III. LA MODERNISATION DU PAYS

Dans son précédent rapport 4 ( * ) , le groupe sénatorial France-Syrie présentait les grandes lignes de la politique de modernisation économique des autorités syriennes. De fait, en cinq ans, un certain nombre d'étapes ont été franchies. En particulier, ont été mis en oeuvre la réforme du système bancaire et un début d'assainissement des finances publiques.

A. LA RÉFORME DU SYSTÈME BANCAIRE

Depuis la prise de pouvoir par le Baas, le secteur bancaire était un monopole de l'État. Il souffrait tout à la fois d'une organisation vieillissante et largement irrationnelle, de son exemption des règles concurrentielles et de la défiance des investisseurs. En clair, l'économie syrienne ne disposait pas d'un système de financement adéquat.

Dans ce domaine, d'incontestables progrès ont vu le jour grâce d'une part à l'ouverture au secteur privé et, d'autre part, à la mise en place d'un système de régulation bancaire.

a) L'ouverture au secteur privé

Le gouvernement a autorisé l'ouverture de banques privées qui sont actuellement au nombre de 8, dont 2 islamiques. Par ailleurs, 12 compagnies d'assurances privées, dont 3 islamiques, se sont implantées en Syrie. La création de 10 nouvelles banques est annoncée pour les prochains mois.

Dans ce contexte, les opérations monétaires et bancaires connaissent une forte progression. Comme le note la conseillère économique et commerciale à Damas, le taux d'investissement a égalé en 2005 le taux d'épargne, ce qui démontre que l'argent tourne. Le marché du crédit, en particulier à la consommation, s'est notablement développé sous l'impulsion des offres commerciales des nouvelles banques.

La loi n° 24 de 2006 a autorisé les opérations de vente/achat de devises à des opérateurs non bancaires, les sociétés et bureaux de change, de façon à maîtriser le marché noir.

Plus généralement, le marché des changes syrien est en complète réorganisation. Celle-ci se traduit notamment par une unification des taux de change dont le nombre a pu dépasser la dizaine par le passé.

On relèvera que le développement du système bancaire syrien a largement bénéficié du rapatriement de fonds placés à Chypre ou au Liban et, en ce dernier cas, chassés par la dernière invasion israélienne. De même, on a pu constater un afflux en Syrie de fonds en provenance des États du Golfe.

Le système bancaire reste cependant handicapé par plusieurs difficultés : la lenteur des réformes de la banque centrale qui doit notamment mettre en place un marché de la dette, ou encore rémunérer les dépôts, l'absence d'instruments de refinancement, l'importance des transactions en espèces, l'inexistence de financements en devises étrangères.

b) La mise en place d'un système de régulation bancaire

Si la réforme de la banque centrale n'est pas achevée, nous l'avons vu, plusieurs textes sont néanmoins intervenus pour mettre progressivement en place un dispositif de régulation du système bancaire.

La loi n° 23 de 2002 a ainsi transféré la supervision des banques du ministère des finances à la banque centrale. Elle créé un conseil de la monnaie et du crédit (CMC) qui encadre et contrôle l'activité des banques privées. Ce conseil, présidé par le gouverneur de la banque centrale, définit la politique monétaire et accorde des licences aux nouvelles banques. S'il est indépendant, il peut néanmoins se voir opposer un veto du ministre des finances si celui-ci juge une décision contraire « à l'intérêt de l'État ».

Par ailleurs, une série de textes a encadré l'activité des établissements financiers :

Le décret n° 33 de 2005 organise la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Les banques ont l'obligation de vérifier et contrôler les opérations qu'elles effectuent. Une commission chargée de suivre cette action de contrôle, présidée par le gouverneur de la banque centrale, est créée.

Le décret n° 34 impose le secret bancaire à toutes les banques opérant en Syrie, y compris dans les zones franches.

Le décret n° 43 de 2005 met en place les règles d'organisation du marché privé de l'assurance en Syrie.

Face à tous ces éléments de modernisation, il reste à la Syrie plusieurs défis à relever en matière bancaire ainsi que cela est apparu lors de la rencontre du président du groupe sénatorial avec des économistes et des représentants des banques syriennes.

Il lui faut tout d'abord assurer la croissance du pouvoir d'achat de sa population, seul moyen de fond pour élargir le marché bancaire. Il lui faut par ailleurs prendre garde à un risque de saturation du marché du crédit qui, sous l'effet d'une concurrence exacerbée, pourrait être à l'origine d'une chute des marges bancaires et d'une prise de risque dangereuse pour les établissements financiers. L'achèvement des réformes de la banque centrale est un autre objectif qui doit aussi être rapidement atteint. Mais, plus généralement, nous le verrons, le secteur bancaire ne prospèrera que si l'économie syrienne se restructure.

B. VERS UN ASSAINISSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

Le gouvernement s'est engagé dans la rénovation de la fiscalité tout en s'efforçant de maîtriser les équilibres financiers de l'Etat.

a) La rénovation de la fiscalité

Le gouvernement syrien a entrepris la refonte d'une fiscalité à la fois obsolète et inefficace. D'une part, la Syrie envisage d'introduire une TVA en 2008/2009, destinée notamment à faire face à la baisse des revenus pétroliers et à assurer des ressources croissantes au budget de l'Etat.

D'autre part, les barèmes d'imposition directe ont été revus à la baisse et modernisés. S'agissant des entreprises, le taux d'imposition des bénéfices est passé de 63 % en 2003 à 28 % au maximum en 2007, des exonérations spécifiques pouvant permettre d'abaisser le taux jusqu'à 22 %.

L'objectif est évidemment de relancer le secteur privé, mais aussi de restaurer le civisme fiscal. De fait, la fraude étant très répandue, le rendement des impôts est extrêmement faible. A cet égard, il y a lieu de noter que le gouvernement a décidé de créer une direction des grands contribuables au sein du ministère des finances.

b) Les fragiles équilibres financiers syriens

Le solde budgétaire comme la dette publique se sont creusés au cours des dernières années. Ainsi, le déficit est-il passé de 2 % du PIB en 2002 à 4,3 % en 2004. Il semble que ce déficit soit à présent stabilisé puisqu'il aurait atteint 4,2 % en 2005 et moins de 4 % en 2006. La dette externe serait d'environ 25 % ; quant au service de la dette, il s'élèverait à 15 % du PIB.

Si la situation budgétaire est pour l'instant maîtrisée, la chute des recettes pétrolières risque néanmoins de la mettre à mal dans les prochaines années. Hors pétrole, le déficit budgétaire atteindrait d'ores et déjà plus de 17 % du PIB !

C. QUEL AVENIR POUR L'ÉCONOMIE SYRIENNE ?

L'économie syrienne peut être attractive. Toutefois, pour accéder au statut de marché émergent puis des investisseurs, elle doit encore être modernisée.

a) Des atouts

La Syrie dispose de nombreux atouts : une main d'oeuvre peu coûteuse et plutôt bien formée, un positionnement central dans la région valorisé par la conclusion de nombreux accords de libre échange avec les pays proches (Arabie Saoudite, Égypte, Liban, Jordanie, Turquie). Plus généralement, la Syrie appartient au GAFTA, la grande zone arabe de libre échange. Elle bénéficie par ailleurs d'un potentiel touristique considérable et encore très largement sous-exploité. Autres atouts : une agriculture en développement, une appétence évidente au commerce. Elle bénéficie aujourd'hui, de surcroît, d'un net regain d'intérêt de la part des investisseurs étrangers.

En 2004, les investissements directs étrangers ont atteint 275 millions de dollars contre 160 millions en 2003. En particulier, un afflux de capitaux en provenance des pays du Golfe a pu être relevé. Il y a lieu de noter que cette progression se fait alors même que le contexte régional n'est guère favorable et que le marché syrien reste encore incertain.

Enfin, comme on l'a vu, la Syrie s'est lancée dans une politique de réformes structurelles ambitieuses. Le congrès du parti Baas, en juin 2005, a en effet décidé de rompre avec la politique étatique très interventionniste jusqu'alors pratiquée pour lui préférer « l'économie sociale de marché ».

b) Les maux persistants

Cependant, certains des maux de l'économie syrienne, relevés par le groupe sénatorial dans son rapport de 2002, demeurent. Il en est ainsi de la forte dépendance du pays à l'égard de quelques productions comme le pétrole ou l'eau. Plus généralement, la Syrie est handicapée par la faiblesse de ses ressources internes.

Par ailleurs, l'industrie reste encore marquée par l'importance du secteur public et d'entreprises à la gestion erratique et sous capitalisées. Dans ce domaine aussi des efforts ont cependant été consentis : ouverture de certains secteurs, comme les cimenteries ou les raffineries, lancement d'appel d'offres pour la mise en concession ou la privatisation, recapitalisation de certaines entreprises publiques...

Mais la Syrie reste fragilisée par un très fort taux de croissance démographique (il serait de + 2,45 % par an) qui impose un taux de croissance de près de 7 % pour atteindre le plein emploi. Par ailleurs, la diversification de l'économie syrienne, au-delà de l'agriculture et des hydrocarbures, reste à faire.

L'État joue depuis quelques années un rôle plutôt positif, mais il demeure trop important et manque encore de transparence comme de clarté stratégique. A cet égard, la constitution récente de grandes sociétés holding n'a pas été sans susciter des craintes.

Ainsi, à la fin 2006, trois grands groupes ont vu le jour :

Cham est la plus importante société holding ; elle serait liée à Rami Makhlouf, cousin du président syrien ;

Souriya est bâtie autour de la famille Joud, originaire de Lattaquié et présente dans le négoce, l'industrie agroalimentaire, le bois, l'électroménager, mais aussi les services et les transports ;

CPCS est liée au groupe saoudien ben Laden.

Les conglomérats marqués par la proximité avec le pouvoir ont laissé apparaître au grand jour l'existence d'une catégorie d'étato-capitalistes que de nombreux traits font ressembler aux oligarques russes. En tout état de cause, la constitution de ces holdings correspond moins au discours d'ouverture économique mis en avant par les réformateurs du régime qu'à une nouvelle forme de nationalisme économique. Mais elle est sans doute, comme à une plus grande échelle en Russie, une phase de transition nécessaire.

Enfin, l'un des handicaps principaux de la Syrie reste la situation de conflit avec Israël. Outre qu'elle détourne au profit des dépenses militaires des sommes qui seraient plus utiles à la modernisation du pays, elle constitue une source d'insécurité pour tous les investisseurs et, plus largement, pour tous les acteurs économiques.

c) L'enjeu de la formation

Le président du groupe a tenu à rencontrer les autorités universitaires de Damas et d'Alep. Il s'agissait de montrer toute l'importance attachée à la consolidation de l'enseignement supérieur syrien. La formation de jeunes cadres aux techniques et méthodes modernes de gestion est essentielle à la restructuration efficace du secteur public syrien comme au développement du secteur privé. Et, relevons-le, en ce domaine comme dans bien d'autres, la France tient sa place aux côtés de la Syrie. La francophonie continue de s'y développer.

* 4 La Syrie à la croisée des chemins , Rapport de groupe d'amitié n° 44 (2002-2003), 1 er mars 2002

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