De gauche à droite : Mme Lilia Ticu, M. Ronan Dantec, Mme Véronique Guillotin, S.E Mme Corina Călugăru et M. Eric Gold.

Réuni le mercredi 15 février 2023 sous la présidence de Mme Véronique GUILLOTIN (Rassemblement Démocratique et Social Européen – Meurthe-et-Moselle), le groupe d’amitié France-Moldavie s’est entretenu avec S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU, Ambassadrice de Moldavie en France, qui était accompagnée de Mme Lilia TICU, conseillère Affaires politiques.

 

Ont également participé à la réunion : M. Ronan DANTEC (Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires – Loire-Atlantique) et M. Éric GOLD (RDSE – Puy-de-Dôme).

À titre liminaire, Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, a retracé brièvement l’année 2022 avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie puis la guerre qui s’est installée, les difficultés d’approvisionnement énergétique et l’inflation subie par la population, mais aussi l’aide internationale qui s’est structurée dans le cadre de conférences ministérielles de soutien régulières et le statut de candidat à l’Union européenne obtenu par la Moldavie en juin dernier. Elle a évoqué la récente intervention de la Présidente de la République, Maia SANDU, pour dénoncer des activités de déstabilisation de la Russie, évoquant des préparatifs de prises d’otage ou d’attaques, ainsi que la démission de la Première ministre Natalia GAVRILIŢA, remplacée par Dorin RECEAN.

S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a en préambule souligné que la situation de la Moldavie n’avait jamais été stable du fait de sa situation géographique et politique, ainsi que du conflit transnistrien. Elle a rappelé l’existence d’un conflit certes « gelé » sur son sol, mais qui implique une présence militaire russe de 1 500 à 1 700 hommes relativement bien équipés et d’une armée locale de 5 à 6 000 personnes. Elle a enfin mentionné la coexistence sur le territoire de nombreuses minorités (6,6 % d’Ukrainiens, 4,6 % de Gagaouzes, 4,1 % de Russes, 1,9 % de Bulgares, 0,3 % de Roms, 0,5 % d’autres ethnies, selon le recensement de 2014) dépourvue de tensions et partageant la langue russe comme moyen de communication.

L’ambassadrice a évoqué la grave crise énergétique traversée par son pays en octobre 2022, lorsque les infrastructures ukrainiennes ont fait l’objet d’intenses bombardements de la Russie. Si la dépendance énergétique de son pays au gaz russe et à l’électricité produite en région de Transnistrie ou achetée à l’Ukraine a été un peu allégée grâce au raccordement au réseau électrique européen, l’Ukraine reste encore une source d’approvisionnement en électricité importante. Grâce au soutien international apporté lors de la troisième conférence ministérielle de soutien qui a eu lieu le 21 novembre 2022 à Paris, l’état moldave est en mesure de compenser auprès de 80 % de la population les évolutions à la hausse des tarifs du gaz et de l’électricité, qui ont été multipliés respectivement par 4 et 7. La Plateforme du soutien à la Moldavie, qui a 6 groupes de travail, dont un co-présidé par la France et l’Italie, a réussi à lancer une réflexion sur la sécurité énergétique de la Moldavie, ce qui constituera une première depuis son indépendance ; dans ce cadre, pourra être abordée la question des énergies renouvelables.

S’agissant du statut de candidat à l’Union européenne, les circonstances – présence de 80 000 réfugiés ukrainiens, bombardements sur des zones très proches, hausse des prix... – empêchent tout réel enthousiasme de la part de la population, tandis que le Gouvernement doit gérer les urgences et faire face à des manifestations organisées par les partis d’opposition. L’ambassadrice a évoqué également les tentatives de déstabilisation de l’opinion publique via des médias russes : le Conseil de l’audiovisuel a suspendu six chaînes russes en décembre 2022.

Les autorités moldaves s’emploient malgré tout à poursuivre la mise en œuvre de l’accord d’association et à se concentrer sur les neuf conditions que la Commission européenne a posées dans son avis du 17 juin 2022, pour lesquelles le gouvernement a adopté un Plan national d’action. Près de la moitié des actions prévues sont déjà réalisées, dont le changement de la législation relative au Conseil supérieur de la magistrature, le contrôle du patrimoine des candidats à l’admission à l’Institut national de justice, le renforcement des capacités de la Commission électorale centrale pour superviser et contrôler le financement des partis politiques, l’adoption du Programme de soutien à la population rom. Elles attendent le rapport et la décision de la Commission européenne sur l’ouverture des négociations. 35 groupes de travail prenant en charge tous les chapitres de l’adhésion ont d’ores et déjà été créés et le Secrétariat général des affaires européennes français apportera une aide pour former les personnes clés. À propos du changement de gouvernement, il s’agit plus, selon l’ambassadrice, d’une coïncidence que d’un évènement lié aux menaces de déstabilisation russes, menaces confirmées publiquement par le Président ukrainien sur la base d’informations des services de renseignement. Ce changement était plus ou moins annoncé. Le nouveau Premier ministre, Dorin RECEAN, était le conseiller en matière de politique de sécurité de la Présidente SANDU et anciennement ministre de l’intérieur.

S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a ensuite évoqué la situation dans la région de Transnistrie : l’orientation des autorités moldaves restera inchangée en vue d’assurer la paix et la stabilité sur les deux rives du fleuve Nistru. La situation sécuritaire est globalement stable et ne présente pas pour l’heure de signe de déstabilisation. Cependant, cela continuera de dépendre de la dynamique de la ligne de front et de la situation en Ukraine. La mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Moldavie a vu son mandat prolongé jusqu’en juin 2023. La guerre contre l’Ukraine a entrainé la suspension des négociations au format 5 + 2[1]. Les autorités transnistriennes ont toujours affirmé leur volonté de ne pas être impliquées dans le conflit et maintiennent un dialogue avec Chisinau sur des sujets très concrets. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la Transnistrie pourrait servir de centre d’approvisionnement si le conflit s’étendait à Odessa.

Interrogée par Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, sur le fonctionnement et le rôle du Conseil de l’audiovisuel, l’ambassadrice a indiqué qu’il y avait eu un renouvellement partiel de ses membres, mais qu’il était difficile d’ordonner la fermeture d’une chaîne – quand bien même elle inciterait à la guerre ou délivrerait de fausses informations contre la Moldavie ou l’Ukraine – compte tenu de l’encadrement par la Constitution et le code de l’audiovisuel. Une série de sanctions graduées est donc mise en place avant d’ordonner la suspension. La Moldavie va bénéficier d’un programme spécial de l’Union européenne pour assurer un contrôle de la propagande.

Interrogée par M. Eric GOLD sur la réaction de la population face aux tentatives de déstabilisation russes, S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a souligné que les Moldaves étaient habitués à traverser des périodes complexes et à garder espoir. La guerre en Ukraine a été certes un grand choc pour eux, mais ils se sont tout de suite mobilisés pour aider. Les Moldaves sont avant tout animés par un désir de paix ; ils ne veulent pas que la Moldavie s’implique dans le conflit. Ils souhaitent pouvoir rester dans leur pays, même si beaucoup ont également la nationalité roumaine ou se trouvent à l’étranger. C’est d’ailleurs la même chose pour les réfugiés ukrainiens qui ne se sont pas saisis de la possibilité d’une relocalisation en France (environ 120 relocalisations sur un total de 2 500 proposées) car ils veulent rester près de leur pays. L’inquiétude est proche de celle connue en 1992 lors de la guerre de Transnistrie, étant rappelé qu’à l’époque, il avait été reproché au premier président de la République de Moldavie, Mircea SNEGUR, d’avoir négocié un cessez-le-feu. Il y a surtout beaucoup d’inquiétude à cause de l’inflation et de ses conséquences sur l’activité économique : les entreprises sont en train à leur tour de réduire leurs dépenses. Cette inquiétude est utilisée par les partis d’opposition afin de rendre le Gouvernement et le Parti action et solidarité (PAS) responsables de l’augmentation des prix et d’inciter la population à manifester. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est attentif aux actions qui peuvent directement améliorer la vie quotidienne, comme négocier des accords d’itinérance internationale en matière de téléphonie. Ce sujet est prioritaire et la Moldavie saisira l’occasion du deuxième sommet de la Communauté politique européenne en juin prochain pour négocier un éventuel accord.

Interrogée par M. Ronan DANTEC sur les accords internationaux existant en cas d’agression par un état tiers, l’ambassadrice a rappelé que son pays était un pays neutre, ce principe étant inscrit dans sa Constitution. Il s’agit d’une neutralité auto-déclarée, qui ne relève pas d’accords internationaux. Du point de vue du droit international ou du droit de la guerre, il lui semble difficile d’imaginer l’agression d’un pays neutre sans défense. La livraison de nouvelles munitions en Ukraine, comme les missiles américains Patriot, fait l’objet d’une attention particulière : toute erreur de tir pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur le territoire moldave. La sécurité des frontières relève du ministère de l’intérieur et le Gouvernement a demandé l’aide de l’agence européenne Frontex pour assurer la résilience interne et la protection à la frontière avec l’Ukraine et de l’autre côté avec la Roumanie. En renforçant sa sécurité intérieure, la Moldavie sert la sécurité européenne.

Mme Véronique GUILLOTIN, présidente, a ensuite évoqué la situation dans l’Unité territoriale autonome de Gagaouzie. S.E. Mme Corina CĂLUGĂRU a rappelé que ce territoire était très lié à la Turquie et que la Gouverneure (« Bashkan ») Irina VLAH, qui arrive à la fin de son deuxième mandat, était proche du Président ERDOGAN. Dans ce contexte, le 30 avril 2023, auront lieu les élections régionales pour la position de gouverneur. L’ambassadrice a souligné que les Russes avaient réussi à « russifier » les minorités nationales grâce à la langue russe, qui constitue la langue de communication interethnique. Avant la guerre en Ukraine, le Président POUTINE était très apprécié ; cette admiration a depuis faibli. Cependant, les derniers appels à la vigilance de la Présidente SANDU contre les tentatives de déstabilisation russes ont été vivement critiqués par la Bashkan, qui l’a accusée de totalitarisme.

Pour conclure, l’ambassadrice a rappelé les prochaines échéances électorales, avec les élections locales de 2023, auxquelles participeront les divers partis politiques - le Parti démocrate de Moldavie (PDM) et le Parti des socialistes de la république de Moldavie (PSRM) ont plusieurs mandats au niveau local - , l’élection présidentielle de 2024 et les élections législatives de 2025. Dans cette perspective, elle a indiqué que le nouveau Gouvernement serait avant tout attaché à obtenir des résultats concrets pour la population.


[1] Moldavie, Transnistrie, OSCE, Russie, Ukraine, Union européenne et États-Unis.

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