LE JAPON FACE À LA CRISE

I - LE JAPON EST CONFRONTE A UNE CRISE ECONOMIQUE ET FINANCIERE GRAVE ET DURABLE

Le Japon connaît actuellement sa plus grave récession économique depuis la seconde guerre mondiale, aggravée par la déficience du système financier japonais. Les mesures conjoncturelles prises lors de l'éclatement de la bulle financière ont montré leurs limites, les onze plans de relance intervenus en sept ans n'ayant pas permis le retour à une croissance durable. Si des signes de reprise ont pu être constatés au premier semestre 1999, il convient cependant de rester prudent car les perspectives demeurent incertaines.

A - La crise financière : le séisme causé par l'éclatement de la bulle spéculative

La crise économique du Japon a été initiée par une crise financière. Le système bancaire japonais s'était structuré dans les années trente autour de deux principes : la segmentation des activités pour limiter les risques globaux qu'avait mis en évidence la crise de 1925 et la mobilisation de l'épargne pour financer l'effort de reconstruction en 1945. Le système financier était dédié à l'industrialisation, sous la conduite du ministère des Finances et du Ministère du Commerce et de l'Industrie (MITI), les taux d'intérêt étaient maintenus à de faibles niveaux et les entreprises avaient massivement recours à l'emprunt plutôt qu'aux marchés boursiers, comme dans les pays anglo-saxons.

A partir de 1985 est apparue la bulle économique : pour contrer le choc de la hausse du yen par rapport au dollar, le gouvernement choisit d'assouplir la politique monétaire en maintenant une politique budgétaire stricte, les entreprises débordent de liquidités et se refinancent directement sur les marchés à des coûts dérisoires et la part des prêts bancaires dans leur financement tombe à moins de 50 %. Les banques, de leur côté, se lancent dans les prêts immobiliers qui représentent 25 % de leur encours de prêts en 1990. Cette période de la bulle est aussi celle où commencent la déréglementation du système financier japonais et son ouverture internationale : vingt-deux maisons de titres étrangères entrent à la Bourse de Tokyo et les yuppies américains affluent.

En 1989, la spéculation atteint des proportions telles que les autorités financières décident de réagir pour contenir les risques d'inflation. La Banque du Japon augmente à cinq reprises le taux d'escompte, qui passe de 2,5 % à 6 % entre mai 1989 et août 1990. Ce retournement brutal et obstiné de la politique monétaire provoque une gigantesque déflation d'actifs qui n'est toujours pas parvenue à son terme en 1998 malgré huit plans de relance, différentes tentatives du ministère des Finances pour soutenir la Bourse ou le marché immobilier et un assouplissement radical de la politique monétaire, avec un taux d'escompte ramené au niveau historiquement bas de 0,25 %.

Les responsables japonais n'avaient pas prévu l'effet de " boule de neige " du choc initial, qui est lié aux particularités du système financier japonais. La chute rapide de la Bourse a mis en difficulté de nombreuses entreprises qui avaient hypothéqué leurs actifs immobiliers pour spéculer. La vente de ces actifs a fait baisser les prix de l'immobilier, aggravant la situation financière des spéculateurs et affectant à nouveau la Bourse.

Le rôle essentiel joué par les prêts bancaires dans l'économie et la place quasi-exclusive des terrains et de l'immobilier comme garantie des prêts accordés n'ont pas posé problème tant que le prix des terrains montait.

Le retournement de 1990 a enclenché un cercle vicieux de contraction du crédit, faillites, ventes d'actifs immobiliers qui ont contribué à leur tour à la baisse des prix. Cette spirale déflationniste touche également la Bourse par le biais des participations croisées : les banques vendent une partie de leurs portefeuilles pour encaisser les plus-values des décennies antérieures. L'indice Nikkei s'est effondré sans jamais se redresser. Les prix de l'immobilier dans les grandes villes ont chuté de 70 % sur la même période.

Entre 1990 et 1997, la perte d'actifs boursiers et immobiliers subie par les agents économiques japonais est estimée à environ 1 000 trillions de yens, soit 9 000 milliards de dollars, correspondant à plus de deux ans de PNB japonais .

Les prix de l'immobilier ou de la Bourse sont retombés à leur niveau de 1984-1985. La " bulle " est tout simplement effacée. Reste cependant un problème majeur : les très nombreux emprunteurs de la période de la " bulle " sont toujours là et beaucoup ne peuvent plus payer leurs dettes.

L'économie japonaise est alors entrée dans le marasme avec un taux de croissance ne dépassant pas 1 % de 1992 à 1997. Les banques accumulent les mauvaises créances. L'administration refuse des fermetures de banques qui feront faillite deux ans plus tard dans des conditions plus coûteuses.

En 1999, le système financier explose :

Nippon Housing Loan et avec elle toutes les sociétés de crédit à l'immobilier (appelées jusen en japonais) font faillite, et le contribuable japonais est mis pour la première fois à contribution à hauteur de 6 milliards de dollars pour financer leur liquidation. Sur la même période, la banque Hyogo puis deux sociétés de crédit à la consommation (Cosmo Credit et Kizu Credit) font faillite à leur tour. La banque Daiwa annonce une perte de 1,1 milliard de dollars liée à des spéculations frauduleuses d'un seul de ses traders sur le marché obligataire américain.

L'image globale des banques japonaises se dégrade très fortement : elles sont contraintes de payer une marge supplémentaire sur leurs emprunts en devises - le " Japan premium " - qui atteint 0,8 % fin 1995.

Cette dégradation de la situation financière des banques nipponnes, conjuguée avec les effets de la crise asiatique, a précipité l'économie japonaise dans un cercle vicieux. Elle a conduit les banques à durcir leur offre de crédit, aggravant ainsi les conditions d'activité des entreprises, en particulier des PME, et accentué la crise de confiance des agents économiques.

B - Une récession sans précédent


1. La chute de la croissance

Après avoir enregistré une croissance de 5,1 % en 1996, la situation de l'économie japonaise s'est considérablement dégradée en 1997. Le redémarrage de l'activité, qui reposait essentiellement sur le dynamisme des exportations, ne s'est pas transmis au niveau domestique. Il a, de surcroît, été freiné par un durcissement budgétaire de grande ampleur (estimé ex-ante à 2 points de PIB) avec notamment un relèvement du taux de TVA en avril 1997. Enfin, au cours de l'été, les crises financières asiatiques ont accentué la dégradation des anticipations sur la croissance. En accélérant la contraction du prix des actifs, elles ont provoqué une crise de défiance à l'égard du système financier japonais. La croissance n'a atteint que 0,9 % en 1997. En 1998, tous les indicateurs économiques sont restés médiocres . Le PIB a chuté de 2,8 %. Le Japon a connu le pire score de sa production industrielle (- 6,5 %). La demande intérieure s'est effondrée et le nombre des faillites a augmenté considérablement, comme le montrent les tableaux ci-après.

Faillites des entreprises au Japon en 1998 : plusieurs records enregistrés

(Statistiques sur des entreprises dont le passif est supérieur à 10 millions de yens)

Le passif total des entreprises ayant fait faillite en 1998 s'élevait à 14,4 trillions de yens, dépassant de 2,6 % le précédent record enregistré en 1997. 19 171 entreprises ont fait faillite, soit une augmentation de 17,1 % par rapport à l'année précédente, sans atteindre le record de 20 841 faillites en 1984.

Parmi les plus grandes faillites, on trouve la défaillance de Japan Leasing Corporation en septembre, deuxième société de crédit-bail japonaise et filiale de la Long Term Credit Bank of Japan qui avait été nationalisée quelques jours auparavant. Son passif, à lui seul, s'est élevé à 2,2 trillions de yens, soit la plus grosse faillite dans l'histoire économique du Japon.

Dans les autres secteurs, des entreprises de première importance ont également fait faillite, JDC Corporation, constructeur immobilier, et Okura Corporation, maison de commerce, toutes les deux cotées à la première section de la Bourse de Tokyo, ont déposé leur bilan avec un passif de 407 et 253 milliards de yens respectivement. Par ailleurs, le fabricant de photocopieurs Mita Industrial Co., avec un passif de 206 milliards de yens, a été enregistré comme la plus importante faillite de l'industrie manufacturière.

Si l'on regarde secteur par secteur, l'augmentation du nombre de défaillances s'élèverait à 13,7 % dans le secteur de la construction, 24,7 % dans l'industrie manufacturière, 15,7 % dans la distribution (gros et détail), 25,9 % dans le transport et les télécommunications, 13,9 % dans le service et 22,9 % dans l'immobilier.

Les faillites ayant comme origine la dégradation conjoncturelle représentaient 70,8 % du total contre 65,7 % l'année précédente, proportion la plus élevée depuis la fin de la guerre. Les entreprises qui ont donné comme motif de faillite le rationnement du crédit étaient au nombre de 759 (4 % du total), contre 226 en 1997, soit une augmentation de 235,8 % .

Evolution de la croissance du PIB

Contributions à la croissance du PIB (en %)

Le mauvais résultat de 1998 provient avant tout de la chute de l'investissement privé et de la morosité de la consommation. Les différentes mesures de relance par les finances publiques n'ont commencé à faire sentir leurs effets qu'à partir de l'automne (pour le plan de relance du mois d'avril, celui du mois de septembre n'ayant pas fait l'objet d'un début d'exécution sur l'année 1998) et n'ont pas permis de redresser l'activité à ce stade. Le changement d'orientation de la politique de dépense publique qui était, jusqu'au début de cette année, orienté vers le redressement des équilibres et qui, désormais, donne la priorité à la relance à tout prix de l'activité, n'a donc pas suffi à compenser les éléments négatifs.

Seuls les échanges extérieurs ont contribué positivement à la croissance du fait de la chute massive de la demande interne et donc des importations.

2. L'effondrement des secteurs symboles du succès japonais

La crise n'a pas épargné les géants japonais de l'électronique ou de l'automobile.

a) L'électronique

La crise a frappé de plein fouet des secteurs clés de l'économie japonaise. A l'exception du secteur " grand public ", les entreprises de l'électronique ont enregistré de fortes pertes en 1998, comme le montre le tableau ci-dessous :

Ces difficultés résultent de plusieurs facteurs défavorables :

- La baisse en valeur du marché mondial des semi-conducteurs (- 8,4 %) qui a fortement touché les entreprises engagées dans le secteur des mémoires, notamment les fabricants japonais et coréens. Alors que le prix des mémoires Dram 16 mégabits chutait depuis 1996 (- 95 %), les fabricants japonais de semi-conducteurs ont fortement investi sur la génération des Dram 64 mégabits dont la baisse des prix (- 70 %) a surpris ; parallèlement, le prix des écrans à cristaux liquides a fortement baissé ;

- l'atonie de la consommation des ménages en 1998 : la croissance plus lente des recettes des ventes de PC a affecté doublement les constructeurs japonais qui produisent à la fois les composants et les ordinateurs ; plus généralement, la baisse de la consommation a eu des effets négatifs comme par exemple la chute des ventes automobiles puisque la valeur moyenne des composants électroniques atteint 180 dollars par véhicule contre moins de 100 dollars en 1993 ;

- la baisse des investissements industriels a touché très sensiblement les entreprises du secteur (à l'exception de Matsushita et Sony spécialisés sur le grand public) ; de même les compagnies électriques ont réduit leurs investissements et donc leurs commandes à Hitachi, Toshiba et Mitsubihi electric ;

- la hausse du yen a également ralenti les exportations de ces produits.

Ces entreprises ont été les premières à engager des programmes de restructuration en réduisant leurs effectifs et en recentrant leurs activités.

b) L'industrie automobile

L'industrie automobile est également durement frappée : si Honda et Toyota ont limité les dégâts en 1998, Nissan, Mitsubishi, Isuzu et Hino ont enregistré des pertes considérables, respectivement de - 7,7 %, - 16,2 %, - 18,5 % et - 24,1 %. Cette situation résulte de l'effondrement des immatriculations automobiles (- 15 %) auquel s'ajoute la crise asiatique qui a freiné les exportations.

Au total, il apparaît que les groupes les plus internationalisés tirent globalement mieux leur épingle du jeu. Pour Sony ou Honda, le marché américain est devenu plus important que le marché japonais.

C - L'avenir des keiretsus en question

La crise que traverse le Japon depuis la fin de l'année 1997 remet en question le système des keiretsus, conglomérats qui représentent une force considérable au sein de l'économie japonaise : ils regroupent 195 sociétés et réalisent 15 % du capital, 13,2 % du chiffre d'affaires et 19,6 % du résultat courant de l'ensemble des sociétés japonaises (1996).

1. La structure organisationnelle des keiretsus est très soudée

Les keiretsus forment un " club " d'entreprises japonaises regroupées autour d'intérêts communs. Ils sont constitués d'une grande banque, d'une maison de commerce ( sogo sosha ) et d'entreprises industrielles de secteurs traditionnels (industrie lourde, grosses infrastructures, textile, chimie). Les 6 principaux keiretsus sont :

1( * )2( * )3( * )

Les liens entre les entreprises d'un même keiretsu sont caractérisés par :

- le financement intra-groupe : la banque du " club " est la clé de voûte du keiretsu ; elle protège les sociétés du keiretsu de menaces d'OPA tout en assurant le financement. La banque forme le noyau dur des actionnaires de ces entreprises, et réciproquement ces entreprises sont actionnaires de la banque ;

- une participation croisée d'actions : en moyenne 21,4 % des actions d'une société d'un keiretsu sont possédés par d'autres sociétés du même keiretsu ;

- les sogo soshas jouent un rôle majeur au sein du keiretsu, non seulement en tant que maisons de commerce sur le marché domestique japonais et sur les marchés extérieurs, mais aussi comme organisateurs des activités du " club " et créateurs d'alliances et de joint ventures avec des sociétés étrangères ;

- la nomination des directeurs : les principales entreprises positionnent leurs cadres aux postes de direction des plus petites entreprises du keiretsu, tandis que les cadres des départements financiers des entreprises industrielles proviennent pour l'essentiel de la banque du keiretsu ;

- des réunions régulières des Présidents des membres du keiretsu sont organisées pour maintenir la cohésion du club ; la situation économique du Japon et la situation financière des sociétés du keiretsu y sont discutées.

2. Les liens traditionnels qui unifiaient les keiretsus se délitent progressivement

a) On assiste à une baisse des participations croisées et d'échanges de directeurs

Depuis l'éclatement de la bulle financière, le taux de participations croisées a commencé à baisser. En 1992, 22,2 % des actions des sociétés d'un keiretsu étaient possédées par d'autres sociétés du même keiretsu. Ce taux a baissé à 21,4 % en 1998. Cette tendance devrait se confirmer puisque les banques japonaises, de plus en plus soumises à la concurrence étrangère, devraient réduire la part des actions dans leurs actifs (celle-ci étant nettement supérieure à celle des banques étrangères). Ainsi, les banque Fuji et Sumitomo ont annoncé en mars dernier qu'elles vendront leurs participations dans des entreprises de leur keiretsu respectif à un rythme de 5 à 10 MsdF par an pendant 5 ans.

En 1998, en moyenne 48,6 % des membres des conseils d'administration des sociétés des keiretsus proviennent d'autres sociétés du keiretsu ; ce ratio était de 59,9 % en 1992.

b) Les banques, piliers financiers des keiretsus, vont mal

Sous le poids de prêts non performants considérables, le système bancaire japonais s'est très affaibli depuis 1997 avec deux conséquences : la fin du système de convoi (solidarité entre banques japonaises), et la fin du soutien financier des membres du keiretsu. Les courtiers, très fragilisés par la chute de la Bourse de Tokyo, ont été les premiers à tirer les conséquences de ce changement :

- trop faible et sans appui des autres banques japonaises, la banque Fuji n'a pas pu soutenir le courtier Yamaichi Securities qui a été mis en faillite en décembre 1997 ;

- le courtier Nikko Securities a volontairement décidé, en juin 1998, de quitter la sphère Mitsubishi à laquelle il appartenait pour s'allier à l'américain Travelers.

Avec le développement du financement direct, les entreprises japonaises sont désormais moins dépendantes des banques, ce qui rend leur appartenance à un keiretsu moins attractif.

c) Les sogo soshas, piliers commerciaux des keiretsus, sont également dans une situation difficile

Le Japon, qui compte pour environ 50 % des transactions des maisons de commerce est en récession, tandis que l'Asie du Sud-Est peine à sortir de la crise. La réticence des banques japonaises à prêter a amené les sogo soshas à se substituer à elles et à accorder des crédits à leurs clients, aujourd'hui défaillants (notamment en Indonésie). Plusieurs sogo soshas (Nissho Iwai, Itochu, Marubeni, Sumitomo Corp.) ont annoncé des pertes pour l'année fiscale 1998 (qui s'est achevée le 31 mars 1999) tandis que les autres (Mitsui & Co, Mitsubishi Corp.) ont annoncé des profits en forte baisse. Nissho Iwai et Itochu viennent même d'être déclassés comme investissements " spéculatifs " par Moody's.

d) L'appartenance à un keiretsu a eu des effets pervers

Sans organes publics de contrôle (actionnaires, comités d'audits) et assurées du soutien de leur banque, nombreuses sont les entreprises japonaises à avoir perdu leur compétitivité et leur vision stratégique. Ainsi, beaucoup d'entre elles ont investi sans discernement lors de la bulle financière et se retrouvent aujourd'hui avec des dettes importantes, alors que le cash flow généré par ces investissements est insuffisant. Pour ces sociétés dont la comptabilité est parfois peu transparente, les pertes s'accumulent, à l'inverse de Honda, Sony ou Matsushita qui n'appartiennent pas à un keiretsu.

e) La solidarité entre membres des keiretsus n'est plus automatique

Alors que l'écart se creuse de plus en plus entre les entreprises industrielles qui réussissent et les autres, la solidarité n'est plus automatique entre les membres des keiretsus. Sans rappeler la faillite de Yamaichi, citons :

- la faillite de la maison de négoce agro-alimentaire Toshoku, suite à l'arrêt de l'appui de Mitsui & Co (décembre 1997) ;

- Toyota, bien que disposant de 130 MdsF de disponibilités financières, avait initialement refusé de souscrire à une augmentation de capital lancée par la banque Sakura (décembre 1998) ;

- Mitsubishi Heavy Industry (MHI), ayant une dette de 50 MdsF, a refusé de participer à une augmentation de capital de la banque Tokyo-Mitsubishi (BoTM) (mars 1999) ;

- Mitsubishi Motors, avec une dette de 100 MdsF et sans aide ni de son principal actionnaire (MHI) ni de la BoTM, a dû rechercher un partenaire.

f) Les rapprochements avec des sociétés étrangères au keiretsu se multiplient

Encore impensables il y a un an, les rapprochements avec des sociétés étrangères au keiretsu se développent dans une logique défensive, mais aussi offensive. On peut citer des exemples :

- dans le secteur des produits pétroliers, la fusion de Mitsubishi Oil avec Nippon Oil (octobre 1998) ;

- le rapprochement des activités sidérurgiques de Mitsubishi Corp. et Mitsui Corp. (novembre 1998) ;

- les deux fusions dans le secteur du transport maritime des armateurs Mitsui OSK Line avec Navix (du keiretsu Sanwa) (novembre 1998) et de Nippon Yusen (Mitsubishi) et Showa Kaiun (Fuyo) ;

- la fusion des activités films et polyester de Teijin et Dupont (USA) au sein d'une filiale commune (février 1999) ;

- la fusion de Sumitomo Rubber et de Good Year (février 1999) ;

- l'alliance Nissan avec Renault en mars dernier ;

- la fusion de Mitsubishi Chemical avec Tokyo Tanabe.

D - Des perspectives de reprise incertaines malgré une stabilisation de l'activité

Depuis le début de l'année 1999, le Japon connaît une période d'embellie. Au premier trimestre 1999, le PIB a progressé de 0,1 % en glissement annuel. La progression a été beaucoup plus rapide si on retient la présentation officielle par rapport au dernier trimestre de 1998 et en données corrigées des variations saisonnières (CVS) : 1,9 %, soit 7,9 % en annualisant ce résultat. Au-delà de l'écart important entre ces deux modes de calcul, il convient de souligner que c'est la première fois depuis le quatrième trimestre 1997 que le PIB ne recule pas . Ce retournement est significatif après un recul moyen de l'ordre de 3 % pour les cinq trimestres précédents. Il y a donc, à tout le moins, un début de stabilisation de l'activité . Ce bon résultat est bien meilleur que ce qu'attendaient les économistes du secteur privé. De plus, la bonne tenue du yen depuis le printemps 1999 et celle de la bourse (+ 20 points par rapport à son plus bas niveau de 1998) sont les signes d'un certain retour à la croissance.

Ce changement d'orientation est essentiellement dû à la reprise de l'investissement public et, de façon surprenante, accessoirement, à la consommation privée.

L'investissement public, qui avait décollé dès la fin de l'année dernière, accélère pour progresser de 22,8 % en glissement annuel, soit une contribution à la croissance de 1,9 %. La consommation publique elle-même progresse un peu : + 1,2 %. Alors que la part de l'investissement public dans le PIB avait régressé au cours de deux dernières années, passant d'un sommet de 10,6 % au quatrième trimestre 1995 à 6,2 % au second trimestre 1998, il rebondit fortement pour atteindre ce trimestre 10,1 %. La bonne tenue de l'investissement public résulte, à l'évidence, des deux plans de relance massifs approuvés l'an dernier. Mais les montants arrêtés en 1998 étant plus importants et le redémarrage plus brutal, on peut d'ores et déjà envisager un niveau élevé d'investissement public pour encore deux ou trois trimestres. La hausse des commandes publiques en avril (+ 31,9 %) est de bon augure.

En revanche, la demande privée diminue de 2,5 % , soit une contribution négative à la croissance de 2 %. Elle régresse sous le coup de la poursuite de l'effondrement de l'investissement des entreprises (- 10,2 %) et des ménages (- 9,7 % pour le logement), alors même que la base de départ était faible puisque les deux composantes étaient déjà en fort recul au début de l'année dernière. Toutefois, l'examen des données corrigées des variations saisonnières (CVS) montre un début d'amélioration de la situation pour l'un comme pour l'autre. Cela signifie notamment que les efforts consentis par les pouvoirs publics pour faciliter le financement des PME portent leurs fruits. Au sein de la demande privée, seule la consommation progresse : + 0,8 %, ce qui donne une contribution à la croissance de 0,5 % vu son poids élevé. La hausse de la consommation est à comparer aux estimations effectuées à partir des enquêtes de consommation qui indiquaient un recul de 1,5 % de même que la plupart des statistiques des réseaux de distribution. La distribution de bons de consommation pour les enfants (de 15 ans et moins) et les personnes âgées (20 000 yens par individu, soit 1 000 F) pourrait expliquer en partie cette reprise.

L'extérieur est positif en glissement annuel, mais négatif en données trimestrielles CVS ; on constate, en effet, pour la première fois depuis le premier trimestre 1997 une reprise des importations, ce qui est cohérent avec le raffermissement de la consommation.

Le résultat du début de l'année, meilleur que prévu, est à rapprocher de celui de 1996 : si le redémarrage de l'investissement public est comparable dans les deux cas, en revanche, la demande privée ne l'accompagne pas cette fois-ci ; au contraire, elle reste déprimée , tirée vers le bas par l'investissement privé, la consommation ne rebondissant que modérément. Si on peut anticiper une poursuite de la croissance de l'investissement public au cours des prochains mois (les ouvertures de chantiers publics ont progressé de 19,5 % en mars et de 31,9 % en avril), l'effet d'entraînement risque de ne pas être relayé par la demande privée, car les entreprises sont en phase de restructuration avec réduction des capacités de production et les ménages sont inquiets du fait de la montée du chômage et des problèmes démographiques structurels. Toutefois, quelques signes d'amélioration sont perceptibles du côté des ménages : d'une part, leur indice de confiance s'est redressé ces derniers mois de même que l'indicateur du cabinet Dentsu, d'autre part, les mises en chantier de logements, après avoir reculé fortement pendant deux ans, se sont stabilisées en mars, puis ont progressé en avril.

* *

*

L'économie paraît donc être au stade de la stabilisation . Compte tenu de l'ampleur des investissements publics, il suffirait que les divers indices positifs relevés depuis quelques mois du côté de la consommation et du logement soient confirmés pour que l'économie puisse bénéficier d'une croissance positive comme l'espèrent les autorités. Cependant la nécessité d'opérer une réforme structurelle en profondeur du système économique pour assurer une sortie de crise durable commence à s'imposer.

II - LA CRISE RÉSULTE D'UNE PROFONDE CRISE DE CONFIANCE INTÉRIEURE

Les Japonais sont inquiets, ainsi qu'en témoignent plusieurs sondages d'opinion réalisés depuis 1997, et ce pessimisme est particulièrement vif chez les jeunes (25-29 ans). La dimension sociale de la crise est fondamentale : les Japonais investissent et consomment moins et leur peur du futur freine la reprise.

Cette crise de confiance tient à la fois à la défiance à l'égard de la classe dirigeante politique et administrative et à la peur liée au spectre du chômage et au vieillissement de la population.

A - La perte de confiance dans l'avenir

Les difficultés économiques du Japon ne peuvent être comparées à celles que traversent ses voisins asiatiques. Les manifestations en sont moins spectaculaires ; les Japonais continuent de bénéficier d'un niveau de vie parmi les plus élevés de la planète et restent conscients de leur statut de seconde puissance économique mondiale. Néanmoins, la crise, latente depuis le début de la décennie, s'installe insidieusement dans les têtes. Elle affecte la confiance des ménages en l'avenir et modifie leurs comportements de consommation et d'épargne. La stagnation, voire la baisse du pouvoir d'achat, amène à sacrifier certains postes de dépenses pourtant jugés essentiels . Ainsi les grands quotidiens voient-ils diminuer le nombre des abonnements à leur édition du soir, les lecteurs se contentant de l'édition du matin. De même, dans une société obsédée par l'éducation de ses enfants, les effectifs des cours privés complémentaires de préparation aux concours sont en baisse. Anticipant des baisses de prix futures, les ménages retardent certains achats, renforçant ainsi la spirale déflationniste. Les nouveaux comportements d'achat bénéficient aux nouvelles chaînes de magasins à prix discount qui court-circuitent les canaux de distribution traditionnels. Dans un contexte de montée des incertitudes, l'épargne est nourrie par un motif de précaution . La faillite de certaines institutions financières a ébranlé la confiance des épargnants, qui sont plus nombreux à se tourner vers le réseau postal ou vers les banques étrangères jugées plus sûres. Avec un stock d'épargne estimé à 1 200 000 milliards de yens, les Japonais ont néanmoins assez de ressources pour affronter des lendemains difficiles.

1. La détérioration du marché de l'emploi et l'inquiétude sur les retraites entretiennent le pessimisme des ménages

a) Le spectre du chômage

" L'inquiétude pour l'avenir est très profonde ", explique Sawako Takeuchi, professeur associé à l'université de Tokyo et membre du Conseil de stratégie économique, récemment mis en place par le Premier ministre pour réfléchir aux défis à long terme du Japon. " Les Japonais sont préoccupés par ce que l'on appelle le coût du cycle de vie. Le phénomène est typique d'un pays dont la population vieillit et dont la longévité s'accroît. Ils ont peur de ne pas pouvoir accumuler suffisamment d'épargne pour s'assurer le niveau de vie souhaité jusqu'à leur mort. Cette crainte est forte, par exemple, chez les actifs de 40-50 ans qui constatent que le chômage augmente et qu'ils devront peut-être aider leurs enfants plus qu'ils ne l'avaient imaginé. "

Le taux de chômage a atteint le niveau historique de 4,9 % , le plus haut depuis 1953, même s'il reste modéré en chiffres absolus (3,9 millions). Le chômage est très mal vécu dans un pays où le phénomène était presque inconnu encore récemment (2,1 % en 1992). Sa progression (+ 600 000 personnes en 1998) inquiète d'autant plus que le chiffre affiché par les pouvoirs publics ne tient pas compte des nombreux demandeurs d'emplois (notamment les femmes) qui se retirent du marché du travail tout espoir perdu, ainsi que des réductions d'heures supplémentaires et de primes.

Evolution du taux de chômage et du ratio actifs

sur population en âge de travailler

Cette crise entraîne une multiplication de " petits boulots " (les arubaito) et près de 20 % de la population active travaille aujourd'hui à temps partiel.

L'emploi salarié au Japon en 1997 (en milliers)

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Nombre total

21 863

33 118

54 982

Cadres supérieurs

877

2 973

3 850

Salariés à plein temps

11 755

26 787

38 542

Temps partiel

6 562

436

6 998

" Arubaito "

1 692

1 652

3 344

Travailleurs non contractuels

361

605

966

Intérim

204

53

257

Autres

412

612

1 025

Source : Japan Institute of Labour

Cette tendance ne va pas s'inverser compte tenu de la multiplication des restructurations au cours des derniers mois. Le nombre de salariés ayant perdu leur emploi à la suite d'une faillite ou d'une restructuration s'établissait en juin à 1,18 million, un autre record.

Sony annonce 17 000 suppressions d'emploi, Nissan 21 000, c'est une petite révolution à laquelle les Japonais ne sont ni habitués, ni préparés . L'attitude des syndicats lors de la traditionnelle négociation salariale du printemps, shunto , montre les difficultés qu'ils rencontrent pour trouver un nouveau positionnement : ils doivent abandonner les traditionnelles revendications salariales pour se concentrer sur l'accompagnement social. La déréglementation dans plusieurs secteurs laisse plutôt penser qu'on assiste en ce moment à un bouleversement du marché du travail.

Qui plus est, la situation continue à se dégrader du côté des offres d'emploi, le rapport de l'offre à la demande s'établissant à 0,46, les jeunes diplômés arrivant sur le marché du travail n'étant pas inclus dans les demandeurs. Selon un sondage publié le 31 juillet dernier par le quotidien Yomiuri Shimbun, 71 % des hommes (66 % pour la tranche des 20 à 40 ans) attribuent le stress à des problèmes liés au travail et notamment au surmenage (27 %), aux relations professionnelles (23 %) et aux revenus (21 %). Ces chiffres s'expliquent non seulement par les restructurations et les baisses de salaires dont les travailleurs sont victimes, mais aussi par la remise en cause du système de gestion et des pratiques de travail à la japonaise.

b) Le vieillissement de la population et l'inquiétude sur les retraites

L'avenir du système de retraite figure également au premier rang des préoccupations. Le vieillissement démographique confronte la société japonaise à des choix difficiles.

Sur 126 millions de Japonais, 19 millions ont plus de 35 ans, soit 15,7 %. Cette proportion va passer à 28 % en 2025 et à 32,45 % en 2050 , comme l'indique le tableau ci-après.

On estime aujourd'hui à 2,8 millions le nombre des personnes qui ne sont plus autonomes et que les hôpitaux, en surcapacité, ne peuvent plus accueillir. Cette situation laisse présager une diminution des prestations vieillesse pour les actifs d'aujourd'hui.

Le financement des retraites pèse sur l'avenir des finances publiques et explique le peu d'incidence que peuvent avoir des annonces de réduction d'impôts, les ménages anticipant leur hausse future et épargnant en conséquence. Cette perspective de dégradation des retraites a également un effet négatif sur les investissements en logements (la part, dans la population totale, des actifs de 35 ans à 44 ans, qui sont les plus forts acheteurs, est passée de 24,2 % en 1992 à 19,2 % en 1998). Le recours à la main-d'oeuvre étrangère pour compenser la diminution de la population active paraît exclu, le Japon demeurant à bien des égards une société fermée.

Plus grave encore est l'effondrement de la natalité . Avec une moyenne de 1,4 enfant par femme, le pays est promis à une diminution de sa population à partir de 2010-2015. Cette faiblesse de la natalité est urbaine et renvoie aux conditions de travail et de vie des femmes. Contraintes de choisir entre la carrière et l'enfant, elles optent de plus en plus pour la poursuite d'une carrière professionnelle, compte tenu de leur niveau d'études universitaires. Le célibat devient plus fréquent ; l'enfant paraît tard et reste souvent unique, notamment en raison de l'absence de garderies et de la longueur des trajets domicile-travail ;

2. La perte de confiance dans le pouvoir politique freine les investisseurs

La vie politique japonaise n'apporte pas de réponse satisfaisante aux interrogations des citoyens.

Les Japonais s'aperçoivent que l'organisation de la croissance par l'association politique-administration-milieux d'affaires (" le triangle d'airain ") n'est plus assurée. A l'occasion de la multiplication de faits divers touchant la jeunesse (suicides de jeunes, délinquance à l'école, prostitution juvénile...), ils se rendent compte aussi que leur société n'est plus aussi homogène et que la famille ne joue plus son rôle de transmission des valeurs et d'intégration sociale. Des interrogations nouvelles en découlent face auxquelles le jeu politique semble en décalage.

• Le Parti Libéral Démocrate (PLD) ne jouit pas de la confiance des citoyens



Après la défaite électorale qui, en 1993, a provisoirement écarté le PLD du pouvoir et mis fin à une suprématie remontant à 1955, M. Hashimoto l'a ramené au pouvoir le 7 novembre 1996 (grâce au soutien sans participation du PSD et du Sakigake ). Ce gouvernement (remanié le 11 septembre 1997), minoritaire au Sénat, est resté fragile, et M. Hashimoto a rapidement dû faire face à une crise politique grave provoquée par l' " Affaire Sato " (en nommant ministre de la réforme administrative un politicien condamné par la Haute cour en 1986 pour corruption dans l'affaire Lockheed de 1972), suivie, en janvier 1998, d'une affaire de corruption découverte au ministère des Finances, qui a provoqué la démission du ministre. Les " affaires " et la récession économique ont fait fortement chuter (de 56 % en août 1997 à 27 % au printemps 1998) la popularité d'un gouvernement qui a fini par subir un lourd revers électoral lors des sénatoriales du 12 juillet 1998. Rendu responsable par l'opinion publique de la gravité de la crise économique, face à laquelle il aurait agi " trop peu et trop tard ", M. Hashimoto a dû donner sa démission le 13 juillet 1998.

Le 30 juillet 1998, le PLD a désigné pour lui succéder M. Keizô Obuchi, candidat jugé le mieux à même, par sa maîtrise des mécanismes de fonctionnement du parti, de faire accepter les réformes économiques indispensables. M. Obuchi est le Premier ministre qui a entamé son mandat avec le plus faible taux d'opinions favorables dans le pays. Son habileté politique lui a néanmoins permis de faire adopter ses mesures ambitieuses de soutien à l'économie, en divisant l'opposition par des concessions faites à certains de ses partis (au Komeito, la distribution de bons d'achat aux familles et aux personnes âgées ; au Parti Libéral, des réductions de la fiscalité).

Cependant, si la stabilisation de la situation économique a donné à M. Obuchi une popularité nouvelle (57 % d'opinions favorables en août 1999 contre 16 % en août 1998), celle-ci reste fragile et ne bénéficie pas pour autant au PLD, comme l'ont montré les résultats des élections du 12 juillet 1998 (où il n'a remporté que 30,5 % des voix au lieu de 36,5 % lors des législatives de 1993 qu'il avait pourtant perdues) et des élections locales du 11 avril 1999 (à Tokyo, seul poste de gouverneur en jeu à présenter une réelle signification politique, échec de son candidat, M. Akashi, ancien Secrétaire général-adjoint des Nations-Unis, face à M. Ishihara, considéré comme nationaliste et démagogue). Le PLD, principal bénéficiaire du système japonais (les secteurs traditionnellement hyper-protégés de l'agriculture, de la pêche, de la petite distribution, des petites banques locales et des travaux publics, constituent toujours la base de sa clientèle électorale), est jugé responsable de la permanence d'une partie des blocages de la société japonaise.

• L'opposition, en recomposition permanente, a du mal à présenter une alternative crédible au PLD et à convaincre les électeurs



Le Parti Social Démocrate, qui avait défait le PLD en 1993, est aujourd'hui en perte de vitesse. Son alliance avec le PLD lui a coûté cher électoralement, alors que son succès initial lui venait de sa capacité à recueillir un vote sanction contre le parti dominant. Son retrait de la coalition gouvernementale en juin 1998 n'a pas enrayé son déclin, manifeste lors des élections locales d'avril 1999.

Le Shinshinto , regroupement hétérogène de quelque dix formations d'opposition, constitué en décembre 1994, avait pu s'appuyer sur la base électorale de l'une de ses composantes, le Komeito , pour devenir, en voix, le premier parti lors des sénatoriales de juillet 1995. L'élection de M. Ozawa comme président laissait penser qu'il se structurerait autour de ses idées (faire du Japon un " pays comme les autres ", réduire les impositions directes, porter le taux de TVA à 10 %...). Mais les difficultés de M. Ozawa, critiqué pour ses méthodes autoritaires, les luttes de factions et, surtout, sa défaite aux élections du 20 octobre 1996 ont été fatales à l'unité de ce parti. Le Shinshinto a fini par se saborder en décembre 1997, à l'initiative même de son président. M. Ozawa espérait ainsi pouvoir recréer une entité (le Parti Libéral , Jiyuto , depuis le 1 er janvier 1998), capable de provoquer un renversement d'alliance gouvernementale. Le Parti Libéral est certes allié au PLD depuis le 8 janvier 1999, mais doit se contenter d'un portefeuille ministériel mineur et son pouvoir de nuisance à l'égard du parti dominant est aujourd'hui neutralisé. Quant au Komeito reconstitué, qui reste le parti de la secte bouddhiste Soka Gakkai, il est lui aussi en train de se laisser séduire par M. Obuchi.

Les cinq autres nouveaux partis issus de l'éclatement du Shinshinto se sont alliés au Parti du Soleil pour constituer le premier groupe d'opposition au Parlement ( Minyuren ).

Le Parti Démocrate ( Minshuto ), créé le 28 septembre 1996 sous l'impulsion de MM. Hatoyamaa et Naoto Kan, n'est apparu comme une véritable formation d'alternance qu'avec sa fusion en 1998 avec les membres du groupe Minyuren . Le parti ainsi formé a gardé le nom de parti Démocrate. Lors des votes d'investiture du gouvernement dans les deux Chambres de la Diète, l'opposition a réussi pour la première fois à faire bloc contre le PLD et, au Sénat, à voter, de façon symbolique, la confiance à M. Kan. Cette alliance de partis d'opposition a semblé, un court moment, pouvoir présenter une alternance crédible au PLD. Mais à l'automne 1998, M. Obuchi a su faire preuve du savoir-faire nécessaire pour rallier une partie de l'opposition (Komei, Parti Libéral et certains membres du PSD) à sa politique et maintenir le reste divisé.

Quand au Parti Communiste , s'il profite d'une remontée du vote contestataire, passant de 6,5 % à 10 % lors des élections locales d'avril 1999, isolé, il ne représente pas d'alternative sérieuse à l'hégémonie du PLD.

• Une administration en crise, des citoyens désabusés face à la vie politique



Les principales " forteresses administratives ", longtemps considérées comme infaillibles, ont montré de nombreuses lacunes et sont remises en question : la police et le ministère de l'Intérieur lors du tremblement de terre de Kobe, en février 1995 et des attentats au gaz sarin de Tokyo, en mars 1995 ; le ministère de la Santé, lors de la contamination par le SIDA des hémophiles japonais ; le ministère des Finances ; le ministère de l'Industrie (fuite de sodium du réacteur expérimental de Monju) et la Banque du Japon.

En janvier 1998, la Justice a enquêté, pour la première fois depuis cinquante ans, au ministère des Finances et arrêté pour corruption deux hauts fonctionnaires. En février, ce sont des responsables de la Banque du Japon qui ont fait l'objet de poursuites, provoquant la démission du gouverneur. A l'automne 1998, ce sont des responsables de l'Agence de Défense qui sont poursuivis pour corruption dans la passation de contrats d'armements.

La classe politique étant discréditée par les scandales, la société civile s'organise de plus en plus autour d'associations et de mouvements de citoyens , qui interviennent comme des groupes de pression sur des sujets variés, notamment dans les domaines de la vie sociale comme la prise en compte du vieillissement de la population ou de la défense de l'environnement. Leur influence s'est manifestée à l'occasion de la reprise des essais nucléaires français en 1995 ou lors du viol d'une fillette japonaise par un GI américain à Okinawa, en suscitant une radicalisation du discours de la classe politique. La participation électorale recule. Si elle a été plus forte que prévue lors des sénatoriales de juillet 1998 (58 % au lieu de 40 %), ce phénomène traduisait davantage une volonté de sanction contre la gestion du PLD qu'un mouvement positif de regain d'intérêt des citoyens pour la vie publique.

B - Une société à la recherche de nouveaux repères



1. L'explosion du modèle social



C'est sur le lieu de travail que les effets de la crise se font le plus vivement ressentir. On ne compte plus les articles annonçant la fin du système de l'emploi à vie et de l'avancement automatique à l'ancienneté.

a) La remise en cause de l'emploi à vie ?



L'organisation du travail au Japon repose sur le système de l'emploi à vie : l'entreprise s'engage moralement à conserver le salarié jusqu'à l'âge de la retraite, souvent 55 ans, parfois 60 ans, ce lien de nature morale n'étant rompu qu'en cas de faillite. Il s'agit d'une sorte d'union où l'entreprise apporte la sécurité de l'emploi, la garantie d'une rémunération et une formation tandis que le salarié apporte son adhésion aux objectifs de l'entreprise qui se manifeste par un esprit d'initiative et une ardeur au travail exceptionnels.

En réalité, l'économie japonaise a toujours été marquée par son caractère dual, l'emploi à vie ne bénéficiant qu'à un cercle restreint d'employés des grandes entreprises (30 % de l'emploi) , les autres devant faire face à la précarité de leur emploi.

Le cercle a cependant aujourd'hui tendance à se resserrer. La conservation des effectifs est en effet difficile durant les périodes creuses d'activité. Après avoir fait jouer les leviers d'ajustements traditionnels - baisse des heures supplémentaires et des primes annuelles, gel des embauches et licenciement des employés périphériques, organisation d'une intense mobilité professionnelle et géographique à l'intérieur des groupes -, les entreprises s'attaquent au coeur de leur main-d'oeuvre permanente.

L'essentiel du contrat implicite entre la grande entreprise et ses salariés a été préservé. Mais que se passera-t-il dans les secteurs comme la banque, qui multiplie les restructurations brutales ou dans les nouvelles industries à l'affût de spécialistes créatifs, jeunes et mobiles ?

De plus en plus de cadres âgés de 40-50 ans se disent inquiets pour leur emploi. Mais ce sont les jeunes de 18 à 24 ans ainsi que les travailleurs de plus de 54 ans qui sont les plus touchés par le chômage. Malgré les 3 millions de chômeurs officiellement recensés, ses effets restent encore peu visibles. Pour beaucoup, le chômage reste une tare que l'on cherche au maximum à dissimuler. La société japonaise dispose d'un volet suffisant de travail précaire pour permettre aux travailleurs mis à pied ainsi qu'aux jeunes de subsister en se contentant d'un niveau de salaire inférieur à leurs espérances. La solidarité familiale joue également à plein. De nombreux jeunes célibataires continuent d'habiter chez leurs parents et sont ainsi protégés des difficultés économiques. De jeunes femmes qui avaient investi toute leur ambition dans la vie professionnelle se replient sur le mariage et la sphère domestique. Les comportements de fuite ou de résignation l'emportent et l'on n'observe pas de mouvements de révolte.



b) L'égalitarisme battu en brèche



De même, la crise conduit à remettre en cause, tant dans le secteur privé que public, la sacro-sainte idéologie égalitaire du mina onaji (tout le monde est pareil) qui s'était développée après la défaite de 1945.

Dans un ouvrage publié au printemps 1999, intitulé " Asie, les nouvelles règles du jeu ", Anne Guarrigue analyse cette évolution et présente la thèse développée à ce sujet par le sociologue Mitsunobu Sugiyama, professeur à l'Université de Tokyo.

" L'égalitarisme vient aussi des revendications ouvrières d'après-guerre contre les tentatives de diviser pour mieux régner du patronat japonais. Plus précisément, en 1948, un mouvement ouvrier a démarré dans les mines et les banlieues ouvrières du nord du Kyûshû. Il regroupait à la fois les travailleurs, leurs familles et leurs voisins et refusait toute forme de discrimination. Ce mouvement a culminé dans les années soixante-dix, avec la revendication par les fonctionnaires du droit de grève, qui s'est soldée par un échec. Il s'est ensuite heurté à un mouvement inverse de privatisation progressive de NTT (télécoms) et de JNR (chemin de fer). D'autre part, dans les années soixante, cet égalitarisme ouvrier a trouvé un écho dans l'égalitarisme patronal. Le MITI a voulu encourager les entreprises à monter ensemble à l'assaut des marchés extérieurs en créant des cartels. C'était l'idée de mina issho (tout le monde ensemble), cette fois au sein des directions d'entreprises. Les services du personnel se sont mis au diapason. Tout le monde s'est mis à progresser à un rythme égal, en fonction de son diplôme, de sa date de sortie du système scolaire et de son ancienneté. Cette tendance au nivellement s'est encore renforcée avec la massification des médias et de la société. Avant les années cinquante, le Japon était beaucoup plus différencié. Pendant la période de haute croissance, les modes de vie se sont uniformisés. Pour faire les travaux durs et sales, plutôt que d'avoir recours à une main-d'oeuvre étrangère, les campagnes ont envoyé leurs enfants à la ville. Elles se sont dépeuplées et leur mode de vie s'est rapproché de celui des urbains. "

Le sociologue pronostique une diminution progressive de ce conformisme égalitaire. " Avec la modification des règles du jeu économique, il va être battu en brèche, d'autant plus qu'il est tenu pour responsable en partie de la crise. En effet, ce système a encouragé une dilution des responsabilités, que tout le monde s'accorde aujourd'hui à déplorer. Pendant les périodes de haute croissance, c'était soutenable. Mais depuis la fin de la " bulle ", la situation a changé. On ne pourra pas revenir au passé. On entre dans une période où les responsabilités seront plus clairement établies, les mérites personnels encouragés et reconnus. Ce mouvement a commencé à la fin des années quatre-vingts dans le secteur privé, mais il touche aujourd'hui les fonctionnaires. Les directives données en 1998 par la commission chargée des problèmes de la fonction publique vont dans ce sens. Alors qu'autrefois le statut, le salaire, les bonus dépendaient uniquement du niveau de diplôme et de la date d'entrée dans la fonction publique, il est question maintenant de faire apparaître une rémunération au mérite après une évaluation de l'encadrement. Si, pour l'instant, les conséquences concrètes de ces toutes nouvelles directives restent peu perceptibles, elles devraient avoir des répercussions de plus en plus importantes dans l'avenir, y compris sur le monde de l'université, parangon d'égalitarisme du Japon. "

Cette évolution est similaire dans la fonction publique. Anne Guarrigue évoque les nouvelles directives du ministère de l'Education nationale.

" Actuellement, malgré les apparences, le recrutement se fait moins par appel d'offres que par cooptation pour éviter la paralysie du fonctionnement des institutions dans un système où une opposition minoritaire peut bloquer tout le processus. Traditionnellement, on distingue dans les universités japonaises les professeurs à vie, qui font six heures par semaine, ont un bureau et des frais de recherche, même s'ils ne font rien, et les contractuels, payés à l'heure sans contrat ni sécurité de l'emploi. Une nouvelle catégorie intermédiaire se développe aujourd'hui alors que le ministère de l'Education promeut un système de notation des professeurs d'université. Il s'agit d'enseignants recrutés sous contrat renouvelable, avec des conditions proches de celles de la catégorie permanente.

Dans le reste du système éducatif, l'égalitarisme est battu en brèche au niveau de l'enseignement primaire et secondaire avec le décloisonnement de la carte scolaire qui encourage une compétition entre écoles, la possibilité récente de faire sauter des classes aux enfants, voire d'entrer à l'université directement avant la fin du lycée, dans le cas de quelques surdoués. A moyen terme, les curriculum nationaux devraient être allégés (proposition de réduction de 30 % pour 2002) et les initiatives locales encouragées. "

Ces expériences de rémunération au mérite devraient se généraliser au cours des prochaines années.



2. L'évolution de la mentalité des jeunes



La crise frappe la jeunesse de plein fouet et bouleverse les valeurs sociales. De multiples faits divers touchent la jeunesse (augmentation du taux de suicide, délinquance à l'école, prostitution juvénile) font apparaître une explosion des valeurs au sein de la société japonaise.

Anne Guarrigue 4( * ) décrit parfaitement le phénomène de " cette génération " bô " qui ne sait pas vers quoi se tourner, où aller. Ils se font du souci car ils ne savent pas quoi entreprendre ni comment s'y prendre. La plupart s'arrêtent avant même d'avoir obtenu un résultat, sans avoir eu le temps d'essuyer un véritable échec. Quel métier choisir ? Aujourd'hui plus aucune fonction ne semble à l'abri. On recrute de moins en moins de fonctionnaires à cause de la dérégulation et de la réduction des budgets. Les anciennes compagnies publiques (NTT, JNR) sont privatisées. On n'embauche plus de professeurs car le nombre d'enfants baisse. La compétition s'accroît. Le défi est partout. Il n'y a plus de sentiment de sécurité, de tranquillité. On est passé de l'égalitarisme qui protégeait les faibles à une époque plus individualiste. "

Ce bouleversement des valeurs se traduit également par la disparition de l'éthique du travail chez les jeunes, et une plus grande aspiration aux loisirs . Certains constatent, pour le regretter, l'affaiblissement des vertus traditionnelles de frugalité, d'endurance et d'effacement de soi.

3. La montée de la délinquance



La crise et l'explosion des valeurs des consommateurs japonais a pour corollaire une montée de la criminalité qui fait douter de lui-même le Japon, longtemps considéré comme un paradis en matière de sécurité.

En haut de l'échelle sociale, une succession de scandales politiques et administratifs a contribué à l'écoeurement des Japonais et à leur éloignement des élites.

A l'autre extrême, la montée de la délinquance juvénile est préoccupante. Le livre blanc du gouvernement japonais sur la criminalité, publié en novembre 1998, indique que la criminalité des jeunes a augmenté de 10 % en un an et représente aujourd'hui la moitié de tous les crimes commis au Japon. Des dizaines de faits divers sont rapportés dans la presse depuis 1997 : garçon de quatorze ans assassinant deux fillettes et un enfant qu'il décapite en déposant la tête de la victime devant l'école " pour se venger d'une société qui l'a rendu invisible " ; adolescent poignardant mortellement son professeur d'anglais ; assassinat par des adolescents d'une vieille dame qui expliquent " qu'ils n'auront plus à aller à l'école après " ; multiplication des attaques de passants par des bandes de jeunes se regroupant pour voler des personnes âgées etc...

Les crimes violents ont particulièrement progressé : plus 57 % pour les vols à main armée, plus 19 % pour les agressions, multiplication par deux pour les viols commis par des mineurs. A noter que beaucoup de mineurs incriminés n'ont pas de passé criminel. 5 000 jeunes ont été emprisonnés, soit 18 % de plus que l'année dernière. De nombreuses voix s'élèvent pour réviser la loi sur la délinquance juvénile qui, votée sous l'influence américaine il y a cinquante ans, est favorable à la réinsertion des criminels. Une association des victimes de la délinquance juvénile s'est d'ailleurs créée, qui demande l'abaissement de 16 à 14 ans de la responsabilité pénale.

Par ailleurs, la prostitution juvénile se développe ; la police japonaise reconnaît le phénomène pour lequel elle ne possède pas d'étude précise, mais selon la chaîne de télévision Yomiuri TV, une lycéenne sur vingt se serait déjà prostituée.

L'école est aussi le lieu de la violence quotidienne, connue sous le nom de " ijimé " qui signifie littéralement torturer, mais que l'on traduit par " s'en prendre aux plus faibles ". D'après une étude du ministère de l'Education nationale, un tiers des élèves aurait été victime de ce harcèlement qui pousse parfois ces jeunes au suicide. Selon une enquête du même ministère, 10 575 incidents se seraient produits à l'école en 1996, soit une hausse de 20 %.

Plus que la délinquance elle-même, c'est le changement de la nature des crimes et l'âge de leurs auteurs qui inquiète la société japonaise. Certains ont d'abord incriminé la violence à la télévision, les jeux vidéo ou les mangas. Mais les grands centres de jeux vidéo sont plutôt fréquentés par des jeunes adultes.

Les causes profondes de cette recrudescence de la violence résident en fait, selon les sociologues, dans la fragmentation des familles, l'urbanisation tentaculaire (un Japonais sur trois habite autour de Tokyo) et la crise du système éducatif. Ainsi, la communication dans le voisinage ne joue plus son rôle régulateur et les enfants " urbains " sont coupés de leurs racines, leurs parents ne les initiant pas aux valeurs de vie de la société rurale. De plus en plus, les deux parents travaillent, ce qui, ajouté aux temps de transports, leur laisse peu de loisirs pour s'occuper de leurs enfants.

Autant que l'institution familiale, le système éducatif traverse une crise profonde : longtemps efficace, le modèle d'une école elle aussi fondée sur la croissance économique ne fonctionne plus correctement. La sélection s'opère tôt, un concours au bout de trois années de collège déterminant l'avenir des adolescents de quinze ans. Pour entrer dans les grandes entreprises ou la fonction publique, il n'y a qu'une voie unique, quelques universités prestigieuses auxquelles on n'accède que par le biais de lycées réputés et sur concours. Le système transforme à quatorze ans les trois quarts des enfants en perdants, que le chômage des jeunes adultes inquiète. Ils travaillent donc d'arrache-pied et deux tiers d'entre eux fréquentent après leurs 6 heures de cours quotidiennes des cours privés, les jukus. Les collégiens subissent une telle pression de la part de leurs parents et du système éducatif qu'ils en deviennent violents ou qu'ils baissent les bras et refusent d'aller à l'école.

Enfin, l'éducation qui avait contribué à l'émergence d'une classe moyenne homogène ne joue plus son rôle de machine égalitaire. Ainsi, les étudiants de la prestigieuse université de Todai sont-ils désormais issus majoritairement de milieux aisés. L'enseignement ne permet pas non plus de stimuler suffisamment l'individualisme et la créativité nécessaires à la recherche.
III - L'AVENIR DU PAYS DÉPEND DE SA CAPACITÉ À ENGAGER DES RÉFORMES



L'incapacité du Japon à sortir du marasme dans lequel l'a plongé l'éclatement de la bulle financière a fini par soulever des questions plus fondamentales. Les mesures conjoncturelles prises depuis huit ans pour faire face au ralentissement de la croissance ont montré leurs limites. La paralysie du pouvoir politique ne traduit-elle pas la difficulté à formuler un nouveau projet collectif ? Le discrédit de l'élite administrative, éclaboussée par les scandales, ne reflète-t-il pas aussi sa perte de vision à long terme pour le pays ? Au-delà des soubresauts de la conjoncture, le pays est en train de vivre sa plus profonde mutation depuis la guerre et des voix s'élèvent pour remettre en cause le modèle de développement et exiger des réformes de structures de l'économie japonaise.

A - Une politique économique orientée vers le soutien de l'activité



Pour faire face à la crise, le Gouvernement a engagé onze plans de relance puis reconnu la nécessité de réformes structurelles afin de restaurer la confiance dans la classe politique et transformer l'administration.

1. Les plans gouvernementaux de relance de la croissance économique



Les autorités japonaises ont joué avec retard, mais de façon massive, sur les politiques monétaire et budgétaire.

a) Une politique budgétaire réorientée vers la croissance



Dans un premier temps, le Gouvernement Hashimoto, engagé dans un plan drastique de redressement des finances publiques, n'a pas réagi. Ce n'est qu'à partir de la fin de 1997 qu'ont été prises les premières mesures. Devant la confirmation de la récession, le Gouvernement a décidé un premier plan de relance massif le 24 avril 1998 ; d'un montant de 16 trillions de yens, il prévoyait 7,5 trillions de yens de travaux publics, dont 1,5 trillion de yens à la charge des collectivités locales (3,4 trillions de yens avaient été budgétés dans le collectif de mai 1998) et 4 trillions de yens de réductions d'impôts.

Le 16 novembre 1998, le gouvernement dirigé par M. Obuchi a présenté un second plan de relance de 23,9 trillions de yens, dont 17,9 trillions de yens de travaux publics et de mesures diverses (aides à l'emploi, bon d'achat, soutien aux PME...) et 6 trillions de yens d'allégements fiscaux pour 1999 ; le troisième collectif budgétaire de relance comporte 5,7 trillions de dépenses supplémentaires, dont 4 de travaux publics, et 2 pour la stabilisation du système financier et le soutien au crédit.

Ces mesures visaient à restaurer la situation des finances publiques tant au niveau national que local. En effet, le déficit cumulé de l'Etat et des collectivités locales aurait atteint 9,8 % du PIB pour l'année budgétaire passée et serait de 9,2 % pour la nouvelle, l'encours de la dette dépassant 110 % du PIB. En ce qui concerne les collectivités locales, les tensions sont de plus en plus fortes : leur déficit aurait représenté 9,6 % des dépenses en 1998 et atteindrait 13 % pour l'exercice en cours sur la base de projections récentes ; les frais financiers représenteraient quant à eux 12,9 % des dépenses. En dix ans le poids de la dette des collectivités locales a été multiplié par trois et atteint plus du tiers du PIB et près de 30 % de la dette publique japonaise. Elles se sont endettées pour maintenir un niveau de dépenses plus élevé que ce que permettaient des recettes mises à mal par l'éclatement de la bulle. L'amélioration de la situation des collectivités locales passe par une réforme structurelle de leur mode de fonctionnement.

b) Une politique monétaire vouée au soutien de l'économie



La Banque du Japon ne se contente pas de maintenir les taux d'intérêt au jour le jour très bas ; elle alimente aussi les marchés en liquidités pour éviter que les banques locales n'aient des difficultés à se financer ; elle cherche également à lutter contre le rationnement du crédit en facilitant le financement des entreprises. Le Gouverneur et d'autres membres du Conseil de la politique monétaire ont annoncé que la Banque du Japon maintiendrait les taux proches de zéro jusqu'à ce que les anticipations déflationnistes disparaissent.

La politique monétaire menée par la Banque du Japon reste très accommodante et vise toujours le soutien de l'activité. Mais son action a des limites comme le montre l'évolution des encours de prêts des banques qui est sur une tendance baissière depuis plus d'un an et le fait que plus les agrégats monétaires sont larges, plus leur croissance se ralentit. Cela étant, tous les agrégats monétaires croissent plus vite que le PIB nominal. Et si l'impact sur l'activité n'est pas apparent, certaines valeurs nominales commencent à réagir, le Nikkei ayant assez fortement monté depuis le début de l'année.

De son côté, l'Etat a pris également depuis l'été dernier des mesures pour lutter contre la contraction du crédit aux entreprises. En août 1998, le gouvernement a annoncé la mise en place de 20 trillions de yens de garanties pour les emprunts bancaires des PME à travers les organismes publics de garantie et 20 trillions de yens de crédits supplémentaires pour les institutions financières parapubliques. Lors de l'annonce du second plan de relance du 16 novembre 1998, 7 trillions de yens de garanties supplémentaires ont été ajoutés à ces 40 trillions, cette fois-ci au bénéfice des PME de taille moyenne.

Cependant, si les garanties données par les institutions publiques ont soulagé les PME, elles n'ont pas pour autant permis une expansion du crédit pour l'ensemble de l'économie.

Le tableau ci-dessous retrace les différentes mesures de relance prises par les gouvernements successifs depuis l'automne 1997.

Novembre 1997

Loi sur l'assainissement des finances publiques qui prévoit de ramener le déficit budgétaire à 3 % d'ici 2000

Janvier 1998

Décision d'une réduction temporaire des impôts : 4 trillions de yens

Février

1 er collectif budgétaire 1997 : 1,1 trillion de yens

Avril

Budget initial 1998 qui répond à la loi d'assainissement des finances publiques

Puis décision d'un plan de relance de 16 trillions de yens (dont 7,5 de travaux publics)

Mai

1 er collectif budgétaire de relance : 4,6 trillions de yens (application du plan de relance d'avril)

Révision de la loi sur la réforme budgétaire - introduction d'une clause de flexibilité budgétaire - l'objectif de 3 % de déficit pour 2003 est repoussé à 2005

Août

Election du nouveau Premier ministre Obuchi : le priorité est donnée à la relance de l'économie

Septembre

Le taux interbancaire officiel de la Banque du Japon est ramené à 0,25 %

Octobre

Révision des prévisions de croissance officielles pour l'année budgétaire 1998 de + 1,9 % à - 1,8 %

Novembre

Décision d'un plan de relance de 23,9 trillions de yens (dont 17,9 de travaux publics et 6 de réductions fiscales)

Décembre

3 ème collectif budgétaire de relance : 5,7 trillions de yens dont 4 de travaux publics et 2 pour la stabilisation du système financier et le soutien au crédit

Gel de la loi sur la réforme budgétaire

Février 1999

La Banque du Japon intervient pour ramener le taux interbancaire en dessous de 0,15 %

Adoption du budget initial pour 1999 en hausse de 5,3 % par rapport au budget initial 1997 - Plus forte hausse depuis 20 ans

Printemps 1999

Collectif budgétaire de 500 milliards de yens en vue de la création de 700 000 emplois

Novembre 1999

Plan de relance de 18 000 milliards de yens : aide aux PME et financement d'infrastructures publiques (ponts, routes)



Mais au-delà de la réforme de la politique économique, monétaire et budgétaire, les autorités japonaises ont engagé des actions structurelles d'une part pour assainir le secteur financier, et d'autre part pour faciliter les restructurations industrielles.

c) La réforme administrative



La gravité de la crise a posé le problème d'une réforme politique et administrative qui figurait parmi les thèmes majeurs des campagnes électorales depuis 1993.

Cette remise en cause de la bureaucratie qui met fin au mythe du " triangle d'airain " entre la bureaucratie, les hommes politiques et les grandes entreprises, se double d'une remise en cause de l'ensemble des pouvoirs établis au Japon.

Le gouvernement de M. Hashimoto a fait de la transformation de l'administration une de ses priorités en adoptant quatre séries de mesures :

- le renforcement des pouvoirs du Premier ministre (notamment en période de crise) ;

- la réduction du nombre des ministères (de 22 à 13 avec, notamment, la constitution d'un grand ministère du Territoire et des Transports regroupant les anciens départements de la construction, des transports et de Hokkaido), mais sans réduction du nombre de leurs fonctionnaires ;

- des transferts de compétences des administrations centrales aux collectivités locales, au secteur privé et à des agences autonomes ;

- une plus grande transparence de l'Etat.

Il souhaitait aussi réformer le système éducatif, dans le sens d'une plus grande autonomie des établissements, d'une responsabilisation des élèves et de la promotion de l'éducation civique, suite à une augmentation inquiétante de la délinquance juvénile.

Son successeur, M. Obuchi, a poursuivi la tâche entreprise pour relever de véritables défis :

- restaurer la confiance des électeurs grâce aux réformes administratives, à la moralisation de la vie publique et surtout par la mise en oeuvre déterminée des réformes nécessaires au rétablissement de la croissance économique ;

- rendre à l'administration une place digne d'elle : une réforme de la fonction publique et de l'Etat a été entreprise.

Le ministère des Finances apparaît comme le grand perdant du compromis passé entre le gouvernement et l'opposition. Les pouvoirs de surveillance et de régulation du secteur financier tendent à lui échapper au profit d'organismes indépendants. Une Agence de supervision financière est chargée de mener un audit de la situation des banques ; un comité de revitalisation financière s'est vu confier la mise en oeuvre de la recapitalisation par fonds publics. Les fonctionnaires détachés du ministère figurent néanmoins en bonne place dans ces institutions. Plus significative est la perte d'influence des hauts fonctionnaires dans le débat politique qui a mené à l'adoption du plan. Discrédité par des affaires de corruption ainsi que par son incapacité à prévenir la crise financière, le ministère des Finances cède du terrain au profit des hommes politiques qui ont su réinvestir le débat .

2. Le sauvetage du secteur bancaire : une révolution historique



Le sauvetage du système financier était devenu urgent à l'automne 1998, sous peine d'un effondrement brutal pouvant entraîner celui de l'ensemble de l'économie.

Le nouveau dispositif de stabilisation du secteur bancaire d'octobre 1998 a conduit à une prise en charge par l'Etat plutôt qu'au recours aux lois du marché. Il comprend trois volets :

- un dispositif pour traiter le cas des banques au seuil de la faillite, qui peuvent éventuellement être nationalisées (cas de la LTCB en août et de la Nippon Credit Bank en décembre 1998) ;

- un cadre permettant une recapitalisation publique des autres banques en fonction de leur situation financière ;

- une refonte du cadre institutionnel, au terme de laquelle le ministère des Finances doit perdre l'essentiel de ses compétences relatives au système financier, au profit d'un Comité de revitalisation financière chargé de choisir la procédure à appliquer à chaque banque.

Le gouvernement a mobilisé 60 000 milliards de yens pour faire face à ces dépenses (soit environ 500 milliards de dollars ou 12 % du PIB ). Il s'agit d'un doublement des fonds disponibles par rapport à la loi antérieure (février 1998). En annonçant un nouveau plan de relance pour un montant de 18 000 milliards de yens, le 11 novembre 1999, le gouvernement a indiqué qu'il était destiné " à conduire le pays sur la voie de la reprise pleine et entière, tout en chassant les inquiétudes en matière d'emploi et à faire en sorte que la demande privée reprenne le flambeau du secteur public et redevienne le moteur de la croissance. "

La restructuration du système, qui devrait prendre encore environ trois ans, conduit à un renforcement du modèle, selon un schéma dominant qui est celui d'un resserrement des liens au sein des keiretsus. Après une série de faillites sans précédent depuis cinquante ans à l'automne 1997 et une autre en septembre 1998 (Japan Leasing), les annonces d'alliances stratégiques entre institutions financières se sont succédées à un rythme soutenu (accords entre Nomura, première maison de titres, et IBJ, 7 ème banque ; prise de participation de Citigroup dans Nikko ; resserrement des liens au sein du pôle financier Sumitomo ; mise en commun de leurs réseaux par les banques Tokai et Asahi...).

Tous ces mouvements conjugués aux efforts des banques régionales pour devenir des superbanques témoignent de l'effervescence du secteur bancaire confronté à un énorme problème de rentabilité et, plus généralement, de survie .

Mais l'annonce, le 20 août 1999, du rapprochement des trois grands établissements dont deux sont les plus importants en termes de dépôts (de l'ordre de 27 000 milliards de yens chacun) et le troisième (la Banque industrielle) a été un des piliers de l'expansion économique, spécialisé dans le prêt à long terme aux entreprises, est sans commune mesure avec les restructurations déjà intervenues : c'est une opération qui va bouleverser le paysage financier nippon.

La " méga-banque " aura un actif de 142 000 milliards de yens (1 200 milliards d'euros), soit le double de celui de la plus grande banque existante au Japon : la Tokyo-Mitsubishi (69 000 milliards de yens) et une fois et demie supérieurs à ceux du géant mondial actuel : la Deutsche Bank, qui a fusionné avec l'américain Bankers Trust. Une holding sera mise en place en octobre 2000 pour intégrer les activités des trois groupes.

Cette décision a été favorablement accueillie par les marchés qui la perçoivent comme le signe du changement longtemps attendu.

Ces fusions et le rachat de la LTCB par l'Américain Ripplewood parachèvent la liquidation de l'ancien système, où chaque activité était cloisonnée et dominée par des établissements spécialisés et protégés : les trois banques de crédit à long terme ont vécu (IBJ a rejoint l'alliance Fuji-Dai-Ichi-Kangyo, NBC doit être cédée à un repreneur par le gouvernement et LTCB sera transformée en banque d'affaires), les banques de fiducie sont quasiment toutes entrées dans le giron d'une alliance, tandis que les grandes banques commerciales, bientôt au nombre de cinq, contre neuf l'an dernier, sont en passe de se transformer en groupes bancaires à vocation universelle.

La presse a également été unanime à commenter de manière positive l'initiative des trois banques de s'unir. Cette " gigantesque alliance tripartite " est une nécessité pour redresser non seulement le système financier mais l'économie dans son ensemble. Elle correspond à une tendance mondiale à la concentration et est dictée par une concurrence rendue encore plus sévère par le nouveau système de gestion du risque et l'arrivée des établissements financiers étrangers plus performants sur le marché japonais.

Par ailleurs, Sumimoto et Daïwa Trust and Banking viennent de s'allier pour créer un géant de la gestion de patrimoine et des fonds de pension qui verra le jour en avril 2000.

Depuis la fin de la bulle, on estime que les banques nippones auront apuré près de 3 000 milliards de créances douteuses . Mais celles-ci restent, selon de nombreux experts, encore trop importantes. Si peu d'analystes croient aux prévisions de retour aux bénéfices pour mars 2000 affichées par les banques, l'Agence financière d'évaluation Standard & Poors vient de réviser à la hausse les notes attribuées à sept banques japonaises, dont Sakura Bank, Fuji et Dai-Ichi Kangyo Bank. Elle a constaté la convergence d'un certain nombre de facteurs, ces six derniers mois, " qui pourraient accélérer une sortie du secteur bancaire de la crise ". L'agence a ainsi cité " la tendance à une consolidation du secteur, un environnement économique moins difficile, une réduction des créances liées aux faillites industrielles et une diminution des problèmes de liquidité ". Ce problème, estime-t-elle, a été en partie résolu à travers la vente à grande échelle de leurs participations et porte-feuilles détenus sur les places étrangères et par l'injection de fonds publics qui " a amélioré la confiance des investisseurs envers le marché local ". " Les banques japonaises ont fait des efforts significatifs pour identifier leur problème de créances et effectuent les provisions adéquates face aux pertes prévues ", ajoute-t-elle.

Parallèlement, les grandes banques se sont déjà rapprochées des maisons de titres japonaises : depuis la libéralisation complète, au 1 er octobre, des commissions de courtage, celles-ci sont au pied du mur : c'est le cas de Daiwa Securities et la banque Sumitomo, de Nomura Securities et de la banque IBJ. Nikko Securities est entré dans le giron du groupe Travellers. En quête d'expertise, les banques ont également noué des alliances avec des établissements étrangers, surtout dans la banque d'affaires : Sakura s'est alliée à la Deutsche Bank, Dai-Ichi-Kangyo avec J.P. Morgan. Le réalignement a aussi gagné le secteur des assurances-vie (le français Artemis S.A. a racheté Aoba Life) et non vie, où le holding annoncé la semaine dernière entre Koa Fire, Nippon Fire et Mitsui Marine lie cette fois les " keiretsus " Sanwa et Mitsui. A terme, les pôles financiers en train de se constituer vont disposer d'une puissance de frappe peu commune.

Le secteur financier a donc effectué une véritable révolution pour sortir de la crise.

3. Les restructurations des entreprises



Les banques japonaises, en apportant un soutien financier automatique à faible coût et en constituant la clé de voûte du noyau dur des actionnaires, ont permis aux entreprises japonaises d'alléger sensiblement les contraintes financières. Ainsi, lors de la bulle financière, beaucoup d'entreprises japonaises ont investi sans contrainte de rentabilité, de façon excessive et trop diversifiée. Depuis l'éclatement de la bulle financière, la rentabilité et la productivité des entreprises japonaises ont baissé : la rentabilité économique (Return on Asset) des entreprises japonaises est passée de 2,1 % en 1988 à 0,84 % en 1997 tandis que la rentabilité financière (Return on Equity) passait de 7 % en 1990 à 1,4 % en 1998 (source : Goldman Sachs).

Le " pacte social " japonais (emploi à vie, rémunération à l'ancienneté, progression régulière des salaires), couplé à un marché du travail rigide (contraintes légales et réglementaires rendant le licenciement difficile 5( * ) ), a créé un coût de travail excessif 6( * ) et un sureffectif considérable, surtout dans les secteurs de la construction, une partie de la distribution et dans les secteurs manufacturiers.

Depuis la fin de 1997, la crise du système financier ne permet plus aux banques japonaises de continuer à soutenir les entreprises japonaises comme par le passé. Privées de ce soutien, portant parfois de lourdes dettes, incapables de générer les cash flows suffisants pour leur assurer à la fois leurs engagements vis-à-vis de leurs créditeurs et les réserves pour pensions, les entreprises japonaises sont contraintes de réagir.





a) L'action du secteur privé



Le mouvement de restructuration des entreprises japonaises a pris de l'ampleur à partir du deuxième semestre de l'année 1998. Une bonne partie des grandes entreprises ont annoncé :

- la réduction de leurs capacités de production à l'étranger et au Japon ;

- la réduction du nombre de leurs employés : en mars et avril, les entreprises japonaises ont annoncé leur intention de supprimer 140 000 emplois sur 2 ou 3 ans, soit environ 13 % de leurs effectifs totaux ;

- la modification du processus de décision interne aux entreprises en réduisant la représentation des cadres au sein des conseils d'administration et en donnant un rôle plus important aux actionnaires (corporate governance) : par exemple, des méthodes d'évaluation des performances seront mises en place dans des sociétés comme Sony et Matsushita ;

- le regroupement d'activités au sein d'entités (parfois transformées en filiales) plus autonomes en éliminant les activités secondaires ;

- l'évolution vers un système de rémunération au mérite avec l'introduction de bonus et l'adoption de systèmes de stocks options : 106 sociétés (dont Kyocera et Teijin) ont fait des annonces dans ce sens en mai dernier ;

- l'encouragement à une plus grande mobilité des employés, avec l'introduction de nouveaux systèmes de recrutement grâce auxquels les nouveaux employés ont le choix de ne pas avoir droit à un pécule de départ à la retraite en échange d'un salaire plus élevé, et le développement de régimes de pension sur le modèle américain des pensions ;

- le recours de plus en plus fréquent aux cabinets d'audits internationaux et aux agences de rating.

Ces programmes de restructurations se sont accélérés ces derniers mois pour plusieurs raisons :

- des résultats en forte baisse pour l'année fiscale 1998 (- 11,4 %) suite à une année 1997 en demi-teinte ;

- une augmentation du coût en capital, conséquence notamment d'une série de dégradations par les agences de notations (105 entreprises japonaises ont été " dégradées " par Moody's durant l'année fiscale 1998) ;

- l'influence grandissante du management occidental avec l'arrivée récente d'entreprises étrangères (Renault, Ford, Zexel, Goodyear, GE Capital, Axa, etc...) au capital de grands groupes japonais.

b) Le rôle de l'Etat



Au-delà de la pression exercée par la crise et par l'accélération des fusions-acquisitions à l'échelle mondiale, le mouvement de restructuration est également stimulé et appuyé par l'Etat. L'action gouvernementale s'est développée en trois axes successifs :

• La politique de déréglementation engagée depuis maintenant près de cinq ans a joué un rôle important dans différents secteurs pour susciter ou accompagner les restructurations. Son impact a été particulièrement important dans des domaines comme la distribution d'essence, la pétrochimie, les télécommunications, la banque et l'assurance (à travers le big bang financier). Il a été moindre mais néanmoins significatif pour les produits du bâtiment, les équipements électriques, le transport aérien, la grande distribution. Cet effort de déréglementation reste incomplet et inégal, mais il est néanmoins substantiel et devrait se poursuivre.



La politique de " transparence des comptes " mise en place à l'occasion de la crise bancaire a également un effet d'entraînement considérable sur les restructurations industrielles. On peut citer notamment l'obligation pour toutes les grandes entreprises de produire des comptes consolidés à compter de l'année fiscale 1999, d'inclure les réserves nécessaires pour la gestion des fonds de pension à compter de l'année fiscale 2000, d'évaluer les actifs immobiliers et boursiers à la valeur du marché. Les " manipulations " de comptes communément pratiquées dans le passé, consistant notamment à camoufler les pertes dans les filiales, ne seront plus praticables à l'avenir. Les "gendarmes de la transparence " que sont les agences de rating veilleront d'ailleurs à éviter de nouvelles dérives.



• Le troisième axe de l'action gouvernementale est la création de la " Commission pour la compétitivité industrielle " qui se réunit mensuellement depuis le 29 mars dernier. Elle réunit les membres du gouvernement (dont le ministre des Finances et le ministre du MITI) ainsi que des représentants du secteur privé. Cette commission a donné l'occasion au Keidanren (patronat japonais) de proposer des mesures législatives et réglementaires destinées à faciliter les restructurations industrielles. Le 11 juin dernier, le gouvernement japonais a annoncé un programme de mesures destinées au soutien de l'emploi et au renforcement de la compétitivité industrielle qui sont très largement inspirées des propositions du Keidanren, ce dont il s'est félicité. Ces mesures seront transformées en projets de loi et présentées au Parlement dès cet automne pour une application prévue dans le courant de l'année 2000. Elles peuvent être regroupées en trois chapitres :



* L'amélioration de la couverture du chômage, de la mobilité du travail et de la formation permanente. Ces propositions ont été intégrées dans un plan gouvernemental visant à créer 700 000 emplois (dont 300 000 par l'Etat et les collectivités locales).

* L'accélération des restructurations et des fusions-acquisitions, qui passera par une refonte assez profonde du Code de commerce japonais :

- réforme de la loi sur les faillites (sur le modèle de la loi américaine) : le projet de loi présenté par le ministère de la Justice permettra à une société d'entrer en procédure de redressement judiciaire avant d'être déclarée insolvable contrairement à la procédure actuelle. Ainsi, une société pourra être scindée et vendue avant d'être liquidée afin de permettre de maintenir en activité les parties saines de l'entreprise.

- révision du Code du commerce facilitant les scissions : le ministère de la Justice a proposé une révision dans le sens d'une simplification et d'une plus grande protection des créanciers et des actionnaires des sociétés lors d'une scission.

- aides au rachat des entreprises par leurs employés (MBO, EBO), qui, couplées avec les deux mesures précédentes, devraient permettre le développement de ces techniques financières.

- autorisation de créer des holdings financières permettant d'allouer les ressources en capital et humaines avec plus de flexibilité ; cette autorisation donnée fin 1998 va être complétée par l'instauration d'un système d'échange d'actions entre holding et filiales (à compter de l'année fiscale 2001).

- aides à la réduction des surcapacités avec des prêts à taux réduit, l'allongement de la période de provisionnement des coûts de restructuration.

- révision de la réglementation afin d'aider les entreprises à fermer des usines en leur permettant de vendre les terrains industriels pour un autre usage (résidentiel ou commercial).

- autorisation de l'échange de dette contre capital (debt equity swap), tandis que la limite de 5 % sur la part de capital que peut détenir une banque dans une société non financière devrait être assouplie (révision de la loi Anti-Monopole) : Sony va ainsi acheter trois de ses filiales, tandis que des banques ont prévu de transformer leurs créances en actions des sociétés Haseko et Kanematsu.

- réforme de la taxation des entreprises : le ministère des Finances a proposé un projet de loi qui va dans le sens de la réduction des taxes à la charge des entreprises, mais en deçà des propositions du Keidanren.

- renforcement des règles concernant la qualité des audits financiers, obligeant notamment les cabinets d'audits à spécifier les possibilités de faillites.

* La création de nouvelles industries et de nouveaux services, grâce notamment au développement du capital risque et à l'aide à l'innovation dans les PME.

Les travaux de la Commission pour la Compétitivité ont progressé rapidement. L'implication directe de M. Obuchi et des principaux ministres économiques dans ces travaux donne à la commission un caractère directement opérationnel que n'avaient pas les structures antérieures. Ce format opérationnel traduit le sentiment d'urgence qui anime le Gouvernement. La réforme structurelle japonaise subira certainement des aléas, mais elle est désormais engagée avec vigueur et traitée conjointement par l'Etat et les grandes entreprises.

Les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale (automobile, secteur électrique, chimie) seront les premiers à mettre en oeuvre les restructurations. Parmi les secteurs domestiques, les secteurs les plus concernés par la déréglementation seront également les plus rapides à se restructurer : distribution, communication, transport.

B - Vers une réforme des modes de gestion de l'économie ?



1. L'incitation à la prise de risque



Dans son livre blanc sur l'économie publié au milieu de juillet 1999, l'Agence de planification essaye de " sonner l'alarme " en appelant les Japonais à se dégager de leur attitude frileuse. Si le Japon veut rester une nation industrialisée leader, ses industriels et ses épargnants doivent prendre des risques ! Le document, rédigé sous la houlette d'un directeur général, Taichi Sakaiya, qui fut auparavant un critique économique acerbe, se veut réaliste et tonique : " Il est devenu essentiel que le système économique offre les meilleures chances de profit à ceux qui prennent des risques (...). La concurrence est une condition sine qua non de la reprise. "

Selon l'Agence de planification, la récession la plus longue que le Japon ait connue depuis la fin de la guerre (et qui s'est traduite par une croissance nulle ou négative depuis 1997) a des causes structurelles telles les participations croisées dans le capital des entreprises et un système financier excessivement dépendant de la valeur des avoirs immobiliers. Aussi, lorsque les profits latents se sont évanouis en raison de la chute des prix des terrains, plus personne n'a voulu prendre le risque d'investir et, depuis l'éclatement de la bulle financière, la rentabilité et la productivité des entreprises ont chuté.

Le livre blanc met en relief la volonté du gouvernement de faire désormais moins porter ses efforts sur les réformes (qui sont engagées et se poursuivront) que sur la reprise, tout en incitant les industriels à remédier à deux grands maux : surcapacité et sureffectifs. Allant cependant à l'encontre de la tendance à faire du " dégraissage " la panacée des restructurations, l'Agence appelle les industriels à redéployer leurs activités en utilisant au maximum leur salariat et leurs équipements.

Pour l'instant, le Japon opère encore lentement ces " dégraissages " et essentiellement par des mises à la retraite anticipées. Les écarts dans l'évaluation des sureffectifs faits par les Occidentaux et les Japonais (7,8 millions selon Goldman Sachs et 2,8 millions selon l'Agence de planification) sont symptomatiques d'approches différentes du problème sur les deux rives du Pacifique. Si les sureffectifs préoccupent les industriels, ces derniers semblent s'inquiéter tout autant de la pénurie de main-d'oeuvre qui s'annonce dès les premières années du prochain siècle, en raison de l'évolution démographique.

Les milieux d'affaires ne sont pas les seuls conviés à prendre des risques : le livre blanc appelle aussi les épargnants à placer leur argent non plus à la Poste mais dans des fonds de placements. L'Agence de planification a assurément le mérite de la clarté dans son diagnostic de la situation économique. Mais elle est peut-être optimiste en pensant que les ménages sont disposés à prendre des risques.

2. La réforme du management des entreprises



Certaines voix s'élèvent même pour prôner un nouveau modèle de gestion des entreprises . Le modèle japonais, autrefois infaillible, serait brusquement devenu archaïque et serait la source de la crise que traverse le pays.

Ainsi, dans une récente interview publiée par le mensuel Bunjei Shunju, le Président de Sony considère comme obsolète le modèle économique mis en place après-guerre au Japon. Il s'intéresse de près aux modes de management européens.

Le monde vit sa " troisième révolution ", estime le patron de Sony qui n'hésite pas à comparer la période actuelle aux " deux autres grandes révolutions de l'ère moderne ", la Renaissance européenne avec ses villes-Etats florissantes (Florence, Venise...) et la révolution industrielle avec l'émergence des Etats-nations aux frontières bien tracées. Une " nouvelle ère  s'ouvre, centrée autour des réseaux numériques d'information. Les frontières vont de nouveau perdre de leur importance et les grandes cités retrouver un rôle central ".

Cette révolution pense M. Nobuyuki Idei, impose au Japon l'invention d'un " nouveau modèle . Le système mis en place après la guerre est obsolète ", dit-il, rejoignant ainsi le discours de beaucoup de jeunes chefs d'entreprise nippons comme Masayoshi Son, le patron de Softbank, ou Hideo Sawada, le fondateur de la première compagnie aérienne charter du pays. La structure de management à la japonaise doit être changée, considère M. Idei en citant l'exemple de Honda.

Son ancien président, Nobuhiko Kawamoto, avait mis fin au système de direction collégiale, ce qui lui avait d'ailleurs valu un départ prématuré. " Il a été très critiqué, ses détracteurs l'avaient surnommé Hitler pour ses méthodes de dictateur, mais je suis totalement d'accord avec ce qu'il a fait. Le système collégial, ça ne marche qu'en période de forte croissance. Le succès économique du Japon au cours des cinquante dernières années a été obtenu grâce au talent de " gens capables d'améliorer un système existant. Mais aujourd'hui, nous avons besoin de gens capables de repenser le système dans son ensemble, confiait le patron de Sony dans le même entretien. Le Japon d'après-guerre a créé un modèle économique parfaitement adapté à l'époque, qui a notamment permis au secteur de l'électronique, la star de la phase finale de la révolution industrielle, de connaître un développement spectaculaire ".

Dans la recherche d'un nouveau modèle, le Président de Sony ne souhaite pas que le Japon imite les Etats-Unis, et suggère, à l'instar de beaucoup de ses pairs actuellement, qu'il regarde aussi en direction de l'Europe.

" Le système de corporate governance à l'américaine est le produit de la culture économique et politique de ce pays. Le vrai défi pour le Japon n'est pas de l'imiter comme s'il s'agissait d'une quelconque norme mondiale, mais de créer un modèle de management proprement japonais en prenant ce qui existe de bien et en changeant radicalement le reste. "

3. Vers un " big bang " social ?



Certains observateurs estiment que le Japon reste pris dans une spirale déflationniste dont les classiques remèdes d'injection de capitaux publics dans l'économie ne peuvent venir à bout. Ils prônent des mesures plus drastiques pour sortir le pays de la crise.

Dans une interview publiée par Libération le 2 août 1999, M. Yasuyuki Namba, président de PANASONA (première entreprise du travail temporaire au Japon) et qui a été désigné " meilleur entrepreneur de l'année " se montre très critique à l'égard des réformes engagées par la classe politique. Il estime que le Japon demeure trop fermé.

" Certes, dans le sillage du big bang financier, informations et produits circulent de plus en plus librement. Mais au niveau des individus, on en est resté au sakoku (terme désignant la fermeture du pays sous Meiji, 1868-1912). Or, tant que l'on restera et pensera entre Japonais, il n'y aura pas d'émulation en termes de créativité. Le Japon a besoin de s'ouvrir à des créateurs d'entreprise venant d'Europe, d'Asie, des Etats-Unis. Nous devons prendre exemple sur Oda Nobunaga qui, au XVI ème siècle, créa le marché libre d'Osaka. Il avait autorisé les marchands de tous les pays à venir y faire du commerce librement, alors que le marché d'Osaka était réservé auparavant aux seuls marchands de la ville. Sa politique a permis à Osaka de prospérer. De la même façon, nous avons aujourd'hui besoin d'un " big bang du personnel " pour accueillir du monde entier les personnes capables de ranimer l'industrie. "

Il déplore également le système de formation qui " repose sur la réussite. Les enfants vont à l'école pour préparer un diplôme leur offrant l'accès à la meilleure université et à la meilleure entreprise. Leur épanouissement personnel est compromis. De même, ils ignorent ce qui se passe à l'étranger" .

" Les mentalités n'évoluent guère. Notre système éducatif perdure. Chez les 20-30 ans, l'esprit d'entreprise est devenu rare. On pourrait même craindre un déclin industriel, surtout en raison d'une concurrence accrue de l'étranger.

" Le Japon est une société familiale. En dehors de sa famille, même si l'on sait, on feint de ne pas savoir ! "


" Cette mentalité explique en partie l'état de léthargie actuel de notre économie. Un jour, il y aura un déclic. Mais pas avant au moins trois générations ! Il va falloir cent ans pour réformer le Japon en profondeur. Aujourd'hui, notre pays, malgré les apparences, se trouve dans un état alarmant. Les Japonais ne font plus confiance au gouvernement, et les hommes politiques sont indifférents au sort de la population. Certes, le Japon va continuer à se développer mais " à l'italienne ". L'Italie abrite des villes très prospères, des Italiens très riches, mais l'Etat italien est en crise. Les puissants, type Sony ou Honda, et de nombreux citoyens vont continuer à prospérer. Mais le gouvernement central et local va aller de mal en pis. "

4. L'ouverture du marché japonais à des sociétés étrangères



La présence d'acteurs internationaux sur la scène économique japonaise est d'actualité. Le MITI s'est félicité de la prise de contrôle de Mazda par Ford en 1997 et de l'accord Nissan Renault en mars dernier. Les circonstances semblent en effet plus favorables aux éventuels acheteurs étrangers du fait de la crise et du prix plus attractif des actifs japonais. Le Japon compte 11 constructeurs contre 6 pour les Etats-Unis ; si Toyota et Honda font des bénéfices, les autres réalisent des performances moindres et leur situation sera intenable à long terme. D'où la multiplication des prises de contrôle par des sociétés étrangères déjà implantées sur place.



Dans leur analyse de la crise japonaise 7( * ) Gabriel Croisy et Jean Jaulin estiment cependant qu'à part quelques décisions spectaculaires dans l'automobile, les choses ont assez peu bougé.

" Les investissements étrangers au Japon se situaient en 1996 et 1997 autour de 5 à 6 milliards de dollars par an, soit moins que la Corée dans une économie dix fois plus grosse. Une accélération apparaît en 1998 (+ 70 %), mais elle repose principalement sur les acquisitions dans le secteur financier.

Plusieurs raisons expliquent cet apparent immobilisme. La réticence naturelle des groupes japonais et de leurs employés envers les fusions ou les absorptions est encore plus grande avec les groupes étrangers qui n'ont pas la même culture d'entreprise. Le caractère récent des difficultés pour une bonne partie des entreprises et la lenteur des processus de décision retardent les échéances. Du côté des acheteurs étrangers, l'opacité des pratiques comptables et commerciales japonaises freine le mouvement. S'y ajoute l'ampleur des dettes qui a conduit à l'annulation de nombreux projets d'acquisition.

Les grandes manoeuvres devraient donc se produire au cours des années 1999-2001. Leur ampleur sera largement fonction de la durée de la récession japonaise, mais une série de signes avant-coureurs montre que la moisson ne devrait pas être négligeable. Les banques d'investissements occidentales renforcent leurs équipes de fusions-acquisitions et le nombre de négociations en cours s'accroît rapidement depuis un an. Les secteurs cibles se multiplient. L'automobile reste en première ligne, qu'il s'agisse des constructeurs ou des équipementiers.

Dans l'électronique, la filialisation des activités des généralistes favorisera les cessions ou les participations croisées. C'est d'ailleurs l'un des objectifs affichés par certains. Des secteurs moins internationalisés comme la chimie ou la pharmacie devraient également s'ouvrir. Dans la pharmacie, les grands acteurs mondiaux ont développé leurs capacités de développement et de vente pour occuper 25 % du marché domestique. Il n'est pas certain qu'ils soient réellement intéressés par le rachat de groupes japonais de second rang, dont les actifs ne présentent plus d'attraits. Par contre, les chimistes généralistes japonais devraient céder une partie de leurs activités pour se recentrer. Plusieurs domaines des services connaîtront un début d'ouverture. C'est le cas notamment de la distribution avec l'arrivée des grands noms européens (Carrefour, Sephora, Boots), de la presse (Hachette-Filipacchi), de l'hôtellerie et de l'immobilier ".

C'est donc une véritable révolution qui est actuellement en train de s'accomplir dans l'archipel nippon tant dans l'automobile, que dans le secteur financier et la distribution.

C - Le Japon se tourne vers l'extérieur



Traditionnellement alignée sur Washington, la politique extérieure du Japon s'efforce peu à peu de devenir plus autonome et de jouer un rôle politique au sein de la communauté internationale. Pour reprendre l'expression du politicien Ozawa Ichiro, le Japon est en train de devenir un pays " ordinaire " capable d'assumer ses responsabilités sur la scène internationale.

Le Japon a longtemps été présenté sur la scène internationale comme un " géant économique mais un nain politique ". A partir des années 1950, sa politique étrangère a visé, d'abord modestement, à retrouver une place dans la communauté internationale après la rupture des années 1930 à 1940. Elle a cherché à atténuer progressivement le souvenir de cette période en adoptant le profil bas d'une puissance menant une diplomatie économique dépourvue d'ambitions politiques, son strict alignement sur Washington constituant une garantie pour les autres pays de la région.

Avec la fin de la guerre froide et l'arrivée aux responsabilités dans les pays asiatiques d'hommes n'ayant pas connu l'occupation japonaise, la politique étrangère du Japon a retrouvé une plus grande marge de manoeuvre.

Le Japon a pris conscience, depuis le début des années 1990, des limites de sa politique étrangère traditionnelle et aspire désormais à jouer un rôle international à sa mesure.

1. Un nouveau rôle sur la scène internationale



Dans un ouvrage récent intitulé " La diplomatie japonaise à l'aube du XXI ème siècle " S. Exc. M. Koïchiro Matsuura, ancien ambassadeur du Japon en France, décrit cette évolution de la politique étrangère japonaise qui se veut désormais au service de la stabilité mondiale.

a) L'évolution des relations avec les Etats-Unis vers le partenariat



La relation politique nippo-américaine a connu une remise en question à partir de la guerre du Golfe de 1991, qui a servi de révélateur. A la suite de l'intervention internationale, le Japon a été sollicité sans ménagement par les Etats-Unis pour participer au financement des opérations alliées sans en retirer le moindre bénéfice politique. La présence militaire américaine a commencé à être discutée à cause de son coût (1,2 milliard de dollars par an de participation japonaise) et des nuisances qu'elle occasionne à la population.

La relation politique nippo-américaine évolue maintenant vers un partenariat équilibré, avec pour corollaire l'obligation pour le Japon de prendre de plus grandes responsabilités. Bien que Tokyo s'inquiète parfois d'un rapprochement sino-américain dont il craint de faire les frais, le Japon et les Etats-Unis sont, l'un pour l'autre, des partenaires essentiels. Tokyo sait que les Etats-Unis sont leur dernier recours en cas de crise majeure en Asie du nord-est et Washington est conscient que sa présence militaire dans l'archipel (47 000 hommes) est un élément déterminant de son statut de grande puissance asiatique. Le renouveau de la relation stratégique nippo-américaine avait été amorcé par la visite d'Etat du Président Clinton (avril 1996) et a été régulièrement confirmé depuis (visite présidentielle de novembre 1998).

Les directives d'application du traité d'alliance de 1960 remontaient à 1978 et étaient marquées par le contexte de guerre froide dans lequel elles avaient été rédigées. De nouvelles directives de sécurité ont été publiées le 27 septembre 1997 (en cours de procédure d'approbation à la Diète en mars 1999), qui correspondent mieux au souhait des Américains de partager les charges de la défense régionale et à celui des dirigeants nippons de faire de l'archipel " un pays comme les autres ". Alors que les forces d'autodéfense ne pouvaient assurer de soutien logistique et militaire aux forces américaines que dans les limites du territoire japonais, elles sont désormais tenues de leur apporter un soutien arrière (hors des zones de combat proprement dites) jusque dans les espaces maritime et aérien internationaux.

Depuis 1994, le Japon et les Etats-Unis ont cherché à résoudre le problème posé par l'excédent structurel de la balance commerciale nippone par la négociation d'accords, qui ont mené à l'ouverture des secteurs des télécommunications, de l'équipement médical, du verre plat et des semi-conducteurs, à la signature d'un accord sur l'automobile (1995), sur le marché des assurances (1996) et sur le transport aérien (1998). L'excédent nippon s'est réduit pendant deux ans, en 1995 et 1996. Des contentieux subsistent (films photographiques soumis à l'OMC, ce qui en atténue la sensibilité politique) mais les deux pays sont chacun le premier (Etats-Unis pour le Japon) ou le second (Japon pour les Etats-Unis) partenaire commercial de l'autre et cherchent à éviter que les différends ne s'enveniment, malgré la reprise du déficit américain sous l'effet de la différence des conjonctures (+ 50 % en 1997, + 39 % en 1998).

b) Le Japon s'investit de plus en plus dans l'activité des organisations internationales et le règlement des grands problèmes internationaux



La diplomatie japonaise souhaite désormais jouer au sein de l'ONU un rôle à la mesure de ses moyens. C'est sans doute pourquoi le Japon est devenu le deuxième contributeur de l'organisation, avec 15,43 % des contributions obligatoires en 1996, soit près de 678 millions de dollars (185 MUSD pour le budget ordinaire et 493 MUSD au titre des forces de maintien de la paix). Il est même au premier rang pour les contributions volontaires. Ceci explique en partie le large succès remporté par le Japon, le 21 octobre 1996, pour occuper un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité pour 1997/98 (en tant que représentant du groupe Asie, face à l'Inde : 225 voix contre 45).

• Le Japon ne cache plus ses ambitions dans deux directions précises :



- son admission comme membre permanent du Conseil de Sécurité : les démarches japonaises recueillent un écho de plus en plus favorable. Depuis octobre 1995, le Président de la République a plusieurs fois rappelé le souhait de la France de voir le Japon, ainsi que l'Allemagne, accéder au Conseil de Sécurité comme membres permanents disposant d'un droit de veto. La Russie et la Chine restent réservées sur cette candidature. Cependant, ces aspirations se heurtent au problème constitutionnel de la participation des forces militaires japonaises aux opérations internationales de maintien de la paix placées sous l'égide des Nations Unies et ne suscitent pas l'unanimité de la classe politique japonaise, comme en témoignent les hésitations du gouvernement quant à l'envoi de troupes japonaises sur les hauteurs du Golan dans le cadre de la FNUOD. Des membres des forces d'autodéfense ont toutefois participé aux opérations onusiennes au Cambodge et au Mozambique et à une opération humanitaire dans les pays voisins du Rwanda, dans le cadre de la loi dite " PKO " (Peace Keeping Operations - OMP), adoptée en juin 1992 (dont la révision est en cours, un projet de loi permettant d'élargir le champ des missions confiées aux " casques bleus " japonais devait être déposé par le Gouvernement devant la Diète en juin 1998).

- et, plus accessoirement, l'abrogation de la clause dite " des Etats ennemis " (articles 53 et 107 de la Charte), demandée pour la première fois à l'automne 1990.

• D'importantes responsabilités sont confiées à des Japonais au sein de l'ONU :

Des postes de responsabilité au sein de l'Organisation Mondiale de la Santé et du Haut Commissariat pour les Réfugiés ont été confiés à des japonais, puis le poste de secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des relations publiques. Néanmoins, le Japon reste sous-représenté parmi les responsables des organisations internationales de la famille onusienne (au Secrétariat général de l'ONU, par exemple, 63 Japonais devraient théoriquement occuper des postes de niveau supérieur - P5 et plus - or ils ne sont que 12 actuellement).

La désignation récente de M. Matsuura, Ambassadeur du Japon en France, au poste de Directeur général de l'UNESCO est significative de cette nouvelle ambition du pays.

c) Le Japon souhaite s'associer plus étroitement à la recherche de solutions aux grands problèmes internationaux

L'aide au Tiers-Monde : le Japon est redevenu depuis 1991 premier donateur mondial d'aide au développement (9,5 Mds USD engagés ou déboursés en 1996/97). En pourcentage du PNB, l'aide publique au développement (APD) japonaise a pourtant diminué : 0,20 % du PNB en 1996/97 contre 0,32 % en 1991. Tokyo, qui a joué un rôle capital lors du sommet du G7 de Lyon sur la question de l'APD (définition de nouveaux critères d'APD), estime qu'il est aussi de ses responsabilités de contribuer au développement du continent africain. C'est l'origine de " l'initiative japonaise vers l'Afrique " . Cette préoccupation se traduit par des programmes communs de coopération en Afrique, avec des pays comme la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

C'est lors du sommet du G7 de Lyon, que le Premier ministre Hashimoto a également proposé une " initiative pour le bien-être mondial " , dont l'objectif est de favoriser les échanges d'expériences entre pays dans le domaine de la protection sociale. Une conférence réunissant les pays asiatiques et les membres du G7 a eu lieu sur ce thème, le 5 décembre 1996, à Okinawa.

Ses contraintes budgétaires devraient néanmoins amener le Japon à réduire d'environ 10 % son APD en 1998. Ce recul, renforcé par la dépréciation du yen par rapport au dollar, devrait conduire le Japon à limiter provisoirement ses ambitions dans le Tiers-Monde.

La lutte contre le SIDA dans les pays en voie de développement, et notamment en Afrique : le Japon s'est engagé à participer à la lutte contre le SIDA dans les pays du Tiers-Monde, à hauteur de 3 Mds USD, aux côtés des Etats-Unis. Un centre de prévention franco-japonais s'est ouvert en Ouganda en octobre 1995.

Le désarmement : le Japon a défendu la prorogation indéfinie du traité de non prolifération (TNP) à la conférence de révision (avril - mai 1995) et joué un rôle important lors du sommet de Moscou sur la sûreté nucléaire (19-20 avril 1996). Il a également eu un rôle actif dans l'adoption du traité d'interdiction totale des essais nucléaires (CTBT). Il a réagi très vigoureusement aux essais nucléaires indiens et pakistanais de mai 1998 en suspendant son aide publique au développement à ces deux pays.

Le Premier ministre japonais, après avoir arbitré entre le ministre des Affaires étrangères et le Directeur de l'Agence de Défense, a annoncé, le 21 octobre 1997, que son pays allait signer le Traité d'Ottawa interdisant les mines antipersonnel.

L'environnement : le Japon a participé de façon active à la Conférence de Rio (juin 1992), cherchant à être un intermédiaire efficace entre les économies développées et les pays du Tiers-Monde. Il a organisé à Kyoto, du 1 er au 12 décembre 1997, la Conférence des parties à la Convention de Rio sur les changements climatiques. Il s'est efforcé, en proposant des solutions de compromis, de concilier les positions divergentes de l'Union européenne et des Etats-Unis sur le niveau de réduction des principaux gaz à effet de serre, ainsi que d'amener les Américains à abandonner leurs exigences vis-à-vis des pays en voie de développement.

2. La diplomatie japonaise ne néglige plus aucune région du monde

a) L'amélioration des liens avec la Russie

Le rapprochement avec la Russie est l'une des évolutions majeures de la diplomatie japonaise des années 1990. La visite en Russie, le 19 avril 1996, de M. Hashimoto, la première d'un Premier ministre japonais depuis 1973, avait permis de réactiver le processus des négociations de paix et ouvert la voie à un dialogue politique plus substantiel.


Le problème du retour des îles kouriles au Japon n'est toujours pas réglé. Lors d'un sommet informel, baptisé " sommet sans cravate ", qui s'est déroulé au Japon, à Kawana, les deux dirigeants sont convenus d'inclure dans le " Traité ", une clause statuant sur l'appartenance des trois îles et de l'archipel concernés par le litige territorial, clause qui serait basée sur le paragraphe 2 de la déclaration de Tokyo. En fait, la signature de ce traité de paix avec la Russie constitue aujourd'hui l'un des objectifs prioritaires de la diplomatie japonaise.

b) La recherche d'une diplomatie plus active en Asie

Le Japon détient la première place mondiale pour l'aide publique au développement. L'Asie en est le premier destinataire (55 % du montant total, huit des dix premiers bénéficiaires). Cette aide profite d'abord à la Chine (1,4 Mds USD), à l'Indonésie (892 MUSD) et à l'Inde (500 MUSD).

Le Japon, qui a recentré ses investissements sur l'Asie, est aussi le premier investisseur étranger dans la plupart des pays asiatiques et son hégémonie industrielle et financière s'illustre particulièrement par le constat suivant : sur les 150 premières entreprises étrangères implantées dans la zone Asie-Pacifique, 123 sont japonaises ; les 25 premières banques de la zone le sont également.

Enfin, l'Asie représente pour le Japon 44 % de ses débouchés commerciaux, davantage que les Etats-Unis (25 %) et trois fois plus que les pays de l'Union européenne (15 %).

Cette situation, avantageuse en période de croissance, fait courir un risque à l'économie japonaise, et notamment à son système bancaire, depuis que l'Asie orientale est en crise (été 1997).

Reprenant le discours de ses prédécesseurs, M. Hashimoto a réaffirmé la volonté de l'archipel de s'impliquer plus directement dans cette région et de forger des mécanismes de concertation et de dialogue politique et stratégique.

Les déclarations des Premiers ministres Hosokawa, Hata et Murayama, qui reconnaissaient clairement la responsabilité du Japon lors du second conflit mondial et formulaient des excuses, avaient ouvert la voie à une " normalisation " des relations de l'archipel avec ses voisins en atténuant les ressentiments hérités de la deuxième Guerre mondiale.

Tokyo a choisi le théâtre cambodgien pour affirmer ses ambitions régionales et, au-delà, faire preuve de sa capacité à exercer des responsabilités globales : en témoignent l'action de M. Akashi à la tête de l'APRONUC jusqu'en 1993, l'accueil à Tokyo, en juin 1992, mars 1993 et juillet 1996, de la Conférence Internationale pour la Reconstruction du Cambodge, l'envoi d'un contingent de 700 hommes, en octobre 1992. Tokyo est, en outre, à l'origine du " Forum pour le développement global de l'Indochine ". L'initiative commune franco-japonaise décidée lors du Sommet de Denver (juin 1997) répond à ce même souci. Depuis le déclenchement de la crise politique cambodgienne de juillet 1997, le Japon a maintenu son aide économique à ce pays et cherché à jouer un rôle de médiateur entre les parties opposées, dans le but de favoriser le bon déroulement du processus électoral de juillet 1998.

Avec la Chine, l'explosion des échanges commerciaux n'a pas fait disparaître la méfiance réciproque . La visite de l'Empereur Akihito à Pékin, en octobre 1992, la première d'un Empereur du Japon, a eu des retombées plus économiques que politiques. Les échanges entre la Chine et le Japon ont atteint quelque 65 milliards de dollars en 1996 et la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial du Japon tandis que le Japon est son premier fournisseur et client.

En matière politique, chacun des partenaires veille au maintien d'un dialogue régulier, après les visites des Premiers ministres respectifs en 1997 ; mais les malentendus sont toujours présents. Le Président Jiang Zemin a effectué la première visite officielle d'un chef d'Etat chinois dans l'archipel en novembre 1998, à l'occasion du vingtième anniversaire du Traité de paix et d'amitié entre les deux pays. Mais cette visite, annulée une première fois en septembre 1998, a pu être analysée, malgré l'établissement d'un " partenariat " entre les deux pays, comme une occasion manquée, du fait des malentendus persistants sur Taiwan et, à nouveau, de la question des excuses japonaises pour le comportement de l'ancienne armée impériale sur le continent.

Le différend territorial sur les îles Senkaku/Diaoyu, la difficulté de délimitation des zones économiques exclusives respectives, l'apparition d'une préoccupation japonaise relative à la situation en Mer de Chine du Sud ainsi que les tensions provoquées par la crise économique, témoignent de la rivalité latente qui existe entre les deux puissances.

La Corée a semblé, jusqu'à une période très récente, n'intéresser le Japon qu'en tant que menace qu'il faut chercher à réduire, au nord, ou que marché dont il faut tirer profit, au sud, mais pas encore comme un partenaire à part entière. Perçue comme du mépris de la part de l'ancien colonisateur par les Coréens, cette attitude a longtemps contribué à conserver aux relations un caractère émotionnel. La situation tend cependant à évoluer depuis le début des années 1990 et l'on constate une décrispation entre les deux pays.

A partir de 1991, le Japon a cherché à réduire la menace nord coréenne en soutenant le processus amorçant un dialogue inter-coréen. Il a favorablement accueilli, en octobre 1994, l'accord américano-nord coréen prévoyant la fourniture à la Corée du nord de réacteurs moins plutonigènes et a accepté de participer au financement de la reconversion de la filière nucléaire nord coréenne (contribution de 19 milliards de dollars au consortium KEDO). Souhaitant éviter l'effondrement de la Corée du nord, il participe à l'aide alimentaire internationale mais les griefs subsistent : " personnes disparues ", épouses japonaises de nord coréens empêchées de quitter la Corée du nord depuis trente ans... Les craintes japonaises ont été ravivées par le lancement inopiné d'un missile qui a survolé le territoire nippon le 30 août 1998.

Avec la Corée du sud , les relations économiques, pourtant étroites, sont perturbées par l'insuffisance de la coopération. La Corée est un concurrent sérieux pour le Japon dans les domaines de la construction navale, des semi-conducteurs ou de l'automobile, alors que le Japon, qui bénéficie d'un excédent commercial structurel (12,5 milliards de dollars en 1996) sur son voisin, se voit reprocher, malgré une participation de 5 milliards de dollars au plan de soutien du FMI, une attitude égoïste dans la crise (chute des importations, retraits des avoirs bancaires...). Les deux pays, qui ont mis vingt ans avant de régulariser leurs relations par le traité d' " amitié " de 1965, ont encore quelques difficultés à se comprendre. Une évolution favorable n'est apparue que très récemment avec la visite du Président Kim Dae-Jung en octobre 1998. Le Président coréen, qui a passé une partie de sa vie de dissident en exil au Japon où il a conservé de nombreux contacts dans les milieux politiques, a su faire accepter par ses compatriotes, encore très marqués par le souvenir de la période d'occupation nippone, la nécessité d'un rapprochement et d'une coopération sincères.

Enfin, en Asie du sud-est, Tokyo est particulièrement attentif à l'évolution de l'ASEAN avec laquelle il effectue 15 % de son commerce extérieur (il en est le premier partenaire commercial avec 74 Mds de USD en 1996) et à qui il réserve le tiers de son aide au développement. Il participe activement au Forum régional de l'ASEAN (ARF). Le 14 décembre 1997 s'est tenu à Kuala Lumpur un premier sommet informel Japon-ASEAN, considéré à Tokyo comme un succès. Néanmoins, dans la gestion de la crise économique, après l'échec de leur projet de Fonds monétaire asiatique, les Japonais sont apparus très en retrait, en dépit d'un important soutien financier (environ 19 milliards de dollars, en bilatéral ou dans les plans de soutien du FMI) et des efforts faits pour convaincre l'Indonésie de se conformer aux 50 mesures du plan la concernant.

L'intérêt du Japon pour l'Asie et le Pacifique s'est également manifesté à travers sa participation à l'APEC. Le Japon a accueilli, les 16-19 novembre 1995, alors qu'il assurait la présidence de l'APEC, un sommet à Osaka au cours duquel il a réussi à faire adopter un " plan d'action ", afin de créer une vaste zone de libre-échange en Asie-Pacifique. L'archipel a


également joué un rôle important pour obtenir des avancées du sommet de Subic (25 novembre 1996), sur les technologies de l'information et l'adoption d'un nouveau plan d'action, ainsi que pour l'élargissement à la Russie, lors du sommet de Vancouver de décembre 1997. Pour le Japon, ce forum présente l'avantage de conjuguer les deux préoccupations majeures de sa diplomatie : accroître son influence en Asie - sans aviver les souvenirs douloureux de l'époque de la " sphère de coprospérité asiatique " - et gagner plus d'autonomie à l'égard des Etats-Unis en enchâssant les relations nippo-américaines dans un ensemble plus vaste.

3. Un regain d'intérêt pour l'Europe depuis l'entrée en vigueur de l'Euro

Jusqu'ici, l'Union européenne ne faisait pas partie des priorités de la politique étrangère japonaise, bien qu'un certain nombre d'Etats membres aient des relations privilégiées avec le Japon. Depuis 1991, le Japon manifeste un intérêt renouvelé pour l'Europe communautaire, qui s'est renforcé avec l'entrée en vigueur de l'euro.

a) L'instauration d'un dialogue en 1991

La relation Union européenne-Japon s'est renforcée par l'adoption, le 18 juillet 1991 à La Haye, d'une " Déclaration conjointe " visant à établir un dialogue plus dense et régulier sur les plans économique comme politique. Sur cette base se déroulent des sommets euro-japonais annuels (le dernier à Tokyo en janvier 1998 et le prochain à Bonn en juin 1999), des réunions ministérielles et de hauts fonctionnaires.

Les investisseurs japonais se sont montrés très intéressés par l'euro depuis le début de l'année 1997 et l'appartenance d'un pays à l'Union économique et monétaire est un critère dorénavant pris en compte dans la localisation de leurs opérations en Europe. Depuis la visite en Europe de M. Obuchi (janvier 1999), les autorités nippones se déclarent prêtes à coopérer en vue d'une meilleure stabilité des changes et d'une réforme des institutions financières internationales.

Le Japon cherche aussi à améliorer ses relations bilatérales avec les principaux Etats membres de l'Union européenne : Grande-Bretagne, Allemagne, France, Pays-Bas, Italie et Espagne. Les visites de haut niveau se sont multipliées ces dernières années et le dialogue s'est institutionnalisé avec l'élaboration de plans d'action et la création de divers forums. La coopération culturelle est stimulée par l'organisation d' " années " du Japon dans les pays européens et de ces pays dans l'archipel.

D'abord réticent à l'idée de l'ASEM, car il redoutait une dilution de son propre dialogue bilatéral avec l'Union européenne, le Japon s'est finalement rallié à cette initiative en 1996. C'est ainsi que Tokyo a été à l'origine du projet de forum des hommes d'affaires Europe-Asie ou de la fondation destinée à favoriser les échanges entre les centres de prospective et les institutions culturelles.

Le resserrement des liens avec l'Union européenne s'accompagne de la volonté affichée du Japon d'être plus présent au sein des instances de concertation occidentales. L'octroi au Japon d'un " statut spécial " à l'OSCE dès 1992, tout comme celui d'un siège d'observateur au Conseil de l'Europe, en novembre 1996, s'inscrivent dans cette ligne. Le


Japon cherche aussi, par son dialogue avec l'OTAN (conférences bisannuelles OTAN-Japon, visite de M. Solana en octobre 1997), à faire reconnaître par les alliés occidentaux ses préoccupations de sécurité.

b) L'effet " euro "

La mise en place d'une monnaie unique par l'Union européenne en janvier 1999 a suscité l'intérêt du Japon qui, plongé dans la récession, y a vu une opportunité de se soustraire à l'emprise des Etats-Unis, qui ont de plus en plus d'exigences vis-à-vis des politiques financières et économiques. En commentant le lancement de l'euro lors de sa visite en Allemagne, en France et en Italie au mois de janvier 1999, le Premier ministre japonais a souligné la nécessité pour l'euro de devenir une devise à la fois stable et accessible.

M. Obuchi et le Président Chirac sont parvenus à un accord, et ont exprimé dans un communiqué la volonté très forte de la coopération nippo-européenne de tendre vers une stabilité du marché des changes dans les termes suivants : " Nous avons reconnu que la stabilité du taux de change entre l'Euro et le Yen était particulièrement importante pour le marché des changes. A cet égard, nous sommes convenus de chercher à mettre en place un nouveau cadre de coopération mutuelle sur les marchés des changes et en particulier un dialogue renforcé sur les politiques macro-économiques, dans le contexte du lancement de l'Euro ".

Le Premier ministre a également exprimé sa volonté de coopération dans son discours devant le MEDEF : " La naissance de l'euro nous apporte, sans aucun doute, une grande chance. Une coopération tripartite entre le Japon, l'Europe et les Etats-Unis permettrait de créer un système monétaire international stable et développé. Nous devons poursuivre notre coopération dans ce sens ".

Dans le même temps, le Japon aussi a l'intention de faire davantage d'efforts en vue de l'internationalisation du yen. Il espère beaucoup contribuer au développement du système financier international en intégrant le yen au dollar et à l'euro afin de construire un système où seront réunies trois grandes monnaies afin de réaliser la stabilité du marché des changes.

L'euro représente une opportunité, mais aussi un défi pour le Japon. Une opportunité, parce qu'un euro stable jouant le rôle de deuxième monnaie de réserve internationale pourrait, moyennant une diversification de portefeuille, contribuer à une plus grande stabilité financière internationale, tout en faisant office de contrepoids au dollar. Un défi, parce que l'euro renforcera le poids de l'Union européenne et de ses Etats membres dans le domaine des affaires monétaires et financières internationales et pourrait réduire l'influence du Japon dans ce domaine.

Ces sujets sont revenus dans les récentes déclarations des dirigeants japonais en mission en Europe, où ils ont appelé à une gestion tripolaire de l'économie mondiale. Les récentes mesures japonaises visant à améliorer l'internationalisation du yen, notamment en éliminant les retenues à la source sur certains titres d'Etat, et les demandes d'appui européen pour réaliser cet objectif devraient également être resituées dans cette optique.

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