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II. LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE COMME INSTRUMENT DE LA QUALITÉ DE LA LÉGISLATION

La jurisprudence constitutionnelle sur la procédure législative, en particulier sur l'exercice du droit d'amendement, participe de la qualité de la législation. Celle-ci, en effet, est liée à la qualité des débats au cours desquels la loi a été élaborée et à celle de la procédure utilisée.

La présente étude vise à exposer les principaux apports de cette jurisprudence en la matière, et non à traiter l'ensemble de la question du droit d'amendement et de sa limitation.

A. L'ENCADREMENT ACCRU DU DROIT D'AMENDEMENT : LA CONSÉCRATION DE LA RÈGLE DITE DE « L'ENTONNOIR »

La « règle de l'entonnoir », qui figure depuis longtemps dans les règlements des assemblées parlementaires 50 ( * ) , peut être définie de la manière suivante : « Devant chaque chambre, le débat se restreint, au fur et à mesure des lectures successives d'un texte, sur les points de désaccord, tandis que ceux des articles adoptés en termes identiques sont exclus de la navette » 51 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel avait initialement jugé que le droit d'amendement du gouvernement n'était soumis à aucune restriction, y compris après la réunion de la commission mixte paritaire. Ainsi, dans sa décision n° 81-136 DC du 31 décembre 1981 portant sur la troisième loi de finances rectificative pour 1981, il a jugé conforme à la Constitution un article issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi après la réunion de la commission mixte paritaire et qui a été soumis au Sénat lors de la dernière lecture devant cette assemblée, au motif qu' « en l'absence de texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale ne pouvait, à ce stade de la procédure, se prononcer que sur le dernier texte voté par elle, à savoir celui qu'elle avait adopté postérieurement à la réunion de la commission mixte paritaire au terme d'un examen pour lequel l'article 45 de la Constitution ne prévoit pas de limitation à l'exercice du droit d'amendement ».

Le Conseil constitutionnel admettait ainsi l'introduction de dispositions nouvelles par voie d'amendements du gouvernement ou acceptés par lui, adoptés après réunion de la CMP, dès lors que ces amendements n'étaient pas dépourvus de tout lien avec le texte soumis à la délibération des assemblées, c'est-à-dire avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, et qu'ils n'excédaient pas, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement. La jurisprudence sur les « limites inhérentes » est cependant aujourd'hui abandonnée.

L'abandon de la jurisprudence sur les limites inhérentes

au droit d'amendement

Dans sa décision n° 86-221 DC du 29 décembre 1986 relative à la loi de finances pour 1987, le Conseil constitutionnel avait jugé que le droit d'amendement connaissait des limites inhérentes.

Il avait en effet admis le principe selon lequel le gouvernement, en soumettant pour approbation aux deux assemblées le texte élaboré par la commission mixte paritaire, peut modifier ou compléter celui-ci par les amendements de son choix, au besoin prenant la forme d'articles additionnels, ces amendements pouvant même avoir pour effet d'affecter des dispositions qui ont déjà été votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Le Conseil avait précisé que, « toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient [...] ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ».

Le Conseil a appliqué ce principe quelques mois plus tard dans sa décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987 relative à la loi portant diverses mesures d'ordre social, décision dite « amendement Seguin ». Reprenant son considérant de principe précédent, il a jugé qu'en l'espèce, « à raison tant de leur ampleur que de leur importance, les dispositions qui sont à l'origine de l'article [contesté] excèdent les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ».

En 2001, le Conseil constitutionnel a explicitement abandonné la jurisprudence des limites inhérentes au droit d'amendement.

Dans sa décision n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 portant sur la loi organique relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature, il a ainsi jugé que plusieurs dispositions avaient été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution, en se fondant sur un nouveau considérant de principe qui n'évoque plus les limites inhérentes au droit d'amendement : « les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent des premiers alinéas des articles 39 et 44 de la Constitution, être dépourvues de tout lien avec l'objet du projet ou de la proposition soumis au vote du Parlement ».

Il a confirmé cet abandon dans sa décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, afférente à la loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, et a précisé que « les requérants ne sauraient utilement se prévaloir de ce que l'amendement critiqué excéderait, par son ampleur, les limites inhérentes au droit d'amendement ».

1. La limitation du droit d'amendement après la CMP

La jurisprudence constitutionnelle relative au droit d'amendement a longtemps été très favorable au gouvernement qui, seul, avait la maîtrise de ce droit dès lors qu'une commission mixte paritaire (CMP) parvenait à élaborer un texte.

Dans sa décision n° 98-402 DC du 25 juin 1998, afférente à la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, le Conseil constitutionnel, se saisissant d'office de cette question à propos de quatre articles rejetés par le Sénat puis réintroduits par l'Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture suivant l'échec de la CMP, a posé une limitation de principe au droit d'amendement après CMP : « Il ressort de l'économie de l'article 45 [de la Constitution] que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis à la délibération des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; [...] s'il en était ainsi, des mesures nouvelles, résultant de telles adjonctions, pourraient être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire et, en cas de désaccord entre les assemblées, sans être soumises à la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à cette commission ».

Le Conseil constitutionnel a ainsi conclu que, « à la lumière de ce principe, les seuls amendements susceptibles d'être adoptés à ce stade de la procédure doivent soit être en relation directe avec une disposition du texte en discussion, soit être dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ; que doivent, en conséquence, être regardées comme adoptées selon une procédure irrégulière les dispositions résultant d'amendements introduits après la réunion de la commission mixte paritaire qui ne remplissent pas l'une ou l'autre de ces conditions ».

Il est intéressant de souligner que le Conseil constitutionnel a établi un lien direct entre cette évolution de sa jurisprudence et la nécessité d'améliorer la qualité de la loi .

En effet, les Cahiers du Conseil constitutionnel , commentant cette décision, ont noté que « les amendements tardifs, surtout lorsqu'ils sont introduits dans les lois portant dispositions diverses, conduisent à encombrer les textes législatifs de dispositions défectueuses qui, faute de temps, ne peuvent ni être dûment examinées par le Parlement, ni, par conséquent, être corrigées » 52 ( * ) .

D'aucuns, estimant que « la nouvelle jurisprudence ainsi consacrée est au fond beaucoup plus équilibrée et conforme au texte constitutionnel que celle qui prévalait avant », ont pu noter que « le prononcé de cette décision aboutit à revaloriser concrètement le travail parlementaire, par un meilleur respect du cadre de la discussion et de la procédure bicamérale », et ajoutent que « les projets portant diverses dispositions ou diverses mesures ne risquent plus de devenir, à l'occasion du débat parlementaire, de véritables textes « fourre-tout » » 53 ( * ) .

Précisant la portée de cette nouvelle jurisprudence, le Conseil constitutionnel a modifié - et stabilisé jusqu'en 2006 - son considérant de principe dans sa décision n° 2000-430 DC du 29 juin 2000 portant sur la loi organique tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de la Polynésie française et de l'Assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna : « Les seuls amendements susceptibles d'être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être soit en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ».

Le Conseil constitutionnel a également retiré au gouvernement la possibilité de remettre en cause après la CMP une disposition adoptée conforme par les deux assemblées avant la CMP dans sa décision n° 2000-434 DC du 20 juillet 2000 sur la loi relative à la chasse : « Des dispositions adoptées en termes identiques avant la réunion de la commission mixte paritaire ne sauraient, en principe, être modifiées après cette réunion ».

L'adoption d'un amendement après la CMP

Il résulte de l'évolution jurisprudentielle présentée ci-dessus qu'un amendement ne peut plus être adopté après la réunion de la CMP que dans quatre hypothèses :

- relation directe avec une disposition restant en discussion ;

- nécessité de respecter la Constitution ;

- nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ;

- nécessité de corriger une erreur matérielle.

De surcroît, le Conseil constitutionnel veille à ce que sa jurisprudence sur le droit d'amendement après la réunion de la CMP ne soit pas contournée.

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 visait à réorganiser complètement les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les professions de santé pour une meilleure régulation des dépenses de santé. Selon les requérants, la procédure suivie par le gouvernement n'aurait tendu qu'à contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l'introduction de dispositions nouvelles après la réunion de la CMP.

Dans sa décision n° 2001-453 DC précitée, le Conseil constitutionnel a donné raison aux requérants et censuré l'article 18 : « Considérant que l'article 18 ne présente de relation directe qu'avec l'un des articles introduits dans le texte en première lecture, numéroté 10 A en cours d'examen ; que ce dernier est issu d'un amendement gouvernemental déposé la veille de son adoption par l'Assemblée nationale et n'évoque que de façon vague et succincte des « engagements collectifs et individuels, le cas échéant pluriannuels, portant notamment sur l'organisation des soins, sur l'évolution des pratiques et de l'activité des professions concernées » ; que l'amendement insérant l'article 10 A dans le texte de la loi a été présenté par le Gouvernement lui-même comme « un amendement d'esquisse » dont la portée serait déterminée à une étape ultérieure de la procédure législative ; que ce n'est qu'en nouvelle lecture, à la suite d'un amendement déposé par le Gouvernement devant l'Assemblée nationale, que le contenu de l'article 10 A a été présenté ; considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 10 A a été remplacé après la réunion de la commission mixte paritaire par des dispositions qui, compte tenu de leur portée et de leur ampleur, doivent être considérées comme nouvelles ; que son adoption n'était dictée ni par la nécessité de respecter la Constitution, ni par celle d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ».

Si l'hypothèse du recours délibéré à un procédé permettant au gouvernement de s'exonérer de la jurisprudence constitutionnelle n'est pas évoquée dans cette décision, elle l'est en revanche dans son commentaire aux Cahiers : « Par sa décision du 18 décembre 2001, le Conseil coupe court à toute tentation de tourner sa jurisprudence sur les amendements tardifs en multipliant les « coquilles vides » avant CMP, afin de revenir aux pratiques antérieures en nouvelle lecture » 54 ( * ) .

Une partie de la doctrine a pu contester cette décision qui, écrit M. Dominique Rousseau, « ne s'imposait pas d'évidence » 55 ( * ) . Cet auteur a en effet estimé que, « de la comparaison des rédactions successives il ressort que celle finalement adoptée ne bouleversait pas l'économie générale du dispositif connu du Parlement avant la réunion de la CMP. [...] Les évolutions rédactionnelles du dispositif conventionnel de régulation des dépenses de santé sont, en effet, la conséquence nécessaire de la concertation engagée sur ce sujet entre le gouvernement, les caisses et les professionnels de la santé. Or, cette concertation s'est poursuivie pendant la discussion parlementaire [...] . C'est donc pour respecter les principes constitutionnels de concertation et de négociation collective que le dispositif de régulation a évolué au cours de la discussion parlementaire et n'a pu prendre sa forme définitive, étant données les circonstances particulières de calendrier, qu'après la réunion de la CMP. L'amendement gouvernemental pouvait ainsi s'inscrire dans le cadre de constitutionnalité posé par le Conseil ».

2. La limitation du droit d'amendement pendant la CMP

Cette jurisprudence s'applique désormais non seulement après la réunion de la CMP, mais également dès la réunion de celle-ci.

Le Conseil constitutionnel a ainsi, dans sa décision n° 2004-501 DC du 5 août 2004 portant sur la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, censuré deux dispositions adoptées selon une procédure non conforme à la Constitution parce qu' « introduites par la commission mixte paritaire réunie à ce stade de la discussion parlementaire ».

3. La remontée de « l'entonnoir » en deuxième lecture

A partir de 2001, la jurisprudence constitutionnelle relative au droit d'amendement était la suivante :

- avant la réunion de la CMP, le Conseil constitutionnel appliquait sa jurisprudence sur les « cavaliers », c'est-à-dire sur la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec les dispositions du texte initial ;

- à partir de la CMP, le Conseil appliquait la « règle de l'entonnoir » : les amendements devaient être en relation directe avec une disposition encore en discussion, sauf exceptions déjà évoquées.

Le Conseil constitutionnel a récemment durci sa jurisprudence, ses décisions récentes illustrant sa volonté de renforcer son contrôle de la procédure parlementaire dans le but d'améliorer la qualité de la législation.

Dans sa décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, il a appliqué sa jurisprudence sur les « cavaliers » et censuré d'office l'article 19 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, qui, concernant la représentation syndicale dans les commissions administratives paritaires compétentes pour les corps de fonctionnaires actifs de la police nationale, était dépourvu de tout lien avec les dispositions du projet de loi.

Mais surtout, le Conseil a saisi cette occasion pour préciser les règles relatives au droit d'amendement et a modifié son considérant de principe de la façon suivante :

- d'une part, « il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le droit d'amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; [...] il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » ;

- d'autre part, « il ressort également de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa [...] que, comme le rappellent d'ailleurs les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ; [...] toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ».

On notera que « la relation directe » d'une disposition restant en discussion constitue une exigence plus grande qu'un simple « lien ». Il n'est donc pas possible de remettre en cause les articles adoptés ou supprimés conforme.

De surcroît, le Conseil a précisé que « doivent être regardées comme adoptées selon une procédure irrégulière les adjonctions ou modifications apportées à un projet ou à une proposition de loi dans des conditions autres que celles précisées ci-dessus ». Il a ainsi annoncé qu'il censurerait toute disposition qui ne respecterait pas les conditions qu'il venait d'émettre.

Le Conseil a ainsi procédé à une « remontée de la règle de l'entonnoir » dès la deuxième lecture .

Les Cahiers du Conseil constitutionnel explicitent le sens de cette décision : « La bonne tenue du débat parlementaire impose d'éviter les articles additionnels en fin de navette, phénomène qui connaît un emballement préoccupant » 56 ( * ) .

Le Conseil lie ainsi étroitement les conditions d'exercice du droit d'amendement et la qualité de la loi.

« La remontée de l'entonnoir va consacrer la plénitude de la première lecture, ce qui compense en quelque sorte la banalisation de l'urgence à laquelle cède le gouvernement au prix d'un détournement sémantique » écrivent MM. Pierre Avril et Jean Gicquel 57 ( * ) .

M. Jean-Pierre Camby a résumé les deux importantes conséquences de cette décision 58 ( * ) :

- « toute question qui n'a pas fait l'objet d'une adoption par une des deux chambres au moins lors de sa première lecture ne peut plus faire l'objet d'une irruption dans le débat, par la suite » : le débat « gagne beaucoup en rigueur : le débat le plus large a lieu en première lecture, puis il est restreint aux seuls points de désaccord, les articles adoptés lient les assemblées et le gouvernement, tandis que les dispositions rejetées sont, après la première lecture, définitivement écartées de la suite de la discussion » ;

- « un vote conforme ne peut être remis en question, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la jurisprudence ».

Toutefois, cette jurisprudence ne trouve pas à s'appliquer si le gouvernement a déclaré l'urgence ni dans les autres cas (loi de finances, loi de finances rectificative et loi de financement de la sécurité sociale) où l'examen de la loi donne lieu à une seule lecture dans chaque assemblée.

Depuis cette décision, le Conseil constitutionnel s'est montré relativement sévère en censurant plusieurs dispositions n'ayant pas leur place dans la loi déférée.

Il a mis en oeuvre ces nouveaux principes dès le 16 mars 2006.

Dans sa décision n° 2006-533 DC , il a notamment censuré un article, adopté en deuxième lecture, de la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes au motif qu'il avait été adopté selon une procédure contraire à la Constitution : « Cette adjonction n'était pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion ; [...] elle n'était pas non plus destinée à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ». Trois autres articles ont été censurés d'office pour la même raison.

4. L'application plus rigoureuse de la jurisprudence sur les « cavaliers » dès la première lecture

Rappelons que le Conseil constitutionnel a précisé l'étendue du droit d'amendement en première lecture dans sa décision n° 2005-532 DC précitée : « Le droit d'amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; [...] il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ».

L'exigence pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte en discussion devant le Parlement n'est pas nouvelle 59 ( * ) . Elle conduit à censurer les « cavaliers » législatifs. Rappelons qu'il existe également des « cavaliers » budgétaires et des « cavaliers » sociaux : il s'agit de dispositions qui n'entrent pas dans le champ des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Il n'en reste pas moins que, depuis peu, le Conseil constitutionnel applique cette jurisprudence bien établie de façon beaucoup plus rigoureuse.

Dans sa décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le Conseil a censuré douze articles qui ne relevaient pas du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale. Il s'agissait de « cavaliers sociaux ».

Il a censuré, dans sa décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007, l'article 23, issu d'un amendement du gouvernement, de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique, qui autorisait le gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à modifier par ordonnance les dispositions législatives relatives aux soins psychiatriques sans consentement.

Les Cahiers du Conseil constitutionnel apportent des éclaircissements intéressants sur le sens donné par le juge constitutionnel au « lien » requis : « La circonstance que cette habilitation soit inscrite dans un texte qui a pour objet de ratifier une autre ordonnance ne suffit évidemment pas, par elle-même, à établir un lien au sens de la jurisprudence du Conseil : c'est bien la substance des mesures qu'il est envisagé de prendre qu'il convient de rapprocher de celles qui figuraient dans le projet initial. Or, le projet de loi, tel qu'il a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, ne contenait que des dispositions étrangères à la question de l'hospitalisation psychiatrique et même à la pratique médicale. [...] Certes, l'article 23 avait bien pour objet de permettre une modification par ordonnance du code de la santé publique. Mais le seul fait qu'un amendement porte sur le même code que celui modifié par la loi en discussion ne suffit pas, en soi, à le faire regarder comme « non dépourvu de tout lien » avec cette loi. Surtout pour des codes aussi composites que celui de la santé : il faudrait, en pareil cas et à tout le moins, même en première lecture, que l'amendement ait trait à une partie du code par ailleurs affectée par le texte débattu » 60 ( * ) .

De surcroît, - le Conseil constitutionnel reprend d'ailleurs le sens de sa décision n° 88-251 DC du 12 janvier 1989 afférente à la loi portant diverses dispositions relatives aux collectivités territoriales - modifier ou compléter l'intitulé du projet de loi afin de faire référence à l'habilitation ainsi donnée au gouvernement n'est d'aucun secours : « S'il est loisible à une assemblée parlementaire de procéder à une telle modification, celle-ci est par elle-même sans effet sur la régularité de la procédure d'adoption du projet de loi ».

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2007-549 DC du 19 février 2007, a également censuré deux articles de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, ces articles concernant la formation des psychothérapeutes.

Dans sa décision n° 2007-552 DC du 1 er mars 2007, il a également déclaré contraires à la Constitution sept articles, dont trois d'office, de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs. Tous les articles ainsi censurés étaient issus d'amendements présentés par le gouvernement.

En revanche, le Conseil constitutionnel n'a pas suivi les requérants pour lesquels l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances, qui instituait un « contrat première embauche », avait été adopté selon une procédure irrégulière. Ils contestaient également « les conditions du débat parlementaire ayant abouti au vote de la loi critiquée, et particulièrement de son article 8 ».

Dans sa décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 sur la loi pour l'égalité des chances, le Conseil constitutionnel a en effet rejeté cette argumentation : « Ne peut être utilement invoqué le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 8 de la loi déférée, issues d'un amendement adopté au cours de l'unique lecture ayant précédé la réunion de la commission mixte paritaire, auraient dû figurer, du fait de leur portée, dans le projet de loi initial ; [...] cet amendement n'était pas dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait déjà des dispositions destinées à favoriser l'accès à l'emploi des jeunes ».

Le Conseil a également considéré que « la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l'examen de la loi déférée n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption » , et que « l'utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l'exercice du droit d'amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ».

Le Conseil constitutionnel a censuré d'office, dans sa décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, le III de l'article 34 de la loi relative à la prévention de la délinquance, adopté selon une procédure contraire à la Constitution : « Cette adjonction n'était pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion ; [...] elle n'était pas non plus destinée à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ». Il convient de rappeler que cette disposition avait été supprimée en seconde lecture à l'Assemblée nationale, précisément au motif qu'elle n'était pas conforme à la jurisprudence du Conseil, mais a été rétablie en commission mixte paritaire. Les Cahiers du Conseil constitutionnel relèvent à ce propos que « l'avenir de cette jurisprudence dépend largement de son application par les assemblées elles-mêmes » 61 ( * ) .

B. LA RECONNAISSANCE D'EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES DE CLARTÉ ET DE SINCÉRITÉ DU DÉBAT PARLEMENTAIRE

Le Conseil constitutionnel a dégagé un nouveau principe, celui de sincérité des débats parlementaires , apparu pour la première fois dans sa décision n° 2005-512 DC précitée. A l'occasion du contrôle de cette loi, il a rejeté l'argumentation des requérants qui mettaient en cause l'irrégularité de la procédure d'adoption d'un article et a jugé que la procédure employée n'avait pas « altéré la sincérité des débats », sans préciser le fondement textuel de cette notion.

Celle-ci a été consacrée six mois plus tard à l'occasion du contrôle de constitutionnalité de la résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Louis Debré, alors président de l'Assemblée nationale, avait déposé une proposition de résolution afin de tirer les conséquences sur la discussion des lois de finances de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) 62 ( * ) .

Parmi les modifications proposées, un nouveau délai limite pour le dépôt des amendements à la seconde partie du projet de loi de finances était instauré. Il s'agissait d'encadrer le dépôt des amendements : désormais, dans le cadre de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances, les amendements des députés aux missions et aux articles qui leur sont rattachés et aux articles non rattachés peuvent être présentés, sauf décision de la conférence des présidents, jusqu'à 17 heures l'avant-veille de la discussion de ces missions ou la veille de la discussion de ces articles.

Le Conseil constitutionnel a jugé cette modification du règlement de l'Assemblée nationale conforme à la Constitution. Dans sa décision n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005, il a considéré que « la faculté reconnue à la conférence des présidents de fixer un autre délai, le cas échéant plus restrictif, pour le dépôt des amendements peut permettre d'assurer la clarté et la sincérité du débat parlementaire , sans lesquelles ne seraient garanties ni la règle énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : " La loi est l'expression de la volonté générale... ", ni celle résultant du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution, en vertu duquel : " La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants... " ; [...] toutefois, il appartiendra à la conférence des présidents de concilier les exigences précitées et le respect du droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution ».

Par rapport à sa décision du 21 avril 2005, le Conseil a élargi la notion de sincérité des débats à leur clarté. Surtout, il a fondé cette nouvelle exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire sur le premier alinéa de l'article 3 de la Constitution ainsi que sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. C'est à partir de ce dernier qu'il a également élaboré sa jurisprudence relative à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et à la normativité de la loi.

Ainsi, pour le Conseil, la qualité de la loi est-elle liée aux conditions dans lesquelles le débat parlementaire a eu lieu, en particulier au respect des règles de procédure.

Le Conseil constitutionnel a certes énoncé une réserve d'interprétation relative au respect du droit d'amendement des parlementaires, mais sa décision a pour conséquence d'en encadrer les conditions d'exercice. L'exigence de clarté et de sincérité du débat, et donc la qualité de la loi, peuvent justifier une limitation du droit d'amendement. Concrètement, le dépôt tardif d'amendements, qui empêche le gouvernement ou les parlementaires de les examiner dans des conditions satisfaisantes, porte atteinte à la qualité de la législation.

Une partie de la doctrine, commentant cette décision, a pu considérer que, « en n'adoptant pas les mesures suffisantes pour encadrer le droit d'amendement, le Parlement transfère au Conseil constitutionnel la charge de la gestion des amendements, lui laissant le rôle d'arbitrer entre droit d'amendement et qualité des textes législatifs, le contraignant ainsi à poser des limites au droit d'amendement. [...] Une fois de plus, cette exigence apparaît plus comme un nouvel avertissement fait au Parlement pour l'obliger à s'autodiscipliner que comme une atteinte à l'autonomie parlementaire » 63 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a confirmé sa position dans sa décision n° 2005-532 DC précitée, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire pouvant justifier une limitation du droit d'amendement.

Dans un contexte encore marqué par les débats sur la dégradation de la qualité de la loi et les moyens d'y remédier, M. Jean-Louis Debré, alors président de l'Assemblée nationale, avait déposé, le 17 janvier 2006, onze propositions de résolution tendant à modifier le règlement de l'Assemblée, qui visaient, pour l'essentiel, à améliorer les conditions du travail parlementaire 64 ( * ) . La résolution adoptée par l'Assemblée nationale s'écartait sensiblement de ces propositions initiales.

Son article 4 précisait que les amendements des députés aux textes servant de base à la discussion peuvent, sauf décision contraire de la conférence des présidents, être présentés au plus tard la veille de la discussion de ces textes à 17 heures, et jusqu'au début de la discussion générale lorsque le rapport de la commission n'a pas été mis à disposition par voie électronique 48 heures avant le début de la discussion du texte.

Il s'agissait pour l'Assemblée nationale d'instaurer un dispositif de délai limite proche de celui en vigueur de longue date au Sénat.

Dans sa décision n° 2006-537 DC du 22 juin 2006, le Conseil constitutionnel a repris les principes qu'il avait dégagés en octobre 2005 et affirmé très clairement que « l'instauration de tels délais est de nature à assurer la clarté et la sincérité du débat parlementaire, sans lesquelles ne seraient garanties ni la règle énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 [...] , ni celle résultant du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution [...]. » Le Conseil, jugeant que la régulation du droit d'amendement n'était pas contraire à la Constitution, a une nouvelle fois, de façon très claire, montré l'importance qu'il attachait à la qualité de la législation, dont les modalités du débat au cours duquel elle est élaborée constituent une condition.

Le Conseil constitutionnel, tout en consacrant ces exigences nouvelles de clarté et de sincérité du débat parlementaire, n'a pas souhaité en faire, jusqu'à présent, une application rigide.

Ainsi, dans sa décision n° 2006-540 DC précitée, il a admis la conformité à la Constitution de la procédure au terme de laquelle l'article 1 er avait été adopté. Le gouvernement avait retiré cet article du projet de loi au cours de son examen à l'Assemblée nationale, bien que des amendements eussent déjà été adoptés, dans le but de lui substituer un dispositif alternatif au moyen d'un nouvel amendement portant article additionnel.

Le Conseil, après avoir réaffirmé sa jurisprudence selon laquelle « il est toujours loisible à une assemblée parlementaire, saisie d'un projet ou d'une proposition de loi, de ne pas adopter un article lorsque celui-ci est mis aux voix, y compris après avoir adopté un amendement le modifiant » , a jugé en revanche que « le retrait par le Gouvernement d'un article sur lequel des amendements ont déjà été adoptés, dans le but de lui substituer une solution alternative par le vote d'un article additionnel, serait de nature à porter atteinte à l'exercice effectif du droit d'amendement garanti à tout parlementaire par le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution [...]. » En l'espèce, le retrait de l'article 1 er était donc irrégulier.

Toutefois, le Conseil a rejeté le grief de l'irrégularité de la procédure législative : « Cet article a été ultérieurement rétabli tel qu'amendé avant son retrait ; [...] ce rétablissement est intervenu avant que les députés n'adoptent toute autre disposition du texte en discussion ; [...] au cours de la deuxième séance du 9 mars 2006, l'Assemblée nationale s'est successivement prononcée sur les amendements restant à examiner à l'article 1 er du projet de loi puis, après que cet article eut été mis aux voix et rejeté, sur l'article additionnel présenté par le Gouvernement ; [...] ainsi, l'irrégularité précédemment commise n'a pas eu d'incidence sur l'enchaînement des votes ; [...] il en résulte que le procédé employé n'a pas vicié, en l'espèce, la procédure législative ».

Les Cahiers du Conseil constitutionnel notent que « le procédé employé n'a in fine ni altéré la clarté et la sincérité des débats, ni porté atteinte à aucune autre exigence de valeur constitutionnelle » 65 ( * ) .

C. L'APPLICATION PLUS STRICTE DE CERTAINES RÈGLES DE RECEVABILITÉ DES AMENDEMENTS

Le Conseil constitutionnel, attentif au processus d'élaboration de la loi comme garant de la qualité de celle-ci, a très récemment appliqué plus strictement certaines règles relatives à la recevabilité des amendements, dans sa décision n° 2006-544 DC précitée relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

Il paraît évident que cette décision a en partie été motivée par les conditions du débat parlementaire et ses conséquences, appréciées par le Conseil, sur la qualité de la législation qui en est résultée. En effet, les Cahiers , constatant que le texte définitif comportait 143 articles, alors que le projet de loi n'en comptait que 71, font observer que « la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 constitue un record préoccupant en termes de gonflement, lors de l'examen parlementaire, d'un texte qui, par nature, devrait être ramassé et prêter à une discussion centrée sur les grandes questions relatives au financement de notre système de sécurité sociale ».

1. Le droit de priorité d'examen de l'Assemblée nationale en matière financière

Le Conseil a étendu aux lois de financement de la sécurité sociale la jurisprudence qu'il avait établie concernant les lois de finances, selon laquelle le gouvernement - mais pas les parlementaires - ne peut présenter des mesures financières entièrement nouvelles devant le Sénat 66 ( * ) .

Il a modifié son considérant en n'évoquant plus seulement les « mesures financières », mais plus généralement toute mesure nouvelle, tandis que celle-ci ne sera plus « entièrement » nouvelle.

Les requérants mettaient en cause la procédure législative ayant présidé à l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Plusieurs articles de cette loi de financement étant issus d'amendements présentés par le gouvernement au Sénat, les requérants avaient soulevé le grief de méconnaissance du droit de priorité d'examen que la Constitution reconnaît à l'Assemblée nationale en matière de lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel a suivi cette argumentation. Il a considéré qu'il résulte des articles 39 et 47-1 de la Constitution que « les amendements du Gouvernement introduisant des mesures nouvelles dans une loi de financement de la sécurité sociale doivent en premier lieu être soumis à l'Assemblée nationale ». Il a alors censuré sept articles qui n'avaient pas été adoptés selon ce principe.

La règle de priorité d'examen des lois financières (lois de financement de la sécurité sociale mais aussi lois de finances initiales et rectificatives) par l'Assemblée nationale figure désormais parmi les règles de recevabilité qui peuvent limiter l'exercice du droit d'amendement du gouvernement au Sénat dès la première lecture.

Les Cahiers du Conseil constitutionnel , commentant cette décision, notent que « ce raidissement de la jurisprudence [...] conduisait à la censure d'un grand nombre d'articles si l'examen avait été exhaustif et d'office. [...] Le Conseil s'en est donc tenu aux articles dénoncés expressément par le recours comme contraires à la règle de la priorité d'examen par l'Assemblée nationale » 67 ( * ) .

2. L'irrecevabilité financière

A deux reprises, le Conseil constitutionnel avait affirmé la nécessité de mettre en place un contrôle des amendements, au regard de l'article 40 de la Constitution, au moment de leur dépôt. Selon sa décision n° 2005-519 DC précitée, « ainsi pourra être vérifiée, dans le cadre des procédures d'examen de la recevabilité financière qui doivent s'exercer au moment du dépôt d'un amendement, la conformité de celui-ci à l'article 40 de la Constitution ». Sa décision n° 2005-526 DC précitée va dans le même sens.

Cette exigence concernait en réalité le Sénat, où, à la différence de l'Assemblée nationale, les amendements susceptibles d'être déclarés irrecevables sur ce fondement sont discutés en séance publique, si le gouvernement n'a pas encore opposé l'irrecevabilité financière.

Dans sa décision n° 2006-544 DC précitée, le Conseil s'est également montré plus exigeant encore envers le Sénat, en ce qui concerne la recevabilité des amendements parlementaires au regard de l'article 40 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel, s'agissant de deux articles issus d'amendements sénatoriaux déjà censurés, qui « auraient dû, de surcroît, être déclarés irrecevables dès leur dépôt au motif qu'ils avaient pour conséquence l'aggravation d'une charge publique », a jugé d'office que, « si la question de la recevabilité financière des amendements d'origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que le Conseil constitutionnel puisse en examiner la conformité à l'article 40, cette condition est subordonnée, pour chaque assemblée, à la mise en oeuvre d'un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de tels amendements ; [...] une telle procédure n'a pas encore été instaurée au Sénat ».

Les Cahiers du Conseil constitutionnel tirent de cette décision les conséquences suivantes : « Désormais, et tant que le Sénat n'aura pas répondu positivement à l'invitation du Conseil, celui-ci pourra donc connaître directement de la méconnaissance, par les amendements sénatoriaux, de l'article 40 de la Constitution (autrement dit comme juge de premier et dernier ressort), alors que l'invocation de l'article 40 de la Constitution à l'encontre des amendements des députés continuera de n'être possible devant le Conseil que si l'irrecevabilité financière a été soulevée à l'Assemblée nationale ».

Le 27 juin 2007, le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, a présenté la réforme des procédures applicables au Sénat en matière d'examen de la recevabilité financière des amendements afin de tirer les conséquences de la décision précitée du Conseil constitutionnel, après avoir rappelé que le résultat de cette démarche avait été validé par la Conférence des Présidents du 20 juin 2007. Il a indiqué qu'à compter du 1 er juillet 2007, l'irrecevabilité serait, le cas échéant, déclarée par la commission au stade du dépôt de l'amendement.

*

* *

Le souci de la qualité de la législation illustre la démarche prétorienne du Conseil constitutionnel qui, par une politique jurisprudentielle volontariste, a arrêté un certain nombre de principes devant permettre de limiter, et si possible de réduire, les défauts de la production normative induits par une inflation législative dénoncée par les plus hautes juridictions, par la doctrine, mais aussi par les présidents des assemblées parlementaires.

Il n'en demeure pas moins que la qualité de la loi demeure un objectif à atteindre qui n'est pas sans comporter une part d'idéal, comme le relève M. Alexandre Flückiger, professeur à l'université de Genève : « L'idée des lois claires, tout à la fois lisibles et précises, est un idéal ; idéal chaque fois revendiqué mais jamais atteint. Parfaitement précise et prévisible, la loi deviendrait terriblement lourde et compliquée ; légère et simple, la réalité la rattraperait rapidement, car la complexité évitée se reporterait immédiatement sur les textes d'application, sur la jurisprudence et la pratique » 68 ( * ) .

* 50 Article 108, alinéa 3 du règlement de l'Assemblée nationale et article 42, alinéa 10 du règlement du Sénat.

* 51 M. Jean-Pierre Camby, Droit d'amendement et navette parlementaire : une évolution achevée, Revue du droit public n° 2-2006.

* 52 Cahier du Conseil constitutionnel n° 5.

* 53 M. Jean-Luc Matt, Petites affiches n° 135, 11 novembre 1998.

* 54 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12.

* 55 Revue du droit public n° 3-2002.

* 56 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 20.

* 57 Petites affiches n° 33, 15 février 2006.

* 58 Revue du droit public n° 2-2006.

* 59 Dans sa décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, afférente à la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution la procédure législative au motif que l'amendement dont était issu l'article contesté « n'était pas dépourvu de tout lien » avec les autres dispositions de la loi.

* 60 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 22.

* 61 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 22.

* 62 Proposition de résolution n° 2450 du 6 juillet 2005 (AN, XII e législature).

* 63 Mme Élise Besson, Revue française de droit constitutionnel n° 66, avril 2006.

* 64 Propositions de résolution n° 2791 à 2801 du 17 janvier 2006 (AN, XII e législature).

* 65 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21.

* 66 Règle posée par la décision n° 76-73 DC du 28 décembre 1976 relative à la loi de finances pour 1977, et régulièrement réaffirmée depuis.

* 67 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 22.

* 68 Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21.

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