II. AFRICITÉS : LA VALORISATION DU PATRIMOINE,
COMME MOTEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL

Cette mission a été effectuée du 3 au 5 décembre 2003 par M. Yves Dauge, Sénateur-maire de Chinon, membre du Haut conseil de la coopération internationale, membre de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, « point focal » de l'UNESCO au Sénat, sous l'égide de la Délégation du Bureau du Sénat à la coopération décentralisée

.

Le sommet Africités qui s'est déroulé du 2 au 5 décembre 2003 au Palais des Congrès de Yaoundé, a réuni plus de 1500 participants, dont 800 élus de l'ensemble du continent africain.

La session spéciale « Villes africaines et patrimoine » organisée par le centre du patrimoine mondial de l'UNESCO à ce sommet, visait à ouvrir un débat sur l'impact économique, social et culturel de la valorisation du patrimoine sur le développement local , à échanger les bonnes pratiques et à évaluer les besoins des villes africaines en ce qui concerne la protection du patrimoine. Cette session a marqué le lancement officiel d'une initiative de l'UNESCO pour les villes africaines.

M. Yves Dauge, sénateur a été désigné président de cette session.

Il a tenu ici à dégager les principaux enseignements de cette session à travers les multiples exemples de projets patrimoniaux développés par les intervenants.

Il a souhaité que cette mission marque le début d'une coopération renforcée entre le Sénat et Africités et qu'elle contribue à une implication plus grande du Sénat dans le domaine de la coopération décentralisée.

A. LES OBJECTIFS DU SOMMET AFRICITÉS

1. La naissance du sommet AFRICITÉS

A la fin des années 1990, les collectivités territoriales africaines ont constaté qu'elles ne disposaient pas d'un espace de dialogue au niveau continental. Le Partenariat pour le développement municipal (PDM), organisme mis en place en 1991 à l'initiative de la Banque mondiale 6 ( * ) -consciente que le processus de démocratisation passait aussi par une plus grande décentralisation- s'est vu confier l'organisation d'une manifestation de grande ampleur marquant médiatiquement l'entrée des collectivités territoriales sur la scène publique africaine. Le premier sommet Africités s'est ainsi tenu en 1998 à Abidjan, en Côte d'Ivoire.

Africités 1, qui a permis l'émergence du mouvement municipal africain sur la scène institutionnelle régionale et internationale avait pour ambition de construire une parole africaine sur les enjeux de la décentralisation , du développement local, de l'intégration régionale et de la coopération avec l'Afrique. En effet, les organisations des collectivités territoriales africaines étaient structurées en zone linguistique : anglophone, francophone et lusophone. Elles se sont cependant rapidement aperçues qu'elles étaient confrontées à des problèmes communs, dépassant l'organisation du territoire en zones linguistiques.

Africités 2, à Windhoek (Namibie) en mai 2000, a ensuite marqué le début de la structuration du mouvement municipal africain et du dialogue panafricain sur la décentralisation et le développement local. Réunis autour de l'enjeu stratégique du financement des collectivités locales, les 1 200 participants, dont 600 maires et 40 ministres, venus de 51 pays (dont 36 pays africains), se sont accordés sur la nécessité de mettre en place plusieurs organes de consultation :

- la CADDEL - Conférence africaine de la décentralisation et du développement local, instance intergouvernementale des ministres chargés de la décentralisation et des collectivités locales, avec l'objectif d'inscrire la décentralisation parmi les priorités de l'agenda politique de l'Afrique,

- le CCRA - Conseil des communes et régions d'Afrique, en vue de construire et porter la parole unifiée des collectivités locales africaines.

Les participants ont également décidé que le Sommet Africités devait être la plate-forme de dialogue entre les élus locaux et les États , et entre les représentants des pouvoirs publics et les acteurs économiques et associatifs, moteurs de la conception et de la mise en oeuvre des politiques de décentralisation en Afrique. A Windhoek, les associations des collectivités territoriales africaines ont donc finalement engagé un processus d'union.

Africités 3 à Yaoundé, a enfin consacré l'unification du mouvement municipal africain et sa participation au mouvement municipal mondial avec une organisation unique des collectivités locales, « seul son de cloche des Africains sur la scène mondiale » selon M. Jean-Pierre Elong Mbassi , coordonnateur du PDM , qui a appuyé l'émergence de la décentralisation.

Ce « son de cloche » est précisément celui que le représentant du Sénat français a souhaité faire entendre.

2. AFRICITÉS 3 : contexte et objectifs

L'accès aux services de base , que la déclaration du Millénium des Nations Unies a fixé parmi les priorités de la coopération internationale, est devenu un enjeu majeur tant pour l'amélioration des conditions de vie des habitants que pour l'efficacité économique et l'équité

La conférence des Nations Unies sur le développement durable qui s'est tenue à Johannesburg, du 30 août au 4 septembre 2002, a conclu qu'une politique privilégiant l'accès à l'eau, à l'énergie, aux transports, aux services d'éducation et de santé était l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre la pauvreté. Elle a également recommandé que soit développé pour la fourniture de ces services un partenariat plus soutenu entre le secteur public et le secteur privé.

Le Sommet Africités de Yaoundé, en se centrant sur le thème intitulé « assurer l'accès des populations aux services de base dans les collectivités africaines » voulait apporter une réponse africaine à cet agenda international.

La manifestation avait aussi pour ambition de déboucher sur des orientations claires sur les interventions à mener pour améliorer de manière significative l'accès des populations africaines aux services de base.

Le Sommet voulait enfin situer la décentralisation parmi les priorités de l'agenda politique africain , et le renforcement des collectivités locales comme l'une des contributions essentielles à la modernisation des États et à la construction de sociétés démocratiques en Afrique.

B. LA SESSION SPÉCIALE « VILLES AFRICAINES ET PATRIMOINE »

1. L'organisation de la session organisée par l'UNESCO

La session spéciale « Villes africaines et patrimoine », a réuni une quarantaine d'intervenants africains et européens qui, par la description d'actions concrètes engagées et de coopérations, ainsi que par leurs analyses des orientations de la politique de patrimoine des villes africaines, ont tenté de répondre à la question « comment faire du patrimoine un moteur du développement local ? ».

La session a été organisée en deux ateliers :

Atelier n°1 : Mettre la culture au service du développement des villes africaines

Les thèmes abordés ont été les suivants :

- lutter contre la pauvreté grâce à la sauvegarde du patrimoine

- créer des outils pour le développement local

- valoriser l'identité culturelle des villes africaines

- former les professionnels africains

Atelier n°2 : Renforcer la coopération internationale pour les villes africaines

Différents axes ont été développés, à savoir :

- La coopération décentralisée

- L'engagement des agences de développement : Agence française de développement (AFD), GTZ, agence de coopération technique allemande, NORAD, agence norvégienne pour la coopération et le développement, Banque mondiale

- L'inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO : une opportunité pour les villes.

En conclusion, l'initiative de Yaoundé « Villes africaines et patrimoine » a été lancée. M. Yves Dauge, président de cette session, a tenu à dégager, sur la base des différentes interventions, les grandes lignes d'une politique de développement durable en faveur des villes africaines.

2. Pour une politique de développement durable en faveur des villes africaines

Les interventions reproduites dans les annexes ont ouvert des perspectives intéressantes pour la définition d'une politique de développement durable en Afrique.

A. Le contenu d'une politique urbaine de développement durable

Il s'agit d'une politique qui prend d'abord sa source dans une connaissance approfondie des patrimoines . En effet, la formation des patrimoines culturels matériels et immatériels n'existe que dans la durée et exige un fort investissement permanent sur les milieux naturels. Il est essentiel de souligner que ce sont les ruptures dans la transmission des savoirs qui nous conduisent trop souvent à construire sur des bases erronées, décalées ou insuffisantes. On le constate chaque jour, notamment dans les champs si visibles de l'urbanisme, de l'aménagement, de la construction. Mais, c'est la même chose dans d'autres domaines, par exemple ceux de l'éducation, de la culture. M. Ali Ould Sidi, chef de la mission culturelle de Tombouctou au Mali, a bien montré que les travaux d'entretien des mosquées de Djinagrey-Ber, de Sankoré et de Sidi Yahia, inscrites sur la liste du Patrimoine mondial en péril depuis 1989 ont reçu une adhésion massive des populations locales, notamment grâce à la valorisation de la dimension culturelle de la corporation des maçons. La politique du patrimoine ne peut se passer de l'histoire du milieu dans lequel elle s'inscrit.

C'est aussi une politique qui doit s'enraciner dans les territoires . La diversité des territoires en Europe et en Afrique, ne doit pas aboutir à la segmentation ou à la fragmentation des espaces. La durabilité de nos actions est liée à notre capacité à intervenir aux bonnes échelles , à savoir articuler entre elles les échelles pour aller vers la cohérence, la synergie et le mouvement. En matière de politique urbaine, on va de la rue au quartier, à l'agglomération et inversement. On doit rechercher les liens, les complémentarités entre territoires en diffusant les valeurs repérées, les éléments positifs d'un territoire à l'autre. Dans cette perspective, le rapprochement entre le développement touristique des sites et la politique du patrimoine est particulièrement intéressant, comme le montre l'exemple de la politique menée par la ville de Grand Bassam sur la Golfe de Guinée (annexe 2). Il permet de structurer un développement urbain harmonieux autour de sites attractifs. La cohérence des espaces est la première règle à respecter pour que la politique du patrimoine soit réussie .

C'est enfin une politique qui doit prendre en compte les populations dans leur diversité , notamment les plus défavorisées pour les relier aux autres et les entraîner dans les réseaux d'éducation, de culture, de développement. L'exemple développé par Mme Anne Janga, adjointe au maire de Gorée au Sénégal, est à cet égard particulièrement révélateur de la situation des villes africaines. L'exode rural et la transition démographique ont provoqué une explosion démographique dans la ville de Gorée, dans laquelle la structure urbaine n'était pas assez solide pour recevoir ces nouvelles populations. A l'urgence des problèmes d'habitation n'a pas correspondu une politique patrimoniale adaptée, concertée, et surtout durable 7 ( * ) . Il existe donc une menace de destruction du patrimoine urbain par les nouvelles populations, qui risque de freiner voire de bloquer le développement des villes, comme cela est le cas à Accra au Ghana, ainsi que l'a montré M. Mbokolo. La pérennité des politiques d'aménagement repose ainsi sur la lutte pour l'intégration des plus marginalisés. C'est en ce sens que la durabilité est signe de progrès social et culturel, que la sauvegarde du patrimoine des villes est indissociable d'une politique de développement durable .

B. Opérateurs et outils de la politique de développement durable

La mise en oeuvre d'une politique de développement durable passe par ce qu'on a appelé le « projet d'aménagement et de développement durable » qui prend la forme d'un document stratégique et politique . Ce document s'écrit à partir des trois domaines de connaissance évoqués ci-dessus : le patrimoine, le territoire et la population . Il est fondé sur des analyses précises et complètes et trouve toute sa force et sa légitimité dans la dimension démocratique qu'il doit prendre tout au long de sa gestation. Un projet professionnel solide n'a de chance d'être réalisé que s'il est pris en charge par les habitants, qui se l'approprient afin qu'il devienne une référence permanente pour l'action des multiples acteurs . La réussite d'un projet tient tout autant à la légitimité qu'il a pour les habitants qu'à sa mise en oeuvre concrète.

Les acteurs et opérateurs du développement se situent à plusieurs niveaux. Les organisations internationales en charge du développement : celles des Nations Unies et de l'Union européenne avec leurs fonds d'interventions et leurs agences jouent un rôle majeur dans l'éducation, la culture (UNESCO), la santé. Il ressort toutefois des différentes interventions que le soutien des États aux institutions internationales reste très en deçà du niveau qu'il faudrait atteindre. Les grandes conférences internationales telles que celles de Rio, Johannesburg et Kyoto ont toutes mis l'accent sur les constats dramatiques de l'état de la planète concernant la pauvreté ou l'environnement.

Le succès de la session « Villes et patrimoine », organisée par l'Unesco montre bien qu'il existe une prise de conscience , par de nombreux acteurs, de l'utilité d'une coopération internationale autour de la sauvegarde ou de la réhabilitation du patrimoine, vecteurs de cohésion sociale et de protection de l'environnement.

Les États développent aussi des coopérations entre eux au titre des actions bilatérales. Le développement remarquable des coopérations décentralisées que favorisent de plus en plus certains États, comme la France 8 ( * ) , constitue par ailleurs une nouvelle voie pleine de promesses qu'il faut partout prendre en compte et mieux organiser. Il y a là une chance à saisir pour des projets concrets dans la durée , ancrés localement grâce à une participation active des collectivités et des populations . Les représentants de Lyon ou Lille, villes respectivement en coopération avec Porto Novo au Bénin et Saint-Louis au Sénégal, ont témoigné du dynamisme de la coopération décentralisée dans le domaine du patrimoine. L'irremplaçable connaissance du terrain et l'engagement dans la durée de ces collectivités leur a permis d'apporter une garantie de fiabilité aux projets lancés par les villes africaines. La coopération décentralisée entre Dschang au Cameroun et la ville de Nantes engagée depuis 1996 a ainsi permis une réelle mise en valeur du patrimoine de Dschang, notamment au travers du programme de la « route des chefferies ». Citons aussi le rôle des agences d'Etats et des ONG qui s'inscrivent dans cette démarche de terrain dans de multiples domaines : éducation, santé, agriculture et emploi. L'engagement du NORAD et de l'AFD dans la protection du patrimoine en Afrique a été largement démontré par les interventions de Mme Inger Heldal et de M. Thierry Paulais, lors de cette session.

Avec quels outils tous ces acteurs peuvent-ils intervenir ?

Il faut insister d'abord sur les outils juridiques qui donnent la légitimité nécessaire à toute intervention. On peut citer les grandes conventions internationales, par exemple la convention de 1972 sur le patrimoine universel de l'humanité , les conventions sur les droits de l'homme, de l'enfant, et les conventions bilatérales de coopération entre Etats et entre collectivités territoriales.

Au-delà de ces conventions fondatrices des coopérations en faveur du développement durable, il faut disposer au niveau national, d'outils plus techniques que sont les instruments de la planification et de la programmation à savoir les schémas de cohérence territoriale , les plans locaux d'urbanisme , les plans de sauvegarde et de mise en valeur , les zones de protection du patrimoine , les chartes des parcs naturels . La structure juridique de la politique urbaine est d'une importance cruciale. M. Théodore Sosthène Kiyindou, Directeur de la gestion foncière urbaine à la mairie de Brazzaville a souligné les insuffisances de la réglementation foncière en Afrique liées à l'absence de textes d'application, à la faible autorité de l'État, à la résistance des coutumes et à l'absence d'un véritable pouvoir judiciaire (annexe 5). Il est utile de rappeler que si le patrimoine est un vecteur essentiel du développement durable, la formation d'un réel État de droit en est la base absolument nécessaire.

Citons enfin les outils d'intervention que sont les fonds d'aides aux populations alimentés par des taxes locales et des dotations nationales et internationales, qui sont nécessaires à la coordination entre les politiques sociales et urbanistiques.

En définitive, le concept du développement durable doit prendre une dimension très concrète, opérationnelle dans chaque pays et dans chaque collectivité locale. Il s'agit d'une politique globale qui doit être portée par la coopération internationale et les États et trouver sa dimension locale avec le soutien actif des collectivités territoriales et des habitants. Au-delà des aspects techniques, cette politique n'a de sens que si elle s'inscrit en permanence dans une démarche d'explication , de compréhension et de participation démocratique . La session spéciale et l'initiative de Yaoundé pour la protection et la mise en valeur du patrimoine urbain et de la diversité culturelle des villes africaines (voir annexe 7) ont apporté une pierre utile à cette politique. Il est incontestable que la France et l'Europe sont attendues par l'Afrique pour soutenir une démarche de coopération décentralisée qui doit prendre de l'ampleur.

3. Tableau récapitulatif : une politique de développement durable

De quoi parle-t-on ?

Qui fait quoi ?

Populations

Cohésion sociale

Territoires

Cohésion territoriale

Patrimoine

Cohésion patrimoniale

Projet d'aménagement et de développement durable

Document de stratégie politique

LA MISE EN OEUVRE

Les outils

Les opérateurs

Le cadre juridique national et international

Les ministères

:

Une agence nationale ou agences internationales

Les instruments de la planification

Le SCOT 9 ( * )

Coopération institutionnelle

Le PSMV 10 ( * )

Le fonds d'aide

La taxe locale « patrimoine »

Les collectivités locales

La population Les habitants

* 6 Citons ici le rôle décisif de M. Jean-Pierre Elong M'Bassi , qui a aussi été à l'origine de cette initiative.

* 7 M. Elikia Mbokolo, Directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS) a bien souligné dans son intervention que ce « n'est pas seulement dans une Afrique des villages plus ou moins idéalisée, mais surtout dans l'Afrique citadine que se construira le futur des sociétés africaines » (voir annexe 6).

* 8 Preuve en est de la présence de très nombreuses collectivités locales françaises à cette session.

* 9 Schéma de cohérence territoriale

* 10 Plan de sauvegarde et de mise en valeur

Page mise à jour le

Partager cette page