Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 12 - 1er janvier 1997

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L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE

NORD-AMÉRICAIN :

(ALENA/NAFTA )

Genèse, résultats et perspectives

Actes du colloque organisé

au Sénat le 7 novembre 1996

Organisé sous le haut patronage de

M. René MONORY,

Président du Sénat,

et présidé par

M. Paul GIROD

Président du Groupe Sénatorial

France-États-Unis d'Amérique

M. Jean DELANEAU

Président du Groupe Sénatorial France-Canada

M. Roland du LUART

Président du Groupe Sénatorial France-Amérique du Sud

AVANT-PROPOS

L'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), entré en vigueur le 1er janvier 1994, constitue une extension au Mexique de l'accord qui liait les États-Unis d'Amérique et le Canada depuis 1989.

Ainsi s'est formé un considérable marché de 390 millions de consommateurs représentant un produit intérieur brut de plus de 7.000 milliards de dollars

Cet accord emporte la suppression immédiate des droits de douane sur plus de la moitié des produits échangés et programme la disparition de ces droits sur les autres produits -à l'exception de certains produits agricoles qui font l'objet d'une période transitoire de quinze ans.

Radicalement distinct dans son concept de l'idée d'union douanière sur laquelle est fondé l'ensemble européen, l'ALENA constitue un thème de réflexion fort, tant du point de vue du commerce international, que du point de vue de la géopolitique régionale des Amériques.

C'est à cette fin que le groupe sénatorial France-États-Unis d'Amérique, présidé par M. Paul Girod, a pris l'initiative d'organiser, en partenariat avec le groupe sénatorial France-Canada, présidé par M. Jean Delaneau, et le groupe sénatorial France-Amérique du Sud, présidé par M. Roland du Luart, un colloque, placé sous le haut patronage de M. le Président du Sénat sur la genèse, les résultats et les perspectives de cet accord de libre-échange.

Ce document contient les actes du colloque qui s'est déroulé au Sénat le jeudi 7 novembre 1996 devant une assistance de 250 personnes composée de responsables politiques, de chefs d'entreprises ainsi que de nombreux spécialistes du commercial international et des journalistes.

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

Allocution de M. Paul GIROD, président du groupe sénatorial France-États-Unis d'Amérique

L'ALENA constitue un sujet important et relativement mal connu de nos concitoyens. Les Français devraient pourtant se sentir davantage concernés par l'ALENA, lequel représente près de 400 millions d'habitants et plus de 7 000 milliards de chiffre d'affaires.

Je me réjouis d'aborder ce sujet 48 heures seulement après l'élection présidentielle américaine et le renouvellement du Congrès. Il faut par ailleurs prendre conscience de l'importance du développement des échanges à l'intérieur de cette zone. La suppression d'un certain nombre de contraintes concernant les investissements, les télécommunications et d'autres domaines aura une influence directe ou indirecte sur l'ensemble de l'économie mondiale et, par conséquent, sur l'économie française.

Allocution de M. Jean DELANEAU, Président du Groupe d'amitié France-Canada

Presque quatre années après la signature des accords de l'ALENA par William Mulroney, un bilan peut être dressé. Cette année a été particulièrement importante du point de vue des relations entre la France et le Canada puisqu'une visite officielle d'Yves Galland, en sa qualité de responsable du commerce extérieur de la France, a été suivie d'une visite d'État de notre Premier Ministre. Cette dernière a été importante dans la perspective du resserrement de nos rapports, anciens et déjà très étroits, avec ce grand pays d'Amérique du Nord. Pour la France, le Canada constitue un partenaire relativement privilégié dans le cadre de nos relations avec l'ALENA. Pour le Canada et pour l'ensemble des États du continent américain, la France constitue une porte d'entrée particulière vers l'Union européenne.

Récemment, plusieurs missions du Sénat se sont rendues au Canada. Le déplacement de nombre de nos collègues du Groupe centriste a été remarqué. Dans le cadre de l'association inter-parlementaire France-Canada, regroupant des députés et sénateurs français ainsi que des représentants canadiens, nous avons pu constater « l'effervescence économique » régnant en Colombie britannique, notamment en raison de la suppression du statut privilégié de Hongkong. Cette intense activité économique se manifeste par le déplacement de nombreux habitants de cet État vers l'ouest canadien. Le même phénomène se retrouve sans doute également à l'ouest des États-Unis.

Allocution de M. Roland du LUART, Président du Groupe d'amitié France-Amérique du Sud

L'entité Amérique latine est également très active. Depuis 1990, plus de 30 accords commerciaux ont été signés entre différents pays. Nous assistons à une modification radicale des attitudes protectionnistes passées et à une ouverture sur la politique de libre-échange. Ce phénomène se manifeste au nord, avec la participation du Mexique à l'ALENA, mais également dans l'ensemble du continent sud-américain, où de nombreux accords commerciaux se construisent. Il est nécessaire d'adopter une vision globale, prenant en compte l'ensemble du continent américain, afin d'envisager, au travers du prisme des accords commerciaux, les possibilités de constructions économiques avec l'Europe en général et la France en particulier.

M. Paul GIROD, Président du Groupe d'amitié France-États-Unis d'Amérique

Cette manifestation s'inscrit dans le cadre de la renaissance, que j'espère vigoureuse, du groupe d'amitié France-États-Unis au Sénat. Ce colloque a pour objectif de contribuer à l'information des Français sur les problématiques américaines en général, à celles des États-Unis en particulier. Le but est également de révéler notre existence au Sénat américain, dont nous connaissons l'importance.

INTRODUCTION

M. Xavier de VILLEPIN,

Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées

Je vous félicite d'avoir organisé ce débat que je crois très important. Je voudrais, en guise d'introduction, vous présenter sous forme de fiches signalétiques, le dossier qui nous intéresse aujourd'hui ; j'en profiterai pour glisser quelques remarques personnelles.

Je voudrais dans une première partie tenter de définir le problème, de présenter les motivations des trois pays : les ÉTATS-UNIS le Canada et le Mexique. Dans une deuxième partie, je tenterai de dresser un bilan. L'accord est entré en vigueur le premier janvier 1994. Nous manquons certes de recul pour dresser un bilan exhaustif, mais nous pouvons d'ores et déjà tirer un certain nombre d'enseignements de cette expérience. Nous évoquerons, dans une troisième partie, l'avenir de l'ALENA. Ce point est en effet important pour l'ensemble des Amériques. Nous essaierons à cette occasion de répondre à la question suivante : « quel avenir pour l'ALENA et pour la grande zone de libre-échange des Amériques. » En guise de conclusion, nous essaierons de voir si l'ALENA constitue une opportunité ou au contraire une menace pour l'Europe et le France.

I. LES MOTIVATIONS DES ÉTATS-UNIS DU CANADA ET DU MEXIQUE

A. DÉFINITION DE L'ALENA

L'ALENA est une zone de libre-échange et non un marché commun ou une union telle que nous l'envisageons en Europe. Il y a une grande différence sur ce point.

L'ALENA, regroupant 390 millions d'habitants, réunit trois pays d'inégale importance par leurs superficies et par leurs populations. Les États-Unis comptent un peu plus de 270 millions d'habitants, le Mexique plus de 90 millions et le Canada plus 30 millions. Le PIB cumulé des trois pays composant l'ALENA est supérieur à 7 000 milliards de dollars. Les quinze pays de l'Union européenne - pour l'instant, ils ne sont que quinze - représentent 375 millions d'habitants environ et un PIB du même ordre que celui de l'ensemble ALENA. L'ALENA et l'Union européenne sont donc comparables au regard de leur importance pour le commerce mondial.

Les accords de l'ALENA prévoient une période transitoire pouvant durer 15 années. Il s'agit donc d'une affaire de « longue haleine » - vous évoquerez sans doute les détails du sujet.

En 1993, a été signé un accord additionnel ne portant pas sur les marchandises ou les services, mais édictant des normes et des règles concernant l'environnement et l'emploi.

B. LES COMPOSANTES DE L'ALENA

1. Des éléments contrastés

Les ÉTATS-UNIS le Canada et le Mexique sont des pays très différents les uns des autres. Je pense d'abord à la richesse relative de ces pays. Les États-Unis et le Canada ont largement dépassé les 20 000 dollars par habitant, le Mexique est lui dans la zone des 4 000 dollars par habitant. Le poids des richesses n'est donc pas identique. Le Mexique dispose d'un fort potentiel, mais c'est aussi un pays émergeant par rapport à ses deux grands voisins du nord, deux pays riches avec tout ce que ce terme implique en termes de « problèmes ». Il existe également un fort contraste culturel. La culture du Mexique est très ancienne et très différente de celles des États-Unis et du Canada.

L'immigration constitue une question sous-jacente à l'accord. Elle est en effet très présente dans la mentalité américaine. Les États-Unis demeurent un pays d'immigration : ils accueillent encore 800 000 personnes par an. Nous évoquerons le problème que cela pose, car celui-ci est intimement lié à l'ALENA. Le Canada est également un pays d'immigration, recevant 250 000 personnes par an. Ceux-ci proviennent de moins en moins des pays « fondateurs » du Canada (la Grande-Bretagne et la France) et de plus en plus d'Asie ou d'autres pays, d'ailleurs parfois anciennement liés au Commonwealth britannique. Le Mexique constitue quant à lui un grand pays d'émigration.

Les démographies sont également différentes. Le Mexique présente un taux de fécondité d'environ 3 %, très nettement supérieur à celui de ses deux voisins du nord : 1,7 pour le Canada (et la France) et 2 pour les États-Unis, en raison du poids de l'émigration. Tout ceci constitue des éléments de contexte importants.

2. Des motivations différentes

Les motivations des trois pays sont différentes.

- Les États-Unis

Les États-Unis souhaitent mettre en oeuvre une politique générale visant à étendre l'idée et les règles du jeu du commerce international. Cette idée est tout à fait louable et sans doute souhaitable. Elle est le fondement de la motivation des États-Unis dans ce dossier, mais également vis-à-vis de l'ensemble des pays de l'Amérique latine.

- Le Canada

Réalisant 80 % de son commerce extérieur avec les ÉTATS-UNIS le Canada souhaite sortir de cette dépendance et trouver d'autres débouchés que celui de son grand voisin. Si le Canada parvient à s'extraire de cette dépendance, alors il pourra trouver de nouveaux clients dans le reste du monde, et plus particulièrement en Amérique latine : telle est la motivation profonde de ce pays.

- Le Mexique

Le Mexique compte aujourd'hui 93 millions d'habitants mais sera, à l'horizon 2025, le dixième pays du monde en termes de population, avec 137 millions d'habitants. Si l'on coupe le continent américain au niveau du Rio Grande, on fait le double constat suivant. En 1950, le poids de l'Amérique latine équivalait à celui des États-Unis et du Canada. Aujourd'hui, la balance est fortement déséquilibrée en faveur du sud. Cette donnée est essentielle. Le Mexique recherche des investissements lui permettant de développer l'emploi sur son territoire. Ceci est d'ailleurs une donnée générale commune à toute l'Amérique latine. De plus, le Mexique cherche à accroître son rôle géographique de « carrefour des Amériques ». A cet égard, les négociations concernant l'extension de l'ALENA au Chili sont révélatrices.

II. LE BILAN DES PREMIÈRES ANNÉES D'APPLICATION DE L'ALENA

Quel bilan provisoire de ce dossier peut-on dresser ?

A. DES EFFETS STRUCTURELS LIMITÉS

Répondant aux souhaits des gouvernants des trois pays de faire croître le commerce, particulièrement celui du Canada avec le Mexique, le volume des échanges a augmenté. Il en a résulté un déficit croissant des États-Unis vis-à-vis du Mexique. Rappelons que telle était la règle du jeu du système : faciliter les échanges entre pays. L'ALENA n'est cependant pas le seul responsable de ce phénomène. En effet, la forte dévaluation du peso mexicain a renforcé la présence mexicaine (notamment au travers d'investissements) aux États-Unis.

Il me semble - les intervenants et les spécialistes de la question me contrediront peut-être - que l'application des accords de l'ALENA n'a pas provoqué d'effets structurels considérables. Les hommes politiques avaient pourtant parlé soit en termes dithyrambiques soit en termes dramatiques de l'ALENA ; certains avaient évoqué des conséquences très bénéfiques, d'autres au contraire des effets désastreux. Jusqu'à présent, il me semble que les différents secteurs des trois pays n'ont pas été profondément affectés. Ainsi, dans le secteur du textile, les États-Unis et le Mexique exportent respectivement de grandes quantités de tissus et de vêtements. Des compensations se sont donc opérées à l'intérieur des secteurs : il n'y a pas eu d'effets structurels majeurs.

Il n'y pas eu non plus d'effets notoires sur l'emploi. Aujourd'hui, l'ALENA n'est plus contesté, comme il le fut jadis. Souvenez-vous en effet des débats politiques que suscita l'ALENA et des réactions de Pat Buchanan ou Ross Perrot ! Ce dernier, lors de sa dernière campagne, n'a guère mentionné l'ALENA. Ceci révèle l'acceptation de l'ALENA par les hommes politiques. Il ne constitue plus en tout cas un enjeu politique.

B. DES POINTS FAIBLES À COMPENSER

1. Au Mexique

Quelques points de faiblesse subsistent cependant. Le Mexique, pays de grand potentiel et de grand avenir, a connu, en décembre 1994, une grave crise financière, parfois qualifiée par les économistes « d'effet tequila ». Nous sommes quasiment parvenus au terme de cette mais celle-ci n'est pas encore totalement achevée. Les milieux financiers s'interrogent sur la force du peso mexicain, qui a glissé ces dernières semaines. Ce matin, le cours est de 7,91 peso pour un dollar, ce qui constitue un chiffre très bas. En décembre 1994, il était en effet de 3,45 peso pour un dollar. Le peso s'est donc fortement déprécié. Cette donnée est problématique en raison du taux d'inflation du Mexique, supérieur à 20 %, très différent de celui de ses deux partenaires canadien et américain. Le peso joue donc en quelque sorte un rôle de soupape de sécurité.

Personnellement, je suis peu inquiet vis-à-vis des phénomènes de guérilla apparus au Mexique, dans le Chiapas, d'une part, et dans l'État de Guerrero, d'autre part. Je ne pense pas en effet qu'il s'agisse de mouvements très importants. Le principal parti politique mexicain est néanmoins en cours d'évolution, d'ailleurs courageusement menée par le Président Zedillo. L'avenir reste cependant à confirmer dans ce domaine. Le pays connaît en tout cas une grande transformation.

2. Aux États-Unis

Je souhaiterais enfin évoquer un phénomène très récent. Les récentes élections américaines concernaient le renouvellement du Président et des membres du Congrès (le sénat et la chambre). Ces élections étaient également assorties d'un certain nombre de référendums, comme c'est généralement le cas. Ainsi, dans l'État de Californie, un référendum sur la proposition 209 visait à remettre en cause l'affirmative action ou principe de « l'action affirmative ». Cette politique consiste à offrir des chances supplémentaires, par exemple aux Noirs par rapport aux Blancs, traditionnellement plus favorisés. Cette question ne concerne pas directement l'immigration mais y est intimement liée. Cette proposition a été acceptée par 56 % des voix contre 44 %. Sous réserve des recours possibles, cette politique d'action progressive, instaurée par les Démocrates et donnant des chances supplémentaires aux classes les plus défavorisées, va donc être progressivement démantelée.

A la suite des élections, une « cohabitation » s'annonçant entre le Président et le Congrès, il est possible de s'interroger sur l'évolution de ce phénomène. La Californie, qui n'est certes pas l'État le plus proche du Mexique, est de plus en plus influent et joue un rôle d'État-pilote dans l'opinion américaine. Il est donc possible que le rapport à l'immigration s'en trouve, à terme, affecté. L'idée, généreuse et nécessaire, de l'association d'un pays émergent avec un pays très développé comme les États-Unis rencontrera sans doute des obstacles sur sa route. C'est un problème essentiel, y compris pour l'ALENA.

III. L'AVENIR DE L'ALENA

A. UNE « GRANDE ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE DES AMÉRIQUES » ?

L'ALENA ayant obtenu des résultats positifs, la seule question qui se pose est celle de son développement et de ses conséquences sur l'intégration latino-américaine. Nous dirigeons-nous vers une grande zone de libre-échange des Amériques ? Cette idée apparaît dans nombre de politiques américaines, de celle de Rockfeller à celle de Kennedy, par exemple. Tous ont eu l'idée, en quelque sorte, de « rattraper » Simon Bolivar. Au moment de sa mort, le Libérateur, en référence à ce qu'il considérait comme son plus grand échec, c'est-à-dire l'éclatement de l'Amérique latine en un très grand nombre de pays (34 aujourd'hui), déclarait : « J'ai labouré la mer ». Autrement dit, il n'avait pas réussi à fédérer ce continent, à lui donner une grande perspective. Il se trouvait alors face à un continent divisé.

L'idée d'une association économique n'est pas nouvelle. Dans les années 60, au Venezuela, j'ai vécu les vicissitudes du Pacte andin. Cette idée a souvent été présente en Amérique latine, mais elle a connu de nombreux échecs. Certes, l'idée d'association économique se répand à travers le monde, en Europe ou en Asie par exemple. Mais elle est difficile à se concrétiser en Amérique latine.

B. LA VOIE DU CHILI

De ce point de vue, l'exemple de la politique du Chili est éclairant ; nous pouvons évoquer ce pays d'autant plus facilement qu'il n'est pas l'objet de notre discussion. Ce pays de seulement 13 millions d'habitants, étiré le long de la côte pacifique, à l'extrémité du continent, est aujourd'hui considéré par les entreprises, sans prendre en compte l'aspect politique, comme l'un des « plus sérieux » des pays d'Amérique latine. Le Chili n'est pas affecté par l'effet Tequila. Par rapport aux autres pays latino-américains, il possède l'avantage d'être assez compréhensible pour les petites et moyennes entreprises. En raison de sa taille, il peut d'ailleurs accueillir de nombreuses PME.

Le Chili a beaucoup hésité. Au début des années 90, il s'est penché vers l'ALENA, ne voulant pas être absent de cette grande zone de libre-échange. Puis, à la suite de complications, d'un débat interne et de certaines exigences des ÉTATS-UNIS il est revenu sur sa position. Rappelons que le Chili était très soutenu par le Canada. Finalement, le Chili a choisi la voie du MERCOSUR. Il s'oriente vers la géographie la plus proche : l'union entre le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Nous orientons-nous vers une grande zone de libre-échange ? La question mérite d'être posée. En fait, il est possible qu'au lieu d'une multitude de dialogues bilatéraux, nous nous orientions vers des dialogues entre grands blocs. Le MERCOSUR deviendra alors un rival de l'ALENA. Telle est en tout cas mon impression.

C. LES PROBLÈMES ENDÉMIQUES DE L'AMÉRIQUE LATINE

L'Amérique latine a enregistré de très grands progrès. La décennie perdue des années 80 est passée. A une exception près, la démocratie a atteint tout le continent. Trois grands problèmes subsistent cependant, comme me le rappelait récemment un membre éminent de l'Organisation des États Américains de passage à Paris.

Cuba

Vu de l'Europe, le régime est certes affaibli. Mais la loi américaine Helms-Burton a divisé le continent, y compris les membres de l'ALENA. Le Canada et le Mexique ont plutôt pris parti contre les excès de la position américaine.

La drogue

Même si d'autres continents sont également concernés par ce drame, la drogue constitue un important problème latino-américain, qui touche l'ALENA. Les ÉTATS-UNIS également touchés, sont très sensibles sur le sujet. Leurs rapports avec la Colombie en constituent une illustration.

La banane

Nous sommes impliqués dans ce dossier.

En conclusion, L'ALENA est une grande opportunité. Nous devons réfléchir en qualité d'Européens et de Français aux perspectives qu'offre l'ALENA. Personnellement, je souhaite que nos entreprises investissent sur le continent américain. Le Mexique et le Canada constituent d'excellents points de départ pour exporter vers les États-Unis. Nous, Français, sommes toujours un peu pessimistes et moroses. Quoi qu'il en soit, nous ne devons pas voir dans cette évolution une malédiction des temps. L'ALENA est au contraire un exemple à suivre. Il présente une approche originale d'une association entre deux pays très riches et un grand pays émergent. Nous devons donc réfléchir sur ce sujet dans le sens de l'ouverture.

M. Paul GIROD

J'aimerais répondre à votre appel à l'initiative. Nous avons vu que les résultats des industries européennes sur le marché nord-américain n'étaient pas négligeables. Je suis d'ailleurs Président du Conseil général d'un département dans lequel une petite entreprise commercialise des fonds de sauces fabriqués à partir d'os de moutons en provenance de Nouvelle-Zélande ! A la lumière de cette expérience, je me dis qu'il y a de la place pour tout le monde. Si nos industriels sont capables de quitter leurs pantoufles, il y sans doute des choses intéressantes à faire !

La réunion va s'organiser de la manière suivante. Je vais d'abord demander aux représentants des ambassades de bien vouloir s'exprimer. Nous engagerons ensuite une rapide discussion avant de passer à la deuxième partie de la réunion consacrée aux implications économiques de l'ALENA. Pour commencer, je passe la parole à Monsieur Meideros.

PREMIÈRE PARTIE : L'ANALYSE DES TROIS PAYS MEMBRES

LE POINT DE VUE DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

M. John MEDEIROS,

Ministre Conseiller pour les affaires économiques et commerciales auprès de l'Ambassade des États-Unis d'Amérique

J'aimerais relever les propos du discours de Monsieur de Villepin indiquant que le Mexique et le Canada sont de très bonnes plates-formes d'exportation vers les États-Unis. Ceci est tout à fait vrai, mais les États-Unis restent tout de même également une bonne plate-forme pour exporter vers les États-Unis...

I. LES ÉTATS-UNIS PARTISANS DU LIBRE-ÉCHANGE

En Amérique, la notion de libre-échange résulte de la géographie, les voies naturelles de communication encourageant les échanges, et de l'histoire, en raison de la coexistence sur ce territoire de peuples différents. Ces éléments ont conduit les milieux d'affaires nord-américains et étrangers à adopter une stratégie continentale dans leur approche du marché nord-américain.

A. LES RELATIONS ENTRE LES ÉTATS-UNISET LE CANADA

Les États-Unis constituent le premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger du Canada. Ceci est réciproque. Nos échanges commerciaux ne se limitent d'ailleurs pas aux produits finis, mais comprennent également les échanges de produits finis entre succursales d'une même société, la recherche et le développement et les services, ces derniers ayant une importance croissante.

Les États-Unis et le Canada n'ont cessé d'oeuvrer en faveur de la libéralisation du commerce transnational depuis plus d'un siècle, avec des périodes plus ou moins actives. Le premier accord de libre-échange entre nos deux pays, qui fut d'ailleurs de courte durée, date de 1854. Les gouvernements américains et canadiens ont ensuite failli parvenir à un accord de libre-échange en 1911, puis en 1947.

En 1965, nous avons conclu un accord dans le secteur automobile, permettant le libre-échange de voitures, de camions, d'autobus et de pièces détachées. Depuis cette date, il existe une véritable industrie automobile nord-américaine, c'est-à-dire d'Amérique du Nord et pas uniquement des États-Unis.

Les gouvernements américains et canadiens ont également poursuivi leur politique de réduction des droits de douane dans le cadre des négociations du GATT. Nous avions cependant la volonté d'étendre la démarche. Dans cette optique, nous avons tenté, sans succès, de conclure plusieurs accords sectoriels.

En 1985, le Président américain, Ronald Reagan, et le Premier Ministre canadien, William Mulroney, ont lancé un effort global de libéralisation. Ceci a aboutit à l'accord de libre-échange américano-canadien, signé en 1987 et entré en vigueur en 1989. Cet accord prévoit de baisser progressivement les droits de douane, de faciliter les échanges dans le domaine des services et institue un système de résolution des différends. Depuis 1989, nos échanges avec le Canada ont augmenté de 17 % de plus que la progression de nos échanges avec le reste du monde. Entre 1989 et 1994, nos exportations vers le Canada ont progressé de 50 %, et ce malgré un dollar canadien plutôt faible.

B. LES ÉTATS-UNIS ET LE MEXIQUE

Nos relations économiques avec le Mexique sont certes plus récentes mais elles n'en sont pas moins étroites. Le Mexique est d'une importance primordiale pour les États-Unis. La cohabitation, la proximité de deux pays si différents, représentent un défi pour nos deux peuples.

Le Mexique, aujourd'hui membre de l'OCDE, a longtemps été considéré et se considérait lui-même comme un pays en voie de développement. Il avait une politique économique étatique, classiquement fondée sur la substitution aux importations, c'est-à-dire protectionniste.

La population mexicaine est importante. Elle est caractérisée par un niveau de vie relativement bas et une forte mobilité. L'immigration légale vers le États-Unis est importante. L'immigration clandestine, également très importante, est la source de grandes difficultés pour les deux pays.

Pour les ÉTATS-UNIS contribuer à la création d'un Mexique stable, prospère, ouvert et orienté sur une voie de développement durable constitue une priorité. La création de l'ALENA doit être perçue dans cette optique. Les États-Unis n'ont pas uniquement des préoccupations de politique économique.

Sur le plan économique, le Mexique est aujourd'hui le troisième marché d'exportation des ÉTATS-UNIS après le Canada et le Japon. Pendant de longues années le Mexique avait dressé de fortes barrières face aux importations. Le Mexique est entré au GATT en 1986, époque à laquelle il a entrepris une politique de libéralisation et d'ouverture.

II. MISE EN PLACE ET CONSÉQUENCES DE L'ALENA

A. PRINCIPES ET ORIGINES

Soucieux de renforcer cette nouvelle stratégie économique mexicaine, les Présidents américain et mexicain ont lancé l'idée d'un accord de libre-échange entre les ÉTATS-UNIS le Mexique et le Canada. Cette démarche s'est concrétisée par l'entrée en vigueur de l'ALENA en 1994.

Cet accord poursuit les mêmes objectifs que l'accord de libre-échange américano-canadien ayant servi de base de négociation. Cet accord prévoit une réduction progressive des droits de douane et l'élimination de nombreuses barrières non tarifaires sur les biens et les services. Il consacre également l'ouverture dans le domaine des investissements, prévoit une protection élaborée des droits de propriété intellectuelle et institue un mécanisme de résolution des différends. Les États-Unis et le Mexique ont également conclu des accords parallèles dans les domaines de la protection du travail et de l'environnement.

B. LES IMPACTS DE L'ALENA

Depuis que le Mexique a rejoint l'ALENA, nous avons noté un spectaculaire progression des exportations américaines vers le Mexique, passant de 45 à près de 65 milliards de dollars, et ce en dépit de la crise financière ayant frappé le Mexique en décembre 1994.

Tant aux États-Unis qu'au Canada et, dans une moindre mesure, au Mexique, l'impact de l'ALENA sur l'emploi a donné lieu à de nombreux débats et batailles de chiffres. Aujourd'hui, une grande partie de la population de nos pays est cependant consciente du fait que l'ALENA a dopé le commerce et la création d'emplois. Cet accord a également renforcé la stabilité du Mexique, en redonnant confiance aux investisseurs et aux travailleurs mexicains. A titre d'exemple, depuis 1993, les exportations américaines vers nos deux partenaires de l'ALENA ont augmenté de 22 %, soit 31 milliards de dollars. Aux ÉTATS-UNIS cette augmentation a permis la création de 260 000 emplois. La perte d'emplois due à la délocalisation de la production, surtout vers le Mexique, est largement compensée par les créations d'emplois dues à la progression des exportations. Aujourd'hui, plus de deux millions d'Américains travaillent pour nos exportations vers le Canada et le Mexique.

Un exemple moins récent est cependant encore plus significatif. En 1981-1982, une crise financière a conduit le Mexique à un important relèvement de ses droits de douane, notamment sur les produits américains. Les emplois américains dépendant de nos exportations vers le Mexique ont alors chuté de moitié, passant de 430 000 à 200 000. Il nous a fallut oeuvrer durant sept années pour retrouver notre niveau d'exportation d'avant la crise. Le contraste avec la situation existant depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA est frappant.

Les accords de l'ALENA ont institué un mécanisme de résolution des différends commerciaux. Les affaires déjà traitées touchent de nombreux domaines allant du bois au blé en passant par les avocats, les tomates ou encore les systèmes de sécurité des camions.

Nous avons également engagé d'importants efforts afin de remédier aux faiblesses de nos infrastructures aux frontières, essentiellement des insuffisances en personnel, en matériel informatique et en structures de stockage. Nous voulons également réduire les formalités imposées aux importateurs et aux exportateurs en les uniformisant et en les informatisant.

C. VERS UNE GRANDE ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE CONTINENTALE ?

L'ALENA ne doit pas être perçu comme un bloc régional. L'ALENA est certes un accord régional mais il ne vise pas à ériger des entraves supplémentaires à l'égard des pays tiers. Il s'agit d'éliminer les barrières internes afin de créer un grand marché unique plus rationnel et de mieux en exploiter l'énorme potentiel. Nos règles sont d'ailleurs conformes à celles de l'Organisation mondiale du commerce, pierre angulaire du système commercial mondial.

Nous souhaitons que notre initiative régionale soutienne les efforts de libéralisation du commerce mondial. Les accords régionaux présentent l'avantage de pouvoir aller plus vite et plus loin dans l'ouverture du commerce, par rapport aux grands accords multilatéraux. Ces derniers sont en effet obligés, par la force des choses, de suivre le rythme des « plus lents ». Nous pensons également que l'ALENA peut servir d'exemple par son traitement de certains domaines, comme la protection des droits de propriété intellectuelle ou la protection de l'environnement, domaines dans lesquels nous sommes déjà plus avancés que ne le sont les initiatives multilatérales globales.

Les avantages que nous procure l'ALENA nous incitent à l'élargir à d'autres pays d'Amérique latine. Toutes les démocraties du continent se sont d'ailleurs engagées lors du sommet des Amériques de Miami, en 1994, à parvenir à un accord de libre-échange des Amériques avant 2005. Un tel engagement ouvrira de nouveaux horizons aux producteurs et aux consommateurs de tous les pays membres. Nous croyons que la croissance du commerce amènera davantage de croissance industrielle.

Nous entendons donc entamer des négociations afin d'élargir l'ALENA au Chili. Cette question présente des aspects de politique interne assez complexes. Ainsi, dans le Congrès qui vient de terminer son mandat, les Républicains ont refusé d'accorder à l'administration Clinton les pouvoirs nécessaires pour négocier l'adhésion du Chili à l'ALENA. Ce veto n'existera vraisemblablement plus au sein du nouveau Congrès. Le débat restera cependant difficile. Le Chili est quant à lui en pourparlers avec le MERCOSUR, accord de libéralisation comprenant déjà des pays à croissance rapide : le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay.

III. L'ALENA ET L'UNION EUROPÉENNE

La politique commerciale des États-Unis se poursuit également dans d'autres directions. Les membres de l'ALENA font partie du Forum de Coopération économique Asie-Pacifique. Nous travaillons pour une plus grande ouverture du commerce au sein de cet organisme. Les États-Unis coopèrent également avec l'Union européenne en faveur de la libéralisation des échanges. Cette coopération se mène traditionnellement par le biais de l'OMC et de l'OCDE. Elle s'effectue également plus directement à travers le New Transatlantic Agenda et le Dialogue d'affaires transatlantique, dont la réunion annuelle se tient aujourd'hui et demain à Chicago.

A. POINTS COMMUNS ET DIFFÉRENCES

L'Union européenne vise à l'intégration politique, économique et sociale des pays partenaires. Pour sa part, l'ALENA est un accord visant uniquement la libéralisation progressive des échanges et des investissements. Il n'est pas question de créer un tarif douanier commun vis-à-vis des pays tiers. Chaque pays exerce un contrôle sur ses frontières. La libre circulation des travailleurs n'existe pas et nous n'envisageons ni monnaie unique ni politique étrangère commune.

Sur le plan commercial, les buts poursuivis par l'ALENA ne sont cependant pas très éloignés de ceux poursuivis par l'Union européenne. Nous entendons créer un grand marché unique qui sera source de croissance et de prospérité. Une récente étude de l'Union européenne souligne que la libre circulation des biens et des services en Europe a permis la création de 900 000 nouveaux emplois et une progression de la productivité de 68 %. Nous souhaitons parvenir à de semblables résultats.

B. DEUX BLOCS ÉCONOMIQUES PUISSANTS

L'ALENA et l'Union européenne ne forment pas deux blocs rivaux. Nous représentons chacun une communauté économique dynamique et puissante. La croissance des échanges entre l'ALENA et l'Union européenne bénéficiera aux producteurs et aux consommateurs. Les investissements réciproques entre l'Amérique du Nord et l'Europe ne cessent de croître. Des entreprises se lancent dans des alliances stratégiques pour assurer leur présence sur nos deux grands marchés. Je pense qu'à règles commerciales égales, une société choisira de s'installer dans le pays qui lui conviendra le mieux en tenant notamment compte de l'existence d'une main-d'oeuvre qualifiée, de facilités de distribution et du besoin de localiser les produits.

Certains pensent que l'ALENA a pour effet de désintéresser les milieux d'affaires américains des autres marchés, notamment européen et français. Il est en effet possible que les sociétés américaines soient tentées de concentrer leurs efforts sur les marchés présentant pour elles le moins de difficultés. La France a cependant remarquablement ouvert son pays aux investissements étrangers. Je pense qu'à long terme et à condition de s'adapter aux besoins de ses propres milieux d'affaires, elle conservera tous ses attraits pour les investisseurs américains, qui demeurent les premiers investisseurs étrangers en France.

Pour un investisseur français, l'ALENA offre des possibilités qui n'existaient pas auparavant. Un investisseur peut aujourd'hui choisir entre les trois pays membres de l'ALENA en fonction de la langue, des salaires, de la qualification de la main-d'oeuvre, etc. De plus, il peut d'ores et déjà prendre pied sur un marché destiné à s'élargir à tous les pays du continent. Les nombreuses sociétés françaises s'installant aujourd'hui en Amérique latine témoignent du fait que la dynamique est déjà en marche.

Dans le cadre de l'ALENA, nous poursuivons le même but que les autres initiatives globales ou régionales, celui de faire progresser la libéralisation de l'économie mondiale et des échanges. Il s'agit d'une démarche que nous mettons en oeuvre avec la conviction qu'elle contribuera à la prospérité de chacun.

LE POINT DE VUE DU CANADA

M. Bertin COTÉ,

ministre Conseiller pour les affaires économiques et commerciales auprès de l'Ambassade du Canada

I. LES MOTIVATIONS DU CANADA AU SEIN DE L'ALENA

A. DES FACTEURS HISTORIQUES ET ÉCONOMIQUES

La dépendance de son commerce envers les États-Unis est un élément important de la vie économique et politique du Canada. La motivation première du Canada est cependant sa vocation d'exportateur. Nous tenons cette vocation de nos mères patries successives. En effet, le Canada s'est créé par le commerce de la fourrure avec la France, puis de celui du bois avec la Grande-Bretagne.

Aujourd'hui, notre économie dépend du commerce international dans une proportion de 40 % de son PIB. Depuis longtemps, cette dépendance a incité le Canada à participer à tous les mouvements de libéralisation du commerce sur la scène internationale. Ainsi, en 1948, nous avons été parmi les premiers signataires de la Charte de la Havane, puis de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Tout au long de la période d'après guerre, nous avons joué un rôle actif dans les négociations successives qui se sont déroulées au sein du GATT pour la libéralisation des échanges internationaux.

Dans les années 60, ces mêmes motivations nous avaient incités à négocier avec les États-Unis un accord de libre-échange dans le secteur de l'automobile et de la production de défense, domaines dans lesquels existait une grande activité commerciale entre nos deux pays et où nous avons ressenti le besoin d'éliminer les barrières commerciales existant entre nous.

Au milieu des années 80, compte tenu de l'importance du commerce avec les ÉTATS-UNIS nous avons tenté un rapprochement. Les barrières étaient nombreuses mais d'une importance relative suivant les secteurs. La grande majorité des produits traversant la frontière n'étaient déjà plus soumis à des droits de douane grâce à ces accords sectoriels ou grâce à l'élimination des barrières tarifaires au sein du GATT. Subsistaient cependant d'autres barrières concernant notamment certains services ou des obstacles non tarifaires au commerce. Une grande partie des négociations de l'ALENA a d'ailleurs porté sur ces aspects non tarifaires.

Précisons que 1'échelonnement sur une période de 15 ans de l'élimination des droits de douane et des barrières au commerce dans le cadre de l'ALENA, concerne les relations entre le Canada et le Mexique, d'une part, et les relations entre les États-Unis et le Mexique, d'autre part. Pour leur part, Le Canada et les États-Unis ont poursuivi le démantèlement des barrières tarifaires, commencé en 1988 avec l'accord de libre-échange. En conséquence, dès la fin de l'année 1997, les tarifs entre les États-Unis et le Canada seront définitivement éliminés.

B. L'ORIGINE DE LA PARTICIPATION À UNE NÉGOCIATION TRILATÉRALE

La participation du Canada à la négociation d'un accord initialement prévu entre les États-Unis et le Mexique s'explique par trois facteurs. D'abord, le Canada a également un intérêt pour le Mexique. Le Mexique, comptant 93 millions d'habitants, constitue un marché très dynamique, en pleine croissance, offrant à nos sociétés des débouchés pour le commerce et pour les investissements. Cherchant à commercer avec les ÉTATS-UNIS mais également à diversifier notre commerce international, il était logique de nous joindre à cet accord.

Ensuite, ces négociations étaient directement inspirées des dispositions de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Après trois années d'application, il nous semblait opportun d'améliorer certaines de ces dispositions, d'en ajouter d'autres, d'étendre la portée de cette libéralisation du commerce, dans le cadre d'une négociation trilatérale.

Enfin, nous ne pouvions laisser les États-Unis être le seul pays d'Amérique du Nord ayant un accès libre à tous les marchés et de ce fait attirer les investisseurs étrangers chez lui de manière préférentielle.

II. L'IMPACT DE L'ALENA

A. QUELQUES DONNÉES CHIFFRÉES

Entre 1993 et la fin de l'année 1995, le commerce entre le Canada et les États-Unis a augmenté de près de 100 milliards de dollars. Nos exportations vers les États-Unis ont progressé de 22 % la première année et de 14 % la deuxième. Aujourd'hui, un milliard de dollars canadiens de biens et de services franchissent chaque jour la frontière de 6 500 kilomètres séparant les États-Unis et le Canada. Je rappelle que le Canada et les États-Unis sont l'un pour l'autre le premier partenaire commercial et le premier investisseur.

L'impact de l'ALENA a également été important sur notre commerce avec le Mexique, malgré les difficultés qu'a connues le Mexique lors de la seconde année d'application des accords. Nos exportations vers le Mexique ont augmenté de 5 % et celles du Mexique vers le Canada de 18 %. Aujourd'hui, ce commerce atteint 6,5 milliards de dollars.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, les investissements étrangers au Canada ont augmenté (de 10 % en 1995). Les mêmes proportions se retrouvent entre le Canada et les États-Unis. En 1994, première année d'application de l'ALENA, les investissements du Canada au Mexique ont doublé.

B. VERS UN ÉLARGISSEMENT DE L'ALENA

L'accord de l'ALENA n'est pas une fin en soi. II est appelé à évoluer dans le temps et dans l'espace. Nous n'avons pas voulu créer un instrument statique de politique commerciale. Au contraire, nous avons établi, par les dispositions mêmes de l'accord, plus d'une trentaine de groupes de travail dans des secteurs aussi différents que les douanes, les normes techniques, les subventions dans le domaine agricole ou les marchés publics.

Tous ces groupes de travail ont un rôle à jouer dans la mise en oeuvre de l'accord et son évolution. Ainsi, dans le domaine des obstacles non tarifaires au commerce, que je connais bien pour l'avoir moi même négocié durant deux ans, nous avons créé un comité sur les mesures normatives encourageant non seulement les gouvernements des trois pays mais également les organismes privés à évoluer pour éliminer toute barrière que ces normes pourraient créer au commerce. Ce groupe est également appelé à résoudre les difficultés pouvant survenir entre les pays ou entre les sociétés dans la mise en oeuvre de l'accord. Il ne s'agit que d'une partie du travail de ce groupe. Il existe une trentaine de groupes de ce type. Le travail se poursuivra donc durant plusieurs années.

L'accord évolue également dans l'espace. Son élargissement à d'autres pays est prévu. Le Canada a été extrêmement favorable à l'inclusion de ces dispositions. Nous avons d'ailleurs été prompts à négocier un accord de libre-échange avec le Chili. Cette négociation est pratiquement achevée. Il suffira de l'étendre aux autres partenaires de l'ALENA pour faire du Chili le quatrième membre de l'accord de libre-échange nord-américain.

La motivation du Canada pour l'élargissement de l'ALENA est la même que celle qui nous a incité à libéraliser le commerce international depuis des années. L'ALENA ne vise pas à construire un mur de protection autour de nos trois pays. Nos politiques commerciales extérieures respectives ne sont pas concernées. Nous continuons à gérer indépendamment nos relations commerciales avec les pays tiers. Au contraire, l'ALENA souhaite servir d'exemple. Il a d'ailleurs déjà tenu ce rôle durant sa négociation. En effet, à l'époque, les tractations en vue de conclure l'Uruguay round s'enlisaient. L'ALENA a alors montré qu'il était possible, avec une certaine dose de bonne volonté, de négocier des ententes dans ce domaine.

Nous espérons que l'ALENA continuera de soutenir le processus multilatéral de libéralisation du commerce et des échanges, que ce soit sur une base totalement multilatérale ou dans le cadre d'autres arrangements au sein de l'Amérique latine, dans celui des pays de l'APEC, également très actifs, ou encore entre les deux grands continents que sont l'Amérique et l'Europe. Le dialogue transatlantique doit se poursuivre et s'étendre bien au-delà de missions d'hommes d'affaires et s'attaquer au démantèlement des dernières barrières commerciales existant encore entre l'Europe et les Amériques.

Notre participation à l'ALENA n'a pas augmenté notre dépendance vis-à-vis des États-Unis. Nous avons maintenu notre proportion de commerce avec l'Europe, à hauteur d'environ 10 %. Nous ne négligeons pas nos partenaires européens, dont la France. Au cours de la dernière année, nos échanges commerciaux avec la France ont atteint 20 milliards de francs, un sommet inégalé. En 1995, la France est devenue le quatrième investisseur au Canada. L'ALENA n'est pas étranger à ce phénomène.

LE POINT DE VUE DU MEXIQUE

M. Eligio SERNA,

Conseiller commercial auprès de l'Ambassade du Mexique (Bancomext).

I. PRÉSENTATION DU MEXIQUE ET RAPPEL HISTORIQUE

A. LA MUTATION DU MEXIQUE

L'ALENA constitue un des éléments importants de la modernisation économique du Mexique.

Le Mexique est un pays de 90 millions d'habitants, doté d'importantes ressources naturelles, d'une bonne infrastructure et d'une culture de travail de plus en plus solide. Son ouverture économique lui permet d'être présent, non seulement sur les marchés de ses voisins d'Amérique du Nord, mais également sur ceux de l'Amérique latine, de l'Asie et de l'Union européenne.

Depuis la crise monétaire de décembre 1994, grâce au programme de redressement mis en oeuvre, le Mexique a dépassé l'étape d'urgence économique pour entrer dans une phase de récupération productive, basée sur la croissance rapide des exportations. Cette rapide récupération économique a été rendue possible grâce aux profondes réformes réalisées par le Mexique depuis une dizaine d'années afin de transformer son appareil productif, d'ouvrir son marché au monde et de participer aux différents accords d'association économique.

Le Mexique a adhéré au GATT en 1986. Depuis, la dynamique des changements s'est accélérée. L'importance du commerce extérieur mexicain a presque doublé sur la période 1990-1995. Au milieu des années 80, le pétrole représentait 80 % de nos exportations. Aujourd'hui, 86 % de nos exportations sont constituées par des produits non pétroliers.

Le Mexique a réussi le passage d'une économie largement protectionniste et étatisée à une économie figurant parmi les plus ouvertes du monde. En 1985, le droit de douane le plus élevé pratiqué par le Mexique était de 100 %. En 1995, il n'était plus que de 20 %. Aujourd'hui, le taux moyen est de 13 %, contre 27 % il y a 10 ans. De plus, seuls 9,7 % des importations sont soumises à autorisation.

Le Mexique, comme ses autres partenaires de l'ALENA, appartient désormais à l'Organisation mondiale du commerce, à la Conférence économique Asie-Pacifique et a été le dernier pays ayant intégré l'Organisation de coopération et de développement économique.

B. MISE EN PLACE ET IMPACT DE L'ALENA

La signature de l'ALENA s'inscrit dans le cadre de la politique d'ouverture commerciale du Mexique. Le 2 août 1992, après un an de négociations, Le Canada, les États-Unis et le Mexique ont annoncé la création de l'accord de libre-échange nord-américain, connu en français sous le nom d'ALENA, de NAFTA en anglais et de TLC en espagnol.

Cet intérêt pour l'intensification des relations commerciales et financières avec les États-Unis et le Canada s'explique notamment par le degré d'interaction économique déjà existant, surtout entre le Mexique et les États-Unis. En effet, l'importance de notre commerce avec les États-Unis a toujours été considérable, indépendamment du régime commercial en vigueur. Les États-Unis constituent notre principal partenaire commercial. Pour les ÉTATS-UNIS le flux commercial avec le Mexique représente un tiers de leurs échanges globaux, après le Canada et le Japon. Avec le Canada, les échanges bilatéraux sont de moindre importance. La signature de l'ALENA a cependant contribué à l'augmentation des relations commerciales et des investissements entre les deux pays.

Au premier semestre de l'année en cours, le commerce en Amérique du Nord a atteint 217 milliards de dollars, soit 9 % de plus que le montant enregistré en 1995 à la même période. D'autre part, les conditions favorables du marché mexicain attirent de plus en plus les capitaux étrangers. La sécurité des investissements étrangers est garantie par des procédures administratives simplifiées. Ainsi, entre le mois de juin 1994 et le mois de juin 1996, le Mexique a reçu 20 milliards de dollars d'investissements étrangers directs, dont 60 % en provenance de nos voisins du Nord.

II. L'ORIGINE DE L'ALENA

L'ALENA constitue le premier exemple historique d'une coopération commerciale et économique entre des pays ayant des niveaux de développement si différents. Dans ce contexte, afin de s'adapter aux exigences de la concurrence et de la compétitivité de l'économie internationale, le Mexique s'est appuyé sur les cinq critères suivants :

La clarté et la stabilité des politiques économiques

Les économies régies par des politiques claires et stables sont plus compétitives. Un climat de sécurité permet aux entrepreneurs d'évaluer avec exactitude leurs projets à long terme et d'assurer d'emblée un avantage au producteur national et à l'investisseur étranger.

La flexibilité technologique

L'impact de l'évolution technologique sur l'économie actuelle a été considérable, particulièrement dans les domaines de l'information et des télécommunications. La possibilité de choisir dans un large éventail de solutions technologiques est fondamentale pour répondre aux variations des cycles de production et aux changements continuels de la structure de la demande.

Les économies d'échelle

Pour une petite ou moyenne économie, la seule manière d'atteindre des formes efficaces de production est d'orienter une partie de ses produits vers les marchés internationaux.

La spécialisation

La compétitivité est étroitement liée à la spécialisation. En effet, on ne peut aujourd'hui espérer que chaque pays produise de tout et pour tous. Les vastes marchés stimulent l'utilisation rationnelle des avantages comparatifs

Un fonctionnement efficace des marchés

La compétitivité provient du fonctionnement efficace des marchés. Les marchés émettant des indications exactes permettent de prendre de meilleures décisions économiques et d'utiliser les ressources de la manière la plus judicieuse.

Ces raisons nous ont poussés à négocier l'ALENA avec les États-Unis et le Canada. La création d'une zone de libre-échange en Amérique du Nord permet au Mexique d'affronter, dans de meilleures conditions, l'âpre concurrence en matière de capitaux, de technologies et de marchés. Elle lui permet également de s'insérer avec succès dans la nouvelle dynamique de l'économie internationale. L'ALENA, entré en vigueur le premier janvier 1994, a donné naissance à une nouvelle zone de libre-échange, comportant 364 millions de consommateurs et représentant près de 6 300 milliards de dollars.

III. LES OBJECTIFS ET LES CARACTÉRISTIQUES DE L'ALENA

Les objectifs de l'accord sont les suivants :

l'élimination des barrières douanières et non douanières à 1'échange de biens et de services entre les trois pays ainsi que le développement des échanges transfrontaliers ;

la création de règles d'origine, c'est-à-dire « fabriqué en Amérique du Nord » ;

l'ouverture des marchés de services, y compris des services financiers, aux sociétés des États-Unis et du Canada ainsi qu'aux sociétés étrangères remplissant les conditions de résidence en Amérique du Nord ;

le renforcement de la protection, en Amérique du Nord, des biens sous brevet, des marques déposées et des droits d'auteur ;

la création d'un groupe d'experts, dénommé panel, pour résoudre les différends commerciaux entre les pays membres de l'ALENA.

L'ALENA prévoit d'éliminer les obstacles au commerce des produits et des services en 15 ans. Pour certains secteurs considérés vulnérables, des dispositions spécifiques de libéralisation commerciale graduelle ont été établies. Tel est le cas pour les secteurs du textile, de l'automobile, de l'agriculture et de l'énergie.

L'ALENA constitue plus qu'un simple abaissement des droits de douane. Il comporte également des dispositions relatives aux obstacles non tarifaires, aux règles d'origine, aux échanges de services, aux flux d'investissements, à l'immigration, aux contrats passés avec l'État, aux services financiers et aux droits de propriété intellectuelle.

L'ALENA est considéré comme un traité « vert », en raison de ses dispositions relatives à la protection de l'environnement et de l'existence d'une procédure d'arbitrage en cas de conflit lié à l'écologie.

Le traité n'instaure pas de politique commerciale, industrielle ou économique commune aux trois pays. Chacun conserve sa souveraineté monétaire et économique. Il ne prévoit pas davantage de cadre réglementaire commun aux trois États en matière d'harmonisation des droits et des normes de travail, de liberté de circulation des hommes et de politique sociale.

Le commerce des services est régi par trois principes fondamentaux : le traitement national, la nation la plus favorisée et la résidence non obligatoire.

IV. LES AVANTAGES DE L'ALENA

Pour le Mexique, l'ALENA représente principalement les avantages suivants :

la consolidation de la présence commerciale du Mexique dans le monde ;

l'accroissement de la relation commerciale avec l'Amérique du Nord, augmentant la participation des agents économiques dans les flux du commerce international ;

l'attraction de nouveaux investissements, introduisant de nouvelles technologies et de nouvelles formations, contribuant au développement de la compétitivité internationale de certains secteurs ;

l'approfondissement et l'élargissement des liens existants avec d'autres régions ou d'autres pays, contribuant à la diversification des relations économiques du Mexique avec l'extérieur.

V. LES RÉSULTATS

La sécurité conférée par l'ALENA et la réduction des droits de douane a donné une forte impulsion aux flux de marchandises et aux investissements entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Deux ans après l'entrée en vigueur de l'ALENA, le commerce en Amérique du Nord a atteint des niveaux historiques : une croissance annuelle de 14 % et des échanges inter-régionaux atteignant 395 milliards de dollars, soit une moyenne de 7,6 milliards de dollars par semaine. Depuis le début de son application, l'ALENA a permis une augmentation du commerce des trois pays de 93 milliards de dollars.

D'après le département du commerce des ÉTATS-UNIS près de 17 000 postes de travail sont directement créés pour chaque milliard de dollars généré dans le secteur du commerce international. De plus, selon le cabinet d'avocats Dean International, en 1994, les exportations des États-Unis vers le Mexique ont directement créé plus de 850 000 postes de travail.

En 1995, la croissance des exportations a constitué un élément fondamental de la récupération économique du Mexique. Malgré les difficultés économiques, les échanges entre le Mexique et ses partenaires de l'ALENA ont continué à croître et ont conservé des niveaux supérieurs à ceux enregistrés avant l'entrée en vigueur du traité. Ceci n'est pas le cas pour les échanges du Mexique avec les autres pays.

Concernant le commerce bilatéral entre le Mexique et les ÉTATS-UNIS la Banque centrale du Mexique indique que le pays a atteint le niveau historique de 120 milliards de dollars, soit 13 % de plus par rapport à l'année précédente et 36 % de plus par rapport à l'année 1993.

L'entrée en vigueur de l'ALENA à permis à d'importants secteurs de l'économie mexicaine d'améliorer leur position sur le marché américain, comparativement à celle d'autres pays. Tel es le cas pour les secteurs du textile, des vêtements et de l'acier.

Concernant les relations avec le Canada, en 1995, l'agence gouvernementale Statistics Canada a évalué les échanges entre le Mexique et le Canada à 4,7 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 19 % par rapport à l'année précédente et de 49 % par rapport à l'année 1993. Les exportations mexicaines vers le Canada ont atteint 3,9 milliards de dollars, soit 21 % de plus qu'en 1994 et 50 % de plus qu'en 1993. Les exportations du Canada vers le Mexique ont quant à elles atteint 806 millions de dollars, soit 10 % de plus qu'en 1994 et 42 % de plus qu'en 1993. Entre le mois de janvier 1994 et le mois de juin 1996, les activités concernées par l'investissement étranger ont capté 18,7 milliards de dollars. Environ 60 % de ce montant proviennent des États-Unis et du Canada. Ceci s'explique par l'ouverture des secteurs financiers, des télécommunications, des transports et de l'industrie.

Sur la même période, la participation de l'Union européenne à l'investissement étranger direct représente 19 % du total. Les principaux pays concernés sont les Pays-Bas (37 %), l'Allemagne (24 %), le Royaume-Uni (22 %), l'Espagne (5 %) et la France (5 %).

Les investisseurs peuvent aujourd'hui choisir entre les trois pays de l'ALENA selon leur stratégie.

En conclusion, le Mexique cherche à se transformer en économie d'exportation permanente pour atteindre et maintenir une croissance économique dynamique et soutenue. Le pays travaille donc à fortifier les capacités structurelles garantissant une intégration plus large et plus compétitive dans les flux internationaux de commerce et d'investissement.

VI. LES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DES ÉCHANGES

L'ALENA ne constitue pas le seul accord que nous ayons signé ou que nous désirons signer avec d'autres régions du monde. L'accord conclu avec le Chili s'est traduit par une augmentation des échanges bilatéraux de 130 %. En 1995, des accords sont entrés en vigueur avec la Colombie, le Venezuela, le Costa Rica et la Bolivie. D'autres traités sont en cours de négociation avec le Nicaragua, le Salvador, le Guatemala, l'Équateur, le Pérou, Panama, le Belize et le Honduras.

D'autre part, avec l'Union européenne, il existe un désir commun de mener à bien un accord de libre-échange. Pour le Mexique, ce rapprochement obéit à un intérêt stratégique fondé sur la diversification de ses relations internationales. De plus, en raison des liens historiques, culturels, économiques et politiques, l'Europe, et spécialement la France, représente une des régions prioritaires dans la politique extérieure du Mexique. L'Europe a également un poids stratégique en raison de sa participation au commerce et aux investissements mondiaux, ainsi qu'en raison de son niveau d'industrialisation et de développement technologique. L'Europe est le deuxième partenaire du Mexique.

Cet accord serait indispensable pour le rétablissement des échanges entre l'Union européenne et le Mexique. En effet, à la fin des années 80, les importations en provenance de l'Union européenne représentaient 15,5 % du total des importations mexicaines. Aujourd'hui cette proportion est de 8,5 % et tend encore à baisser. La même tendance est observée pour les exportations mexicaines vers l'Union européenne. Pour rétablir la situation, les deux parties ont donc besoin d'outils facilitant et renforçant leur commerce et leurs investissements.

LE CHILI ET L'ALENA

M. Roland du LUART,

Président du Groupe d'amitié France-Amérique du Sud

Je souhaiterais vous présenter la position des pays du cône sud de l'Amérique latine à l'égard de l'ALENA. Je traiterai tout d'abord des relations MERCOSUR/ALENA, puis je m'attacherai plus particulièrement à étudier les rapports entre le Chili et l'ALENA.

J'ai décidé de traiter cette question pour la raison suivante. En ma qualité de Président du groupe d'amitié France-Amérique latine, j'ai eu l'occasion de me rendre dans les cinq pays du cône sud à deux reprises cette année, en mars, avec un délégation de sénateurs français, et début octobre avec le ministre du commerce extérieur, Yves Galland, afin de renforcer les échanges commerciaux entre la France et les pays du MERCOSUR.

I. LE MERCOSUR ET L'ALENA

L'ALENA et le MERCOSUR, qui représentent respectivement 390 millions et 220 millions d'habitants, apparaissent aujourd'hui comme les deux entités régionales les plus dynamiques en Amérique latine. Je rappelle que l'Amérique latine part du Chili à l'Argentine pour remonter jusqu'au Mexique.

Constituées autour d'un puissant pôle économique, les États-Unis pour l'ALENA et le Brésil pour le MERCOSUR, ces deux entités ont permis une forte croissance des échanges entre les pays membres et sont devenues indiscutablement, depuis quelques années, des zones d'attraction pour les investisseurs nationaux et étrangers, en particuliers européens. II n'existe cependant aucune relation ou négociation de bloc à bloc entre l'ALENA et le MERCOSUR. De même, il n'y a aucun consensus entre les pays du continent sud-américain et les États-Unis sur le contenu possible d'une éventuelle zone de libre-échange des Amériques.

Les rapports entre le MERCOSUR et l'ALENA révèlent une forte rivalité entre le Brésil et les États-Unis. En effet, lors du sommet de Miami, en décembre 1994, le Président Clinton avait proposé d'entamer des négociations en vue de la création d'une zone de libre-échange des Amériques, de l'Alaska à la Terre de feu. Ce que l'on appelle l'ALCA aurait alors pris l'ALENA pour modèle. Immédiatement, les pays du MERCOSUR, à l'initiative du Brésil, ont manifesté leur réticence face à cette initiative nord-américaine.

Ceci s'est traduit par le renforcement du MERCOSUR. D'une part, celui-ci a élargi sa zone d'influence par une association avec les pays voisins. Ainsi, une association a été conclue avec le Chili, en juin dernier, puis avec la Bolivie. Un projet d'association existe aujourd'hui entre le MERCOSUR et le Venezuela. D'autre part, un accord a été signé entre l'Union européenne et le MERCOSUR, le premier de ce type entre deux blocs régionaux, faisant du MERCOSUR l'interlocuteur privilégié de l'Union européenne en Amérique latine. A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que le Mexique, membre de l'ALENA, négocie également un accord séparé avec l'Union européenne.

Les rapports entre le MERCOSUR et l'ALENA mettent en évidence le jeu des grandes puissances du continent américain, le Brésil et les États-Unis. Cette situation de rivalité peut donner un rôle d'arbitre à des puissances telles que le Mexique ou l'Argentine, dès lors que l'on se situe dans la perspective du grand ensemble d'Amérique latine. Le Brésil développe une stratégie de puissance régionale, essentiellement fondée sur l'intégration régionale dans le cadre du MERCOSUR. Cet objectif peut être considéré comme un défi lancé aux initiatives américaines de création d'une zone continentale. La réunion de Carthagène, du 18 au 21 mars 1996, a illustré cette divergence d'intérêts en permettant le renforcement de la cohésion du MERCOSUR, tout en exacerbant la rivalité entre le Brésil et les États-Unis dans le processus d'intégration continentale. L'Argentine, après avoir hésité entre une candidature à l'ALENA et la construction d'un accord d'intégration avec ses voisins, participe aujourd'hui sans la moindre ambiguïté à la construction du MERCOSUR et à la définition de sa politique extérieure en accord avec le Brésil.

Ma conviction est que les pays d'Amérique latine sont très intéressés par les évolutions économiques extrêmement rapides auxquelles nous assistons, mais qu'ils ne souhaitent pas mettre « tous leurs oeufs dans le même panier ». Ils acceptent de travailler avec les États-Unis mais ont visiblement peur de leur hégémonie excessive. Ils désirent construire une entité économique entre eux et veulent également avoir un partenaire fort, l'Europe et en particulier la France. Cet élément est essentiel. N'oubliez pas en effet que la France est le premier investisseur européen en Argentine et le deuxième investisseur mondial derrière le Chili. De même, les relations entre la France et le Mexique se développent considérablement sur le plan économique.

II. LE CHILI ET L'ALENA

Le Chili se situe dans une position originale et complexe. Après avoir adhéré à l'APEC, en 1994, il s'est associé au MERCOSUR et a signé avec l'Union européenne un nouvel accord de coopération en 1996. Dans le même temps, sa participation à l'ALENA avait été très sérieusement envisagée. Cette adhésion est reportée en 1997 en raison de l'actualité politique américaine. En effet, le Congrès américain, dans le cadre du fast track, avait mis un terme à cette possibilité d'accord. Les Chiliens ont donc décidé, le Président Frei nous l'a rappelé début octobre, d'attendre les résultats des élections américaines et ses éventuelles conséquences sur la position du gouvernement américain sur ce sujet.

Il en est de même en ce qui concerne les relations entre le Chili et le Canada. Le Président Edouardo Frei a reporté sa visite au Canada, début octobre, dans l'attente de l'examen des conditions dans lesquelles pourrait être renégociés (en particulier avec le Canada) les accords d'association dans le cadre de l'ALENA.

Cette accumulation nouvelle d'intérêts pour les regroupements commerciaux régionaux a conduit certains à qualifier la politique chilienne de « polygamie commerciale ». Le Chili a transformé des questions a priori techniques en de véritables thèmes de débat politique. Aujourd'hui au Chili, le sujet des accords économiques est devenu un élément central de la vie nationale.

Les opinions sur l'ALENA sont partagées. De longue date, les syndicats ont manifesté leur hostilité à l'adhésion du Chili. En tous cas, si le traité ne contenait pas des annexes sociales et syndicales. Les milieux patronaux, quant à eux, sont relativement divisés sur la véritable importance de l'ALENA pour l'économie chilienne. Le secteur des grandes entreprises, de la banque et de la finance y voit des avantages, en particulier en termes de stabilité économique. Par contre, les organisations professionnelles d'exportateurs de produits manufacturés y voient un intérêt moindre. En effet, elles craignent les effets négatifs de l'entrée de produits nord-américains sur le marché chilien, qui pourrait l'emporter sur les effets bénéfiques d'une éventuelle augmentation des exportations vers les États-Unis. Rappelons en effet que le Chili est avant tout un fournisseur de matières premières et de produits de base pour le marché américain. Même avec un accord de libre-échange, il sera très difficile pour les produits manufacturés chiliens de s'introduire sur le marché américain.

L'année 1995 n'a certes pas permis une adhésion du Chili à l'ALENA. Mais cette déconvenue a sans doute permis au Chili de relativiser l'importance de l'enjeu. L'ALENA est en effet géographiquement éloigné. Quant aux échanges, ils sont pour le moins réduits : le solde commercial est négatif de l'ordre de 350 millions de dollars. Pour un pays qui compte 13 millions d'habitants, il est donc nécessaire de relativiser l'importance économique de cet accord. D'un autre côté, les progrès réalisés dans l'intégration du MERCOSUR et la croissance des échanges bilatéraux avec les pays constituant ce bloc économique ouvrent des perspectives « plus latines » aux entrepreneurs chiliens. Je rappelle en effet que le Chili est le premier investisseur en Argentine. Le Chili a effectué un choix de développement économique : il exporte principalement des matières premières vers l'ALENA et des produits manufacturés vers le MERCOSUR.

En conclusion, aux yeux du Chili, l'adhésion à l'ALENA semble relever davantage de l'ordre de la satisfaction politique que de celui de l'intérêt commercial.

M. Bertin COTÉ

Je souhaiterais apporter une précision à l'intervention de Monsieur du Luart. Depuis le report de la visite du Président Frei au Canada, les négociateurs se sont réunis à deux reprises : les dernières difficultés sont à présent pratiquement résolues. Nous sommes donc quasiment prêts. A cet égard, je rappellerai que le Chili défend des intérêts politiques mais également économiques. En effet, le premier investisseur étranger au Chili est les États-Unis ; le second est le Canada.

SECONDE PARTIE : L'ALENA AU REGARD DU COMMERCIAL INTERNATIONAL ET DES ENTREPRISES

L'ALENA, INITIATIVES RÉGIONALES ET SYSTÈME COMMERCIAL MULTILATÉRAL

M. François de RICOLFIS,

chef du bureau de la politique commerciale extérieure à la direction des relations économiques extérieures du ministère des finances

L'ALENA représente 20 % des échanges mondiaux, l'Union européenne 37 %, et la zone Asie-Pacifique, l'APEC, 45 %. A eux trois, avec les recoupements qui s'imposent, ces trois ensemble représentent environ 80 % des échanges mondiaux. La relation transatlantique entre les ÉTATS-UNIS le Canada et le Mexique, d'une part, et l'Europe, d'autre part, reste la première au monde en termes de commerce, de services ou d'investissements.

I. LE SYSTÈME COMMERCIAL MONDIAL

Le système commercial mondial est constitué par le GATT, aujourd'hui l'Organisation Mondiale du Commerce, laquelle est fondée sur le principe simple de la clause de la nation la plus favorisée : « ce que je donne à un pays, je le donnerai au reste du monde ».

Depuis la guerre, les États-Unis et le Canada ont été les principaux acteurs et innovateurs de ce système. Ils ont toujours privilégié la libéralisation au sein du GATT puis de l'OMC. Ils ont notamment lancé le dernier cycle, l'Uruguay round, qui s'est déroulé de 1986 à 1994. Leur relation bilatérale constitue une exception à cette démarche (ainsi qu'un accord conclu entre les États-Unis et Israël).

L'Union européenne pour sa part, depuis sa création, joue sur deux tableaux : l'OMC et l'intégration régionale. Elle développe sa propre intégration régionale et des accords préférentiels avec ses voisins : les pays africains avec la Convention de Lomé, les pays méditerranéens, les pays de l'Est, sans doute bientôt l'Afrique du Sud et l'Amérique latine. Ce réseau d'accords préférentiels est, par définition, dérogatoire aux règles de l'OMC. L'Union européenne a mené ces deux actions de front avec un certain succès, même si son protectionnisme est régulièrement critiqué.

De nombreux accords régionaux ont été expérimentés en Amérique. Ils ont cependant moins bien fonctionné que ceux conclus par l'Europe.

II. LES SIGNIFICATIONS DE L'ALENA

Après la signature des accords de l'ALENA, le reproche de protectionnisme adressé à l'Europe s'est également appliqué aux trois partenaires. Le débat récurrent sur ce thème n'est pas clos.

L'ALENA est le premier accord de libre-échange intégral entre des pays riches et un pays moins riche. Il s'applique au secteur toujours sensible de l'agriculture. Ainsi, lorsqu'elle conclut des accords de libre-échange, l'Union européenne est souvent obligée d'exclure le secteur de l'agriculture en raison de la structure de la PAC. Les accords conclus par l'Union européenne présentent souvent une forte dimension d'asymétrie. Celle-ci ouvre davantage son marché que les pays tiers ne le font.

La signature des accords de l'ALENA révèle que les États-Unis développent également une politique comportant deux volets : le multilatéral et le régional. L'ALENA a été suivi de deux projets régionaux de plus grande ampleur, le libre-échange des Amériques et le libre-échange de l'APEC, supposés aboutir en 2010 pour les pays riches et 2020 pour les autres.

Pour la première fois, l'Union européenne se retrouve « de l'autre coté du miroir ». Ce n'est plus elle qui accorde des préférences, mais ses partenaires. En conséquence, elle a engagé une réflexion sur sa politique préférentielle, ses avantages et ses limites. De manière plus contingente, elle a manifesté le souci de négocier un accord avec le Mexique. Les négociations en cours prévoient, à terme, le libre-échange. La conclusion de l'accord aurait pour conséquence l'aspect assez insolite d'une structure étrange reliant deux ensembles commerciaux entre eux, non pas de façon globale mais par « un petit bout ».

III. LES RELATIONS ENTRE MONDE MULTILATÉRAL ET ENSEMBLES RÉGIONAUX

Aujourd'hui, les accords régionaux constituent un élément essentiel de la vie commerciale. 74 accords préférentiels sont en vigueur, sans compter les excroissances de certains de ces accords, couvrant le monde entier. Les principaux sont l'ALENA, le MERCOSUR, la « nébuleuse » européenne, l'accord de libre-échange entre les pays de l'ASEAN, celui entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, celui d'Afrique australe, autour de l'Afrique du Sud, les projets de l'APEC, du libre-échange américain et, de façon moins formalisée, les idées de libre-échange transatlantique, pour l'instant limité au « dialogue d'hommes d'affaires » et à la négociation d'accords sectoriels entre l'Europe et les États-Unis. L'OMC est donc concurrencée et ne règne plus seule sur le commerce mondial.

La crainte d'un monde tripolaire, partagé entre l'Europe, le continent américain et la sphère Pacifique, se développe. Les « pessimistes », dont Monsieur Ruggiero, Directeur général de l'OMC, y voient essentiellement un risque de fragmentation du monde en trois blocs, avec les connotations négatives qui s'y rattachent. Les « optimistes » y voient la consolidation de liens économiques naturels et la possibilité d'encourager et de faire progresser la libéralisation des échanges.

Cette évolution a provoqué des réactions de la part de l'OMC. Celle-ci a d'abord créé, il y a huit mois, un comité des arrangements commerciaux régionaux poursuivant deux objectifs : donner à l'OMC, pour la première fois, une vue d'ensemble de ces phénomènes dans le monde ; mener un débat sur les « implications systémiques » des accords régionaux.

L'OMC a également entamé une discussion sur les règles applicables aux accords régionaux. Elle avait en effet défini des règles, mais celles-ci étaient insuffisantes et inapplicables.

Enfin, une réflexion est menée sur la ligne directrice future de l'OMC. Deux tendances s'opposent. La première, soutenue par Monsieur Ruggiero, s'inscrit dans la logique de sa vision pessimiste. Selon cette tendance, l'OMC doit se fixer des objectifs ambitieux, le libre-échange mondial à l'horizon 2020. Il s'agit, à l'extrême, de supprimer les 74 accords régionaux et de les remplacer par un unique accord mondial de libre-échange. Suivant la deuxième approche, l'OMC doit veiller à ce que les accords régionaux respectent les règles du jeu et ne créent pas de nouveaux obstacles au commerce. D'autre part, elle doit continuer, comme elle l'a fait depuis 45 ans, de libéraliser les échanges mondiaux de façon progressive.

Ce débat sur l'avenir de l'OMC aura lieu dans un mois à Singapour, à l'occasion de la première conférence ministérielle de l'OMC et surtout à l'approche de l'an 2000. Cette date servira de base à de nouvelles discussions multilatérales d'ensemble, qui permettraient à l'OMC de rejouer son rôle classique et de veiller à ne pas se laisser supplanter par les initiatives régionales.

L'ANALYSE DES ENTREPRISES

M. René LOPEZ,
Président D'ALCATEL-CANADA

I. LES PERFORMANCES D'ALCATEL-CANADA

A. PRÉSENTATION D'ALCATEL-CANADA

Au Canada, le groupe Alcatel-Alsthom développe ses activités dans trois domaines essentiels : l'énergie, les transports et les télécommunications. Il réalise un chiffre d'affaires moyen, au Canada, de 1,3 milliard de dollars par an. Il compte 3 200 employés, situés pour moitié au Québec et pour moitié dans le reste du Canada. Il se situe en seconde position sur le marché, derrière le géant General Electric, mais devant ABB et Siemens, ses principaux concurrents. Ses principaux clients sont Hydro-Québec, Ontario-Hydro, BCA-Hydro, l'énergie atomique du Canada, les compagnies de chemin de fer, Canadian National et Canadian Pacific, Bombardier, les ingénieurs-conseils oeuvrant sur la scène internationale, les compagnies de téléphone, etc.

Alcatel-Canada est une filiale Alcatel-Alsthom se concentrant dans le domaine des télécommunications. Elle réalise un chiffre d'affaires de 925 millions de dollars. Elle oeuvre dans les domaines de la fabrication des câbles d'énergie et de télécommunication, des systèmes de transmission de données (synchrones/asynchrones) et des systèmes complets d'automatismes pour les transports urbains ou les usines de production papetière.

B. LES FACTEURS DU SUCCÈS

Ses succès reposent sur les facilités d'opérations existantes au Canada, ainsi que sur le « maillage » exceptionnel entre les fournisseurs, les universités, les centres de recherches nationaux et ceux des grands clients. Cette symbiose nous permet de réaliser des produits et des services répondant aux besoins nord-américains. A titre d'exemple, une unité haute technologie située à La Prairie, dans la banlieue de Montréal, se classe au premier rang au sein du groupe Alcatel-Alsthom mondial pour le dépôt de brevets internationaux par employé.

Les programmes de formation permettent au Canada de disposer d'une main-d'oeuvre qualifiée et adaptée au besoin de flexibilité que requiert l'économie mondiale en général et l'ALENA en particulier. La main-d'oeuvre est fidèle, le taux de roulement est très faible. Ce facteur est très important pour les programmes de recherche et développement nécessitant plusieurs années de travaux sur un sujet.

Dans le passé, les syndicats étaient traditionnellement intransigeants. Le gouvernement les a responsabilisés, surtout au Québec, grâce à une fiscalité leur permettant de générer leurs propres fonds de développement : aujourd'hui, les syndicats constituent des partenaires aidant les dirigeants d'entreprise à réaliser de grandes transformations et à accroître leurs performances dans l'économie émergente de l'information et des services. A titre d'exemple, l'entreprise d'Alcatel-câble, à Montréal est devenue l'entreprise la plus performante de tout le groupe Alcatel-câble mondial.

La fiscalité adaptée à la recherche-développement, tout en respectant les règles d'interdiction de subventions directes, permet de développer des produits compétitifs et de mieux couvrir les marchés. Ainsi, un ingénieur coûte 35 % moins cher au Canada qu'aux États-Unis. Un dollar investi en recherche-développement coûte 53 cents. Un dollar investi au Canada, particulièrement au Québec, est remboursé à plus de 60 %. Ces conditions font que dans certaines usines, le niveau de qualité des produits et leur coût de production permettent de les exporter vers le Mexique et les États-Unis dans une proportion pouvant atteindre 70 %.

II. L'IMPACT DE L'ALENA

Le flux des échanges requiert une spécialisation des produits les plus porteurs de valeur ajoutée. Des niches ont été choisies et développées. Les produits sont souvent complémentaires. L'un des avantages indirects de l'ALENA est de favoriser l'optimisation des échanges.

Le Canada, et souvent les provinces, mettent à disposition des entreprises un réseau de représentation commerciale très efficace dans les grandes villes de l'ALENA, permettant de les assister dans leur recherche de clients et d'alliances stratégiques. Le Canada est une excellente terre d'accueil pour des entreprises telle que la nôtre ayant connu une progression constante de son activité. Nous nous sommes implantés en 1965, avec un chiffre d'affaires de 5 millions de dollars. Aujourd'hui, 30 ans plus tard, nous réalisons un chiffre d'affaires de 1,3 milliard.

La mondialisation et la privatisation entraînent des partenariats à haut niveau. Dans le cadre de l'ALENA, nous avons ainsi participé à des privatisations telles que celle de l'aciérie de Sidectosco, avec un partenaire mexicain, Ispad-mexicana, déjà lié à GEC-Alsthom en Inde. Depuis la privatisation de ce complexe sidérurgique d'une valeur de 350 millions de dollars, l'actif a été remboursé en un an et des profits équivalents à l'actif sont réalisés chaque année depuis trois ans. Un autre exemple récent est celui de AMF, une division manufacturière de Canadian National spécialisée dans la réhabilitation de locomotives, acquise par GEC-Alsthom. Elle permet, tout en couvrant l'énorme marché canadien dans ce domaine, de couvrir également le marché américain.

Au sein de l'ALENA, les normes et les standards sont identiques. La propriété intellectuelle est bien protégée. La main-d'oeuvre est qualifiée et bien formée ; les salaires sont compétitifs ; les syndicats, en profonde mutation, cherchent à obtenir un consensus pour atteindre un niveau de qualité (la plupart des entreprises répondent aux normes ISO 9001 ou 9002). La fiscalité est adaptée à la recherche-développement, particulièrement au Québec. Les communications et les télécommunications sont bien développées ; les matières premières sont abondantes ; les coûts d'énergie compétitifs. L'inflation est contrôlée. Enfin, la qualité de vie est bonne. Grâce à l'ALENA, la taille du marché, limitée au départ, a été multipliée par dix.

J'ai un petit penchant pour Montréal, siège du groupe, qui regroupe 45 % de l'industrie aéronautique canadienne, 40 % de l'industrie biomédicale et réalise 30 % des exportations canadiennes dans les domaines de l'électronique, des télécommunications et des technologies de l'information.

Alcatel-Alsthom et Alcatel-Canada souhaitent continuer de se développer au Canada. Il s'agit de l'exemple assez frappant d'une entreprise à l'origine européenne devenant aujourd'hui nord-américaine.

M. Georges HIBON, Président de Connaught Laboratoireses Ltd (Pasteur-Mérieux).

I. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

Connaught est un laboratoire canadien, créé en 1915, basé à Toronto. Il a été acquis par la société Mérieux en 1989. L'acquisition a été particulièrement difficile car Connaught était considéré par les Canadiens - et l'est toujours - comme un des « joyaux de la couronne ». Lors de cette opération, Mérieux, aujourd'hui devenu Pasteur-Mérieux-Connaught, n'a pas hésité à s'endetter en raison de l'importance cruciale que représentait l'implantation sur le marché nord-américain.

L'industrie du vaccin est conditionnée par le nombre de naissances. En effet, 70 % des vaccins sont destinés aux enfants, 30 % aux adultes. Le marché adulte est constitué par les vaccins contre la grippe et l'hépatite B. Le poids du marché américain est considérable. Chaque année dans le monde, 135 millions d'enfants naissent, dont environ 12 millions dans le « monde solvable ». Ce dernier représente 4 millions de naissances aux ÉTATS-UNIS 4 millions en Europe, 2 millions au Japon et deux ou trois autres millions dans d'autres régions du monde. Sur ce marché, le prix des vaccins incorpore le coût de la recherche. Le reste du monde est couvert à des prix plus bas avec des adjudications, l'UNICEF, le PAE...

Il était crucial pour Mérieux d'être présent sur le marché américain. Cette présence est d'autant plus indispensable que les dépenses de recherche croissent. La mise sur le marché d'un vaccin avoisinera bientôt 200 millions de dollars. Aujourd'hui, sept années après l'acquisition de Connaught, nous représentons 70 % du marché canadien du vaccin, 25 % de celui des États-Unis et 70 % de celui du Mexique.

II. QUELLE EST L'INFLUENCE DE L'ALENA ?

Honnêtement, l'ALENA n'a aujourd'hui que peu d'influence sur notre activité. Dans cette zone, les vaccins circulent sans paiement de droits de douane. D'autre part, il n'existe pas d'harmonisation des enregistrements et des réglementations. Nos trois entités gardent donc leurs spécificité et leurs différences.

Au Canada, le système de protection sociale est excellent. Nos clients sont les provinces et le gouvernement fédéral. Les coûts de commercialisation sont relativement faibles. Au contraire, le marché américain est un marché pharmaceutique relativement classique avec de grosses forces de vente de visite médicale, une compétition exacerbée, mais des prix libres, ce qui est toujours intéressant dans un domaine comme le nôtre. Contrairement à ce que certains peuvent croire, des prix libres ne signifient pas des prix élevés pour une longue période. L'avantage des prix libres consiste à développer la concurrence et à forcer les sociétés à l'innovation. Le Mexique représente un troisième cas de figure. Aujourd'hui, le marché mexicain est essentiellement public, mais nous pensons que compte tenu de l'amélioration du niveau de vie, le marché privé émergera dans les prochaines années. Nous construisons notre organisation pour nous adapter à ce changement de situation.

Le millier de personnes employées au Canada est essentiellement orienté vers la recherche et la fabrication. Pasteur-Mérieux-Connaught possède aujourd'hui deux importants pôles de recherche, l'un en France, près de Lyon, l'autre à Toronto. L'organisation des ÉTATS-UNIS employant également un millier de personnes, est davantage orientée vers le développement et le commercial. Sont également implantés des centres de fabrication de vaccins ensuite destinés au Canada et à l'Europe. Nous avons développé une stratégie industrielle conduisant nos quatre grandes usines (Toronto, Pennsylvanie, Lyon et Val-de-Rueil près de Rouen) à avoir chacune un produit spécifique. Chaque vaccin est donc fabriqué dans une usine pour une distribution ultérieure dans le monde entier.

Au Canada, nous avons créé deux ou trois de nos principaux programmes de recherche. Les incitations fiscales sont fortes et le gouvernement canadien souhaite participer aux efforts de recherche. Ainsi, nous négocions avec le gouvernement canadien l'implantation à Toronto d'un programme de recherche de vaccin contre le cancer - ce vaccin est thérapeutique avant d'être préventif. Si le programme réussit, les premiers produits n'arriveront pas sur le marché avant dix ans. Les États-Unis ont plutôt un rôle d'éducateur vis-à-vis de nos filiales dans les autres régions du monde. En effet, sur le plan du marketing par exemple, le marché des États-Unis présente un haut degré de sophistication. Le Mexique représente un modèle d'évolution d'un marché public vers un marché privé. Ce phénomène sera sans doute similaire en Chine par exemple. En Inde, 200 millions de personnes ont déjà un niveau de revenu suffisant pour s'orienter vers le marché privé.

Les activités de business-développement du groupe, c'est-à-dire d'alliances, d'acquisitions, de recherche d'accords avec les nombreuses entreprises de biotechnologie, dont j'ai la responsabilité, ont été ancrées en Amérique du Nord. A ce titre, nous avons créé aux ÉTATS-UNIS puis en Europe, une joint-venture avec l'entreprise Merck.

En conclusion, l'ALENA ne présente pas aujourd'hui un caractère essentiel pour notre société. Nous sommes cependant positionnés dans cet ensemble, prêts à démarrer lorsque les règles de l'ALENA concernant les industries pharmaceutiques évolueront. Je pense qu'il est indispensable pour une entreprise française d'être solidement implantée dans cette zone pour ne pas prendre de retard.

Sept ans après la difficile acquisition de Connaught, nos actionnaires et le gouvernement canadien sont satisfaits.

M. José Jamon ORTIZ MONASTERIO, Administrateur délégué, Eurocermex SA

I. LES PERFORMANCES DE LA BIÈRE CORONA

Eurocermex représente les intérêts de Grupo Modelo en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Grupo Modelo est le premier brasseur mexicain, le neuvième au monde ; il produit notamment la bière Corona. Ce produit est d'ailleurs celui qui nous a permis de profiter des avantages de l'ALENA, le plus grand marché au monde.

Aux États-Unis la concurrence sur le marché des brasseurs est sans doute encore plus importante qu'en Europe. Après seulement dix années de présence, Corona y est la deuxième bière importée. Les États-Unis importent environ 500 bières différentes et en produisent, avec les deux plus importantes sociétés du monde, une énorme quantité. Nous espérons devenir la première bière importée aux États-Unis dès l'année prochaine, au plus tard en 1998. Au Canada, nous sommes déjà la première bière importée, comme en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans quelques pays européens.

Nous avions un bon produit, qui a de plus été choisi par les consommateurs comme étant une boisson « représentative ». La jeunesse de l'ouest des États-Unis a adopté la Corona en la considérant comme un style de vie plus que comme une boisson. Notre implantation sur ce marché a largement dépassé nos propres espérances.

Le phénomène, même lent, de démantèlement des droits de douane et des barrières non douanières nous a également permis de profiter de ce marché. Ce n'est malheureusement pas le cas de l'Europe qui nous oppose encore de nombreuses barrières non douanières.

La plus forte progression de consommation de bière aux États-Unis est réalisée par la Corona et dix autres bières également produites par Grupo Modelo. Notre taux de croissance sur le marché américain et canadien est supérieur à 30 % par an. Il est à comparer à la baisse de la consommation de bière aux États-Unis de 5 %.

Le Mexique peut devenir un partenaire intéressant et privilégié pour les intérêts européens visant le marché américain. Le Mexique peut cependant également constituer en soi un partenaire intéressant, en raison de son propre marché. Nous avons plus de 90 millions d'habitants consommant chaque jour davantage. Grupo Modelo réalise 78 % des exportations de bières mexicaines. Nous produisons cependant à 80 % pour le marché local. L'année prochaine, une nouvelle brasserie nous permettra de devenir le quatrième brasseur mondial : nous doublerons notre capacité de production. Cette extension ne vise ni le marché européen, ni le marché américain, mais le marché mexicain.

II. LES AVANTAGES DE L'ALENA POUR LE MEXIQUE

L'ALENA a permis au Mexique de développer l'exportation de ses produits. Il ne s'agit pas seulement de matières premières ou de produits industriels, mais également de produits de consommation finale.

Les monnaies de tous les pays sont soumises à de fortes pressions internationales spéculatives pouvant les faire basculer. Ce phénomène ne reflète cependant en rien la solidité économique d'un pays. Le Mexique l'a prouvé dans le cadre de cet accord. Il possède une économie de plus en plus solide progressant à un rythme élevé, permettant aux entreprises de profiter du marché interne mexicain et du marché américain.

En ma qualité de Mexicain, je pense que les relations entre le Canada et le Mexique, d'une part, et surtout entre les États-Unis et le Mexique, d'autre part, dépassent le cadre de l'ALENA, lequel ne traite que des relations commerciales. Il faut tenir compte de l'influence du Mexique sur les mouvements sociaux aux États-Unis. Les minorités hispaniques ont une influence croissante sur l'avenir de notre voisin. Le Mexique, notamment par sa culture, peut être plus qu'un partenaire économique privilégié des États-Unis. A cet égard, nous pouvons offrir aux investisseurs européens la possibilité de mieux comprendre la société américaine.

M. Seth GOLDSCHLAGER, Directeur chez Publicis Consultants

I. LE DÉVELOPPEMENT DE PUBLIAIS EN AMÉRIQUE

Aujourd'hui, Publicis constitue le plus grand groupe de publicité et de communication en Europe, avec une implantation dans 50 villes européennes, réparties dans 28 pays, et des clients multinationaux tels que Renault, L'Oréal ou Nestlé.

Pour un groupe comme Publics, qui souhaite accompagner ses clients qui adoptent une logique de mondialisation, il est nécessaire de s'implanter partout dans le monde. Cette année, nous avons annoncé un très important plan d'investissement dans le monde entier. La première étape concerne l'ALENA.

Cet été, nous avons annoncé l'acquisition d'une agence canadienne, BCP, l'une des plus créatives et performantes au Canada, dont les sièges sont situés à Montréal et Toronto. Quelques semaines auparavant, nous avions annoncé l'acquisition de l'agence Romero, autre agence remarquable située au Mexique. Ces acquisitions obéissent à une double logique : il s'agit d'être capable de gérer les budgets mondiaux de nos clients mais également de participer au plus important marché publicitaire que constitue l'ALENA. Depuis cinq ans, nous possédons une agence aux ÉTATS-UNIS Publicis-Bloom. La couverture de la zone est donc complète.

II. L'IMPACT DE L'ALENA

Au Mexique, Carlos Romero, le Président de l'agence du même nom, est très favorable à l'ALENA. II a déjà remarqué de nouveaux investissements publicitaires très importants dans le domaine des télécommunications et de l'automobile. Dans le monde des affaires en général, l'impact de l'ALENA semble très positif. Carlos Romero pense que sans l'ALENA le Mexique serait aujourd'hui isolé, hors d'un monde qui se globalise et qui s'intègre. Sans l'ALENA, la crise de la dévaluation du peso de la fin de l'année 1994 aurait été beaucoup plus grave ; les exportations du Mexique n'auraient pas atteint un niveau si élevé et ce pays ne serait pas aussi attractif pour les investissements étrangers.

Au Canada, la situation est compliquée du fait du poids du secteur publicitaire que représente les États-Unis et compte tenu des interactions entre ces deux secteurs. Au sein de l'ALENA, il existe une exception culturelle instaurée pour protéger les petites et moyennes entreprises du secteur de la communication. Celles-ci sont privilégiées pour l'obtention des budgets de communication du secteur public. Cette préférence protégeant les petites entreprises est bénéfique car on voit déjà un certain nombre de budgets précédemment gérés par des agences canadiennes transférés vers les sièges des agences américaines. Globalement, l'impact de l'ALENA semble favorable. Un sondage effectué auprès de 100 chefs d'entreprise américains, 50 mexicains et 50 canadiens et réalisé par la banque américaine Harris et la Banque de Montréal, révèle que pour 80 % des personnes interrogées, les effets de l'ALENA sur leurs affaires sont positifs.

L'appréciation de l'impact de l'ALENA par notre agence située aux États-Unis est plus modérée. Pour le moment, le secteur de la distribution est celui dans lequel les investissements publicitaires se développent le plus, en particulier à destination du Mexique. Ce secteur a cependant connu des revers ; l'expansion est moins forte que prévu. D'autre part, en raison du développement de l'ALENA, les agences américaines doivent changer un certain nombre de formules dans le domaine du marketing.

Globalement, nous restons très optimistes sur l'avenir du secteur de la publicité et de la communication dans l'ALENA. D'après les études, le volume des échanges progresse. A titre d'exemple, les échanges entre le Mexique et les États-Unis doubleront au cours des cinq prochaines années. Il y aura des retombées très importantes sur la publicité. Nous prévoyons également l'extension de l'ALENA à d'autres pays.

En conclusion, les prévisions étaient sans doute trop optimistes, en particulier sur le nombre de créations d'emplois. Il faudra du temps, tout comme pour l'émergence d'un vrai marché commun en Europe. Nous restons cependant très confiants en l'avenir de l'ALENA et quant à son impact positif sur le domaine de la communication.

DISCUSSION AVEC LE PUBLIC

M. José CARMONA, Représentant pour l'Europe de l'Institut national polytechnique de Mexico

J'ai relevé, Monsieur Lopez, la notion de dollar investi en recherche et de son bénéfice en termes de valeur ajoutée. Une coopération entre les entreprises et les institutions d'éducation et de recherche est-elle prévue ? Au Mexique, le développement de l'éducation et des sources de travail pourrait être un moyen de freiner l'immigration vers les États-Unis.

M. René LOPEZ

Dans le domaine de la recherche et développement, la valeur ajoutée est difficile à calculer : elle dépend de la commercialisation ultérieure des produits. Je faisais simplement référence au fait que, grâce aux mesures fiscales existantes au Canada, et particulièrement au Québec, tout dollar investi peut être récupéré à hauteur de 70 % environ.

M. Georges HIBON

Aujourd'hui, dans des industries comme les nôtres, les brevets constituent presque la matière première. Nos relations avec les universités sont soutenues et constantes. Leur rémunération s'effectue sous la forme d'aides dans le cadre d'accords de recherche, d'une part, et sous la forme de royalties lorsque les produits se développent sur le marché, d'autre part. Nos entreprise fonctionnant sur des cycle longs. Des étapes sont prévues pour assurer un flot régulier de rémunérations.

De la salle

L'ALENA a-t-il un effet sur la mobilité des cadres ?

M. Georges HIBON

En ce qui nous concerne, notre principale difficulté pour faire bouger des cadres entre les États-Unis et le Canada est liée aux écarts de fiscalité. Il n'y a pas de libre circulation des personnes. Des cartes de travail sont nécessaires, mais leur obtention ne présente pas de difficulté particulière.

CONCLUSION

LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE

COMMERCIALE DES ÉTATS-UNIS AU LENDEMAIN DES

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES

M. Jean-Daniel GARDERE, Ministre plénipotentiaire, chef des services d'expansion économique aux États-Unis

En 1992, j'avais eu la chance de vivre l'élection de Bill Clinton depuis les ÉTATS-UNIS dans des circonstances assez amusantes pour moi ; en effet, alors que je ne connaissais pas encore le pays, j'étais convaincu, contre l'avis de tous les spécialistes, de la victoire de Clinton. Les faits m'ayant donné raison, j'ai trouvé là un motif de grande satisfaction... En 1996, de façon délibérée, j'ai voulu voir ces élections de France, peut-être parce que la réélection du Président sortant était assurée. Je dois dire que je n'ai pas été déçu : la couverture médiatique de l'événement par les médias français a été sans commune mesure avec ce qu'on a pu connaître aux États-Unis ! J'en tirerais deux leçons rapides. Tout d'abord, le désamour des Français envers l'Amérique, tel que le décrivait Le Monde il y a quelques jours, ne semble pas se confirmer. En second lieu, les Français sont finalement très conscients du rôle de superpuissance des ÉTATS-UNIS qui reste le pays autour duquel gravitent les mutations politiques, économiques, financières, monétaires, technologiques.

I. LA TOILE DE FOND ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

A. DONNÉES ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES

Compte tenu de cette extraordinaire couverture médiatique, je ne m'étendrai pas longtemps sur la toile de fond, le contexte dans lequel va se greffer le second mandat de Bill Clinton et, plus particulièrement, la politique commerciale américaine. Si je devais résumer ce qui sous-tend la politique commerciale et la politique d'appui aux exportations des ÉTATS-UNIS je ne dirais que trois mots : « America is back ! » Mais les chemins empruntés n'en sont pas moins différents de ceux empruntés dans les dernières décennies, notamment pendant les douze années de l'ère Reagan/Bush.

La politique commerciale américaine est de nouveau offensive. De bons résultats sont enregistrés concernant la croissance, les créations d'emplois et l'innovation technologique. Les États-Unis réalisent un tiers des investissements en recherche et développement mondiaux. Tous cela est bien connu de vous. Je ne vais pas insister non plus sur la révolution managériale qui a lieu aux ÉTATS-UNIS ni sur la révolution financière qui fait que, entre les fusions/acquisitions, le financement des start-ups et les introductions initiales en Bourse, ce pays détient, plus que l'Europe, les clés d'un renouveau entrepreneurial qui nous fait défaut,

Les clés de la croissance et de la création d'emplois aux États-Unis résident probablement, au-delà d'une plus grande flexibilité dans le domaine du travail et d'une moindre réglementation de la création d'entreprises, dans les modalités de financement des entreprises, marquées par le sens de la prise de risque. Cette aptitude à la prise de risques financiers se retrouve dans la capacité d'entreprendre des Américains. Les jeunes Français la découvrent d'ailleurs, tant ils sont nombreux à se rendre aux États-Unis pour y créer leur propre entreprise, généralement dans le domaine de la haute technologie.

L'ouverture des États-Unis aux importations et aux exportations, enfin, est très importante. Elle illustre parfaitement le rapport au monde des États-Unis et l'extrême dynamisme de son économie.

B. LE RETOUR À LA CONFIANCE

Le retour à la confiance caractérise l'élection de 1996. Le Président Clinton a été élu en 1992 dans un contexte économique perçu comme morose. Les Démocrates ont été battus en 1994 dans le même contexte. Le Président Clinton a été réélu en 1996 : les Américains ont pris conscience du fait que le leadership économique, technologique et commercial de l'Amérique était aujourd'hui de nouveau assuré. Les Américains sont sans doute moins confiants concernant le leadership stratégique des ÉTATS-UNIS d'un point de vue militaire notamment.

Le niveau du chômage, qui s'élève à 5 %, probablement 7 % si l'on tient compte de la population carcérale et des « découragés du travail », participe également de ce retour à la confiance.

Enfin, la hausse des profits, très importante aux ÉTATS-UNIS constitue un autre facteur explicatif. Le Dow Jones a progressé de 80 % en quelques années et les profits des entreprises continuent de croître. Le premier trimestre 1996 n'avait pas enregistré de hausse de la rentabilité des entreprises, mais le second indique une progression de 19 %. Cette rentabilité des entreprises avait déjà augmenté de 54 % en 1994 et de 30 % en 1995.

Ce retour à la confiance a pour conséquence une légère amélioration du taux d'épargne américain, jadis le principal handicap de cette économie, mais surtout une légère sous-évaluation du dollar. Ainsi, les États-Unis restent très attractifs pour les investisseurs de portefeuille, compte tenu des taux d'intérêt prévalant sur place et de la rentabilité des entreprises, mais aussi pour les investisseurs directs, du fait de la légère sous-évaluation du dollar. Cette dernière est également un moyen de maintenir la compétitivité monétaire des entreprises américaines, notamment vis-à-vis de l'Union européenne et du Japon. Pour les ÉTATS-UNIS ce point est fondamental compte tenu du déficit encore important vis-à-vis du Japon et de celui qui se dessine avec l'Union européenne.

C. TENTATIVE D'EXPLICATION DE CETTE CONFIANCE RETROUVÉE

De récentes mesures de politique intérieure ont facilité ce retour à la confiance : la hausse du salaire minimum, l'amélioration de l'assurance maladie et surtout des projets fiscaux très ciblés que le Président a placés au coeur de sa campagne, en les opposant aux projets de baisse des impôts mis en avant par le candidat républicain. Ils concernent l'éducation, le développement urbain, la baisse de la taxation des plus-values sur les résidences principales, etc.

Ces succès peuvent encore s'expliquer par le « durcissement social » de l'économie américaine. Depuis 20 ans, les rémunérations stagnent ; les inégalités s'accroissent ; une partie de la population s'appauvrit et se précarise.

Un autre élément explicatif est le débat permanent qui prévaut aux États-Unis. Entre l'État fédéral et les entreprises, entre l'État et les États, entre les universités et l'État, entre les universités et les entreprises, entre les entreprises elles-mêmes, il y a en effet un débat permanent, ouvert et public, débouchant toujours soit sur des décisions à caractère national, soit, en cas de blocage, sur des expérimentations.

On a dit que cette campagne était vide de sens. Des questions essentielles ont pourtant été abordées concernant les moyens d'obtenir plus de croissance, sur la manière de freiner le dérapage des dépenses sociales, ainsi que sur le niveau du chômage et sa compatibilité avec une politique monétaire neutre, n'accroissant pas les taux d'intérêt. Loin d'être creuse, la campagne a donc été l'occasion de nombreuses recherches et d'un débat entre des visions assez antagonistes du développement et de la relance des structures économiques américaines.

Le rôle de l'État fait également l'objet d'un débat fondamental. Sur ce point, le choix s'est clairement porté sur un État centriste, intervenant ponctuellement pour orienter l'économie sans être totalement impliqué lui-même dans la création de richesses. On le voit bien dans le domaine de la fiscalité, dans le domaine budgétaire, dans le domaine de la réforme des programmes sociaux. Les choix faits en 1995 et 1996, malgré la « paralysie » due à l'affrontement entre un Président démocrate et un Congrès à majorité républicaine, ont été des choix dits de « triangulation », visant à définir une politique économique modérée et centriste. D'ailleurs, les électeurs américains ont renforcé ce recentrage de l'État en élisant délibérément un Président démocrate et un Congrès républicain. A mes yeux, cela constitue une chance pour les États-Unis : cela évitera aux Républicains de tomber dans les tentations extrémistes dont ils ont beaucoup pâti pendant la campagne, notamment sur les valeurs morales et sur le démantèlement des programmes sociaux ; cela évitera au Président, et plus encore au Vice-Président, de trop pencher vers la gauche, en particulier la gauche syndicale.

D. LE NÉO-PRAGMATISME AMÉRICAIN

L'ensemble du système américain peut donc aujourd'hui se définir par un principe, le néo-pragmatisme, que ce soit en matière monétaire, budgétaire, fiscale, ou en matière d'intervention de l'État, mais aussi en matière de politique commerciale. Celle-ci a de tout temps été pragmatique et offensive. C'est particulièrement vrai depuis 1993, malgré la parenthèse due à la victoire des Républicains au Congrès en 1995 : depuis lors, la politique commerciale américaine n'a pas trouvé de nouveau souffle. Plusieurs facteurs peuvent être avancés : l'opposition politique entre le Congrès et l'exécutif; l'absence de volonté de gérer de nouveaux accords ; la mise en oeuvre d'autres priorités, dont le « Contrat avec l'Amérique » des Républicains ; la nécessité pour le Président de se recentrer dans la perspective de élections de 1996.

La politique commerciale américaine a toujours su mêler de manière pragmatique des stratégies multilatérales, des initiatives régionales et des instruments unilatéraux. Ce cocktail assez efficace caractérise parfaitement la politique commerciale américaine des quinze ou vingt dernières années.

II. LES CONSÉQUENCES DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

À priori, le maintien d'une majorité républicaine au Congrès facilite une reprise des initiatives de politique commerciale de l'exécutif. Des possibilités de blocage politique existent cependant. Le risque existe également de voir le Vice-Président Al Gore, désireux d'être candidat aux primaires démocrates de 1999, jouer le jeu de la gauche démocrate au Congrès (Richard Gephart, David Bonyor, Charles Wrangle) afin d'obtenir le soutien des syndicats - ces derniers ont joué un rôle considérable dans la dernière campagne, en investissant 30 à 40 millions de dollars -, de la gauche démocrate et des minorités, représentées par Charles Wrangle, le démocrate le mieux placé à la sous-commission du Commerce.

Par ailleurs, le Président n'a pas besoin d'une grande politique commerciale. Il a déjà fait ses preuves, notamment avec le succès de l'Uruguay Round. Les risques d'échec ou d'embourbement dans les grandes initiatives régionales sont tels qu'une relance dans ce domaine au cours du second mandat est peu probable. La politique vigoureuse menée entre 1993 et 1996, avec l'APEC (Asie/Pacifique), l'Accord de libre-échange pour les Amériques (sommet de Miami, avec les pays d'Amérique latine et d'Amérique centrale) et le projet de relance du dialogue transatlantique, ne devrait pas connaître de suite importante. En effet, la mise en place de l'ALENA a eu beaucoup de conséquences : les hommes politiques américains, notamment les membres du Congrès, ne courront pas le risque de déplaire à une opinion publique persuadée que les initiatives régionales ont des effets néfastes en matière de délocalisation et de pertes d'emploi. L'opinion se trompe probablement. Mais ses craintes ont été habilement exploitées par Pat Buchanan et une partie des Démocrates. Je ne crois donc pas à une relance importante des initiatives dans ce domaine, d'autant plus que le début du nouveau round de négociations multilatérales prévu par les accords de Marrakech n'interviendra qu'en 1999, à la fin du mandat du Président Clinton.

La politique commerciale américaine restera cependant offensive. Le néo-pragmatisme américain et ses ambiguïtés vont persister et peut-être s'amplifier. Les Américains continuent de croire aux vertus du libre-échange, mais veulent également l'assortir d'un certain nombre de garde-fous collectifs et d'armes unilatérales. Ils souhaitent développer de nouvelles règles multilatérales en matière de normes sociales, de lutte contre la corruption, d'investissement, de transparence dans le domaine des marchés publics, etc. Les Américains ne veulent pas se priver des leviers d'action nationaux mis en oeuvre au titre de « la 301 », de « la super 301 », du traitement national, de la réciprocité ou du principe d'extra-territorialité, que nous dénonçons en Europe. Dans cette ère post guerre froide, les Américains ont le sentiment qu'ils devront avoir recours à une panoplie d'instruments tantôt bilatéraux, tantôt multilatéraux, tantôt unilatéraux.

Les hommes que choisira le Président pour constituer sa nouvelle équipe ne modifieront sans doute pas la situation. Ainsi, le probable futur responsable de l'USTR ne devrait pas profondément infléchir la politique menée, qu'il s'agisse de William Delley, le frère du maire de Chicago, avocat ayant joué un rôle important dans l'acceptation de l'ALENA par le Congrès en 1993, ou de Samuel Sandy-Burger, l'assistant d'Antony Lake au National Security Council, ancien avocat versé dans le domaine commercial. Ils sont tous deux partisans du libre-échange et très pragmatiques, donc peu différents de leurs prédécesseurs.

III. QUELQUES GRANDS DOSSIERS INTERNATIONAUX

On constate une certaine continuité dans la voie néo-pragmatique que j'évoquais tout à l'heure. Alors que les grandes négociations multilatérales sont reportées à 1999 et que les initiatives régionales ne sont plus à la mode, on pourrait croire qu'il n'y a plus de politique commerciale américaine. On verra, au travers de cinq grands dossiers que l'Administration Clinton aura à traiter, que cela est tout à fait erroné.

Le premier point important est l'attitude que l'Amérique adoptera vis-à-vis de l'OMC et l'utilisation qu'elle en fera. Certaines initiatives récentes, comme la loi Helms-Burton, pourraient laisser croire que les États-Unis cherchent à fragiliser l'OMC. Mon opinion est que l'exécutif américain veut jouer la carte de l'OMC et du règlement des différends par son entremise, comme le démontrent plusieurs exemples récents, notamment le nombre des panels acceptés par les Américains. L'OMC est probablement l'enceinte-clé pour les Américains : elle leur permet de faire avancer le dossier des télécommunications, de la baisse des tarifs sur les industries et produits des technologies de l'information, lesquels constituent des éléments centraux de la stratégie américaine. Or ce n'est pas tant avec l'Europe que ces accords, portant sur les télécommunications, les technologies de l'information ou même les services financiers seront importants, mais avec les pays émergents, notamment ceux d'Asie. Il est clair que l'enceinte de l'OMC est celle qui se prête le mieux à la préparation de ces accords, avec l'appui de l'Europe. La conférence de Singapour, en décembre prochain, permettra de vérifier cette volonté.

Le dossier chinois est lui aussi exemplaire. Son traitement a démontré que l'administration Clinton, élue sur un programme maximaliste en matière de respect des droits de l'homme en Chine, pouvait temporiser et aboutir à des compromis à la fois acceptables par l'opinion et favorables aux milieux d'affaires américains. Cette attitude se prolongera certainement et débouchera sur un découplage définitif entre les questions des droits de l'homme et de démocratisation, d'une part, et les considérations économiques et commerciales, d'autre part. Ce phénomène ne concernera cependant pas Cuba, l'Iran ou la Libye, pays qui ne peuvent pas, malheureusement pour eux, se prévaloir du même poids économique et commercial que la Chine. Les Américains sont d'ailleurs en accord avec l'Union européenne sur les conditions d'accès de la Chine à l'OMC, qu'il s'agisse des exceptions qui lui seraient consenties ou des engagements qui lui seraient imposés : il s'agit d'un partenaire incontournable mais qui doit cependant être maîtrisé avant qu'il ne devienne un concurrent à part entière.

Enfin, je conclurai par les grandes initiatives régionales, qui ont enregistré des résultats positifs mais qui ne devraient pas être relancées. Des échéances ont été fixées : les négociations sur le libre-échange des Amériques devraient intervenir dès 2005, une zone de libre-échange est prévue dans la zone Asie-Pacifique en 2010 ou 2020, selon le niveau de développement des pays. Des avancées ont été enregistrées dans le cadre du dialogue transatlantique, en particulier sur l'acceptation mutuelle des normes. Ces phénomènes ne se poursuivront cependant pas, en particulier pour l'Asie et la l'Amérique latine, en raison du trop grand nombre de partenaires et surtout de leurs trop grandes différences de développement. Des accords clairs et équilibrés ne pourront être signés. On en a pris conscience lors de la négociation APEC, au cours de laquelle le Japon et la Malaisie ont fait entendre des voix discordantes. Quant à l'Amérique latine, son intégration est rendue plus difficile par l'avènement et la consolidation de MERCOSUR.

Sur le continent américain coexistent des zones de développement différentes : la région andine et celle des Caraïbes, très peu développées, l'ALENA et le G3, très développés, le MERCOSUR, zone intermédiaire ayant tendance a se développer de manière endogène. Aujourd'hui, en dehors de l'adhésion du Chili à l'ALENA, qui sera cependant très difficile, je n'envisage pas de relation entre ces trois zones. A court terme, je ne crois donc pas à un grand élargissement de l'ALENA.

De la salle

Que peut-on attendre de la réunion de Chicago ?

M. Jean-Daniel GARDERE

Il existe une ambiguïté sur le « dialogue des hommes d'affaires », des deux côtés de l'Atlantique. D'un côté, les pays membres de 1'Union européenne ne sont pas tous d'accord sur le rôle, l'utilité et les finalités de ce dialogue. L'Amérique donne l'impression d'une plus grande cohérence quant à ses attentes. La réunion de Chicago n'apportera donc sans doute pas d'avancée significative, sauf peut-être dans le secteur de l'automobile. Le problème de la reconnaissance mutuelle des processus de certification dans le domaine pharmaceutique, par exemple, ne devrait pas trouver de solution lors de cette réunion, dans la mesure où la FDA américaine ne peut pas, juridiquement et constitutionnellement, déléguer ses responsabilités à des hommes d'affaires.

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