C. LA FORMATION ACADÉMIQUE ET SES RÉPERCUSSIONS SUR LE PROFIL DU MARCHÉ ET DU PROFESSIONNEL

L'introduction obligatoire de la formation universitaire en journalisme a représenté un autre élément de construction d'un espace professionnel perméable aux techniques de communication des genres associés. La formation académique en tant qu'instrument de professionnalisation du journaliste et d'amélioration de la qualité de l'information au Brésil est un voeu presque aussi ancien que les premières organisations corporatives des professionnels brésiliens. Au XIXe siècle, certaines initiatives ont été expérimentées par les facultés de Droit en vue de former de jeunes avocats pour l'exercice d'activités d'information 399 ( * ) . En 1911, l'ABI indiquait l'élévation du niveau professionnel au travers des écoles 400 ( * ) comme réponse à la nécessité d'une meilleure préparation des publicistes et écrivains de journaux - comme étaient alors définis les journalistes. En 1917, elle a rendu publique une première proposition de cursus universitaire 401 ( * ) et en 1918, elle a accentué sa mobilisation, en mentionnant dans le document final du Premier Congrès National des journalistes la nécessité d'une formation spécifique pour les journalistes 402 ( * ) .

C'est à la suite de l'insistance des syndicats et de la capacité de l'Association à transiter par les dédales du pouvoir que la revendication de création de cours de journalisme est devenue réalité. En plus de l'avoir revendiqué, l'ABI a négocié et obtenu l'appui nécessaire auprès du gouvernement de Getúlio Vargas pour instituer à Rio de Janeiro l'enseignement public de journalisme. L'autorisation de création de l'Ecole Supérieure de journalisme a été décrétée par le Décret-Loi n° 5.480, du 13/05/1943, mais faute d'argent, l'action de l'ABI n'a porté ses fruits qu'en 1948 403 ( * ) . Les premiers cours publics ont eu lieu à l'Université du Brésil, aujourd'hui Université Fédérale de Rio de Janeiro, grâce à l'appui financier de la compagnie de cigarettes Souza Cruz, dont le magazine institutionnel était réalisé sous la direction du président de l'ABI, Hebert Moses 404 ( * ) . L'association a obtenu du gouvernement la décision politique de créer le cours et de Souza Cruz, les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses 405 ( * ) . L'épisode met en lumière les relations intimes existant entre les structures de communication institutionnelle et le journalisme brésilien 406 ( * ) .

Pour la corporation des journalistes, la seule existence des formations, prévues dans les législations de 1938 et 1943, ne satisfaisait les revendications travaillistes. Celle-ci demandait que la formation universitaire obligatoire soit un pré-requis pour l'exercice du journalisme. Cette position est visible dans les délibérations approuvées au cours de plusieurs colloques professionnels. En 1953, par exemple, ce fut le thème principal du Congrès National des Journalistes, qui s'est tenu à Curitiba. À cette occasion, la thèse Liberté de la Presse et Formation Professionnelle, présentée par le chercheur et journaliste Luiz Beltrão, défendait le principe qu'un état de liberté de la presse était conditionné à l'existence d'une qualification de niveau universitaire pour les journalistes.

La thèse démontrait, au moyen de statistiques et de témoignages, comment dans toutes les sociétés développées, indépendamment des idéologies et des régimes politiques, il y avait une préoccupation dominante de former des professionnels à l'université, autrement dit, avec une vision universaliste des problèmes humains et sociaux et avec une culture intellectuelle perfectionnée - explique MEDINA 407 ( * ) .

Parce qu'il jugeait qu'il était nécessaire d'appliquer dans son intégralité le dispositif du Décret-Loi n°. 910/1938, le président Jânio Quadros a édité le Décret n°. 51.218, du 22/08/1961, instaurant la formation universitaire obligatoire pour accéder à la profession. Cependant, cinq mois plus tard, la législation a été abrogée par le décret n°. 527-A, du 18/01/1962. On attribue cette abrogation à la pression des entreprises journalistiques et aux questions de nature juridique, ainsi qu'à la fragile gouvernabilité à laquelle le gouvernement de Jânio Quadros devait déjà faire face et qui allait provoquer sa démission en août de la même année 408 ( * ) .

Dans la foulée, au moins deux autres Décrets ont été édités (1.177/62 et 53.263/63), qui ont créé des conditions différenciées d'accès à la profession et modifié la liste d'activités considérées comme le domaine réservé du journalisme. C'est à cette époque qu'apparaît le personnage du stagiaire de journalisme, avec droit à la mention stagiaire sur la carte professionnelle et à des privilèges similaires à ceux du professionnel, y compris le droit de se syndiquer.

Dans l'actualisation de la législation, effectuée par le Décret-Loi n° 972 d'octobre 1969 409 ( * ) , l'exigence d'une formation académique obligatoire a été maintenue, mais à nouveau, ses effets n'ont pas été intégraux. Ce n'est qu'avec l'édition du Décret n°. 83.284, de mars 1979, fixant les règles du Décret-Loi n° 972, que le diplôme de journalisme est devenu définitivement obligatoire. La mesure a eu pour effet secondaire de provoquer une explosion de nouveaux cours et, par conséquent, de nouveaux étudiants et diplômés en journalisme.

1. La Communication Sociale, un espace commun pour les techniques informatives

C'est la Faculté de Philosophie qui a eu la primeur de l'enseignement du journalisme, mais ce dernier a ensuite migré vers un nouvel espace, celui de la Communication Sociale. Cet espace académique, à l'instar - ou en conséquence - de l'espace professionnel de Technicien de communication sociale, cité antérieurement, reposait essentiellement sur un quadruplet de carrières : journalisme, publicité et propagande, relations publiques et radialistas (professionnels de la radio) 410 ( * ) . Ces éléments historiques révèlent qu'aussi bien du côté du marché que de celui des formateurs des nouvelles générations de journalistes, tout indiquait l'existence d'un champ où les techniques et les professionnels de Communication Sociale intervenaient de façon intégrée, ce qui d'une certaine manière, a mélangé les techniques, les valeurs et les espaces professionnels.

La proposition pédagogique prévoyait ce qui était, dans les années 1970/80, qualifié d'enseignement de base de quatre semestres de durée : une grille de contenus similaires pour la formation. Dans ce tronc commun aux différentes carrières de la Communication Sociale, des disciplines identiques prévalaient dans plusieurs formations. C'étaient des matières constituées de principes théoriques et philosophiques, qui créaient ainsi une culture relativement commune aux divers champs. On enseignait par exemple aux futurs journalistes des notions de base de la publicité, de relations publiques et de production artistique pour la radio et la télé. Ceux qui intégraient ces cours de journalisme absorbaient, pourrait-on ainsi dire, un bagage professionnel polyvalent et qui, d'une certaine manière, répondaient au type de professionnel que le secteur public souhaitait principalement recruter, dans certains cas, de profil généraliste dans le champ de la Communication Sociale. Ces éléments ont contribué à ce qu'il n'y ait pas davantage de résistances culturelles, chez les nouvelles générations d'étudiants en journalisme, vis-à-vis de la recherche d'un emploi hors des rédactions.

Les Facultés de Communication Sociale ont pris de l'importance dans une période politique internationale très particulière. À l'apogée de la guerre froide et des conflits Nord-sud, la transmission d'information et de connaissances était conçue comme un outil fondamental pour réduire les inégalités et encourager le développement des peuples. Ainsi, en plus de proposer des connaissances techniques, l'enseignement visait à démontrer aux nouvelles générations professionnelles la capacité de la communication à élargir les horizons sociaux, à atteindre les groupes marginalisés de l'information, et en cela à doter le jeune journaliste d'une conscience professionnelle engagée vers les actions de réduction des inégalités.

Les formations de journalisme dans les pays du Tiers Monde ont bénéficié de l'appui spécial de l'Unesco, qui voyait dans la profession un canal stratégique pour la conquête de l'autonomie économico-politico-culturelle des peuples d'Amérique Latine, d'Afrique et d'Asie. En d'autres termes, l'organisation défendait un engagement du professionnel dans le processus de transformation sociale. Pour l'Unesco, le bien-être de la population et la capacité de celle-ci à prendre des décisions dépendaient du niveau et de la qualité de l'information à laquelle elle avait accès. Et à cet effet, il était nécessaire d'accélérer l'existence de professionnels conscients de leur rôle social, via l'enseignement. La qualité de l'information dépend de la compréhension, des connaissances, des qualités professionnelles et du sens de la responsabilité du journaliste - rappelle MEDINA 411 ( * ) .

Pour réduire les distances sociales, il fallait enseigner et pratiquer un modèle de journalisme visant à construire une identité nationale et à stimuler le développement des nations, en combattant la pauvreté et l'analphabétisme 412 ( * ) . Cette ligne de pensée entrevoyait l'utilisation intégrée de tous les outils de communication, et pas seulement ceux de nature journalistique. Cette vision a été prédominante jusqu'au milieu des années 1980, principalement après l'achèvement des travaux de la Commission Mac Bride 413 ( * ) . L'Unesco visait un Nouvel Ordre Mondial de la Communication, où chaque peuple puisse apprendre des autres, en se tenant en même temps informé les uns les autres sur la façon de concevoir leur propre condition et leur vision du monde. Quand ceci sera atteint, l'humanité aura fait un pas décisif en direction de la liberté, de la démocratie et de la solidarité - jugeait alors le directeur-général de l'Unesco, Amadou-Mahtar M'Bow 414 ( * ) .

Le régime militaire brésilien, bien qu'il soit de droite, était en faveur de certaines actions de transformations sociales, principalement celles qui pouvaient modifier le niveau de développement national. Diverses mesures préconisées par l'Unesco ont donc été mises en oeuvre, ce qui a encouragé la multiplication des structures publiques de communication sociales. Ce processus s'est révélé plus visible dans les secteurs de l'agriculture, de l'extension rurale, de la santé publique et de l'éducation. Des centaines d'agents de communication sociale ont été recrutés pour interagir avec la société ou réaliser des produits médiatiques - publications, manuels, vidéos éducatives, programmes radiophoniques, etc. Un processus qui a impliqué une embauche significative de journalistes au sein des pouvoirs publics 415 ( * ) .

* 399 MARQUES, DE MELO, José, 1998, p. 161.

* 400 ABI, 1911, apud SEGISMUNDO, op. cit. p. 99.

* 401 Elaboré par le professeur Raul Pederneiras sur la base du modèle des États-Unis, le cursus comportait trente disciplines enseignées au long de quatre années d'études. Le futur journaliste devait avoir des connaissances en Histoire Naturelle, en Chimie, en Physique et en Écriture Mercantile, entre autres matières.

* 402 LIMA SOBRINHO, Barbosa, 1997, p.7.

* 403 C'est l'initiative privée de São Paulo qui fut la plus rapide. Le journal A Gazeta, à travers la Fondation Cásper Líbero et la Pontifícia Universidade Católica, a ainsi réalisé, en 1947, le premier cours de Journalisme brésilien, à São Paulo.

* 404 SEGISMUNDO, op.cit. p. 29.

* 405 Idem, p. 67 et 94.

* 406 Tout comme la presse, l'enseignement du journalisme est arrivé tardivement dans le pays. Les premiers étudiants vont s'asseoir sur les bancs scolaires nationaux près d'un demi-siècle après les premières expériences internationales. Aux États-Unis, l'Université du Missouri a lancé en 1908 la première école destinée à la formation de journalistes professionnels. À peu près à la même époque, l'Université Columbia, à New York, mettait en place une proposition différente de formation professionnelle. Elle consistait à donner une formation en journalisme des personnes qui avaient déjà suivi d'autres formations universitaires. Ceux qui concluaient leur cursus à Columbia recevaient le titre de Maîtres en Journalisme. (MELO, 1998: 161) Les Français ont bénéficié d'une possibilité d'enseignement à partir de 1899 avec l'École Supérieure de Journalisme de Paris, créée au sein du Collège Libre des Sciences Sociales (RUELLAN, 1993: 72), suivie en 1924 par l'École Supérieure de Journalisme de Lille (NEVEU, 2001:3/16).

* 407 A tese demonstrava, mediante estatísticas e depoimentos, como em todas as sociedades desenvolvidas, independente de ideologias e regimes políticos, havia uma preocupação dominante de formar profissionais na universidade, ou seja, com visão universalista dos problemas humanos e sociais e com uma cultura intelectual aprimorada. MEDINA, Cremilda, 1982, p.28.

* 408 L'article 1er du décret interdisait l'exercice de la profession aux non-diplômés - le droit acquis n'était concédé qu'aux non-diplômés qui possédaient au moins deux ans d'exercice effectif de la profession. L'article 2 interdisait aux syndicats des journalistes de compter parmi leurs membres des non-diplômés. L'instrument légal permettait néanmoins l'obtention du statut de journalistes pour les non-diplômés qui acceptaient de se soumettre à un examen d'aptitude journalistique. Ce mécanisme d'accès à la profession était déjà prévu par le Décret 910/38, mais il n'a été réglementé que 24 ans plus tard, à travers le décret de Jânio Quadros qui établissait que les candidats à la profession devaient se soumettre, entre autres disciplines, à des examens de Portugais, d'Anglais, de sténographie et de dactylographie. SANTOS, Reinaldo, 1989, p. 80.

* 409 De 1969 à 1979, deux systèmes d'accès au marché du travail se sont côtoyés. Les rédactions pouvaient être composées de jusqu'à 1/3 de professionnels sans formation universitaire. À partir de 1979, seuls ceux qui possédaient un diplôme de Journalisme avaient droit à une carte de presse.

* 410 Le radialista réunit les activités de production technique et artistique pour la radio et la télévision. Certaines écoles incluent d'autres cours appartenant au spectre de la Communication Sociale, tels que Édition de Livres, Cinéma, Audiovisuel - une combinaison de Techniques de Cinéma, Radio et TV. On trouve aussi les formations de Marketing, mais celles-ci sont, dans de nombreux cas, proposées sous la forme de cours de spécialisation.

* 411 A qualidade da informação depende de compreensão, dos conhecimentos, das qualidades profissionais e do sentido de responsabilidade do jornalista. MEDINA, Cremilda, 1982, p.28 et 35.

* 412 SOUSA, Jorge Pedro, 2000, p. 21.

* 413 En 1976, la Conférence Générale de l'Unesco, réunie à Nairobi, a décidé d'analyser les problèmes alors présents dans le champ de la communication dans la société. Une commission a alors été créée sous la présidence de Sean MacBride. La Commission était composée par: Elie Abel (EUA), Hubert Beuve-Méry (France), Elebe Ma Ekonzo (Zaïre), Gabriel Garcia Marques (Colombie), Sergei Losev (URSS), Mochtar Lubis (Indonésie), Mustapha Masmoudi (Tunisie) Michio Nagai (Japon), Fred Isaac Akporuaro Omu (Nigeria), Bagdan Olsonik (Yougoslavie), Gamal El-Oteifi (Egypte), Johannes Pieter Pronk (Hollande), Juan Somavia (Chile), Boobli Geoge Verghese (Inde) e Betty Zimmerman (Canada)..

* 414 UNESCO, 1983, p. ix.

* 415 Pour plus de détails sur l'action des agents de communication, voir FREIRE, Paulo, 1977.

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