Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Taxe foncière
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP) Sommes-nous riches quand on a accès à l'eau courante, au chauffage, à un lavabo ou à une baignoire ? C'est ce que suggère le nouveau mode de calcul de la taxe foncière, qui instaure des mètres carrés fictifs... un chef-d'oeuvre de cynisme !
L'eau courante, 4 m2 supplémentaires, la lumière, 2 m2, le chauffage, 2 m2, les toilettes, 3 m2, le lavabo, 3 m2, et, comble du luxe, la baignoire, 5 m2. (« Oh ! » répétés sur les travées du groupe Les Républicains, ponctuant l'énumération de l'orateur.) Quand on a un studio de 15 m2, on se fera imposer sur 34 m2.
Ces équipements ne sont pas du confort, mais de la décence ! Donnerez-vous une suite favorable à ce nouveau mode de calcul ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP ; Mmes Cécile Cukierman et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - Au nom du Gouvernement, je salue la mémoire des deux parlementaires dont vous avez rappelé les éminents mérites.
Il faut changer de méthode à court et à long terme. Les approches nationales sont mort-nées, il faut une approche départementale ou infradépartementale, voire commune par commune. (Mme Sophie Primas acquiesce.) Le sujet n'a rien à voir d'un département à l'autre.
Toutefois, une approche infradépartementale prend du temps. Face aux extrêmes démagogues qui veulent taper sur les élus (protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains), n'allons pas mettre de l'huile sur le feu. Le calendrier s'étalera jusqu'à mai ou juin.
Les bases locatives de 1959 ont montré leurs limites - vous l'avez montré dans un rapport de 2023. Cela fait dix ans qu'on le dit, et dix ans que l'on ne réforme pas.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Plus de dix ans !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Le sujet est très technique et très politique.
Si le Président du Sénat en est d'accord, amorçons un travail dans la durée, avec le sens de l'intérêt général, en protégeant les élus locaux et leur pouvoir de taux, à la hausse comme à la baisse.
Les règles administratives ne sont pas là pour gêner, mais le système fiscal a simplement mal vieilli. (Mme Sophie Primas acquiesce.) Cela pose la question du consentement à l'impôt.
Départementalisation, changement de méthode, nouveau calendrier... essayons de tracer un chemin nouveau pour une révision des bases locatives. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud. - À la veille du PLF, notre message est clair : plus d'économies, moins de taxes injustes. Et puisque je me trouve face à la statue de Colbert, je refuse que votre méthode soit celle qu'il décrit en ces termes : « L'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Marc-Philippe Daubresse. - Nous en sommes tout déconfits !
Lutte contre les violences faites aux femmes (I)
Mme Samantha Cazebonne . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) À l'heure où nous déplorons la mort d'une femme, hier, dans la région de Nantes, je rends hommage aux 153 victimes de féminicides depuis le début de l'année.
En 2025, une femme sur trois dans le monde indique avoir subi au cours de sa vie des violences physiques ou sexuelles.
Cependant, au cours des deux derniers quinquennats, les avancées sont notables. Le budget du ministère est passé de 30 millions à près de 90 millions d'euros. Le Parlement n'est pas en reste : la proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et pénalisant le non-consentement a été définitivement adoptée il y a quelques semaines.
Mais qu'en est-il à l'étranger ? Postes consulaires et associations en témoignent : le problème se pose. Des initiatives sont à saluer - convention avec la plateforme Save you, permanence juridique dans la communauté expatriée de Singapour -, mais elles restent trop peu déployées à travers le monde.
Le groupe de suivi transpartisan sur la loi-cadre s'est mis d'accord sur 53 propositions : pourrions-nous y intégrer les Français de l'étranger ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Vous avez raison. À travers le monde, dans tous les conflits et au-delà, les femmes sont les premières victimes des mouvements réactionnaires, néoconservateurs, religieux et intégristes. Nous avons cru que la marche de l'histoire allait vers toujours plus de droits humains. Ce n'est pas le cas, et la France mène ce combat avec une approche universaliste très claire.
Le même jour, la semaine dernière, quatre femmes de milieux et de régions différentes ont été assassinées. C'est un fait de société qui doit tous nous mobiliser.
Je remercie les membres du groupe de travail transpartisan.
Toutes les femmes françaises doivent être protégées. D'où la signature d'un accord avec The Sorority Foundation, la plateforme Save you, la nomination de 200 postes consulaires pour accueillir cette parole, des aides d'urgence et la modification du site internet arretonslesviolences.gouv.fr.
La situation de ces femmes est encore plus précaire. L'éloignement avec la France ne peut signifier l'éloignement de la protection que la France leur doit. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Société Exaion
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le Gouvernement va-t-il laisser les Américains racheter une filiale d'EDF ?
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique . - Exaion n'est pas une filiale d'EDF. Elle n'a pas un poids important dans les enjeux technologiques et numériques d'avenir - elle ne fait pas de minage de bitcoins. Elle n'a pas non plus de poids important dans les capacités de calcul de la France - à peine 0,1 %.
EDF incube des start-up en France, mais chaque start-up n'a pas vocation à devenir une filiale du groupe. On ne peut pas, d'un côté, se féliciter de l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers et, de l'autre côté, fermer la porte.
La procédure des investissements directs étrangers va s'appliquer. Le groupe Mara a de lui-même déposé un dossier et s'est engagé à ce que cette entreprise puisse continuer à se développer dans le respect de notre souveraineté technologique, au service de la France et des Français. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. Dany Wattebled. - Mara injecte 115 millions d'euros en augmentation de capital et rachète toutes les actions d'Exaion pour 33 millions d'euros : c'est bien un rachat ! EDF Pulse passe de 92,5 % à 10 % du capital. Or Exaion est un partenaire privilégié de la Société Générale et de BNP Paribas, qui mènent des tests grandeur nature sur l'euro numérique.
À l'heure où Trump développe son stablecoin dollarisé, gardons Exaion dans le giron européen, pour développer notre propre stablecoin.
Comment expliquer aux Français que l'État devienne ultra-minoritaire au profit d'un fonds dont 100 % des revenus proviennent d'investissements étrangers ? Le Gouvernement va-t-il laisser passer sous contrôle américain le partenaire technologique privilégié de l'euro numérique européen ? (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Pollutions éternelles à l'étang de Berre
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La COP30 s'est achevée à Belém : les polluants éternels restent un enjeu majeur. On les retrouve notamment dans les mousses anti-incendie.
Un incendie s'est déclaré à LyondellBasell, à Berre-L'Étang, et a été éteint par les sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône grâce à ces mousses dont l'efficacité est indiscutable contre les feux d'hydrocarbures. Les résidus des mousses ont été stockés dans une cuve, mais ils se sont dilués dans l'étang de Berre. Le traitement de cette pollution coûte 7 millions d'euros.
Des investissements ont déjà été réalisés pour protéger cet étang. Selon des chercheurs du Nebraska, il est possible de neutraliser l'acide perfluorooctanoïque, un des PFAS les plus nocifs, grâce à une bactérie photosynthétique.
Au moment où la décarbonation de la zone industrielle de Fos représente plusieurs milliards d'euros d'investissements, pourquoi ne pas faire de ce sinistre une opportunité, afin que notre pays devienne un pionnier de la lutte contre les polluants éternels ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du GEST)
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique . - Le Gouvernement est pleinement mobilisé. Une cinquantaine de sites à risque ont été identifiés autour de l'étang de Berre. Nous les incitons à réduire leur production de PFAS.
L'État s'est mobilisé pour lutter contre les incendies. Malheureusement, il n'y a pas d'autre solution que ces mousses, qui contiennent des PFAS. De nombreuses inspections ont été menées dans les sites Seveso. Le règlement Reach limite également le recours aux PFAS. Le préfet a aussi pris un arrêté pour limiter les rejets.
Je suis disposé à étudier la solution que vous proposez, avec le préfet et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui suit le dossier. Une question : les rejets effectués par l'industriel ont-ils été conformes aux taux prévus par arrêté ? Si ce n'est pas le cas, nous en tirerons toutes les conséquences. (M. François Patriat applaudit.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (II)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comme d'autres collègues, je vous parlerai des violences infligées aux femmes et aux enfants.
Observation positive : en vingt ans, le nombre de féminicides conjugaux a baissé de 30 %, signe que la mobilisation de la société civile produit des résultats. Mais ce nombre de féminicides reste dramatiquement élevé. Nous devons et pouvons intensifier la lutte.
Une centaine d'associations ont soumis une proposition de loi intégrale, qu'une coalition de parlementaires de gauche et de droite a reprise. La ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes a annoncé le dépôt d'un projet de loi qui reprend toutes ces propositions.
Monsieur le Premier ministre, c'est vous que nous avons besoin d'entendre. Nous avons besoin de votre engagement personnel. Dites-nous quand ce projet de loi sera adopté en conseil des ministres et inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Il y va de la vie de nombreuses femmes et de la qualité de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Je suis désolée d'être celle qui vous répond, mais je travaille en lien direct avec le Premier ministre et en interministériel.
La mobilisation du Gouvernement est générale et totale. Le Sénat a démontré qu'une concorde parlementaire était possible. Sans le Sénat, pas de droit à l'IVG dans la Constitution, pas de non-consentement dans la définition du viol.
Des textes sont en cours de discussion : le texte sur le contrôle coercitif, voté au Sénat, et la proposition de loi que, avec Céline Thiébault-Martinez et des centaines de parlementaires, vous avez déposée. S'y ajoutent les travaux du groupe de travail transpartisan qui se réunit depuis six mois. Une cinquantaine de mesures de consensus ont émergé. Reste à les expertiser pour qu'elles puissent faire l'objet d'un projet de loi. C'est le travail que nous ferons dès le premier semestre avec le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous ne vous engagez pas...
Pour porter la paix face aux bellicistes
M. Jérémy Bacchi . - Face aux maires de France, le chef d'état-major des armées (Cema) déclarait que la société devait « accepter le risque de perdre ses enfants, de souffrir économiquement ». Ce discours anxiogène et belliciste a laissé les maires et la nation incrédules. L'armée est aux ordres du politique et non l'inverse ; avez-vous demandé au Cema de tenir de tels propos ? Cautionnez-vous ce discours sacrificiel, contraire à l'idéal républicain de progrès humain, qui décrit un scénario de guerre mondiale impliquant la France en Ukraine ?
Nous, communistes, connaissons le prix du sang, l'engagement ultime pour défendre la nation, en ardents patriotes que nous sommes. Aujourd'hui, vous entérinez le passage d'un État social à un État guerrier. Les coupes dans les services publics sont justifiées par l'accroissement des besoins militaires. Or, selon Jaurès, « on ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre ».
Ces annonces tonitruantes attestent en réalité d'une crise majeure de la diplomatie française : réforme du corps diplomatique passée en force, désaveu en Afrique et au Moyen-Orient, mise à l'écart par le président Trump. La France recule. Depuis 2017, le Président de la République a sacrifié nos réseaux diplomatiques et notre influence. Or nous devons mener une coalition pour la paix en Ukraine, avec des lignes rouges et un plan de paix crédible, juste et durable.
Toute escalade guerrière est à rebours de ce qu'exige l'avenir de notre humanité. Nous avons déposé une proposition de loi pour limiter les rentes des grandes entreprises de défense et neutraliser les dividendes de guerre. L'économie de guerre engendre la valorisation des portefeuilles boursiers, la commande publique se transforme en dividendes privés, la destruction et la peur deviennent des indices sur les marchés financiers. Comme le disait Victor Hugo, « La paix est la vertu de la civilisation, la guerre en est le crime ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants . - Les maires sont des acteurs majeurs du lien entre l'armée et la nation - il y a des bases militaires et des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) dans tous les territoires. Le Président de la République est le chef des armées ; le Cema est conseiller du Président de la République et du Gouvernement, il coordonne les armées et exprime leurs besoins. Ses propos se sont inscrits dans les termes de la Revue nationale stratégique 2025 et de ceux tenus par le Président de la République à l'hôtel de Brienne. Oui, les choses ont changé, les dividendes de la paix, c'est malheureusement terminé.
Hier après-midi, le Président de la République présidait une réunion avec trente-cinq pays de la coalition des volontaires, qui veulent préparer l'après-guerre en Ukraine. Il s'agit de garantir une paix durable et juste sur leur territoire. La France est aux côtés de l'ensemble des pays engagés dans la paix en Ukraine. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI, MM. Marc Laménie et Cédric Chevalier applaudissent également.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (III)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Depuis deux quinquennats, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants est une grande cause nationale. Le Grenelle de 2019 marquait une étape importante. Des dispositifs ont été créés, des lois adoptées : nul ne peut nier votre volonté d'agir. Pourtant, 150 femmes sont mortes cette année, 600 nourrissons ont été victimes de violences sexistes et sexuelles. C'est un échec collectif, de l'État, des institutions mais également des parlementaires : nous avons voté des lois qui ne produisent pas encore les effets attendus. J'en prends aussi toute ma part.
La formation des forces de l'ordre est encore partielle, alors que le premier accueil peut sauver une vie. Elle dépend souvent du volontariat et de financements locaux, encore en baisse dans ce budget, et de moyens dédiés.
La mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) pilote ce dispositif, alors qu'elle n'a que neuf postes et 9 000 euros de frais de fonctionnement. Comment remplir des objectifs ambitieux avec de tels moyens ? À quand une formation obligatoire, tant initiale que continue, des forces de l'ordre et des magistrats ? À quand un pilotage national fort ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes INDEP et SER)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Je vous remercie de vos travaux au sein de la délégation aux droits des femmes, notamment en faveur de la santé des femmes ou de la lutte contre la pornographie, véritable fléau pour les représentations des adolescents notamment. La formation initiale des policiers et des gendarmes est une obligation. (M. Laurent Nunez acquiesce.) Plus de 200 000 policiers et gendarmes ont déjà été formés sur le recueil de la parole des victimes. Il y a des procès-verbaux type - vous pouvez le vérifier dans un commissariat - , qui prend en considération de nouveaux types de violence ou des violences parfois minimisées - économiques ou psychologiques -, voire sexuelles au sein du couple, puisqu'il reste encore des personnes qui croient en l'existence du devoir prétendument conjugal.
Une grille d'évaluation du danger garantit que l'ensemble des aspects sont bien identifiés, notamment le risque suicidaire. Elle a été faite en français facile à lire et à comprendre (Falc) pour les personnes en situation de handicap ou qui ne parlent pas bien notre langue.
Avec Françoise Gatel, nous allons signer une convention pour renforcer la coopération avec les élus locaux, notamment de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.) Plus de 600 élus locaux participent à ce réseau.
Mme Dominique Vérien. - Le centre Hubertine Auclert sera ravi d'apprendre qu'il pourra continuer sa formation des policiers en Île-de-France. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP)
Convention citoyenne sur les temps de l'enfant
Mme Ghislaine Senée . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.) La convention citoyenne sur les temps de l'enfant a rendu ses conclusions après six mois de travaux. Le constat est sans appel : les temps de vie des enfants sont trop fragmentés, trop construits autour des besoins des adultes. Les temps de transports ou d'écran impactent leur bien-être, leur santé et leurs apprentissages, et accentuent les inégalités sociales et territoriales. Je salue ce travail : à travers vingt propositions, la convention met au centre du débat les besoins de l'enfant.
Alors que vous vous apprêtez à couper près d'un milliard d'euros aux politiques dédiées aux enfants - colos apprenantes, Pass'Sport, missions locales, postes d'enseignants, AESH, associations - comment mettrez-vous en oeuvre ce rapport ? (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Alexandre Basquin applaudit également.)
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - La convention sur les temps de l'enfant est un jalon substantiel. Comme vous, j'adresse mes remerciements aux 133 citoyens et citoyennes qui l'ont constituée, ainsi qu'au Cese.
Il en ressort des points de convergence, comme le fait de penser comme un tout le continuum des temps de l'enfant, et d'avoir une vision partenariale de ces temps : parents, éducation nationale, collectivités territoriales sont concernés. L'école ne concerne que 18 % de ce temps. Des expériences ont été menées. La suite des travaux ne peut être envisagée que de manière partenariale et en tenant compte des contraintes propres du service public de l'éducation.
Nous poursuivrons la réflexion, y compris sur des sujets qui dépassent l'école. Je reviendrai bientôt vers vous pour travailler ensemble sur les écrans, sujet qui sera aussi étudié par le Conseil supérieur de l'éducation.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous mets en garde. Depuis 2017, c'est la troisième convention citoyenne lancée par Emmanuel Macron. Trois exercices de démocratie participative, trois promesses d'écoute. Les citoyens ont travaillé avec sérieux, mais avec peu de résultats de votre part : sur le climat, un mépris total des 149 recommandations formulées ; sur la fin de vie, un soutien frileux et sans cesse repoussé. Avez-vous l'intention de les écouter ? Vous êtes attendu sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Narcotrafic à Marseille
Mme Valérie Boyer . - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) Samedi, l'hommage rendu à Mehdi Kessaci a montré combien les Français n'en peuvent plus que leurs enfants tombent sous les balles des narcotrafiquants. L'an dernier, le narcobanditisme a fait 14 victimes innocentes - autant de vies arrachées et de familles détruites. Je rends un hommage solennel aux victimes et leur dis que la France ne les oubliera pas et qu'elle réagira avec toute la force nécessaire.
Ces crimes ne sont pas des faits divers, mais une narcoviolence qui ressemble au terrorisme. L'ancien garde des sceaux a préféré minimiser les alertes que reconnaître l'effondrement de l'autorité de l'État. Nous perdons du terrain. Les magistrats marseillais ont dit sous serment qu'ils livraient une guerre asymétrique contre des organisations riches et armées, implantées dans 173 narcocités, qui réalisent 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an.
Ces réseaux ont déclaré la guerre à la République française.
Avec Martine Vassal (protestations à gauche), nous voulons faire de Marseille le fer de lance de la reconquête de la sécurité.
À la suite de la loi portée avec Bruno Retailleau, Étienne Blanc et Jérôme Durain, je réitère la demande formulée par Martine Vassal (mêmes mouvements) de créer à Marseille une antenne régionale du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Tout est prévu pour accueillir cette nouvelle juridiction. (Mme Marie-Arlette Carlotti ironise.)
Cette demande est portée par les élus locaux ou des magistrats : il faut agir là où la guerre se joue. (Applaudissements et bravos sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur . - Comme vous, je veux saluer le rassemblement de samedi à Marseille. C'est une réponse de la société civile extrêmement forte aux narcotrafiquants. Notre réponse policière et judiciaire est extrêmement présente. Nous avons saisi 150 kg de drogue il y a quelques minutes, et empêchons des règlements de compte - deux d'entre eux ont été empêchés la semaine dernière - grâce à l'engagement des forces de police, sous l'autorité du préfet des Bouches-du-Rhône. Nous poursuivrons et renforcerons ces actions grâce à la loi de juin 2025 qui donne des pouvoirs renforcés aux policiers et aux magistrats - gel administratif des avoirs, interdictions de paraître ou de gérer un commerce - pour mieux coordonner les services entre eux. La lutte contre le narcotrafic bénéficie désormais des mêmes moyens que la lutte contre le terrorisme. Nous pourrons prendre des interdictions de paraître, saisir des avoirs, fermer des commerces. Le Pnaco fait partie de cet arsenal, en regard de l'état-major permanent (Emap).
Tous les services pourront échanger des informations. Ce qui fait la force de notre état-major et du Pnaco, c'est sa centralisation, sa capacité à réunir toutes les informations pour mieux mener la répression, qu'elle soit de renseignement, policière ou judiciaire. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. - Nous avons demandé que le Pnaco national soit basé à Marseille. Face à l'islamisme...
M. Guy Benarroche. - Amalgame !
Mme Valérie Boyer. - ... comme au terrorisme et au narcotrafic, il faut un signal fort de reconquête. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Fermeture des usines NovAsco
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La fermeture des usines NovAsco illustre l'échec d'un État qui rechigne à intervenir directement dans l'économie mais se ruine en aides publiques inefficaces : 85 millions d'euros pour NovAsco, 298 millions pour ArcelorMittal...
En retour ? ArcelorMittal distribue 200 millions d'euros de dividendes - et licencie 600 salariés à Dunkerque, à Florange et à Basse-Indre. Greybull n'aura investi qu'1,5 million d'euros sur les 90 promis, entraînant la fermeture des usines NovAsco à Hagondange, à Custines et à Saint-Étienne ; 549 emplois perdus, par la faute de ce fonds d'investissement voyou. Vous saisissez la justice, mais un peu tard...
Le Gouvernement, qui a engagé - à fonds perdu - plus de 200 millions d'euros dans NovAsco, persiste pourtant à écarter toute participation publique au capital.
Allez-vous enfin renforcer le pouvoir de l'État sur la gouvernance des entreprises stratégiques, plutôt que de payer les pots cassés ? Et interdire les licenciements économiques lorsque les entreprises sont viables, comme le prévoit la proposition de loi de Thierry Cozic ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique . - Ce qui se passe chez NovAsco est difficile pour les salariés, bien sûr, mais aussi pour moi, qui étais ministre de l'industrie lors de la reprise.
Au nombre des bonnes nouvelles, le site de Fos a été repris par Marcegaglia, qui investit et décarbone : plus de 300 emplois sauvés. Métal Blanc va pouvoir reprendre le site de Dunes : des dizaines d'emplois sauvés. L'État a accompagné ces reprises, félicitons-nous-en.
Greybull n'a pas été au rendez-vous, c'est vrai. Sébastien Martin m'a proposé de saisir la justice, et nous irons jusqu'au bout. Il faut désormais accompagner les salariés, donner un espoir aux territoires. Sébastien Martin y travaille avec les élus de la région.
Je ne pense pas que ce soit en nationalisant l'industrie française qu'on lui permettra de faire face à la compétition internationale, ni que l'on créera de l'emploi en France en interdisant les licenciements. Là-dessus, nous ne serons pas d'accord. Je reste persuadé que l'industrie se développe si l'on investit dans l'innovation, dans la décarbonation...
M. Fabien Gay. - Avec de l'argent public !
M. Roland Lescure, ministre. - ... si l'on protège au niveau européen le secteur de l'acier en obtenant une clause de sauvegarde. Nous sommes dans une économie ouverte. (M. Fabien Gay ironise.) Il nous faut être innovants, compétitifs, protéger nos entreprises contre la concurrence déloyale, mais être offensifs ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Fabien Gay proteste.)
M. Michaël Weber. - Nous ne serons pas d'accord, car vous faites preuve de dogmatisme. Je pense, moi, qu'il est de votre devoir de tout essayer, pour les salariés et pour les territoires. (Applaudissements à gauche)
Polémique à l'université Lyon-2
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai mal à mon université publique. Ce haut lieu de la connaissance et de l'universalisme vacille sous les assauts répétés d'idéologues qui menacent ses fondamentaux. Oui au débat et à la liberté d'expression ; non à l'incitation à la haine, au racisme et à l'antisémitisme.
C'est, hélas, ce qui se passe à l'université de Lyon 2, qui incarne cette gangrène. Après le professeur Balanche (applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains), chassé de son amphithéâtre sous la menace physique de militants d'extrême gauche, après le vice-président poussé à la démission pour s'être exprimé sur le conflit entre Israël et le Hezbollah, un nouveau cap a été franchi dans l'ignominie : le professeur Julien Théry a publié sur ses réseaux sociaux une liste de vingt personnalités, qualifiées de « génocidaires », qu'il appelle à boycotter - des personnes dont le seul tort est d'être juives. Ce retour de l'étoile jaune rappelle les heures les plus sombres de notre histoire.
Monsieur le ministre, quelles sanctions exigez-vous à l'encontre de M. Théry ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - Je vous prie d'excuser Philippe Baptiste, actuellement à Brême pour la conférence de l'Agence spatiale européenne.
En République, on ne fait pas de liste des gens qu'on voue aux gémonies, qu'on livre à la vindicte des réseaux antisociaux. On ne fait pas des listes à raison des convictions philosophiques ou religieuses, réelles ou supposées, des personnes. Ce qui s'est passé est une honte. (« Très bien » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
Au nom du Gouvernement, je le condamne, et apporte mon soutien aux personnes visées.
M. Olivier Paccaud. - Et donc ?
M. Edouard Geffray, ministre. - Ensuite, il faut une réponse judiciaire. Je salue la réaction de la présidente de l'université : elle a fait un signalement sur le fondement de l'article 40, et le procureur a ouvert une enquête. Il y aura donc une suite pénale.
Nous sommes confrontés à un indéniable regain d'antisémitisme. Vous avez voté une loi pour renforcer la lutte contre l'antisémitisme à l'université ; les décrets d'application paraîtront prochainement, pour que nul ne détourne le regard ni ne relativise ces pratiques. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDPI et du RDSE ; M. Laurent Lafon manifeste son insatisfaction.)
M. Stéphane Piednoir. - La mise à pied immédiate et à titre conservatoire me semblait un prérequis indispensable. (Marques d'approbation et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe SER) L'émotion et l'indignation ne suffisent plus : il faut des sanctions fermes, alors que l'antisémitisme prospère depuis le 7 octobre 2023, encouragé par des formations politiques à des fins électorales. Toute hésitation est aveu de faiblesse. Nous ne pouvons pas transiger ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et sur des travées du RDSE)
Permission de sortie d'un narcotrafiquant
Mme Brigitte Bourguignon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le garde des sceaux, vous affichez une justice ferme - ce matin, à Nanterre, avec une opération de fouille en prison, comme lors de l'ouverture du quartier de lutte contre la criminalité organisée à Vendin-le-Vieil : convois blindés et hommes cagoulés pour accueillir les cent détenus les plus dangereux de France.
Pourtant, lundi, l'un de ces détenus, déjà évadé par le passé, a quitté seul le quartier dit de haute sécurité, pour un entretien d'embauche à l'autre bout de la France, en vue d'une sortie espérée en 2029. Il a pris le train puis est revenu le soir, retard de 20 minutes de la SNCF compris. (Sourires)
Mesurez-vous l'incompréhension des surveillants, mais aussi des Français ? À l'heure de la visioconférence, ce trajet de 600 kilomètres était-il indispensable ?
Nous sommes profondément attachés à l'indépendance de la justice.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne dirait pas...
Mme Brigitte Bourguignon. - Nous savons la complexité du droit. À vous d'y remédier.
Dans ce centre sont incarcérés d'autres criminels dont la dangerosité n'est plus à prouver. Quels moyens allez-vous mettre en place pour conjuguer la sécurité de nos concitoyens et la réinsertion des détenus ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quand on pense qu'elle était au PS...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'espère que les Français mesurent le danger que représente le narcotrafic dans notre pays - un danger au moins égal au terrorisme. Il tue tous les jours, dans tous les pays, y compris ceux qui emploient l'armée contre les narcotrafiquants. Malgré le volontarisme de M. Trump, la première cause de mortalité aux États-Unis est le fentanyl.
En 2015, toute la classe politique a soutenu le gouvernement de l'époque quand il a décidé de répondre avec force au terrorisme islamiste. Nous devons changer de braquet. C'est ce que vous avez fait avec la loi contre le narcotrafic, c'est ce que nous faisons avec les prisons haute sécurité. Je veux appliquer aux narcobandits les mêmes règles qu'aux terroristes.
Notre droit ne permet pas à un condamné pour terrorisme de sortir pour un entretien d'embauche trois ans avec son éventuelle sortie alors qu'il est considéré comme particulièrement dangereux. Ce n'est pas le ministre qui décide de la dangerosité d'un détenu, mais les juges d'instruction spécialisés.
La prison du bassin minier, à Vendin-le-Vieil, doit être une prison sans drone, sans clé USB, sans téléphone. Dès janvier, je proposerai de mettre fin aux aménagements décorrélés des besoins de la lutte contre le narcotrafic. J'espère que le Parlement me suivra. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDPI)
Sécurité civile
Mme Françoise Dumont . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 28 septembre 2024, le Premier ministre Michel Barnier annonçait la reprise du Beauvau de la sécurité civile, censé déboucher sur un grand projet de loi. Après douze mois de travaux, le rapport de synthèse a été présenté, le 4 septembre dernier, par François-Noël Buffet.
Mme Sophie Primas. - Excellent !
Mme Françoise Dumont. - Je salue l'action menée par François-Noël Buffet et Bruno Retailleau en faveur de la sécurité civile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mickaël Vallet. - Fayots !
Mme Françoise Dumont. - Depuis leur départ, le Gouvernement ne communique plus sur ces projets.
La réforme des retraites prévoyait l'attribution de trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires dès dix ans de service. Vous avez confirmé la semaine dernière à l'Assemblée nationale l'entrée en vigueur prochaine du décret, mais avec l'attribution d'un trimestre supplémentaire au bout de quinze ans d'engagement seulement.
Une voix à droite. - C'est petit !
Mme Françoise Dumont. - Pouvez-vous expliquer ce choix ? Les sapeurs-pompiers volontaires sont essentiels à notre modèle de sécurité civile. Quelles sont vos intentions concernant le projet de loi de sécurité civile annoncé à l'automne 2024, s'agissant notamment du financement des Sdis ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hussein Bourgi et Mme Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur . - Vous me prêtez de mauvaises intentions : j'ai toujours dit que nous donnerions une suite au travail mené dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile (quelques exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SER), lancé par Gérald Darmanin, repris par Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, dont je salue le travail. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.) Cent propositions ont été émises, sur de nombreuses thématiques. Le projet de loi abordera la question du financement, des missions, des statuts.
La question des trimestres supplémentaires pour les sapeurs-pompiers volontaires a fait l'objet d'un débat interministériel. Nous accorderons un trimestre après quinze ans de service, un deuxième après vingt ans, un troisième après vingt-cinq ans. Il est important pour pérenniser leur engagement, car ils jouent un rôle clé dans le système de sécurité civile à la française. Le décret est devant le Conseil d'État, après avoir été soumis à divers organismes, dont les caisses de retraite. Il sera publié avant la fin de l'année, pour une application l'année prochaine.
Nous tenons à notre modèle de sécurité civile et sommes déterminés à le conforter. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
« Passeport pour le retour »
Mme Catherine Conconne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Chaque année, entre 2 500 et 4 000 âmes manquent à l'appel en Guadeloupe et en Martinique. Solde démographique négatif, vieillissement massif : c'est la triste réalité que vivent nos deux pays. À très court terme, c'est une épopée humaine qui sera rayée de la carte. Et quelle épopée ! Des siècles à lutter, y compris contre l'ignoble, à construire une humanité qu'on n'attendait pas.
Dans les années 1960, pour faire taire la rébellion contre la misère, le pouvoir d'État n'a rien trouvé de mieux que d'expédier massivement nos jeunes compatriotes en France : il fallait dégonfler la légitime contestation, par ailleurs réprimée dans le sang. Quelque 45 000 des nôtres sont ainsi partis. « Adieu foulards, adieu madras »...
Mais l'extinction de cette flamboyante humanité n'est pas une fatalité ! Voilà trois ans, le Passeport pour le retour a été voté - même si le dispositif a été bien ébréché par nous-mêmes. C'était un tout petit début d'inversion du passeport le plus courant, un aller sans retour : celui du Bumidom, des enfants de la Creuse et autres scélératesses. Trois ans après, où en sont les arrêtés d'exécution tant attendus ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Annick Girardin et MM. Dominique Théophile et Philippe Grosvalet applaudissent également.)
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer . - L'attractivité des territoires ultramarins doit être au coeur des politiques de développement économique. Des réponses adaptées doivent être apportées à ces territoires.
En Martinique, au vieillissement de la population s'ajoute le départ de nombreux jeunes diplômés. J'entends ouvrir rapidement un chantier sur ce sujet, en vue de réponses structurelles.
L'aide au retour, proposée par les députés Olivier Serva et Max Mathiasin puis reprise par le comité interministériel des outre-mer de 2023, a été inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024. Plusieurs dispositifs ciblés sont prévus : salariés, entrepreneurs, stagiaires. Mais vous avez raison : leur mise en oeuvre prend beaucoup trop de temps. Ce n'est pas normal, compte tenu de l'attente sur le terrain.
Néanmoins, les choses avancent. Les dispositifs ont été précisés par un décret du 6 septembre dernier. Un arrêté reste nécessaire pour fixer les montants : mes services, en lien avec ceux d'Amélie de Montchalin, sont en train de le finaliser ; il sera publié avant la fin de l'année. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Catherine Conconne. - Merci pour cette réponse rassurante. Je reste vigilante et me tiens à votre disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (IV)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.) Une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son dit partenaire ; toutes les trois minutes, un viol ou une tentative est commis. Les féminicides repartent à la haute ; 94 % des plaintes pour viol sont classées.
Je pense avec émotion aux enfants de Claire, 34 ans, amiénoise victime d'une mort annoncée. Le 9 mai 2021, elle a été criblée d'une vingtaine de coups de couteau par son dit compagnon, cocaïnomane connu de la justice pour violences. Le verdict a été rendu hier. Nous n'oublierons jamais.
Quelle évaluation faites-vous des dispositifs censés protéger les victimes ? On a promis aux victimes écoute et sécurité, ainsi qu'un traitement judiciaire adapté ; aux bourreaux, qu'ils seraient cernés par les institutions. Le 3919 a reçu 100 000 appels l'année dernière, triste record. La moitié des féminicides surviennent à la campagne, où vivent 30 % des femmes : elles n'ont pas accès aux mêmes ressources qu'en ville.
Grande cause des deux quinquennats, Grenelle en 2019, mais pour quels résultats ? Une victime sur six porte plainte, 107 féminicides en 2024, quatre femmes tuées jeudi dernier. La Somme est parmi les départements les plus touchés, avec le Pas-de-Calais, La Réunion et la Seine-Saint-Denis.
Vous annoncez de nouvelles mesures : avec quels moyens et dans quels délais seront-elles mises en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Corinne Bourcier et Cathy Apourceau-Poly et M. Didier Marie applaudissent également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Vous avez raison, notamment sur la ruralité : le dire n'est pas stigmatiser ces territoires, mais constater qu'ils concentrent certaines difficultés. Manque d'anonymat, de mobilité : les femmes y subissent les violences plus longtemps qu'ailleurs.
C'est pourquoi nous déployons plus de moyens dans ces territoires. Dans la Somme, 60 places d'hébergement d'urgence sont prévues, ainsi que sept intervenants sociaux pour garantir un soutien dès le dépôt de plainte, possible désormais à l'hôpital. Ce n'est pas suffisant, mais tout cela n'existait pas il y a quelques années. Moyens, protocoles, formation : la mobilisation collective doit se poursuivre.
Hier, la justice est passée : l'assassin a été condamné à 25 années de prison. Quand une enquête est ouverte, la justice passe dans 95 % des cas.
Nous disons aux victimes : quand elles déposent plainte, elles sont accueillies, écoutées, protégées - téléphone grave danger, bracelet antirapprochement, ordonnance de protection. C'est ainsi que nous éradiquerons les violences. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi et Mme Véronique Guillotin applaudissent.)
M. Laurent Somon. - Comme le dit une vice-présidente engagée de mon département, les associations oeuvrent malgré des budgets dérisoires, les professionnels se battent avec des effectifs insuffisants, les femmes meurent après avoir pourtant signalé les violences, la justice tarde. Assez de minutes de silence et de promesses ! Une vraie politique publique coordonnée est urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Paulette Matray et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Situation sécuritaire au Mali
M. Jean-Luc Ruelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 7 novembre, la France a appelé ses ressortissants à quitter temporairement le Mali, emboîtant le pas aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le pays est à un point de rupture sécuritaire, dans un contexte instable et alors que se dessine un califat consenti.
Depuis 2012, le Mali est plongé dans une crise profonde. Le coup d'État de 2020-2021 a installé une junte autoritaire. Le retrait de nos forces a entraîné une recomposition des alliances. Les djihadistes contrôlent désormais une grande partie du territoire. La déstabilisation franchit les frontières, faisant craindre un effet domino au Burkina Faso. La contagion s'étend au Bénin, au Togo, au Sénégal, à la Mauritanie, entre autres : multiplication des attaques terroristes, pression migratoire, expansion du narcotrafic.
C'est toute l'architecture sécuritaire de l'Afrique de l'Ouest qui est menacée, une zone où vivent 55 000 Français. En particulier, je vous alerte sur la situation du lycée Liberté de Bamako, fragilisé par un possible retrait de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Saluons la mobilisation exemplaire de nos agents diplomatiques et consulaires au Mali. (M. Jean-Noël Barrot renchérit.)
La coopération internationale et régionale peut-elle encore contenir la déstabilisation ? Que faisons-nous pour prévenir l'embrasement ? Le dispositif de protection et d'évacuation de nos ressortissants au Mali et dans les pays voisins est-il prêt ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - La dégradation de la situation au Sahel est due notamment au blocus énergétique organisé par les terroristes du Jnim autour de Bamako. Des répercussions sécuritaires comme migratoires se font sentir à l'échelle régionale.
Oui, le courage et l'exemplarité de nos agents méritent les applaudissements du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe UC ; MM. Louis Vogel, Thani Mohamed Soilihi et Simon Uzenat et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
La situation actuelle au Mali, c'est l'échec patent de la Russie, qui avait prétendu repousser les assauts du terrorisme et résoudre tous les problèmes du Sahel.
Au début du mois, nous avons invité les 4 200 Français qui vivent au Mali à quitter temporairement le pays. Vendredi, nous avons décidé d'ajuster à la baisse notre dispositif diplomatique, en maintenant sur place les agents essentiels pour fournir à nos ressortissants les services consulaires dans cette période éprouvante. Pour la population malienne comme pour nos compatriotes, nous espérons une détente et un retour à la normale. (MM. Thani Mohamed Soilihi et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
Politique carcérale
M. Christopher Szczurek . - (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.) Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais, établissement modèle, prouve que l'on peut, avec de la volonté politique, mener une politique carcérale intransigeante, qui protège la société tout en restant digne pour les détenus.
Brigitte Bourguignon a rappelé la récente autorisation de sortie d'un narcotrafiquant dangereux. Direction de l'établissement, parquet, garde des sceaux : tout le monde s'y est opposé. Mais la cour d'appel de Douai a confirmé la décision du juge d'application des peines.
Certes, le détenu est rentré. Mais ce précédent pourrait faire jurisprudence, en plus de démotiver le personnel pénitentiaire. Hasard ou non, la mère du détenu vient d'être gardée à vue pour trafic de stupéfiants. Récemment, à Rennes, un détenu s'est évadé à la faveur d'une sortie au planétarium...
Monsieur le garde des sceaux, ce n'est pas vous qui êtes en cause, mais un climat d'inversion des valeurs qui fait du criminel une victime. Cette dérive est le fruit d'un mauvais rousseauisme et d'un sociologisme à l'américaine. Mais, entre le bien et le mal, les individus font un choix !
La séparation des pouvoirs ne peut fonctionner que sur la base d'un équilibre, sans volonté permanente du judiciaire de défier et d'humilier l'exécutif et le législatif. Vous ne pourrez pas commenter ce point, je le comprends.
Depuis l'affaire Amra et l'exécution de Mehdi Kessaci, il y a urgence ! Les évolutions législatives que vous annoncez nous préserveront-elles de mauvaises décisions judiciaires ou administratives ? (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart et Mme Vivette Lopez applaudissent.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'ai déjà répondu à Mme Bourguignon au sujet du centre pénitentiaire de haute sécurité du bassin minier.
Oui, nous modifierons la loi en ce qui concerne les narcotrafiquants et les criminels les plus dangereux. J'espère que vous nous soutiendrez.
Comme de nombreux Français, j'ai été choqué par la participation à une visite au planétarium d'un détenu qui avait déjà commis une évasion, en dépit de mes instructions écrites aux directeurs de prison. J'ai décidé de ne plus confirmer le directeur de la prison. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sylvie Vermeillet et MM. Louis Vogel et Pierre-Jean Verzelen applaudissent également.)
M. Olivier Paccaud. - Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Les organisations syndicales ayant souligné qu'il y avait peut-être d'autres responsables de cette décision, j'ai demandé une inspection, qui rendra ses conclusions sous dix jours.
Chaque année, plusieurs détenus ne reviennent pas de ces sorties. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai essayé de changer en profondeur la politique carcérale. Les agents pénitentiaires font un travail formidable, mais quatre mille agents manquent. Nous leur devons un budget - le PLF prévoit mille recrutements. Les téléphones portables doivent être bannis en prison, et pas seulement pour les terroristes et les narcotrafiquants : il est choquant qu'une femme soit harcelée au téléphone par son ex-conjoint, emprisonné pour violences.
Cette action suppose des moyens ; le Premier ministre les donne. Elle suppose une volonté : je l'incarnerai. (Applaudissements sur des travées du RDPI, des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE)
La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 45.