LES DOCUMENTS DE TRAVAIL
DU SÉNAT

BILAN ANNUEL 2006-2007

DE LA DÉCENTRALISATION

TOME I

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

OBSERVATOIRE SÉNATORIAL
DE LA DÉCENTRALISATION


Série

Collectivités territoriales

N° CT 07-4

2006-2007

BILAN ANNUEL 2006-2007 DE LA

DÉCENTRALISATION

Tome I

Analyse des dispositions législatives intéressant les collectivités territoriales, adoptées au cours de l'année 2006 et du premier trimestre de l'année 2007

AVERTISSEMENT

Le présent document de travail a pour objet de recenser et d'analyser les dispositions législatives et les mesures réglementaires, adoptées au cours de l'année 2006 et au début de l'année 2007, et ayant une incidence directe ou indirecte sur la vie des collectivités territoriales.

Certaines lois ont justifié, par leur ampleur, la réalisation d'un document séparé : en premier lieu, les dispositions financières et fiscales intéressant les collectivités territoriales dans la loi de finances 2007 et la loi de finances rectificative pour 2006 ont ainsi été présentées dans le document CT 07-2 ; en second lieu, la loi sur l'eau, à laquelle sera consacrée prochainement une monographie.

L'ensemble de ces documents peut être consulté et téléchargé sur le site www.carrefourlocal.org

I. INSTITUTIONS

LOI N° 2006-823 DU 10 JUILLET 2006 AUTORISANT L'APPROBATION DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE, ADOPTÉE À STRASBOURG LE 15 OCTOBRE 1985

Datée du 15 octobre 1985 et signée à ce jour par 43 (sur 46) États du Conseil de l'Europe 1 ( * ) , la Charte européenne de l'autonomie locale constitue le premier et l'unique instrument juridique international relatif à l'autonomie locale. Ce document est, à bien des égards, en avance sur son temps, notamment lorsqu'il pose le principe de l'exercice décentralisé des responsabilités publiques.

La France a attendu, pour sa part, la consolidation de son processus de décentralisation pour ratifier ce texte le 8 juillet 2006. La présente étude exposera les principes généraux contenus dans la Charte avant d'évoquer les réticences juridiques à l'origine du long parcours de la ratification française.

I - Le contenu de la Charte européenne de l'autonomie locale

A. Le préambule

La Charte est un document émanant du Conseil de l'Europe et plus exactement de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux pour l'Europe (instance devenue en 1994 le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe ) qui a lancé une initiative sur ce sujet dès 1981.

Le préambule rappelle que le Conseil de l'Europe a pour objet de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun. Il relève que la réalisation de cette « union plus étroite » suppose notamment la conclusion d'accords dans le domaine administratif.

Il souligne, en second lieu, que l'existence des collectivités locales est un des principaux fondements de tout régime démocratique . Il ajoute que parmi les principes démocratiques figure le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques , d'une part, et que c'est au niveau local , d'autre part, que ce droit peut être exercé le plus directement . Ce principe sera explicité au paragraphe III de l'article 4 de la Charte qui institue une véritable règle de subsidiarité posant le principe général que l'exercice des responsabilités publiques doit être décentralisé .

Le préambule légitime pleinement le principe de décentralisation et son efficacité tout à la fois technique et démocratique en affirmant, encore, que le fait d'investir les collectivités locales de responsabilités effectives , permet, en outre, de mettre en place une administration efficace et proche du citoyen .

En conséquence, le texte juge que le renforcement de l'autonomie locale représentera une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la décentralisation du pouvoir.

Le renforcement de l'autonomie locale, ajoute-t-il, suppose l'existence de collectivités dotées d'organes de décision démocratiquement constitués et bénéficiant d'une large autonomie quant aux compétences , aux modalités d'exercice de ces dernières et aux moyens nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

B. Le dispositif

Le document, ratifié par notre pays le 8 juillet dernier, « conceptualise », en fait, l'autonomie locale et en expose les conditions de réalisation. Il décline cette autonomie selon le triptyque : autonomie politique, autonomie administrative et autonomie financière.

1. Autonomie politique

L'article 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale prévoit que le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne de chaque État signataire et, autant que possible, dans sa Constitution.

Même si elle affirme sa préférence pour le fondement constitutionnel, la Charte tient compte du fait que certains États, soit n'ont pas de constitution écrite, soit (notamment lorsque leur structure est fédérale) prévoient une réglementation des pouvoirs locaux par leurs États fédérés, ou encore connaissent des procédures complexes pour modifier leur texte fondamental.

L'article 3 précise ce qu'il faut entendre par autonomie locale au sens de la Charte.

L'autonomie locale est le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.

Plusieurs conséquences découlent de cet énoncé. L'autonomie locale ne doit pas être un principe formel. Elle suppose que les collectivités disposent effectivement des moyens de la mettre en oeuvre. La responsabilité politique des collectivités locales devant leurs citoyens doit pouvoir s'exercer. Les collectivités ne sont pas supposées gérer des « affaires locales » mais « une part importante des affaires publiques » dans le cadre de la loi. Ce point est à rapprocher du paragraphe III précité de l'article 4 de la Charte qui pose un principe général (« précurseur » du point de vue français) de subsidiarité selon lequel l'exercice des responsabilités publiques doit être décentralisé sous réserve de dérogations.

Le deuxième paragraphe de l'article 3 prévoit les conditions politiques de l'exercice de la responsabilité locale. Celle-ci doit être exercée par des conseils ou des assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux.

Soulignons que le gouvernement français, dans l'une de ses trois déclarations interprétatives (voir ci-après), a considéré que le mot « pouvant » devait être entendu comme une faculté et non comme une obligation, mettant un terme aux hésitations qui ont motivé en partie le long délai de ratification.

En effet, à ce jour, notre organisation administrative territoriale ne reconnaît pas la responsabilité des exécutifs locaux devant les assemblées délibérantes, sauf dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de la collectivité territoriale de Corse.

Enfin, le deuxième paragraphe ménage pour les États signataires la possibilité de mettre en place diverses formes de « démocratie directe » en énonçant que les dispositions précitées ne portent pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens , au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là où elle est permise par la loi.

Mais la Charte ne se contente pas de renvoyer au législateur national le soin de préciser la nature de cette « part importante des affaires publiques » visée à l'article 3. Elle formule, au contraire, un certain nombre de préconisations, en ce qui concerne les principes sur lesquels devront reposer les compétences des collectivités locales.

Intitulé « Portée de l'autonomie locale », l'article 4 de la Charte est ainsi composé de six paragraphes.

Le premier paragraphe distingue ce qu'il appelle les compétences de base, d'une part, et les compétences à objet spécifique, d'autre part, des collectivités locales.

Les premières devront être fixées de préférence au niveau constitutionnel ou, en tout cas, par la loi.

L'affirmation du principe de la légalité des compétences de base des collectivités locales n'empêche pas que soient attribuées à celles-ci des compétences à objet spécifique dans le cadre fixé par la loi.

Dans leur rapport explicatif sur la Charte européenne de l'autonomie locale, les services du Conseil de l'Europe rappellent qu'un certain nombre de pays prévoient, en faveur des collectivités locales, des délégations par le Parlement de pouvoirs sur des compétences spécifiques, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre des directives européennes, dès lors que le Parlement conserve des pouvoirs de contrôle suffisants sur l'exercice des pouvoirs ainsi délégués.

En outre, ce rapport relève des cas où des règlements communautaires (applicables aux États membres de la Communauté européenne) peuvent stipuler l'application d'une mesure spécifique à un niveau donné de l'administration territoriale.

Le deuxième paragraphe de l'article 4 exige que les collectivités locales bénéficient, dans le cadre de la loi, d'une pleine latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité. En clair, les collectivités locales doivent pouvoir user d'un « droit d'ingérence » dans tous les domaines qui ne leur sont pas explicitement interdits (parce qu'attribués à une autre autorité) ou parce que manifestement hors de leur champ de compétences.

C'est le législateur national qui est appelé à délimiter le domaine des affaires publiques excluant le droit d'intervention des collectivités locales qui se voient donc attribuer, a contrario, une compétence de plein droit sur les affaires publiques, sauf dans les cas prévus par la loi.

Le troisième paragraphe confirme les orientations du précédent en posant le principe général selon lequel l'exercice des responsabilités publiques doit être décentralisé.

Cet exercice, énonce-t-il, doit, de façon générale, incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens , c'est-à-dire décentralisées. Là encore, le principe peut souffrir des exceptions : le texte évoque ainsi le cas où l' ampleur et la nature de la tâche nécessitent l'attribution d'une responsabilité à une autre autorité que l'autorité décentralisée.

Le troisième paragraphe justifie encore la dérogation au principe général pour des exigences d'efficacité et d'économie .

En clair, les responsabilités publiques doivent être normalement confiées à l'échelon le plus local des collectivités territoriales.

Le quatrième paragraphe de l'article 4 plaide pour l'attribution aux collectivités locales de blocs de compétences . Le législateur national est appelé à clarifier les domaines de compétence afin que les pouvoirs confiés aux collectivités soient normalement pleins et exclusifs . Seule la loi est habilitée à prévoir les cas où sont susceptibles d'être mises en cause ou limitées par une autre autorité (centrale ou régionale) les compétences dévolues aux collectivités locales.

Comme le souligne le rapport explicatif précité, l'intervention locale peut être accompagnée d'une action complémentaire conduite à un autre niveau (par exemple, une autorité centrale ou régionale) mais à condition que cette initiative nouvelle intervienne dans le cadre de dispositions législatives clairement formulées.

En France, les lois de décentralisation des 7 janvier et 22 juillet 1983 se sont efforcées de transférer de l'État aux collectivités territoriales des blocs de compétences les plus homogènes possibles. Le processus de tranfert de compétences a même été « codifié » avec la publication du « code général des collectivités locales » par la loi du 21 février 1996.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, dans sa résolution 94 (2000) sur la démocratie locale et régionale en France, s'est « félicité », à cet égard, de la législation française issue des lois de 1983, en faisant observer que : « dans d'autres pays », la logique de gestion du secteur concerné passe souvent au premier plan sans que les répercussions sur les compétences locales soient abordées comme une question à part entière ».

Le cinquième paragraphe de la Charte prévoit le cas où l'exécution de certaines fonctions dont la responsabilité incombe, en dernier ressort, à des autorités supra-locales, peut être confiée, pour des raisons d'efficacité, aux collectivités locales en raison notamment de leur structure administrative et de leur connaissance de la situation locale.

Dans ces cas de délégation de pouvoir par une autorité centrale ou régionale, le texte pose le principe selon lequel les collectivités locales doivent jouir, autant qu'il est possible, de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales. Ce « pouvoir d'adaptation » pourra souffrir des exceptions. Le rapport explicatif admet, par exemple, que pour certaines fonctions telles que la délivrance de documents d'identité, la nécessité d'une réglementation uniforme pourra ne laisser aucune place à un quelconque pouvoir « discrétionnaire » d'adaptation de la collectivité locale.

Le développement de la Charte consacrée à la portée de l'autonomie locale s'achève par un sixième paragraphe qui institue un principe d'obligation de consultation des collectivités locales, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.

Sont ici visés les domaines de compétence qui relèvent des collectivités locales mais aussi ceux qui se situent hors de cette sphère tout en ayant un impact particulier sur elles. Selon l'interprétation du rapport explicatif, le texte souhaite que les modalités et le calendrier des consultations soit tels que les collectivités aient une possibilité effective d'exercer une influence tout en admettant que des circonstances exceptionnelles puissent prendre le pas sur cette exigence de consultation, particulièrement en cas d'urgence.

Par ailleurs, le susdit rapport précise les modalités de la consultation en disposant que cette dernière devra s'effectuer directement avec la ou les collectivités concernées ou, dans le cas où plusieurs collectivités sont concernées, indirectement par l'intermédiaire de leurs associations. On peut noter que le texte n'habilite pas le législateur national à préciser les conditions de l'obligation de consultation qu'il préconise.

Pourtant, le champ d'application de l'article (les processus de planification et de décision pour toutes les questions qui concernent directement les collectivités locales) peut donner lieu, à l'évidence, à des interprétations variées.

L'article 5 de la Charte prévoit une obligation de consultation des collectivités locales, mais cette fois s'agissant des propositions tendant à modifier leurs limites territoriales.

Pour toute modification de cette nature, précise le texte, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement , par voie de référendum, là où la loi le permet.

Comme le souligne le rapport explicatif, il aurait été irréaliste pour la Charte d'attribuer à la communauté locale un droit de veto sur de telles modifications, même si celles-ci (les projets de fusion avec d'autres collectivités en représentent le cas extrême) revêtent une importance fondamentale pour la collectivité locale et ses citoyens.

A tout le moins, l'article 5 de la Charte exige une consultation préalable (directe ou indirecte, selon le document explicatif) de la collectivité locale.

Dans les pays où les dispositions en vigueur ne permettent pas le recours au référendum, l'article 5 admet d'autres modes de consultation.

L'article 7 de la Charte précise ce qu'il considère comme les fondements de l'indépendance des élus locaux. Ce qui est requis c'est, d'une part, un statut assurant à ces élus le libre exercice de leur mandat et, d'autre part, une compensation financière correspondant exactement aux frais entraînés par l'exercice du mandat - compensation à laquelle peut s'ajouter celle des gains perdus - une rémunération du travail accompli, ainsi qu'une couverture sociale adéquate.

Par ailleurs, le troisième paragraphe de l'article 7 insiste sur la nécessaire légalité du régime d'incompatibilité s'imposant à l'élu local. Les fonctions et activités incompatibles avec le mandat d'élu local, énonce-t-il, ne peuvent être fixées que par la loi ou par des principes juridiques fondamentaux.

La question de la gratuité éventuelle de certaines fonctions électives fait l'objet de la troisième des déclarations interprétatives formulées par le gouvernement français comme il le sera précisé ci-après.

Enfin, l'article 10 de la Charte traite d'un aspect tout aussi fondamental de l'autonomie politique des collectivités locales : la liberté de coopérer et de s'associer avec d'autres collectivités. Ainsi le premier alinéa de l'article énonce que les collectivités locales, dans l'exercice de leurs compétences, ont le droit de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s'associer avec d'autres collectivités pour la réalisation de tâches d'intérêt commun. Ce type d'association correspond, en France, à ce que l'on appelle la coopération intercommunale qui ne fait que s'intensifier depuis une trentaine d'années.

Le deuxième paragraphe de l'article 10 affirme le droit des collectivités locales d'adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d'adhérer à une association internationale de collectivités locales. En France, ce droit s'exerce par exemple dans la libre création des pays par les communes ou les communautés de communes.

Enfin, le troisième paragraphe affirme le droit pour les collectivités locales de coopérer avec les collectivités d'autres États dans des conditions éventuellement définies par le législateur interne.

Dans notre pays, la coopération décentralisée ainsi que la coopération transfrontalière entrent, par exemple, dans ce cadre.

2. Autonomie administrative

Le premier paragraphe de l'article 6 de la Charte dispose que les collectivités locales doivent être mises en mesure d'organiser leurs structures administratives internes en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et dans un souci d'efficacité. Le texte permet toutefois à la législation nationale ou régionale de déterminer les principes généraux régissant ces structures.

Mais ces dispositions, souligne le rapport explicatif, doivent rester limitées de manière à ne pas imposer de structures organisationnelles rigides. Pourraient relever, par exemple, des législations centrales ou régionales certaines dispositions spécifiques concernant la formation de certaines commissions ou la création de certains postes administratifs.

Le deuxième paragraphe a trait au statut du personnel des collectivités locales. Le texte estime essentiel que celles-ci soient en mesure de recruter et d'employer un personnel dont la qualité corresponde aux responsabilités assumées par elles. Le statut du personnel des collectivités locales devra ainsi permettre un recrutement de qualité fondé sur les principes du mérite et de la compétence. A cette fin, il devra comporter des « conditions adéquates » de formation, de rémunération, et de perspectives de carrière.

En France, la création, dès 1984, d'une fonction publique territoriale se caractérisant par l'existence d'un statut général pour les fonctionnaires des communes, des départements et des régions a anticipé l'exigence de la Charte.

L'article 8 de la Charte exige, en second lieu, dans son second paragraphe, que le contrôle administratif de leurs actes soit prévu par la Constitution ou par la loi et ne se fonde que sur le respect de la légalité et des principes constitutionnels .

Seul est jugé fondé un « contrôle de l'opportunité » par des autorités de niveau supérieur sur les tâches correspondant aux compétences déléguées aux collectivités.

Le troisième paragraphe affirme, quant à lui, le « principe de proportionnalité » selon lequel, d'après le rapport explicatif, l'autorité de tutelle est tenue de recourir à la méthode qui empiète le moins sur l'autonomie locale tout en permettant de parvenir aux résultats souhaités. Il énonce ainsi que le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d'une proportionnalité entre l'ampleur de l'intervention de l'autorité de contrôle et l'importance des intérêts qu'elle entend préserver .

Par ailleurs, l'article 11 de la Charte prévoit l'accès des collectivités locales aux recours juridictionnels contre l'exercice abusif de la tutelle et des contrôles administratifs.

3. Autonomie financière

L'article 9 de la Charte définit en huit paragraphes les principes de l'autonomie financière des collectivités locales.

L'existence de ressources propres , tout d'abord. Celles-ci ( premier paragraphe ) doivent être suffisantes pour permettre notamment aux collectivités locales de fixer librement leurs priorités de dépenses dans le cadre, bien sûr, des compétences qui leur ont été dévolues par la Constitution ou par la loi.

En ajoutant ( deuxième paragraphe ) que le niveau des ressources financières des collectivités locales doit être, plus généralement, proportionné au coût réel desdites compétences, la Charte précise, en fait, la condition financière d'une véritable autonomie politique des collectivités locales.

Mais l'autonomie suppose la responsabilité politique devant les citoyens électeurs et contribuables. Aussi, le troisième paragraphe prévoit qu'une partie au moins des ressources financières des collectivités locales devra provenir d'impôts ou de redevances dont les taux auront été fixés librement par la collectivité locale, dans les limites fixées par la loi.

En France, il est à noter que la liberté de vote des taux des emprunts locaux (dans les limites de la loi, laquelle détermine des plafonds ainsi que des règles de variation proportionnelle des différentes taxes) a été établie dès 1980 suivie, à partir de 1982, par la suppression de la tutelle sur les actes budgétaires des collectivités territoriales.

Le nouvel article 72-2 de notre Constitution, issu de la réforme constitutionnelle de 2003, a consacré tardivement dans notre ordre juridique constitutionnel les règles d'autonomie financière inscrites dans la Charte.

Celle-ci insiste encore ( quatrième paragraphe ) sur la nécessité pour les « systèmes financiers » des collectivités locales de reposer sur des ressources suffisamment diversifiées et évolutives pour ne pas être, sur la durée, en décalage avec l'évolution réelle du coût de l'exercice des compétences (ou des nouvelles compétences) des collectivités locales.

Les débats actuels, en France, sur le niveau des compensations par l'État des charges résultant des compétences nouvelles nées de la décentralisation traduisent toute l'importance de cette garantie inscrite dans la Charte.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux estimait, d'ailleurs, en 2000, que si, d'un point de vue statique , le transfert des moyens financiers correspondant au transfert de compétences de l'Acte I de la Décentralisation s'était effectué « correctement », la dynamique d'évolution ultérieure de ces transferts fut au contraire source de controverse . La situation n'a guère changé après l'Acte II.

Le cinquième paragraphe de l'article 9 a trait à la mise en place nécessaire de procédures de péréquation financière ou de mesures équivalentes afin de corriger les effets de la répartition inégale des « ressources potentielles » de financement (ce qui correspond, peu ou prou, à ce que la France a tenté de mesurer avec le « potentiel fiscal » et aujourd'hui avec le potentiel financier des communes, des départements ou des régions) ainsi que des charges qui leur incombent.

Au Sénat, les débats récents sur la péréquation des ressources des collectivités territoriales (notamment autour des travaux de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire en 2003 et 2004) se sont inscrits dans cette ligne en préconisant des mesures de correction des inégalités entre collectivités locales en termes de ressources, mais aussi de charges.

Rappelons que le nouvel article 72-2 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle de 2003 dispose que : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ».

Par ailleurs, le cinquième paragraphe de l'article 9 précise que les procédures de péréquation ou les mesures équivalentes destinées à corriger les inégalités territoriales ne devront pas « réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur domaine de responsabilité ».

Au sujet de cette dernière disposition, le gouvernement avait, comme nous le verrons, envisagé une déclaration interprétative de la Charte (voir rapport Sénat - M. Daniel Goulet - n° 15, 2005-2006, p. 15).

Le sixième paragraphe de l'article 9 institue une autre obligation de concertation des collectivités locales. Il s'agit cette fois de la législation relative à la redistribution des ressources affectées aux collectivités.

On peut penser ici aux transferts aux collectivités de catégories d'impôts ou d'une partie de catégories d'impôts d'État : en France, ces ressources locales sont loin d'être négligeables (TIPP).

Dans sa résolution 94 des 23-25 mai 2000 sur la démocratie locale et régionale en France, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en Europe fait justement observer que cette disposition ne manquera pas d'intéresser tout particulièrement les élus régionaux qui critiquent la manière dont ils ont été informés des intentions du gouvernement de supprimer la part régionale de la taxe d'habitation.

Mais quid de la liberté de gestion d'une collectivité locale dont l'essentiel des ressources sera constitué de subventions de l'État ou d'une autre collectivité affectées au financement de projets spécifiques ?

Sur ce point, la Charte préconise ( septième paragraphe ), dans la mesure du possible, un système de subventions globalisées qui permet de préserver « la liberté fondamentale de la politique de la collectivité locale dans son propre domaine de compétence ».

La France satisfait à ce principe, au travers de la dotation globale de fonctionnement créée en 1974, avant même la signature de la Charte, puis des dotations globales d'équipement et de la dotation générale de décentralisation (1982).

Le rapport explicatif souligne la nécessité de prendre en compte la grande variété des systèmes locaux de financement existant dans les États signataires s'agissant de la part des ressources totales des budgets locaux que représentent les subventions.

Il suggère d'éviter le « recours excessif » aux subventions spécifiques tout en jugeant « acceptable » un ratio élevé subventions spécifiques/subventions globalisées dès lors que la part des subventions dans les recettes totales des collectivités est relativement faible.

En 2000, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en Europe jugeait favorablement la proportion des ressources propres des collectivités territoriales françaises.

En 2004, les ressources propres (produits de la fiscalité locale, redevances domaniales...) des communes et des départements représentaient respectivement 61,3 % et 63,4 % de leurs ressources totales. Il reste que l'État reste le premier contributeur local ce qui n'est pas sans fragiliser l'apparente autonomie financière des collectivités territoriales.

Le dernier paragraphe de l'article 9 de la Charte a trait à l'accès des collectivités locales aux marchés nationaux de capitaux afin de financer leurs investissements. Ces règles relatives aux « possibilités de crédit » (selon les termes du rapport explicatif) des collectivités pourront être fixées par le législateur interne compte tenu de la structure spécifique des marchés de capitaux.

II - Le long parcours de la ratification française

La ratification française est intervenue tardivement : plus de vingt ans après la signature de la Charte. Mais plusieurs pays qui ont signé et ratifié très tôt le document sont loin, à ce jour, d'observer dans leur organisation administrative territoriale, les principes de décentralisation et d'autonomie inscrits dans la Charte.

De ce point de vue, les scrupules français apparaissent plutôt comme « honorables ».

A. L'avis du Conseil d'État du 15 décembre 1991

Saisi en 1991 du projet de loi d'approbation de la Charte, le Conseil d'État a rendu un avis négatif pour les raisons que l'on peut ainsi résumer : certaines dispositions de la Charte semblaient susceptibles de créer des contentieux, d'autres apparaissaient comme en contradiction avec les pratiques françaises de l'époque. Rentraient dans la première catégorie plusieurs dispositions figurant aux articles 4, 7, 9 et 10 de la Charte.

Dans la seconde, on trouve surtout le dernier paragraphe de l'article 3 relatif à la responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales.

En France, en effet, ce principe constitue l'exception.

D'une manière plus générale, le Conseil d'État plaidait pour la préservation de l'équilibre et du consensus auxquels avaient abouti les premières lois de décentralisation.

« L'examen attentif des stipulations de la charte -a-t-il précisé- fait, en effet, apparaître que celle-ci comporte en réalité soit des ambiguïtés qui seront source de revendications inutiles, voire de contentieux avec tous les aléas que celui-ci suscite en longue période, soit des règles différentes de celles qui régissent actuellement les collectivités locales, ce qui implique des modifications aux textes en vigueur, alors qu'aucune nécessité ne justifie ces modifications ».

La nécessité de sauvegarder la marge de manoeuvre du Parlement dans un domaine « touchant, de manière essentielle et durable, aux institutions de la République » fut aussi invoquée. « Il n'y a lieu, soulignait-il, de limiter les pouvoirs du Parlement par la voie d'engagements internationaux qu'avec une très grande prudence et pour des motifs impérieux ».

B. L'Acte II de la décentralisation

Il fut constitué par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République, la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application du nouvel article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales et surtout par la loi du 13 août 2004 relative aux responsabilités locales 2 ( * ) .

L'Acte II de la décentralisation a notamment conforté, sur le plan constitutionnel, plusieurs principes :

- le principe de subsidiarité,

- celui du droit à l'expérimentation,

- celui de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre,

- celui de l'autonomie financière des collectivités,

- celui de la nécessaire correction des inégalités territoriales.

Selon le sénateur Daniel Goulet, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de la Charte, ces réformes ont « placé désormais notre pays en totale conformité avec les prescriptions de la Charte, le plaçant même sur certains points à l'avant-garde en matière de décentralisation ».

C. Les déclarations interprétatives

Lors de l'examen par le Sénat du projet de loi d'approbation (octobre 2005), le gouvernement avait envisagé une déclaration interprétative sur la deuxième phrase du cinquième paragraphe de l'article 9 de la Charte relative à la péréquation. Selon cette disposition, « les procédures de péréquation ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur domaine de responsabilité. »

Le gouvernement a finalement renoncé à une déclaration aux termes de laquelle il soulignait que « selon la République française, les mesures de péréquation des ressources fiscales inégalement réparties entre les collectivités locales peuvent être mises en place, dès lors que lesdites mesures sont définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et n'ont pas pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».

Au final, le gouvernement s'est contenté des trois déclarations interprétatives suivantes :

La première concerne le champ d'application de la Charte. L'article 13 de celle-ci prévoit que les principes d'autonomie locale s'appliquent à toutes les catégories de collectivités locales existant sur le territoire de l'État signataire sauf droit pour celui-ci de préciser les catégories de collectivités locales ou régionales auxquelles il entend limiter le champ d'application ou qu'il entend exclure de ce champ.

Selon la déclaration gouvernementale, « Conformément à l'article 13, les collectivités locales et régionales auxquelles s'applique la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent aux articles 72, 73, 74 et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement. La République française considère en conséquence que les établissements publics de coopération intercommunale, qui ne constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son champ d'application. »

Sont donc visées, en France, toutes les catégories de collectivités locales existantes, à l'exception des Terres australes et antarctiques françaises, et celles qui pourraient être ultérieurement créées.

En second lieu, s'agissant du deuxième alinéa de l'article 3 de la Charte qui a trait à la responsabilité de l'exécutif local devant l'assemblée délibérante, le gouvernement a formulé la déclaration suivante : « La République française considère que les dispositions de l'article 3 § 2 doivent être interprétées comme réservant aux États la faculté d'instituer la responsabilité, devant l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, de l'organe exécutif dont elle est dotée ».

Enfin, le gouvernement a entendu préserver la gratuité des fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal et le caractère forfaitaire des autres indemnités. Sa troisième déclaration précise que « la République française se considère liée par tous les paragraphes de la partie I de la Charte à l'exception du paragraphe 2 de l'article 7 ».

*

* *

La Charte européenne sur l'autonomie locale n'est pas l'engagement international « peu normatif » que décrivent certains.

Les 43 États signataires (les pays de l'Union européenne à 27 mais aussi la Russie, la Turquie ou encore... l'Azerbaïdjan) ont certes des organisations administratives territoriales très variées, façonnées par leur histoire et leur culture politique : des exceptions et des marges de manoeuvre ont donc du être concédées. Mais il ne s'est jamais agi de remettre en cause les principes fondamentaux de décentralisation et de démocratie locale, avec leurs conséquences en termes d'autonomie politique, administrative et financière, inscrits dans la Charte.

Tout au plus, a-t-on pris la précaution de permettre à certains États de différer dans le temps la mise en oeuvre de certaines préconisations majeures.

Dans le cas de la France, les principes de la Charte ont été jugés pleinement compatibles avec l'organisation administrative née de l'Acte II de la décentralisation.

Mais le texte de la Charte est loin d'avoir épuisé toutes ses virtualités. Il pourra constituer un point d'appui intéressant pour des réformes visant à approfondir la démocratie locale ou à améliorer le statut de nos élus.

LOI N° 2007-128 DU 31 JANVIER 2007 TENDANT À PROMOUVOIR L'ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ÉLECTORAUX ET FONCTIONS ÉLECTIVES

La loi traduit les engagements pris par le Président de la République le 4 janvier 2006 pour « faire progresser notre démocratie et les droits des femmes ».

Il s'inscrit dans la continuité de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui a autorisé le législateur à « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives et des lois du 6 juin 2000 et du 11 avril 2003 qui ont institué des dispositions législatives contraignantes ou incitatives pour y parvenir.

En assurant la place des femmes dans les exécutifs municipaux et régionaux, en instituant des remplaçants de sexe opposé pour les conseillers généraux et en renforçant la modulation financière de la première fraction de l'aide publique aux partis politiques qui ne respectent pas l'égal accès des femmes et des hommes dans les candidatures qu'ils présentent aux élections législatives, cette loi constitue une nouvelle étape dans la mise en oeuvre de la parité.

LOI ORGANIQUE N° 2007-223 DU 21 FÉVRIER 2007 ETLOI N° 2007-224 DU 21 FÉVRIER 2007 PORTANT DISPOSITIONS STATUTAIRES ET INSTITUTIONNELLES RELATIVES À L'OUTRE-MER

Ces deux textes répondent à plusieurs objectifs :

- mettre en oeuvre les dispositions de la Constitution qui structurent le nouveau cadre institutionnel et statutaire de l'outre-mer , conformément à la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 ;

- respecter les deux consultations du 7 décembre 2003, en faveur de la transformation statutaire de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, qui deviennent ainsi des collectivités sui generis ;

- créer 2 sièges de sénateurs pour les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ;

- renforcer l'État de droit outre-mer, par une clarification des statuts en vigueur et l'amélioration de la démocratie locale.

LOI CONSTITUTIONNELLE N° 2007-237 DU 23 FÉVRIER 2007 MODIFIANT L'ARTICLE 77 DE LA CONSTITUTION (NOUVELLE-CALÉDONIE)

Ce texte gèle le corps électoral néo-calédonien, et réserve le droit de vote aux personnes installées en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans, et ce à la date de 1998. Cette disposition sera effective à partir du scrutin local de 2009.

Ce gel, inscrit dans la loi organique découlant de l'accord de Nouméa de 1998, avait été censuré en 1999 par le Conseil constitutionnel, obligeant à passer par une révision de la Constitution. Le texte rétablit à la date de 1998 le gel du corps électoral pour les élections provinciales de 2009 et de 2014.

* 1 La France était, au mois de juin 2006, le seul État signataire, avec la Serbie-Montenegro, à ne pas avoir procédé à la ratification.

* 2 Cet Acte II fut précédé par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et notamment son volet relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux largement inspiré, au demeurant, par des propositions d'origine sénatoriale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page