« Et quand on prétend qu'à notre époque la gratuité relâchera les liens de la famille, en dispensant le père du sacrifice d'argent qu'il doit à son enfant, et l'enfant de la reconnaissance qu'il doit à son père, on oublie que, dans le passé, ni en théorie ni en pratique une pareille objection n'a été soulevée. On oublie également que ces devoirs réciproques de la famille, dont le respect et la sauvegarde ne laissent personne indifférent, ne sont pas compromis autant qu'on veut bien le croire. Il est, en effet, bien peu d'hommes aujourd'hui qui ne sachent que la gratuité absolue ne supprime pas les budgets de l'instruction primaire, et qu'elle a pour but, au point de vue financier, que d'établir une répartition proportionnelle et plus équitable des forces contributives de chacun (...)

On a prétendu que la gratuité absolue était sans influence sur les développements de l'instruction primaire, parce qu'on n'estime que ce que l'on paie, et que l'école ne lui coûtant plus rien, le père de famille lui-même tiendra moins à l'assiduité de son enfant. C'est méconnaître le rapport intime et constant qui existe entre les progrès matériels et les progrès intellectuels qui se manifestent de toutes parts. Toutes ces améliorations dans les conditions, dans les habitudes de la vie, déjà réalisées, déjà évidentes et toujours progressives au milieu de nos populations rurales, amènent forcément le besoin et le désir d'améliorations analogues dans la culture et le développement de l'intelligence. Quelle erreur de croire que les plus humbles eux-mêmes ne considèrent pas l'ignorance comme un joug fatal et l'instruction comme un bien précieux ; donnez leur ce bien gratuitement, ils ne le refuseront pas (...)

La gratuité absolue efface les distinctions forcées qui s'établissent entre les élèves payants et les élèves gratuits. C'est un bien incontestable. »

Le texte de la loi relative à la gratuité absolue de l'enseignement primaire dans les écoles primaires publiques est transmis au Sénat le 7 décembre 1880 (JO du 15 décembre 1880). Charles Hippolyte Ribière rend son rapport le 5 mars 1881. Le projet est discuté en séance publique lors d'une première délibération les 2, 4 et 5 avril 1881 (JO des 3, 5 et 6 avril 1881) puis en deuxième délibération le 17 mai 1881 (JO du 18 mai 1881) à l'issue de laquelle il est adopté avec modifications.