirons-nous des règles qui prévalent dans d'autres hémicycles ; c'est le bon sens ! (Applaudissements à gauche)
Mme Colombe Brossel. - Ce texte n'est pas anecdotique. Il réforme en profondeur l'audiovisuel public.
M. Max Brisson. - Il en a besoin !
Mme Colombe Brossel. - C'est votre appréciation.
Nous devons aux Français...
M. Mathieu Darnaud. - Du sérieux !
Mme Colombe Brossel. - ... et aux 16 000 salariés un débat sérieux et étayé.
M. Max Brisson. - C'est ce que nous souhaitons !
Mme Colombe Brossel. - Pourquoi des délais aussi serrés ? Dans la nuit du 2 juillet sont arrivés des amendements censés répondre à l'obsolescence d'un certain nombre d'articles. En réalité, ils créent la holding exécutive, ainsi que des filiales dont nous ignorons tout ! Nous avons besoin de temps pour travailler.
Monsieur Karoutchi, loin de nous l'idée de contester vos propos sur l'existence d'une décision du bureau de 2006. Je vous fais confiance. Nous demandons seulement d'avoir accès à cette décision, que nous n'avons pas trouvée sur le site du Sénat. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Raynal. - Rappel au règlement.
Mme Catherine Di Folco. - Sur quel article ?
M. Claude Raynal. - Le règlement du Sénat est le seul document à être remis aux nouveaux sénateurs. Si d'autres textes s'imposent à nous, pourquoi ne sont-ils pas joints au règlement ? Cela nous éclairerait.
Monsieur Karoutchi, pourquoi ce point n'a-t-il pas été intégré au règlement à l'occasion de ses nombreuses révisions ? Il y a une raison fort logique : lorsqu'on suspend la séance une heure, c'est pour permettre aux sénateurs qui sont dans les parages de venir en séance pour établir le quorum. (Applaudissements à gauche ; MM. Mathieu Darnaud et Roger Karoutchi le contestent.) C'est le bon sens !
Le report d'une heure ne peut valoir que pour un seul vote. Il faut avoir le quorum pour chaque vote. (Applaudissements à gauche)
Mme Antoinette Guhl. - Nouvelle sénatrice, je m'étonne que l'on fasse référence à des réunions du bureau datant de 2006. Le règlement a été revu depuis. Il faut s'en tenir au règlement distribué à tous les nouveaux sénateurs - qui ne mentionne pas l'impossibilité de demander à vérifier le quorum plusieurs fois par jour. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. - Je ferai droit à la demande de suspension de séance après les prochains rappels au règlement.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le Sénat est perçu comme une institution sérieuse et responsable. Les débats doivent rester sereins. Outre que le délai pour déposer des amendements n'a pas été respecté, le règlement a changé depuis 2006. Nous voulons pouvoir consulter les textes que l'on nous oppose. Examinons tranquillement ce texte en septembre, sans précipitation.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Je porte aujourd'hui costume et cravate car le règlement du Sénat, adopté bien avant mon élection en 2020, l'impose. Ce n'est pas parce qu'on ne siégeait pas au Sénat quand les règles ont été votées qu'elles ne s'appliquent pas ! J'entends que vous êtes pressés de débattre de l'audiovisuel public, mais vous faites tout pour éviter le débat ! Nous prenons du retard.
M. Guy Benarroche. - Ce débat est biaisé depuis le départ !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Demander la vérification du quorum sur chaque vote ? Si l'on raisonne par l'absurde, il suffirait à l'opposition de ne pas se présenter pour qu'aucun vote ne soit possible ! C'est la négation même de la démocratie. (Protestations à gauche)
Madame Robert, vous avez hésité à utiliser un mot tout à l'heure - le même que Jean-Luc Mélenchon, membre du NFP, a employé à l'encontre des journalistes de France Info et qui lui a valu une condamnation pour diffamation. (Protestations à gauche) Défendons les journalistes en débattant du fond, non de la procédure. (Applaudissements à droite et au centre ; protestations à gauche)
M. le président. - Le port de la cravate n'est pas imposé par le règlement : c'est typiquement un usage, jamais remis en cause, qui a fait l'objet d'un consensus en conférence des présidents. (Rires ; M. Bernard Jomier fait mine d'ôter sa cravate.) Idem pour le gentlemen's agreement entre les présidents de groupe sur les textes en commission : ce sont des règles tacites.
Je tiens à votre disposition au plateau les documents qui établissent que cette règle existe, notamment les travaux du bureau de 2006.
La séance est suspendue quelques instants.
À la demande de la commission et du groupe Les Républicains, la motion n°7 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°356 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 242 |
La motion n°7 n'est pas adoptée.
Mme Cécile Cukierman. - Nous avons effectivement consulté ces décisions de 2006. Néanmoins, nous sommes à une autre époque.
M. Max Brisson. - La Constitution aussi, c'est une autre époque...
Mme Cécile Cukierman. - Cette décision du bureau n'est mentionnée nulle part, n'est accessible nulle part.
Le Larousse définit la coutume comme « une source du droit issue d'un usage général et répété et dont l'autorité est reconnue par tous ». Dès lors qu'elle n'est plus reconnue de tous, il n'y a pas coutume. Nous saisirons donc le bureau et le Président du Sénat pour demander une mise à jour des conditions de demande de vérification du quorum.
Lors de la saisine du Conseil constitutionnel, nous mettrons en avant l'impossibilité de débattre sereinement, mais aussi le faible nombre de parlementaires en séance, dû à l'inscription précipitée de ce texte en toute fin de session.
L'audiovisuel public mérite mieux que cela, alors que des millions de Français suivent actuellement le Tour de France. Ne le sacrifions pas !
M. Éric Kerrouche. - Cette discussion n'est pas anecdotique. À vous entendre, il y aurait une sorte de hiérarchie des normes interne au Sénat : le règlement, l'instruction générale du bureau et enfin les décisions du bureau. Mais qui constate cette hiérarchie ? Seul le règlement du Sénat, que nous adoptons, est validé par le Conseil constitutionnel.
La décision de 2006 est une béquille fragile, car le bureau peut toujours revenir sur des décisions antérieures. Celle-ci n'a pas été réexplicitée. On ne peut se fonder sur une décision qui validait une version dépassée du règlement.
C'est tout l'édifice juridique sur lequel nous nous appuyons qui pose problème. Vous pouvez prendre les choses à la légère, mais...
M. Max Brisson. - Pas du tout...
M. Éric Kerrouche. - ... nous contestons la hiérarchie que vous avez exposée, car nous ne pouvons la vérifier juridiquement. (Applaudissement sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Guy Benarroche. - Il faudra faire attention aux prochaines décisions du bureau, qui risquent d'être transformées en us et coutumes.
L'architecture du droit pose problème. Qu'une décision du bureau de 2006 s'applique alors que le règlement a été modifié depuis, au motif que rien ne la contredit dans le règlement, me semble très léger.
Je ne vois pas comment des membres du Sénat pourraient s'arroger une décision remettant en cause l'architecture générale sur laquelle repose l'activité du Parlement. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. le président. - Merci, monsieur le secrétaire du bureau du Sénat.
M. Ronan Dantec. - Selon l'article 51, alinéa 1, « La présence, dans l'enceinte du Palais, de la majorité absolue des sénateurs est nécessaire pour la validité des votes, sauf en matière de fixation de l'ordre du jour. » Dans l'esprit du règlement, le quorum est requis en permanence.
Le port de la cravate relèverait de l'usage, non d'une décision du bureau ? Nous avons donc pris un risque sanitaire lors de la canicule en restant cravatés. (Sourires) Si l'un d'entre nous l'ôte, il ne se passe rien ?
M. Max Brisson. - Chiche !
M. Ronan Dantec. - J'étais convaincu que ce serait l'effondrement du Sénat... (Sourires)
Je rejoins nos collègues de droite sur l'importance des usages. Sans cela, plus de niche parlementaire. Mais quand l'Assemblée nationale rejette un texte, on n'essaie pas de l'inscrire illico au Sénat, on défend les usages et la démocratie parlementaire ! « On refait le match », c'était sur une radio privée ; ici, nous défendons le service public !
M. Roger Karoutchi. - Je n'ai jamais parlé de coutume.
Mme Cécile Cukierman. - On lira les comptes rendus !
M. Roger Karoutchi. - J'ai fait partie du bureau du Sénat, comme plusieurs de nos collègues. La Constitution prime le règlement, qui prime l'instruction générale du bureau, qui prime les décisions du bureau. En cas de problème, un président de groupe peut le signaler au bureau, qui tranche. Décréter en séance que les décisions du bureau n'ont plus lieu d'être n'a aucun sens. De 2011 à 2014, la majorité sénatoriale était à gauche, et elle n'a jamais remis en cause la décision de 2006 !
Mme Laurence Rossignol. - Elle ne la connaissait pas, car elle était introuvable !
M. Roger Karoutchi. - Faire de l'obstruction, c'est bien, être réaliste, c'est mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Laurent Lafon et Claude Kern applaudissent également.)
M. le président. - Acte est donné de vos rappels au règlement.
Discussion générale (Suite)
M. Mikaele Kulimoetoke . - En votant une motion de rejet de ce texte, pourtant amendé et adopté en commission, les députés ont refusé de débattre de l'avenir de l'audiovisuel public. Nous regrettons ce choix, qui prive le Parlement d'un débat utile et nous contraint à légiférer dans des délais contraints.
Pourtant, nous partageons l'objectif : disposer d'un service public fort, capable de rayonner à l'international et de résister à la concurrence des plateformes, Netflix, Google ou TikTok.
Nous devons donner aux médias publics les outils nécessaires à leur autonomie. Repousser encore cette réforme n'est pas envisageable : journalistes et salariés attendent des réponses claires et un débat serein.
Le rapport Gattolin-Leleux évoquait déjà la nécessité d'un regroupement. (M. Laurent Lafon le confirme.) Voilà des années que le Parlement tergiverse.
Que prévoit ce texte ? Le regroupement des entreprises de l'audiovisuel public au sein d'une holding, afin d'accélérer des coopérations encore fragiles. Ce n'est pas une fusion. La holding n'est pas une fin en soi, mais le moyen de favoriser les synergies.
Elle suscite des inquiétudes légitimes. Ainsi du plafonnement des recettes publicitaires, à l'article 5, qui limiterait la capacité de ces médias à investir et remplir leur mission de service public. Avec Samantha Cazebonne, nous voterons les amendements visant à exclure France Médias Monde de la holding, compte tenu de ses missions spécifiques et du contexte géopolitique.
Le deuxième volet du texte ambitionne de réduire les asymétries entre les médias historiques et les plateformes numériques. Supprimé en commission à l'Assemblée nationale, il aurait pu faire l'objet d'un texte de loi à part entière. Nous soutiendrons sa suppression.
Le groupe RDPI est partagé sur ce texte ; une majorité votera toutefois en sa faveur. (MM. Pierre Jean Rochette, Cédric Vial et Claude Kern applaudissent.)
M. Bernard Fialaire . - « Le temps ne fait rien à l'affaire », chantait Brassens... Dix ans après le rapport Gattolin-Leleux, six ans après le projet de loi Riester, trois ans après le rapport Karoutchi-Hugonet, deux ans après l'adoption ici de la proposition de loi Lafon, voilà que ce texte nous est soumis dans la précipitation. L'emballement est-il à la hauteur des enjeux ? L'audiovisuel public est confronté à de nombreux défis. La menace vient des Gafam et des réseaux sociaux, aux moyens colossaux. Ils nous obligent à rassembler nos forces dans un ensemble cohérent préservant neutralité de l'information et liberté d'expression et de création.
Ce texte porte une double ambition : préserver la souveraineté audiovisuelle de la France et assurer les conditions d'une concurrence équitable entre les grandes plateformes et les composantes historiques de l'audiovisuel. Il faut lutter contre le fonctionnement en silo. France Télévisions rend ses contenus disponibles sur Amazon Prime pour toucher un public plus jeune. Et après ? La synergie créée par un travail commun renforcera l'audiovisuel public.
Je salue le renforcement du droit de regard des commissions de la culture sur les conventions stratégiques pluriannuelles.
Alors qu'il est parfois difficile de savoir si une information est indépendante, crédible ou même délivrée par un journaliste, il est utile d'intégrer au conseil d'administration de la holding des personnes chargées de veiller à l'éthique et à la déontologie. Une disposition introduite en commission le permet.
Détenant la totalité du capital, l'État se porte garant de la pérennité de l'audiovisuel public.
Refuser au privé le monopole de la diffusion de grands événements sportifs rappelle que la culture appartient à tous. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.) L'audiovisuel, en tant qu'accès au savoir, à la culture, à l'information, doit prospérer. Parmi les membres du RDSE, certains, comme moi, voteront pour, d'autres contre. (MM. Cédric Vial et Pierre Jean Rochette applaudissent.)
M. Laurent Lafon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Deux ans après sa première lecture, les constats qui avaient motivé le dépôt de ce texte restent non seulement d'actualité, mais se sont même amplifiés. Le paysage audiovisuel connaît un bouleversement rapide et irréversible. La télévision linéaire perd du terrain ; chez les moins de 25 ans, elle a disparu des usages quotidiens.
Les médias historiques sont confrontés à la concurrence financière, technique mais aussi culturelle des grandes plateformes, aux moyens considérables. Peu régulées, celles-ci imposent leurs références et leur vision du monde à notre jeunesse. Il y a urgence à agir : c'est encore plus vrai aujourd'hui.
Les acteurs privés s'adaptent, l'accord entre TF1 et Netflix en est l'illustration. Or les acteurs publics doivent rester dans la course, ce qui implique une stratégie commune et des moyens regroupés. C'est l'enjeu de ce texte, fruit du travail de la commission de la culture.
Ce texte est bien celui que nous avons porté au Sénat il y a deux ans, fruit du travail de la commission de la culture depuis des années. Le texte transmis par l'Assemblée est strictement identique à celui que le Sénat a adopté. Le travail de la commission en seconde lecture s'est inscrit dans la fidélité au texte. L'objectif est clair : une stratégie unifiée, une mise en commun des moyens pour optimiser les investissements sans effacement des identités ni uniformisation des lignes éditoriales. La structure devra rester légère et de coût limité.
Deux points font débat : la France Médias Monde dans la holding et le maintien de la deuxième partie du texte.
La commission a souhaité que France Médias Monde fasse partie de la holding, pour bénéficier des synergies. Mais son absence ne remettrait pas en cause l'existence de la holding - je ne dirai pas la même chose pour France Télévisions, Radio France ou même l'INA.
La commission a maintenu la seconde partie du texte, qui vise à limiter les asymétries de concurrence dont pâtissent les médias historiques, publics comme privés. Ces dispositions contribuent à notre souveraineté et sont attendues par les entreprises du secteur.
Je souhaite que nos débats reviennent à la question centrale : l'avenir de l'audiovisuel public, son adaptation aux nouvelles technologies et aux nouveaux environnements concurrentiels. Ayons un débat serein, dans un esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)
M. Pierre Ouzoulias . - L'INA met à disposition les images d'archives dont il assure la conservation et le dépôt légal. On peut ainsi regarder un entretien du 3 juillet 1974 donné par Jacques Chirac, alors Premier ministre, sur la réforme de l'ORTF. Valéry Giscard d'Estaing, alors Président, voulait rénover la société française...
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. - Il s'agissait donc d'abandonner l'organisation trop verticale de l'ORTF, sa centralisation excessive, de l'affranchir d'une tutelle politique oppressante, de le démanteler pour le remplacer par des entités autonomes à échelle humaine, indépendantes et compétitives.
À rebours de cette vision, le présent texte revient à la centralité, à la verticalité et au pouvoir d'un seul. Pourquoi ce retour à l'ORTF ? Quel est l'objectif politique de reconstitution d'un combinat ?
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Cela avait du bon !
M. Pierre Ouzoulias. - Le service public a su s'adapter. Fidèle à ses missions, l'audiovisuel public respecte le pluralisme et la diversité des opinions et contribue à la formation de l'esprit critique des citoyens.
Je remercie tous les personnels du service public de l'audiovisuel. Vous cherchez l'identité de la France ? Elle est là, dans cette volonté de s'affranchir des dogmes pour donner à chacun les moyens de se forger sa propre opinion. La série de Philippe Collin pour France Inter sur l'affaire Dreyfus, téléchargée des millions de fois, a sans doute bien plus contribué à la lutte contre l'antisémitisme que tous nos discours !
Non, madame la ministre, l'audiovisuel public n'intéresse pas que les cadres supérieurs. Il fait le pari gagnant de l'intelligence : jamais ses audiences n'ont été aussi élevées. Je ne doute pas que nous soyons tous réunis pour le défendre et lui donner les moyens de poursuivre sa mission de service public. La seule question qui vaille est de savoir si la réorganisation proposée est le moyen le plus efficace de le renforcer.
M. Roger Karoutchi. - Et oui !
M. Pierre Ouzoulias. - Nous en doutons fortement ; nos débats le démontreront. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Monique de Marco . - Quelle obstination pour ressusciter cette proposition de loi dont personne ne veut, y compris le camp présidentiel ! Nous voilà sommés de prendre part à cette parodie législative, sans auditions et désormais contraints par la règle de l'entonnoir. Quelle était l'urgence ?
Nul ne conteste que nos chaînes doivent se moderniser. Depuis la création de France Télévisions en 1992, les chaînes publiques sont engagées dans une réforme sans fin. Depuis la proposition de Franck Riester, la menace d'une fusion globale alimente une guerre des chefs, au détriment des personnels. Nous apprenions hier que Delphine Ernotte allait dénoncer l'accord collectif.
Il faut adapter l'audiovisuel public aux nouvelles réalités, en intégrant par exemple, le visionnage en ligne au calcul de l'audience, comme proposé par la commission d'enquête sur la concentration des médias. Quels articles du texte y pourvoient ?
À la hâte, une ébauche d'étude d'impact a été commandée à Laurence Bloch. Préserver l'essence des métiers, monter en puissance sur le numérique, garantir la diversité des contenus : aucun de ces garde-fous ne figure dans ce texte. Nos amendements ont été systématiquement écartés en commission.
Vous proposez de concentrer les pouvoirs dans les mains d'un seul dirigeant. Ni les organisations syndicales, ni les parlementaires, ni les auteurs de l'étude d'impact n'ont été entendus. Qui écoutez-vous, à part les dirigeants des médias privés ? L'indépendance des médias en ressort affaiblie. L'esprit de cette loi est dangereux pour quiconque prétend vivre en démocratie et défend la liberté d'expression.
Messieurs Lafon et Vial, je vais essayer de vous convaincre.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Essayez...
Mme Monique de Marco. - Imaginez que les écologistes l'emportent sur l'extrême-droite aux prochaines élections présidentielles.
Mme Colombe Brossel. - Enfin !
Mme Monique de Marco. - Imaginez qu'ils prennent le pouvoir dans des groupes audiovisuels privés, que leurs dirigeants dînent avec Marine Tondelier, cheffe de l'État. Que l'audiovisuel public soit devenu le bastion de la pensée conservatrice, avec Pascal Praud en directeur des antennes de France Inter.
Mme Laurence Rossignol. - Ils adoreraient !
Mme Monique de Marco. - Voteriez-vous cette proposition de loi ? Est-elle autre chose qu'un texte de circonstance ? L'audiovisuel public repose sur deux piliers : l'indépendance politique, par une gouvernance plurielle, et l'indépendance financière, par un financement autonome, stable et suffisant. Nous n'avons ni l'un ni l'autre ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Renforcement des moyens de l'audiovisuel public, aggiornamento de son modèle économique, lutte contre le fléau de la désinformation et des ingérences étrangères, distribution et diffusion à l'ère des plateformes, révolution du podcast, nouveaux usages de la radio, pluralisme dans une société toujours plus polarisée, mission de service public : autant de questions cruciales que cette proposition de loi élude totalement.
Or nous nous focalisons sur la gouvernance... S'il faut en débattre, ce ne saurait être le prérequis. Le statu quo n'est plus possible, voilà votre nouveau slogan, après le fameux « BBC à la française ».
Monsieur Vial, personne ne prône l'immobilisme ! Refuser cette réforme, c'est refuser un recul maquillé en modernisation. Elle se traduira par un affaiblissement durable de l'audiovisuel public.
Une réforme de la gouvernance suppose une concertation et une étude d'impact. Or le rapport de Laurence Bloch est au mieux un vague exposé des motifs. Créer une holding ne coûterait rien ? Cela a été démenti, y compris par ce rapport pro domo !
Cette holding exécutive est un cheval de Troie vers la fusion de l'audiovisuel public. Qui peut croire qu'elle ne coûtera rien ? C'est une façon de réduire le budget et les effectifs de l'audiovisuel public. Depuis 2017, il a perdu 776 millions d'euros et en 2025, 80 millions de crédits ont été annulés en cours d'exercice. Ceux qui veulent cette réforme sont ceux qui la condamnent en amputant son budget.
Où est la cohérence ? Quelle confiance avoir dans ce Gouvernement ? Aucune éclaircie n'est à attendre en 2026. Bercy a ciblé l'audiovisuel public ; transformer la gouvernance dans le contexte actuel, c'est lui offrir l'instrument rêvé pour faire des économies.
Cette réforme menace l'indépendance et le pluralisme. Si la procédure de nomination du PDG est encadrée, rien ne prémunit d'une éventuelle proximité entre le PDG et l'exécutif. Pire, Laurence Bloch évoque un unique directeur de l'information. (M. Laurent Lafon le réfute.) C'est une ligne rouge. Nous ne pouvons pas critiquer les chefs d'État qui mettent la main sur l'audiovisuel public et faire de même en France.
L'audiovisuel public est prisonnier d'une triple coalition pernicieuse : les ultralibéraux qui s'attaquent aux services publics, ceux qui font « le procès » de l'audiovisuel public, comme je l'ai entendu en commission...
Mme Laurence Rossignol. - Qui a dit cela ?
Mme Sylvie Robert. - ... et ceux qui ont un agenda personnel et veulent absolument un texte, indépendamment de son contenu.
Le RN, qui veut privatiser l'audiovisuel public, soutient le texte ! (Mme Laurence Rossignol renchérit.) C'est une bataille culturelle qui se joue ; voter le texte, c'est faire le jeu de ceux qui veulent la destruction de l'audiovisuel public. (Applaudissements à gauche)
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les conditions d'examen du texte sont rocambolesques. Notre chambre s'est saisie de ce sujet dès 2015, puis en 2022, avant que le projet de loi Riester ne soit interrompu par le covid. Puis, l'examen de la proposition de loi Lafon a tourné court.
Depuis la loi Léotard de 1986, il y a eu des changements majeurs : réseaux sociaux, plateformes, smartphones. Il faut nous adapter.
La holding est au coeur de la réforme. Mais cette ambition s'est muée en une fusion qui ne dit pas son nom, avec à sa tête un grand manitou. Ce n'est plus le texte que j'avais voté en 2023. (Exclamations à gauche) J'ai une pensée pour les dirigeants de l'audiovisuel public qui ont fait l'objet d'attaques regrettables, alors qu'ils n'ont pas démérité. (M. Pierre Ouzoulias le confirme.) Si ce texte est adopté définitivement, ils seront sans doute remerciés...
Nous veillerons à ce que chaque composante de la holding conserve son âme, pour ne pas revenir à la bonne vieille ORTF. Les responsables des entités ne doivent pas les simples délégués du PDG. Il y va de la richesse de notre audiovisuel public. Comment la gouvernance de France Médias pourrait-elle procéder à des redécoupages en filiales intersociétés, avec la difficulté de fusionner grilles salariales, statuts et fonction support ? Le tout sans aucune étude d'impact...
La réforme intervient dans un contexte budgétaire particulier. La suppression de la redevance en 2022 a eu des conséquences non négligeables. Or Bercy cherche encore des économies. Selon l'IGF, la mutualisation des fonctions support ferait gagner 10 millions par an.
Il faut retirer de ce texte les dispositions sur l'audiovisuel privé. Chaque secteur mérite un texte qui réponde à ses enjeux spécifiques.
Mon avis devient de plus en plus mitigé. Le groupe Les Indépendants attend l'examen des articles pour éclaircir certains points cruciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE-K)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Pour un peu, on se pincerait pour y croire. Après avoir vu passer à basse altitude pas moins de quatre ministres de la culture, sans qu'aucun n'ait fait avancer la situation de l'audiovisuel public...
Mme Laurence Rossignol. - Ils défendaient le service public !
M. Jean-Raymond Hugonet. - ...voilà que le 11 janvier 2024, vous débarquez rue de Valois. Comme par enchantement, ce qui était impensable, proscrit, devient réalité. (Marques d'ironie à gauche) Telle Mary Poppins, vous vous attaquez au totem absolu : l'audiovisuel public ! Tirant les leçons de tant d'années d'inaction et d'errance - alors que les plateformes, elles, n'attendent pas - vous avancez résolument contre vents et marées. Il était plus que temps.
Les propositions du Sénat étaient sur étagère depuis longtemps. Je pense à l'ancestral rapport Gattolin-Leleux, qui préconisait déjà la création d'une holding (M. Max Brisson renchérit) ou au plus disruptif rapport de 2022 de Roger Karoutchi et de votre serviteur...
M. Max Brisson. - Excellent !
M. Jean-Raymond Hugonet. - ... qui recommandait une solution de bon sens : la fusion. Pour des raisons de temporalité, vous vous êtes appuyée sur la proposition de loi Lafon, la plus récente, adoptée ici en juin 2023.
Tordons le cou aux caricatures : nous défendons un audiovisuel public fort, indépendant, qui s'adresse à tous les Français.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Très bien !
M. Max Brisson. - Absolument !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pas tous...
M. Jean-Raymond Hugonet. - Cependant, l'audiovisuel public n'est pas exemplaire, tant s'en faut. (Marques d'ironie à gauche) Il conserve des marges de progression pour développer des programmes plus originaux, veiller à l'impartialité de l'information et économiser les deniers publics. (M. Max Brisson approuve.)
Les partisans du sur place font feu de tout bois pour ralentir le sens de l'histoire. C'est mal vous connaître, madame la ministre ; ce type de comportement rétrograde vous inspire.
Mme Laurence Rossignol. - Flagorneur !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Choupinou...
M. Jean-Raymond Hugonet. - En l'espèce, vous avez réalisé un coup de génie.
Mme Laurence Rossignol. - Un coup de force !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela devient gênant...
M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous connaissions la conversion de Saint Paul sur le chemin de Damas ; désormais il y a celle de Laurence Bloch sur la route du PAF.
Mme Laurence Rossignol. - Vous voulez qu'on vous laisse ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Ancienne directrice de France Inter, elle était farouchement opposée à cette réforme. Il a suffi que vous lui confiez un rapport pour qu'elle en fasse un vibrant plaidoyer !
L'éparpillement de l'audiovisuel français est une aberration en Europe. Il montre chaque jour ses limites : la multiplication des présidences, des directeurs, des rédactions, des correspondants à l'étranger, des directions régionales et locales est devenue insupportable. L'impatience a laissé la place à l'exaspération, à la colère.
Le groupe Les Républicains votera pour la seconde fois ce texte. Nous attendons avec gourmandise la nouvelle saison de cette incroyable série. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Rachida Dati sourit.)
M. Roger Karoutchi . - Le débat doit porter sur le périmètre, les missions et les objectifs de l'audiovisuel public. Nous ne sommes plus au temps où, lorsque le service public ne fonctionnait pas, la télévision affichait la mire.
Comment s'organiser pour répondre aux attentes du public ? C'est bien pour cela qu'il est financé par de l'argent public.
J'ai entendu que l'audiovisuel public serait un contre-pouvoir. Non, il est un service public, indépendant, pour tous les Français. (M. Max Brisson l'approuve.) Pour qu'il soit un contre-pouvoir, il faut qu'il soit politiquement orienté. Attention !
M. Yannick Jadot. - Ce n'est pas cela, un contre-pouvoir ! (M. Max Brisson le conteste ; Mme Rachida Dati s'en amuse.)
M. Roger Karoutchi. - Avec Jean-Raymond Hugonet, nous prônions la fusion. Mais j'accepte que la première étape soit la holding.
Simplement, le calendrier ne permet d'intégrer au périmètre l'audiovisuel public extérieur. France Médias Monde a une structure, une présence à l'étranger, une responsabilité qui rendent difficile son intégration dans la holding. Face à des chaînes financées par des pays autoritaires qui luttent contre l'influence française, nous devons conserver un audiovisuel public extérieur puissant. Donnons-lui plus de moyens, car il est très attaqué par certains États étrangers.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Roger Karoutchi. - Cessons les anathèmes, ne faisons pas de l'audiovisuel public un totem ; il a besoin d'être rénové, conforté dans certains aspects, mais aussi de retrouver sa neutralité. Tout cela mérite un vrai débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Discussion des articles
Chapitre Ier : Réforme de l'audiovisuel public
M. le président. - Amendement n°234 de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Sous couvert d'arguments flous - renforcement des synergies, etc. - ce texte menace l'indépendance de l'audiovisuel public, placé sous l'égide d'un unique PDG. Le risque d'une mainmise de l'exécutif sur le service public de l'information est d'autant plus inquiétant au regard de la montée de l'extrême droite en France.
La concentration, décriée par les journalistes, entrainerait la suppression de programmes, l'accélération des fusions, la baisse des effectifs. Nous ajoutons donc le terme de fragilisation dans l'intitulé.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Mme de Marco nous a prouvé lors de la discussion générale qu'elle avait de l'imagination... Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
M. Yannick Jadot. - Je voterai cet amendement. Certains propos nous inquiètent. On entend trop souvent l'esprit de revanche de la droite, pressé de mettre l'audiovisuel public au pas.
M. Antoine Lefèvre. - Fantasmes !
M. Yannick Jadot. - J'ai aussi entendu des critiques sur la dimension extérieure de France Télévisions et Radio France. Les journalistes femmes sur les zones de guerre, c'est sur l'audiovisuel public, pas sur les chaînes privées ! Honorez le service public et celles et ceux qui le font vivre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Antoine Lefèvre. - Il n'y a pas d'esprit de revanche !
Mme Sylvie Robert. - J'espère que les arguments du rapporteur seront plus développés à l'avenir... Vous vous êtes trompés de méthode. M. Karoutchi l'a dit, il fallait débattre des orientations stratégiques.
M. Roger Karoutchi. - C'est vous qui l'avez refusé.
Mme Sylvie Robert. - Non, c'est vous ! Il aurait fallu déterminer les objectifs d'abord, et ensuite les moyens. J'attends des arguments étayés, monsieur Vial. La gouvernance réglera-t-elle tous les problèmes ?
Vous nous taxez d'immobilisme, mais non, nous sommes conscients des évolutions en cours. Croyez-vous qu'avec la holding, tous les jeunes écouteront France Inter ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Ce n'est pas ce que l'on dit !
Mme Sylvie Robert. - Vous êtes pris à votre propre jeu ! Dites-nous réellement ce qu'implique cette gouvernance.
Mme Colombe Brossel. - L'amendement de Monique de Marco pose le débat : cette proposition de loi a-t-elle vocation à renforcer ou à affaiblir l'audiovisuel public ? Cette holding exécutive, en concentrant les pouvoirs, affaiblira l'audiovisuel public. Vous prétendez le soutenir, mais j'ai entendu certains collègues, en commission, s'interroger sur le pluralisme dans l'audiovisuel public, sur ses règles déontologiques, sur les équilibres sur les chaines publiques... Merci, madame de Marco, d'avoir rappelé les objectifs cachés de cette réforme.
M. Yan Chantrel. - Votre hybris réformatrice aboutit à des non-sens entrepreneuriaux. Créer une structure supplémentaire mobilisera vingt à cinquante personnes supplémentaires. Tout changement de présidence conduit à geler les projets pendant des moins - c'est pourquoi les présidents de France Télévisions et de Radio France militent contre la holding, qui générera des charges de fonctionnement et de personnel considérables. Il faudra en revoir le financement, incertain depuis la suppression irresponsable de la redevance. L'allocation d'une fraction de TVA est une solution temporaire qui rend l'audiovisuel public dépendant du Gouvernement.
M. Max Brisson. - « Certains collègues en commission », madame Brossel, c'est moi. Je peux être cité ! En commission, vous avez attaqué ce texte, qui est celui de Laurent Lafon et non de Mme Dati. J'ai alors dit que l'on pouvait critiquer certaines émissions de l'audiovisuel public, tout comme on peut critiquer CNews, BFM ou toute autre chaîne. (Mme Laurence Rossignol ironise.) Je le redis : certaines émissions s'éloignent du rôle qui devrait être le leur.
Monsieur Jadot, vous avez fait un aveu : l'audiovisuel public serait un contre-pouvoir. Mais ce n'est pas sa fonction ! On attend de lui de la neutralité, de l'objectivité et de relayer l'ensemble des composantes de la vie politique, culturelle, économique et sociale française, ce qui ne me semble pas être le cas... On peut dire cela tout en défendant l'audiovisuel public.
Cette proposition de loi fragiliserait-elle l'audiovisuel public ? Non ! C'est lui faire trop d'honneur d'imaginer qu'elle a une telle dimension : elle propose juste de créer une holding. Ne faisons pas dire au texte ce qu'il ne dit pas ! (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Michel Canévet. - Que du bon sens !
Mme Karine Daniel. - Plus on serait gros, plus on serait performant sur le plan économique et managérial. Je vous le dis en tant qu'économiste : cette croyance avait cours il y a dix ans. Mais avec le développement du numérique, ce n'est plus le cas : il faut des structures pilotables, agiles et réactives, comme nos radios publiques. Je vous invite donc à revenir sur cette croyance. Au reste, ce qui nous semblera gros au niveau national sera toujours bien petit au niveau international.
M. Guillaume Gontard. - M. le rapporteur a eu des mots ironiques sur l'amendement de Monique de Marco, qui pose pourtant la question de fond : quels seront les effets de la réforme ? Va-t-elle renforcer ou fragiliser l'audiovisuel public ? Nous pensons que la réforme le fragilisera en réduisant sa diversité.
Oui, l'audiovisuel public est un contre-pouvoir ; dans toute démocratie, il y a des contre-pouvoirs. (M. Roger Karoutchi manifeste son agacement.) Pourquoi cherchez-vous à niveler par le bas, à n'avoir qu'une seule tête ? Pour contrôler les enquêtes d'investigation, sur le Président de la République par exemple ?
Je n'ai pas encore entendu Mme la ministre, hormis son intervention en discussion générale. On lui a posé un certain nombre de questions, mais pour le moment, c'est silence radio !
M. Roger Karoutchi. - Elle en a le droit !
Mme Corinne Narassiguin. - Oui, cette réforme vise bien à fragiliser l'audiovisuel public et à réduire le pluralisme.
Faire un lien entre immigration et punaises de lits, marteler que l'immigration tue, avoir 47,5 % de ses téléspectateurs qui ont voté Marine Le Pen ou Éric Zemmour, c'est n'est pas le palmarès du service public, mais bien celui de CNews, mise en garde à plusieurs reprises par le Conseil d'État et l'Arcom pour manque de pluralisme.
Pourtant, madame la ministre, votre priorité n°1 c'est de vous attaquer aux médias publics, alors qu'elle devrait plutôt être d'interdire à des médias de tenir des propos xénophobes, ...
M. Max Brisson. - C'est la loi !
Mme Corinne Narassiguin. - ... de lutter contre la division et la peur de l'étranger, d'assurer la cohésion républicaine et de ne pas monter nos concitoyens les uns contre les autres - ce que vous faites avec ce texte.
Mme Mélanie Vogel. - Les questions que pose cet amendement sont centrales. Quel est l'objectif de ce texte ? Quels seront ses effets ?
Certaines prises de parole à la droite de cet hémicycle dénotent une ambiguïté sur le rôle du service public et des médias.
M. Max Brisson. - On a pourtant peu parlé !
Mme Mélanie Vogel. - Vous trouviez étrange que les Écologistes considèrent l'audiovisuel public comme un contre-pouvoir : vous avez une vision politique de l'audiovisuel public, alors qu'il devrait être neutre.
Voici la définition que l'Académie française, qui n'est pas connue pour être un repère de gauchistes,...
M. Roger Karoutchi. - Ça...
Mme Mélanie Vogel. - ... donne d'un contre-pouvoir : « pouvoir de fait, face au pouvoir légal. Les syndicats, la presse constituent des contre-pouvoirs. »
Nous ne disons rien d'autre que ce que disait Montesquieu au sujet de la démocratie : les pouvoirs doivent s'équilibrer pour éviter tout abus. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Cédric Vial, rapporteur. - Je ne m'attendais pas à un débat aussi long sur un amendement qui veut écrire qu'il s'agit de fragiliser l'audiovisuel public... Pensez-vous vraiment que nous allons adopter un tel amendement ? Je commence à m'impatienter.
J'ai entendu que ce serait la loi du plus gros - j'ai un grand respect pour ceux qui le sont... (Sourires) Ce n'est la loi ni du plus gros ni du plus fort ; celui qui gagne, c'est celui qui s'adapte. Pour Bernard Shaw, les gens raisonnables sont ceux qui s'adaptent au monde, les gens déraisonnables veulent que le monde s'adapte à eux. Cette réforme est raisonnable, car nous voulons que l'audiovisuel public s'adapte au monde tel qu'il est, alors que certains voudraient que le monde reste comme il était. Voilà le problème !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Très bien !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Nous voulons un service public qui soit de notre époque. J'ai adoré cette époque...
M. Max Brisson. - De l'ORTF !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Je ne l'ai pas connue ! Je veux dire, quand nous n'avions que trois chaînes dans nos montagnes. Nous regardions des programmes que nous ne choisissions pas - une ouverture culturelle.
Les jeunes ne regardent plus la télévision, mais des séries qu'ils choisissent sur des plateformes. L'objectif de la loi, ce n'est pas que tous les jeunes écoutent France Inter...
Mme Laurence Rossignol. - C'est que plus personne n'écoute France Inter !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusqu'au coude ! Ce n'est plus comme cela que ça fonctionne. Nous devons construire une vraie stratégie numérique de l'audiovisuel public pour aller vers les jeunes.
Mme Sylvie Robert. - Quel rapport avec la holding ?
M. le président. - Monsieur le rapporteur, veuillez conclure.
M. Yannick Jadot. - C'est de l'obstruction ! (Sourires)
M. Cédric Vial. - Monsieur Chantrel, vous et moi avons voté la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, qui a instauré un financement public pérenne et indépendant, avec une fraction de TVA. C'est grâce au Sénat !
Mme Rachida Dati, ministre. - (« Ah ! » à gauche) ...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Bienvenue !
Mme Rachida Dati, ministre. - Un peu de respect vous irait bien, de temps en temps. Mme de La Gontrie, ce n'est pas la première fois !
Mme Laurence Rossignol. - On n'est pas au conseil de Paris !
Mme Rachida Dati, ministre. - Effectivement, vous avez raison de le rappeler. Je déplore d'ailleurs les propos de M. Jomier, qui n'est pratiquement jamais au conseil de Paris. (Exclamations ironiques sur de nombreuses travées du groupe SER)
Plusieurs voix à gauche. - Il n'y est plus !
Mme Rachida Dati, ministre. - Madame de La Gontrie, je me passe de vos conseils sur le travail et la vie. Il y a une vraie différence entre nous.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'espère bien !
Mme Rachida Dati, ministre. - Tout particulièrement s'agissant du travail et de la connaissance des classes populaires.
M. Pierre Ouzoulias. - Dit la maire du 7e arrondissement... Venez donc chez moi, à Bagneux !
Mme Rachida Dati, ministre. - Que je sois élue dans le 7e est plutôt une preuve d'intégration ! (M. Roger Karoutchi renchérit.)
M. Pierre Ouzoulias. - C'est la classe bourgeoise !
Mme Rachida Dati, ministre. - Et alors ? Je n'aurai pas le droit d'accéder à cette catégorie ?
M. Pierre Ouzoulias. - Les classes populaires sont représentées ici, pas là-bas !
Une voix à droite. - Laissez-la parler !
Mme Rachida Dati, ministre. - Je ne me suis pas déconnectée des classes populaires.
Je reprends : c'est la dispersion qui fragilise, pas le regroupement des forces, qui permet aussi de se prémunir contre une attaque.
La verticalité est déjà là, car le fonctionnement en silos est en réalité une fausse horizontalité. Avec un chef d'orchestre, on aura une stratégie cohérente et coordonnée.
M. le rapporteur l'a dit : le financement a été sanctuarisé, avec un montant en valeur - c'est une grande avancée, que vous avez votée à l'unanimité.
La diversité s'organisera autour de plusieurs pôles : information, radio, télévision, numérique, proximité. Le rapport Bloch prône un investissement massif dans le numérique pour s'adapter aux nouveaux usages, car 62 % des Français s'informent sur les réseaux sociaux.
Voici quelques chiffres Médiamétrie d'avril 2025 : les 13-24 ans représentent 12,8 % des auditeurs de la radio, mais 7,3 % de ceux de Radio France ; pour les 25-34 ans, c'est 10,8 % des auditeurs de la radio, mais 7,4 % à Radio France. Les catégories populaires représentent 25,8 % des auditeurs de la radio, 13,8 % de ceux de Radio France et 9,8 % de ceux de France Inter. On est sur l'audiovisuel public, financé par tous les Français : tout le monde doit en bénéficier !
Je suis pour le pluralisme, mais ce matin, sur France Culture, entre 7 h et 7 h 38, les deux personnes interviewées étaient contre la réforme !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est moche !
Mme Rachida Dati, ministre. - Hier, au journal de 8 h, deux sénatrices s'exprimaient sur la réforme : que des critiques ! Nous avons tout recensé : il n'y a aucun pluralisme ! La semaine dernière, Mathieu Gallet, ancien président de Radio France, a été décommandé, parce qu'il était favorable à la réforme.
L'intérêt de cette réforme est de s'adapter aux nouveaux usages, notamment des jeunes et des catégories populaires.
Rappel au règlement
Mme Laurence Rossignol. - Sur le fondement de l'article 36. Nous sommes contre ce projet et allons vous expliquer pourquoi pendant plusieurs heures. J'invite donc chacun, notamment vous, madame la ministre, à éviter les attaques personnelles,...
Mme Rachida Dati, ministre. - C'est réciproque !
Mme Laurence Rossignol. - ... comme celle que vous venez de faire à l'encontre de Mme de La Gontrie, qui vous avait dit « Bienvenue », ce qui n'est pas discourtois. Vous avez commis un délit de patronyme à l'encontre d'une élue du 13e arrondissement de Paris, un arrondissement populaire. (M. Max Brisson s'exclame.)
Mme Rachida Dati, ministre. - Je l'ai rarement vue sur le terrain !
Mme Laurence Rossignol. - Elle a toutes les raisons d'être fière de son patronyme, celui d'un sénateur, président de groupe et résistant !
Mme Rachida Dati, ministre. - Mon père était ouvrier !
Discussion des articles (Suite)
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°234 est mis aux voix par scrutin public.
Mme Colombe Brossel. - Déjà ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le quorum ! Le quorum !
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°357 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 242 |
L'amendement n°234 n'est pas adopté.
Article 1er
M. Max Brisson . - Il est bientôt 19 heures et nous n'avons examiné qu'un amendement sur 332. J'ai hésité à maintenir ma prise de parole, mais je vais assurer la diversité à moi tout seul. (Exclamations ironiques sur quelques travées du groupe SER)
M. Guy Benarroche. - Max Brisson est un contre-pouvoir !
M. Max Brisson. - Le groupe Les Républicains est attaché à l'audiovisuel public. Nous voulons non pas le détruire, mais le rénover. Les synergies ne se font pas, chacun défendant son pré carré. Quid de son coût et de certaines pratiques peu déontologiques ?
Il doit être non pas un contre-pouvoir, mais l'expression de la diversité française. Or, sur certaines chaînes, cette diversité a disparu ! (M. Claude Kern s'impatiente, l'orateur ayant épuisé son temps de parole.) Ce n'est quand même pas un crime de lèse-majesté de le dire !
Vous voulez mettre l'audiovisuel public sous cloche ; nous voulons qu'il s'adapte aux attentes de la nation. La holding est une première étape en vue de sa nécessaire réorganisation. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Corinne Féret . - L'audiovisuel public a 85 ans et sa place a toujours dû être âprement défendue. Les antennes de France Bleu et France 3 assurent un maillage territorial précieux. Alors que les fausses informations prolifèrent, le journalisme de terrain permet de partager, ensemble, une même réalité.
Avec cette réforme, il y aura moins de moyens, donc moins de présence sur le terrain, moins de temps d'antenne pour les artistes et ceux qui font vivre nos communautés. Ce sont les élus du Calvados qui le disent, qu'ils soient de Cuverville, de Dussy-Sainte-Marguerite, de Fourneville, de Louvigny, d'Épron, de Bernières-sur-Mer, de Giberville, d'Authie... (Mouvements d'exaspération sur les travées du groupe Les Républicains) Je respecte ces maires, que je représente ! (Applaudissements et bravos à gauche). Je n'ai pas fini : d'Hérouville-Saint-Clair, du Moulay-Littry, de Falaise... Non, madame la ministre, tous ces élus ne sont pas de gauche.
Mme Rachida Dati, ministre. - Je n'ai pas dit cela.
Mme Corinne Féret. - Mais ils s'inquiètent tous pour l'avenir de l'audiovisuel public.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Corinne Féret. - Ah non, tout à l'heure, on a laissé parler. (La voix de l'oratrice, qui poursuit son intervention, est couverte par celle du président, qui tente en vain de l'interrompre.) Voilà, j'ai terminé. (Applaudissements et rires sur les travées du groupe SER)
M. le président. - Oui, M. Brisson avait dépassé de trente secondes, mais vous avez dépassé d'une minute. Je vais revenir à un strict respect du temps de parole.
M. Roger Karoutchi. - Des sanctions ! Vous vous croyez à l'Assemblée nationale ?
M. Yan Chantrel . - Nos débats en disent long sur la philosophie du texte.
D'aucuns ont dit que l'Assemblée nationale avait renvoyé la balle au Sénat. Non, elle a rejeté le texte ! Mais le Gouvernement passe en force : ce n'est pas démocratique.
Ce que vous ne dites pas, madame la ministre, M. Brisson l'a dit pour vous, à plusieurs reprises : ce texte fait le procès du service public !
M. Max Brisson. - Invention ! Je n'ai jamais dit cela.
M. Yan Chantrel. - Vous l'avez dit en commission. Vous êtes le porte-parole de Mme Dati ! Au moins, vous le dites clairement.
M. Roger Karoutchi. - Ce sont des méthodes trotskistes de mensonges ! Vous mettez le bazar !
M. Yan Chantrel. - Avec cette holding, l'audiovisuel public va devenir un audiovisuel public d'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Max Brisson. - Baratin !
M. le président. - Je rappelle que les interpellations personnelles sont interdites par l'article 36 de notre règlement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et la ministre ?
Mme Colombe Brossel . - On parle de holding, mais la question du pluralisme revient toujours par la fenêtre. En quoi ces questions sont-elles liées ? Une holding n'améliorera pas le pluralisme et n'incitera pas plus de jeunes à écouter la radio.
Face à la désinformation, un sursaut s'impose en Europe, notamment pour garantir le pluralisme des médias. En Hongrie, à la suite d'une réforme de l'audiovisuel public, le gouvernement Orban a permis l'élection d'un président de son obédience. Nous ne sommes pas à l'abri de dérives illibérales.
M. Roger Karoutchi. - On est à l'abri de rien ! Parlons de votre alliance avec LFI !
Mme Colombe Brossel. - Nous devons rejeter le populisme et l'illibéralisme : c'est pour cela que nous combattons cette réforme. Car vous introduisez le ver dans le fruit ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST ; M. Roger Karoutchi proteste.)
M. Christian Redon-Sarrazy . - Le pluralisme des médias est un élément essentiel de la démocratie et des droits fondamentaux des citoyens européens.
M. Max Brisson. - La holding !
M. Christian Redon-Sarrazy. - Depuis le 8 février 2025, en vertu du règlement européen sur la liberté des médias, les autorités nationales ne peuvent plus interférer dans les décisions éditoriales et le financement des médias doit être transparent, durable et prévisible. La France doit appliquer ces engagements, auxquels elle a souscrit.
La protection des médias est aussi au coeur du plan d'action européen pour la démocratie, présenté par la Commission européenne en 2020. Dans une démocratie saine et prospère, les citoyens européens doivent avoir accès à des médias libres, surtout lors des élections.
M. Max Brisson. - Hors sujet !
M. Christian Redon-Sarrazy. - La protection des démocraties européennes contre la désinformation et l'ingérence étrangère a été l'une des priorités de l'Union ces dernières années. (M. Claude Kern s'impatiente.) Un service public de qualité fort est une garantie contre les manipulations de l'information. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)
M. Max Brisson. - Quel rapport avec la holding ?
Mme Sylvie Robert . - L'article 1er crée la super holding et le super PDG. Ce faisant, vous prenez le risque d'affaiblir l'audiovisuel public, sous couvert d'une uniformisation aux contours très flous. Car la radio n'est pas la télévision : chaque station a une identité propre - et c'est heureux. Ces médias ont des lignes éditoriales distinctes et s'adressent à des publics différents ; préservons cette diversité. Comment cette super holding maintiendra-t-elle la diversité ?
M. Laurent Lafon, président de la commission. - C'est dans le texte !
Mme Sylvie Robert. - Laurence Bloch essaie de prévenir les dérives potentielles de la « toute-puissance » de ce PDG, doté de larges prérogatives, tout en soulignant que son pouvoir de conviction est crucial. N'est-ce pas contradictoire ?
Votre vision est simpliste, mais la réalité est complexe. La mère des batailles, c'est surtout la production de contenus. Pour cela, il faudra un budget : nous verrons si vous êtes à la hauteur. (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
Mme Karine Daniel . - La holding, sur le papier : cohérence, mutualisation et complémentarité. Dans les faits : centralisation et verticalité, ce qui est problématique pour l'indépendance et le pluralisme.
Le PDG de France Médias concentrera tous les pouvoirs exécutifs. Mais quelle place pour les rédactions ? Avec quels contre-pouvoirs ? Et quelles garanties face aux pressions politiques ?
Cette réforme risque de lisser les lignes éditoriales, rompant avec la diversité qui fonde le service public. Pour Kofi Annan, une presse libre est l'un des piliers de toute société démocratique ; il en va de même pour l'audiovisuel. Le pluralisme ne se résume pas à la coexistence de plusieurs médias, il implique une diversité de contenus, selon le Conseil de l'Europe.
Nous ne nous opposons pas par principe à une meilleure coordination, mais pas au prix d'une gouvernance technocratique et opaque. D'où nos amendements pour encadrer la gouvernance et renforcer les garanties d'indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol . - Quel lien entre les aspirations des collègues qui soutiennent ce texte et la holding ?
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Vous n'y connaissez rien.
Mme Laurence Rossignol. - On nous dit qu'il fallait être concurrentiels face à des regroupements comme celui de TF1 avec Netflix. Mais cela n'a rien à voir !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Si !
Mme Laurence Rossignol. - Est-ce à dire que vous voulez ensuite une fusion avec des plateformes américaines ?
Je fréquente la plateforme de France TV - j'y trouve des films, des séries, des magazines d'investigation, des documentaires, et les podcasts de Radio France : la diversité est là !
En quoi la réforme favorisera-t-elle la neutralité et l'impartialité ? La neutralité est dans la diversité. Or vous proposez la concentration, avec un seul chef. Remarquez, c'est pratique pour un ministre, il n'y a plus qu'un coup de téléphone à passer, au lieu de quatre !
M. Max Brisson. - C'est de l'invention ! Il faut lire le texte !
M. Thierry Cozic . - Madame la ministre, certains de vos collègues considèrent que l'État de droit n'est ni intangible ni sacré. Pourtant, c'est l'un des principes fondamentaux de l'Union européenne, aux termes de l'article 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Et l'article 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux rappelle l'importance de la liberté et du pluralisme des médias.
Longtemps, la notion d'État de droit a visé le fonctionnement de la justice. Mais l'article 7 du TFUE en a élargi la définition pour y inclure le pluralisme des médias, considéré par la Commission européenne comme un des vecteurs de la primauté du droit, de la responsabilité démocratique et de la lutte contre la corruption.
M. Max Brisson. - Quel rapport ?
M. Roger Karoutchi. - Application du règlement !
M. Thierry Cozic. - Dans ses trois derniers rapports sur l'État de droit, la Commission européenne épingle la France, s'inquiétant de l'impact de la concentration des médias sur l'uniformisation de l'information. Le projet de réforme ignore ces recommandations.
M. Max Brisson. - Quelle imagination !
M. Thierry Cozic. - C'est peu reluisant, puisque les mêmes reproches sont adressés à la Pologne et la Hongrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
M. David Ros . - Je ne remets pas en cause les constats établis au Sénat ni la volonté de tous de disposer d'un audiovisuel public indépendant et fort.
Mais je voudrais évoquer deux coutumes. Première coutume : le président Lafon fait fonctionner notre commission de la culture dans le respect du pluralisme et de la diversité. Hélas, cela n'a pas été le cas ici, en raison de la procédure accélérée. Deuxième coutume : le port de la cravate. J'adore porter la cravate, signe de diversité et de pluralisme. (Rires)
Des questions se posent, sur la nomination du PDG, la ligne éditoriale, l'absence d'étude d'impact, le budget de la future holding - je récuse ce terme d'ailleurs. (M. Laurent Lafon renchérit.)
En physique, la fusion produit de l'énergie, mais une seule forme d'énergie, pas une forme diverse.
Notre collègue a évoqué Mary Poppins et décrit la ministre comme une wonder woman dans un spectacle de David Copperfield.
M. Max Brisson. - Pas d'attaque personnelle !
M. David Ros. - Attention à ce que l'article 1er ne finisse pas en grande illusion, voire en arnaque. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Yannick Jadot . - J'ai un vrai problème de partialité : ce matin, à 8 h 20, sur France Inter, Anne-Catherine Loisier s'exprimait sur les feux de forêt !
Mme Annick Billon. - Elle n'était pas seule !
M. Yannick Jadot. - Certes, mais il n'y avait pas d'élus écologistes ! N'est-ce pas un immense problème ? Eh bien non : elle est compétente.
La radio et la télévision doivent toucher toute la société. Mais commencer une réforme pour les classes populaires en créant une holding qui fait plus penser à la finance qu'au service public, c'est un mauvais début !
Confondre contre-pouvoir et opposition, c'est avoir une drôle de vision de l'État de droit ! Les contre-pouvoirs ne sont pas soumis au pouvoir ; ce ne sont pas forcément des oppositions !
Imaginons le pire en 2027 : Marine Le Pen ou Jordan Bardella accèdent à la présidence de la République...
M. Roger Karoutchi. - Mélenchon, pareil ! J'en ai plus peur !
M. Yannick Jadot. - Ils appelleront directement le patron de votre holding, qui mettra au pas l'ensemble de la rédaction : ils auront le groupe Bolloré et l'audiovisuel public. Nous nous y opposons ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Émilienne Poumirol . - En quoi la création d'une holding incitera-t-elle la jeunesse à délaisser TikTok et à se précipiter vers Radio France ?
M. Max Brisson. - Caricature !
Mme Émilienne Poumirol. - Cette nouvelle structure est une ineptie budgétaire : selon la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), le coût de la holding serait nul. Mais le rapport de Laurence Bloch évoque un coût de 30 millions d'euros, au titre de l'harmonisation sociale. Ce sont des calculs au doigt mouillé...
Les évaluations des organisations syndicales me semblent plus pertinentes, avec un coût de la réforme d'au moins 150 millions d'euros : 50 pour le fonctionnement, 30 pour l'informatique, 70 pour le rattrapage salarial. Sans oublier le bilan d'Emmanuel Macron : l'audiovisuel public a perdu 776 millions d'euros depuis 2017 et le budget a été encore amputé cette année de 80 millions d'euros ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Monique de Marco . - Monsieur le rapporteur, en décembre, nous avons voté en urgence le versement d'une fraction de TVA à l'audiovisuel public. Mais c'est encore plus injuste que la contribution pour l'audiovisuel public puisque tout le monde contribue.
Madame la ministre, lors de nos débats de juin 2023, votre prédécesseure, Rima Abdul-Malak, déclarait : « je suis favorable aux amendements de suppression, puisque je suis défavorable à la création d'une holding. Oui à une nouvelle ambition de l'audiovisuel public pour les cinq prochaines années. Oui à plus de souplesse, de concertation, d'avancées pragmatiques et ambitieuses. Mais non à la bureaucratie. » Comment justifier ces revirements gouvernementaux, cet empressement soudain ?
La ministre attaque les émissions de France Culture, M. Brisson en attaque d'autres. (MM. Roger Karoutchi, Max Brisson et Claude Kern s'impatientent.) Ce texte vise à bâillonner l'audiovisuel public. Le PDG ne sera pas un chef d'orchestre, mais un gendarme.
Mme Annick Billon . - Attaché à l'audiovisuel public et au pluralisme, le groupe UC souhaite débattre enfin de ce texte.
Il est 19 h 23. Nous avons subi trois heures d'obstruction (M. Roger Karoutchi renchérit ; protestations à gauche) et avons été patients. Après plus de quinze prises de parole sur l'article 1er, nous faisons du surplace. Or nous souhaitons avancer !
Ce texte a été longuement travaillé, notamment par le président Lafon. Il a été voté pour la première fois en 2023 : nulle précipitation ! Oui, l'audiovisuel public doit être réformé. Ne pas le faire, c'est lui assurer une petite mort. (M. Yannick Jadot s'exclame.)
Monsieur Jadot, Anne-Catherine Loisier était sur France Inter pour évoquer un sujet qu'elle connaît bien. Certes, il n'y avait pas d'écologistes, mais aucun parti n'a le monopole de l'écologie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Simon Uzenat . - On peut parler de réforme sans partager les mêmes ambitions...
Le chemin que certains d'entre vous veulent emprunter depuis 2009 est clair : fusion, centralisation, réduction des moyens, avec des conséquences visibles partout, et notamment dans les antennes bretonnes de France 3.
Qu'en sera-t-il demain avec cette holding ? Les effectifs ont été réduits, les moyens et la couverture territoriale aussi. Les programmes en breton ont presque disparu.
Nous sommes la chambre des territoires, nous devons défendre ces cultures régionales. Le privé le fera-t-il ? Non, car cela n'est pas rentable. C'est pourtant l'une des missions de l'audiovisuel public. Les dirigeants de la future organisation n'auront que faire de ces réalités territoriales, que nous devons défendre. (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - On nous vend cette holding comme une simple organisation. Mais c'est un procès à charge contre l'audiovisuel public !
Mme Annick Billon et M. Claude Kern. - C'est faux !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - On nous explique qu'il faut moderniser, rationaliser, mutualiser. Mais derrière, l'objectif est de mettre au pas, de resserrer les boulons, de faire taire ceux qui dérangent.
Ce projet ne part pas de l'amour du service public, mais d'une suspicion : les journalistes coûteraient trop cher, les rédactions seraient trop libres, il faudrait y mettre de l'ordre.
D'où cette holding, où un président tout-puissant aura le dernier mot, où la logique de l'entreprise primera celle de l'indépendance. C'est une véritable mise sous tutelle autoritaire de journalistes qui veulent faire leur travail et d'antennes qui résistent encore aux injonctions des puissants.
Le service public, ce n'est pas une variable d'ajustement, c'est une voix indépendante, critique et ancrée dans les territoires, que ce texte cherche à étouffer. Nous nous opposons frontalement à ce texte.
Sachez aussi que France Télévisions joue la carte de la proximité dans toutes les outre-mer. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Rémi Cardon . - Ce projet fait l'unanimité contre lui. (On le conteste à droite et au centre ; M. Claude Kern proteste.) Pas moins de cinq anciens ministres de la culture s'y opposent : autant de voix d'expérience, de tous bords. Parmi eux, Roselyne Bachelot, Renaud Donnedieu de Vabres et Jacques Toubon, que vous connaissez bien.
Les syndicats tirent la sonnette d'alarme. La pétition qui circule a déjà été signée par plus de 100 000 citoyens. Plus de 2 000 élus locaux ont exprimé leur refus.
Ce n'est ni un débat de postures ni une discussion technique, mais un débat démocratique majeur. Votre projet menace d'affaiblir la diversité culturelle, l'indépendance des médias et les liens entre les citoyens et le service public. Nous le combattrons le temps qu'il faudra.
M. Roger Karoutchi. - Comme vous voudrez ! Je ne pars pas en vacances.
Mme Mélanie Vogel . - Madame Billon, je me réjouis que vous soyez d'accord avec Yannick Jadot : il est bon qu'Anne-Catherine Loisier ait pu être invitée sur France Inter pour parler d'écologie.
Ce texte a un parcours catastrophique : dénoncé par d'anciens ministres de la culture de tous bords, reporté trois fois puis rejeté à l'Assemblée nationale, représenté au Sénat dans des délais intenables.
Viktor Orban, peu de temps après son arrivée au pouvoir, a concentré l'audiovisuel public dans une holding, ...
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Justement, non !
Mme Mélanie Vogel. - ... avant d'y agréger les médias privés. Il est ainsi parvenu à contrôler presque tous les médias, mais cela lui a pris dix ans. Vous, avant même qu'un autoritaire n'arrive au pouvoir, faites les réformes qu'il lui faudrait des années pour réaliser ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Annie Le Houerou . - La DGMIC soutient que cette réforme aura un coût nul. Mais, avant 2009, la holding qui chapeautait France 2 et France 3 comptait plus de 200 salariés pour 290 millions d'euros ; la fusion aboutissant à France Télévisions a d'abord entraîné un surcoût, puis des économies drastiques ont été réalisées, au détriment du journalisme de terrain et de la fabrication des programmes. Depuis lors, les effectifs ont été comprimés de 15 %, et la baisse se poursuit. Quel est donc le sens de votre réforme sinon de faire des économies, au risque de fragiliser irrémédiablement l'audiovisuel public, notamment en région ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - J'entends depuis le début du débat que ce texte serait attentatoire aux libertés publiques.
Pourtant, chers collègues de gauche, quand je signais avec vous le recours devant le Conseil constitutionnel pour dénoncer la suppression de la redevance audiovisuelle, vous ne me qualifiiez pas d'opposant à l'audiovisuel public.
M. Roger Karoutchi. - Il n'y a aucune reconnaissance...
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Vous ne l'avez pas fait davantage lorsque, avec David Assouline, j'ai publié un rapport sur la concentration des médias.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez donc changé !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - J'ai toute légitimité pour affirmer que mon texte défend l'audiovisuel public.
Ce texte ne serait pas la proposition de loi Lafon ? L'article 1er, le plus important puisqu'il définit les missions de la holding, est au mot près identique à celui de ma proposition initiale !
Les lignes éditoriales des chaînes seraient menacées ? Le Conseil d'État le dit pourtant clairement : la société France Médias n'a pas à se substituer aux sociétés éditrices, qui conserveront leur responsabilité éditoriale et le choix de leurs programmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. le président. - Amendement n°8 de M. Bacchi et du groupe CRCE-K.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le président Lafon, pour cette précision. Car je dois dire qu'en entendant le panégyrique composé par Jean-Raymond Hugonet pour la ministre, j'ai eu l'impression que la proposition de loi Lafon était devenue un projet de loi Dati... De quel côté est la droite sénatoriale : celui du rapporteur et du président de la commission ou celui de la ministre ? Pour l'instant, c'est incertain.
M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas à la hauteur.
M. Pierre Ouzoulias. - L'audiovisuel public a fait des efforts prodigieux en matière de numérique, au point d'être un modèle pour le secteur privé. Sur les plateformes, c'est lui qui est moteur. Arte va sans doute constituer la plateforme la plus importante pour les contenus européens ! (Mme Rachida Dati le confirme.)
Or cette réussite, l'audiovisuel public l'a atteinte sans hausse de moyens. Mme Ernotte a indiqué que France Télévisions avait aujourd'hui les mêmes moyens qu'en 2012. Je regrette que le cadrage budgétaire ne soit pas du tout abordé dans ce texte.
M. le président. - Amendement identique n°61 de Mme Robert et du groupe SER.
Mme Sylvie Robert. - Non, monsieur Lafon, l'inspiration de ce texte n'est plus celle d'il y a deux ans. Nos débats mêmes montrent que ce n'est plus du tout le même texte. Aujourd'hui, on nous parle d'une holding exécutive : ce n'est pas ce que nous avons voté il y a deux ans !
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Mais si !
Mme Sylvie Robert. - Son PDG présidera les conseils d'administration de toutes les sociétés et c'est elle qui sera affectataire des recettes. C'est grave ! Nous n'avons pas voté cela, il y a deux ans.
M. Max Brisson. - Nous, si ! Vous avez voté contre le texte.
Mme Sylvie Robert. - Les sociétés se verront imposer leurs orientations stratégiques : il s'agit bien d'une concentration des pouvoirs, ou alors démontrez-moi le contraire ! Quant au mode de financement des sociétés, il ne sera plus du tout transparent.
Je soutiendrai évidemment le retrait de France Médias Monde, un petit poucet au fonctionnement tout à fait singulier, qui disparaîtrait complètement au sein de cette structure.
M. le président. - Amendement identique n°220 de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - L'indépendance de l'audiovisuel public repose sur deux piliers : l'indépendance politique, à travers une gouvernance plurielle, et l'indépendance financière, à travers un financement autonome. La suppression de la redevance a porté un rude coup à la seconde. Ce projet de regroupement portera une atteinte considérable à la première.
La concentration proposée au sein d'une seule entité est contraire à l'objectif constitutionnel de protection du pluralisme. Et, soyons réalistes, elle a pour objectif principal de faire des économies, comme le suggérait clairement le rapport Gattolin-Leleux.
Nous proposons, au lieu de la holding, un renforcement des instances de coordination et de coopération.
M. Max Brisson. - Ça ne marche pas !
Mme Monique de Marco. - Démontrez-le !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Imaginez que France Télévisions et Radio France, par exemple, aient deux points de vue différents. S'il n'y a pas de processus conduisant à une décision, comment fait-on ? On reste sur un désaccord et rien n'avance.
Mme Sylvie Robert. - Il y a deux points de vue !
Mme Mélanie Vogel. - Et c'est très bien ainsi !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Vous défendez le statu quo, mais tous les rapports montrent que les coopérations par le bas, volontaires, ne fonctionnent pas. La holding permettra de prendre des décisions et d'avoir une stratégie claire, élaborée dans la discussion - comme lorsque les élus locaux décident après avoir consulté.
Notre rôle de parlementaire n'est pas de trancher à la place des dirigeants, mais de fixer un cadre qui permette d'avancer. C'est le sens de l'article 1er. Avis défavorable aux amendements.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
Mme Colombe Brossel. - Qui défend quoi ? Le rapporteur a défendu avec conviction un texte qui n'est plus la proposition de loi Lafon. (M. Claude Kern s'exclame.)
M. Laurent Lafon, président de la commission. - L'article 1er est exactement le même !
Mme Colombe Brossel. - Il établit une analogie avec les exécutifs locaux, mais les maires ne décident pas seuls : le conseil municipal, où siègent les oppositions, vote. Il s'agit, en l'occurrence, de concentrer toutes les décisions entre les mains d'une seule personne : c'est antinomique avec la démocratie.
L'audiovisuel public, c'est le service public : il appartient à l'ensemble des Français et doit servir l'ensemble des Français. La concentration des pouvoirs que vous proposez le fragilisera : nous y sommes totalement opposés.
M. Yan Chantrel. - Cet article est le coeur du réacteur de la bombe à retardement que constitue ce texte. Le rapporteur l'a dit clairement : vous refusez la diversité des points de vue et voulez uniformiser l'information.
À Radio France, on fait de la production intégrée, avec une qualité reconnue par tous - il n'y a qu'à voir le succès de ses podcasts. À France Télévisions, la production est externalisée : c'est un modèle différent. L'INA a pour coeur de métier la gestion de patrimoine et la formation, c'est encore autre chose. France Médias Monde vise un public complètement différent, avec d'autres objectifs.
Ces quatre entreprises font quatre métiers différents. Ne pas le comprendre, c'est une forme de mépris. Les regrouper n'a aucun sens et conduirait à les affaiblir toutes.
Mme Mélanie Vogel. - L'aveu du rapporteur est éloquent. Nous ne voyons pas d'inconvénients à ce que Radio France et France Télévisions aient des avis différents sans que l'un prévale. Vous voulez, vous, affaiblir le pluralisme.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Ce n'est pas le sujet !
Mme Mélanie Vogel. - La diversité organisationnelle permet le pluralisme. Avec la holding, l'uniformisation progressera. Le modèle actuel est salué par tous : nous ne voyons aucun intérêt à le détruire !
Mme Rachida Dati, ministre. - Salué par qui ?
Mme Karine Daniel. - Une holding est une compagnie financière ou une société de portefeuille. Paraîtrait-on plus efficace du simple fait qu'on utilise un terme anglo-saxon ?
Ce texte ne comporte aucun élément sur les enjeux financiers. Or nous connaissons le contexte budgétaire : un âpre débat s'annonce sur le budget du pays. Nous ne pouvons pas nous déterminer de manière aussi précipitée, sans disposer du moindre éclairage sur les relations financières entre la société mère et ses composantes.
M. Pierre Ouzoulias. - Alors que l'article 1er est la mesure centrale de la proposition de loi, établissant la société tête - j'aime bien cette expression, qui me fait penser au fromage de tête ! -, Mme la ministre n'a prononcé que deux mots : « même avis ». Défend-elle encore ce texte ? Sinon, pourquoi l'avoir inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Je voulais être avec vous !
M. Pierre Ouzoulias. - Elle a parlé de « la proposition de loi dite Lafon » : d'où vient la distance que nous percevons ? Pourquoi la ministre ne s'exprime-t-elle pas ?
M. Yan Chantrel. - Parce qu'elle n'a aucun argument !
M. Pierre Ouzoulias. - En effet, la mutualisation par le bas ne fonctionne pas. Elle est d'ailleurs allée trop loin ! (M. Jean-Raymond Hugonet s'en amuse.) La diversité s'amenuise : il m'est insupportable d'entendre le même reportage sur France Info et sur France Culture.
Mme Rachida Dati, ministre. - Cela concerne une toute petite partie du public...
M. Pierre Ouzoulias. - Il faut réaffirmer les spécificités des stations, pour qu'on entende les différences.
M. Guillaume Gontard. - Ce qu'a dit le rapporteur est à l'inverse de notre vision du service public, fondée sur le pluralisme. L'uniformisation, hélas, est déjà en marche. Vous voulez la pousser plus loin, pour avoir la même information partout.
Mme la ministre n'a pas beaucoup parlé, mais le peu qu'elle a dit m'a inquiété. (Mme Rachida Dati s'exclame.) Le service public n'aurait invité aucun soutien de sa réforme ? Il est vrai qu'elle-même a choisi le JDD pour s'exprimer. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.) Pourtant, j'ai bien le sentiment que le service public a traité de cette réforme.
Quel est donc le sens de cette critique ? Est-ce de dire qu'une seule personne décidera de qui sera invité ou non ? On voit bien là le danger de la holding proposée.
M. Max Brisson. - Il y a deux ans, la gauche, certes, s'opposait à la mise en place de cet outil de synergie. Mais le président Lafon n'avait pas été traité de liberticide, et Trump et Orban n'avaient pas été conviés dans le débat. Que s'est-il passé depuis ? Chercheriez-vous à importer ici les mauvaises habitudes de l'Assemblée nationale ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ne nous tentez pas...
Mme Sylvie Robert. - À l'Assemblée nationale, il n'y a pas eu du tout de débat...
M. Max Brisson. - Nous nous opposons, mais essayons de débattre sereinement. Cessez de dire que la réforme proposée serait caporalisante ou liberticide ! Nous voulons que les sociétés travaillent davantage ensemble, vous non. Tels sont les termes du débat : tout le reste relève soit d'une imagination débordante, soit d'une volonté d'obstruction ! (M. Laurent Lafon renchérit.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Que la ministre s'explique !
Mme Rachida Dati, ministre. - S'agit-il d'un ordre ?
M. Guy Benarroche. - Nous ne voulons pas d'un audiovisuel bâillonné, uniformisé, verticalisé, y compris parce qu'il pourrait être aux mains de M. Mélenchon ! En réalité, n'importe quel pouvoir pourrait, avec votre texte, bâillonner l'audiovisuel public. Les médias publics n'ont pas besoin, monsieur le rapporteur, d'un chef qui guide ses troupes.
Voyez la presse quotidienne régionale : les lignes éditoriales ne sont pas les mêmes. Dans La Provence, quand les dirigeants ont voulu démettre le directeur de publication qui avait donné la parole au procureur général et au président du tribunal de Marseille à propos de la loi Narcotrafic, il en a été empêché.
Nous ne voulons pas d'un audiovisuel bâillonné par l'État, quel que soit le pouvoir au sommet de l'État !
M. Yannick Jadot. - Il est regrettable que nous n'ayons aucune évaluation du rapprochement entre France Bleu et France 3.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Si, nous en avons une.
M. Roger Karoutchi. - Hélas !
M. Yannick Jadot. - La suppression du « 19/20 » a été un traumatisme : ce fut le premier coup porté à une information en lien avec toutes et tous, quelles que soient les origines sociales et géographiques.
France Inter se porte très bien, Radio France écrase la concurrence. En revanche, l'audience d'Ici plonge ! Tout le monde se plaint de la perte d'identité et de qualité de l'information locale.
Il aurait été utile, dans le cadre de ce débat, de disposer d'une évaluation de ce rapprochement pour l'instant raté et qui va à l'encontre de l'affiliation démocratique sur les territoires. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Pierre-Antoine Levi. - Il y a deux ans, nous avions un débat de bonne facture et apaisé, malgré la présence d'un orateur redoutable, David Assouline ; une centaine d'amendements avaient été déposés. Aujourd'hui, voilà déjà cinq heures et demie que nous discutons et il restera 329 amendements à examiner à la suspension... Pourtant, les deux premiers articles sont, au mot près, identiques ! Compte tenu de l'obstruction organisée à l'Assemblée nationale, ce texte a été renvoyé au Sénat pour qu'il puisse être examiné sereinement. Débattons dans cet esprit, car nous respectons tous l'audiovisuel public. L'obstruction, de toute manière, est vaine : nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Christian Redon-Sarrazy. - Nous avons besoin d'éclaircissements sur le volet financier. Comment France Médias répartira-t-elle les moyens entre les sociétés qui seront sous sa coupe ? En la matière, la centralisation n'est jamais de bon augure. J'ai dirigé une structure universitaire : lorsque les budgets ont cessé d'être fléchés, j'ai constaté une baisse de nos moyens.
Mme Sylvie Robert. - C'est toujours ainsi !
Mme Rachida Dati, ministre. - La holding ne changera rien.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Nombre d'élus, de tous bords, s'inquiètent pour les moyens du service public et des missions de proximité.
M. David Ros. - Nous débattons depuis quatre heures et demie, monsieur Levi - il y a eu une suspension d'une heure. Et c'est du débat que jaillit la lumière !
Si l'article est le même qu'il y a deux ans, c'est son usage qu'il faut interroger, les intentions qui sont derrière lui, voire les arrière-pensées. (M. Laurent Lafon s'exclame.)
Réfléchissons aux conséquences de la holding en termes d'emploi et d'information dans nos territoires. Déjà la presse privée réduit énormément les effectifs et l'information locale.
Hélas, les délais qui nous ont été imposés n'ont pas permis un travail serein pour tenter d'améliorer ce texte. Nous sommes contraints à un débat à marche forcée, parce que le Rassemblement National, qui soutient le texte, a fait adopter la motion de rejet à l'Assemblée nationale. Voilà, monsieur Levi, ce qui ne permet pas un débat serein.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Aujourd'hui, les rédactions sont-elles indépendantes des pressions du pouvoir politique ? Je le crois, en effet. Eh bien, il s'agit de sociétés détenues à 100 % par l'État, financées quasi exclusivement par la ressource publique et dont le président est nommé par l'Arcom. Or que proposons-nous de créer ? Une société détenue à 100 % par l'État, financée quasi exclusivement par de l'argent public et dont le président sera nommé par l'Arcom. En quoi la relation entre le pouvoir exécutif et les sociétés éditoriales en serait-elle modifiée ? (Assentiment à droite et au centre ; M. Claude Kern renchérit.)
J'ai déjà cité l'avis du Conseil d'État : la holding - je m'excuse de ne pas employer un terme plus français - n'aura pas de pouvoir éditorial. C'est toute la différence avec un schéma de fusion. Seules Radio France et France Télévisions auront la capacité de concevoir et de programmer des émissions. Il s'agit simplement de favoriser des synergies.
Les craintes exprimées n'ont donc aucun fondement dans l'article 1er dans sa rédaction actuelle, qui est la même qu'il y a deux ans. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos8, 61 et 220 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°358 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l'adoption | 103 |
Contre | 225 |
Les amendements identiques nos8, 61 et 220 ne sont pas adoptés.
La séance, suspendue à 20 h 15, reprend à 21 h 45.