E. LES MÉDIAS DE SOURCE SYNDICAUX ET OUVRIERS

Au long de l'histoire, la presse syndicale brésilienne et ouvrière a prospéré dans des proportions sans rapport avec celle des autres pays. Il s'agit d'un processus entamé dans les premières décennies du XXe siècle, avec l'arrivée de migrants européens anarchistes et communistes. De nature fondamentalement engagée, elle avait et a encore la mission, outre d'informer, de développer un militantisme et d'apporter à l'opinion publique des informations et des points de vue sectoriels, qui ne sont pas toujours pris en compte par l'agenda journalistique traditionnel (voir Ière Partie, Chapitre I-III, item A - La Presse contre le pouvoir).

Même après la reprise du processus démocratique, la presse ouvrière a conservé son importance. En octobre 97, alors que la presse syndicale avait déjà perdu une partie de sa vigueur, dans le seul État de São Paulo, les journalistes qui travaillaient de manière fixe pour les supports syndicaux urbains - journaux et magazines - totalisaient 600 professionnels, en comptant les rédacteurs, les reporters, les maquettistes, les reporters photographes. Ces chiffres ne tiennent pas compte des pigistes, des entreprises externalisées et de ceux travaillant gratuitement, de façon engagée et bénévole 916 ( * ) . Malgré tout, ce contingent équivalait à 6 % des journalistes formellement recrutés par la presse traditionnelle à la même époque.

En 2001, selon l'IBGE, la presse écrite syndicale produisait mensuellement 12 millions d'exemplaires de journaux, 4 953 entités éditaient des journaux syndicaux et 1 188 disposaient de magazines, presque tous à circulation gratuite et remis à domicile ou sur le lieu de travail du lecteur. Certains syndicats, comme celui des Banquiers de São Paulo, qui disposait d'un tirage quotidien de 120 000 exemplaires, cherchaient à rivaliser quotidiennement avec la presse traditionnelle, pour gagner la préférence du public des leaders d'opinion. L'envoi électronique de bulletins et de newsletters était une pratique mise en oeuvre par 3 110 syndicats 917 ( * ) . Les portails sur Internet étaient aussi présents, à raison de quatre entités sur dix. Ces indicateurs ne tiennent pas compte de méthodes informatives plus rudimentaires, comme les journaux muraux et les pamphlets.

Grâce à ce recours, de nombreux syndicats mettent aujourd'hui à la disposition de leurs adhérents et sympathisants une version électronique de leurs journaux et magazines, et certains entretiennent sur leur page web un bulletin d'information qui est régulièrement actualisé - décrit Araújo 918 ( * ) .

L'inclinaison de la presse syndicale en direction des médias de masse, radio et télévision, est un phénomène observé à partir des années 1990. En 2001, dans un univers de 16 018 entités syndicales étudiées par l'Institut Brésilien de Géographie et Statistiques - IBGE, 7 754 utilisaient le radiojournalisme. L'emploi de la radio pour diffuser un journalisme syndical est survenu assez tard au Brésil, puisque dans les nations latino-américaines voisines, le phénomène était courant depuis longtemps. Bien qu'utilisée tardivement, la radio est devenue le média préféré des mouvements sociaux brésiliens, qui opèrent environ 5 000 radios de faible puissance, beaucoup sans autorisation légale 919 ( * ) (voir IIe Partie, chapitre II - II item B-2 - La radiodiffusion communautaire ).

Les entités agissent selon une logique multimédia. D'après l'étude de l'IBGE, chaque syndicat possède, en moyenne, cinq modalités différentes pour informer ses membres et l'opinion publique 920 ( * ) . Des catégories comme les Chimistes, les Métallurgistes, les Employés de Banque, les Professeurs, entre autres, possèdent des structures journalistiques quantitativement et qualitativement supérieures à beaucoup de journaux locaux de ville de l'intérieur du pays. Le niveau de spécialisation est tel qu'il a entraîné la création de publications régionales ou spécialisées, dirigées vers des sous-groupes, comme dans le cas de la Folha da Mulher Bancária, éditée à Rio de Janeiro par le Syndicat de la catégorie pour les femmes bancaires 921 ( * ) .

DUTRA affirme que les cinq plus grands syndicats de São Paulo possèdent ensemble une structure de presse équivalente à la rédaction du deuxième journal de l'État et du troisième du Brésil, le O Estado de São Paulo. Les données du syndicat des journalistes de l'État de São Paulo indiquent qu'en 2002, dans un univers de 14 832 professionnels en activité dans cet État, 2 715 journalistes exerçaient dans ce qu'on appelle la presse populaire ouvrière. Cette catégorie, qui comprend les syndicats, les mouvements sociaux et les ONG, représenterait donc 19 % des emplois de journalistes à São Paulo 922 ( * ) .

Cette structure reflète le niveau d'investissement réalisé par ces entités pour se faire écouter. La réapparition au Brésil des centrales syndicales - interdites pendant la dictature militaire - a stimulé l'organisation de cette presse. Selon l'auteur, en comptant les entités régionales associées à la Central Única dos Trabalhadores, la CUT produit chaque semaine sept millions de journaux et bulletins 923 ( * ) . Pour ce faire, elle emploie plus de 900 professionnels de communication. Comme le souligne CASTRO, une chercheuse spécialisée en presse syndicale :

La croissance des rédactions syndicales [...] a fait du concept de professionnalisation un élément essentiel dans la communication des syndicats. Les rédactions informatisées des principales catégories du pays se distancient des anciennes rédactions syndicales avec le personnage d'un ou plusieurs directeurs (syndicaux) qui rédigeaient le journal. Aujourd'hui, après 19 ans de communication syndicale, il existe des rédactions complètes (avec reporter, éditeur, maquettiste, photographe, illustrateur, département de recherche) 924 ( * ) .

L'univers des médias de source syndicaux et ouvrier est très riche, il serait épuisant de tenter d'en faire une radiographie. Nous avons donc choisi d'en prendre trois exemples que nous considérons comme représentatifs : les projets TV Cut, TV Confea et la proposition médiatique du Mouvement des Travailleurs sans Terre, MST, en particulier la Revista Sem Terra .

1. Les radios et chaînes des travailleurs

La Central Única dos Trabalhadores - CUT, qui se présente elle-même comme la plus grande centrale syndicale d'Amérique Latine et la cinquième du monde, rassemblant, en 2004, 3 326 entités affiliées qui représentent une base de 22 487 987 travailleurs, a également opté pour la création de ses propres médias de source. À partir d'une proposition que nous pouvons qualifier de communication comme instrument contre-hégémonique de la classe des travailleurs, la CUT implante aujourd'hui une série d'instruments informatifs.

Le premier grand pas a été la création de l'Agência Cut de Notícias (Agence CUT d'informations), capable de distribuer ses contenus au niveau national. Le but est de permettre la divulgation d'informations intéressant les travailleurs au sein des millions d'exemplaires des milliers de journaux et de bulletins d'informations syndicaux. L'objectif est de diffuser dans la presse syndicale nationale, mais aussi d'ouvrir des portes pour atteindre les pages de ce qui est appelé la presse bourgeoise. Le principe de base est : si le journaliste et la presse ne vont pas jusqu'à l'information, la CUT apporte l'information jusqu'à eux.

Il a toujours été difficile de rencontrer dans la grande presse brésilienne des informations riches en détails sur les faits du monde syndical. Les campagnes salariales, l'inflation, le coût de la vie, les élections syndicales sont des thèmes rares dans les pages des journaux, et il est encore plus difficile d'y trouver l'opinion d'un dirigeant syndical sur la situation économique du pays. Cette stratégie est commune à tout le segment syndical, comme le souligne ARAÚJO.

Les syndicats en sont ainsi venus à produire et à diffuser une information destinée de plus en plus aux audiences externes - parmi lesquelles, en particulier, la communauté journalistique - en accordant souvent la priorité à cette dimension de sa communication au détriment de celle destinée au public `interne'. Ce déplacement en direction de l'espace public a exigé un élargissement des contenus et une diversification des moyens de diffusion de l'information syndicale : aux traditionnels bulletins et journaux sont venus se joindre des magazines de grande sophistication éditoriale, des programmes de radio et de télévision et, plus récemment, de nouvelles technologies de communication permettant aux syndicats la production de bulletins électroniques, de sites et de portails sur Internet 925 ( * ) .

La centrale possède des projets ambitieux. Elle dispose déjà d'une radioweb et elle a annoncé la création de programmes de radio destinés à la diffusion traditionnelle à São Paulo. Sur le portail Cut no Mundo do Trabalho, (http://www.cut.org.br/), l'Agência Cut de Notícias met à disposition une moyenne de 250 notes par jour. Les thèmes sont variés : monde syndical et ouvrier, économie, santé, politique nationale et internationale, entre autres. La publication d'un magazine de circulation nationale est également prévue.

TV- CUT - Pénétrer le segment de la télévision est un vieux rêve pour les syndicalistes de la CUT. La première expérience télévisuelle a eu lieu, en 1993, avec la production du programme Olhar Brasileiro. Une produtora (maison de production de vidéo) a été créée spécialement pour l'occasion, la TV dos Trabalhadores - TVT. L'expérience a été financée par un groupe de syndicats durant neuf mois. Il en est resté une grande dette envers les fournisseurs.

Dans la seconde moitié des années 1990, la CUT a recommencé à rêver à sa propre chaîne de télévision. Cette fois-ci, elle a choisi d'articuler l'acquisition de la Rede Manchete de Televisão, qui était à l'époque la deuxième chaîne du Brésil, mais qui était en situation de crise économique. L'idée était de créer une fondation avec la participation d'entités du mouvement syndical, sociales et philanthropiques. Pour des questions politiques régionales et opérationnelles, le projet ne s'est pas concrétisé. À partir de 1997, avec l'avènement de la diffusion par câble et, en conséquence, des chaînes communautaires, les succursales régionales de la centrale ont mené diverses expériences télévisuelles. À Brasilia, dès 1999, l'émission Espaço Sindical (Space Syndicale) diffuse tous les jours les informations du monde des syndicats par la chaîne communautaire à câble TV Cidade Livre. À São Paulo, la Cut locale a lancé le CUT Notícias. D'une durée de 25 minutes, diffusé toutes les semaines à minuit, le programme d'informations visait à donner de la visibilité aux principales actions de la CUT pour la défense des travailleurs.

Le rêve de s'adresser directement à l'opinion publique, sans le filtrage de la presse traditionnelle, n'a pas été abandonné. En février 2004, la CUT a lancé sur la Rede TV, qui a succédé à la Rede Manchete après sa faillite, le TV CUT, qu'il est aussi possible de visionner via Internet. Pour les trois premiers mois de fonctionnement, 900 000 R$ (321 500 EU$) ont été réservés. La proposition éditoriale, selon des interviews à la presse du président de l'entité, Luiz Marinho, est d'éviter un programme d'informations pamphlétaire et d'utiliser le programme comme un instrument de contrôle du gouvernement fédéral 926 ( * ) . Le principal objectif de la proposition est cependant, selon le syndicaliste, de renforcer le canal de communication avec les travailleurs.

Nous ne prétendons pas transformer le programme en pamphlet syndical, sinon nous finirions par restreindre le public. Mais il aura un contenu politique et appellera le public à réfléchir aussi sur les actions du gouvernement - a précisé Marinho à la presse 927 ( * ) .

Pour SCHUELER, la TV Cut est une démonstration claire de l'évolution technologique de la presse syndicale et ouvrière au Brésil 928 ( * ) . Cette évolution n'est pas passée inaperçue aux yeux de la presse commerciale, qui a souligné cette initiative comme étant stratégique, car le programme a été lancé au moment même où le gouvernement fédéral formulait une proposition de refonte des lois régissant le syndicalisme au Brésil. Les syndicats pourraient ainsi garantir un canal d'expression de leurs opinions. Selon le journal Folha de São Paulo, il s'agit d'un programme visant à défendre les intérêts des travailleurs 929 ( * ) . O Estado de São Paulo, de ligne éditoriale conservatrice, a qualifié l'initiative de nouvel instrument de pression sur le gouvernement fédéral 930 ( * ) . Luiz Marinho soulignait qu'au long des 20 ans d'existence de la CUT, l'un des plus grands défis de la Centrale a toujours été de construire des canaux efficaces de communication non seulement avec notre univers de travailleurs, mais aussi avec toute la société brésilienne 931 ( * ) .

La TV CUT consistait, au moment de la réalisation de cette thèse, en un programme hebdomadaire, d'une durée d'une demi-heure, diffusé dans tout le pays en télévision ouverte les samedis en début d'après-midi. Son contenu est constitué d'interviews en studio et de reportages externes. Environ trente personnes, dont dix journalistes, participent à son élaboration. Trois entreprises privées participent à sa confection. Outre la Rede TV elle-même, la maison de production vidéo Radar TV et l'agence de publicité Fischer América y participent. Les trois premiers mois de production ont été intégralement financés par la CUT, mais l'entité avait l'ambition d'obtenir des sponsors publicitaires et elle y a en partie réussi, puisque la compagnie aérienne TAM appuie le programme de manière publicitaire.

Le Brésil s'achemine vers des relations modernes entre capital et travail. La CUT compte plus de 3 500 syndicats et plus de 20 millions de travailleurs. Je pense qu'un annonceur doté d'un minimum d'intelligence aimerait diffuser une annonce dans notre programme, mais nous aurons de l'autonomie, indépendamment de l'annonceur - jugeait Marinho 932 ( * ) .

Mais les ambitions de la centrale ne se limitent pas à une émission hebdomadaire d'une durée d'une demi-heure. La centrale a entamé la construction d'une chaîne nationale de télévision. Et le premier pas dans cette direction a été concrétisé par un décret présidentiel octroyant une concession à la Fondation Sociedade Comunicação Cultura e Trabalho pour exécuter le service de radiodiffusion de sons et d'images à des fins exclusivement éducatives depuis la municipalité de Mogi das Cruzes, à São Paulo. Le décret a été signé le 13 avril 2005 par le Vice-président de la République, José de Alencar, qui substituait par intérim le président Luiz Inácio Lula da Silva, en voyage à l'étranger, le fondateur de la CUT.

L'adoption de la mesure dépend de son homologation par le Congrès National, mais avant même le mot final du Parlement, la Centrale avait déjà accéléré le mouvement pour se transformer en une Tête de réseau. Un plan de production de contenu, s'appuyant sur l'expérience antérieure avec la maison de production TV dos Trabalhadores 933 ( * ) et sur le programme TV CUT, a été commandé à un service de conseil spécialisé. Selon ce qu'a indiqué Celso Horta, conseiller de la présidence de la Centrale, au bulletin électronique TELA VIVA News , dans son édition du 24 avril 2005, l'entité prévoit des rediffusions dans d'autres états du Brésil.

TV Confea -Les ingénieurs, les agronomes et les architectes brésiliens forment un ensemble de catégories professionnelles qui disposent également d'une programmation médiatique réalisée par l'entité de classe qui les représente. Tous les quinze jours, le Conseil Fédéral d'Ingénierie et d'Architecture - Confea diffuse le programme Cenário Brasil 934 ( * ) . Entrepreneuriat, transport public, assainissement, logement, extension rurale, transposition des eaux du fleuve São Francisco dans le Nordeste brésilien, sont quelques-uns des thèmes débattus par la communauté technologique du pays et suivis non seulement par la catégorie professionnelle, mais aussi par tous les téléspectateurs du Brésil qui en manifestent l'intérêt.

La production et la diffusion du programme, d'une durée de quinze minutes, ont débuté au premier semestre 2005. Il était transmis, toujours à midi, par la Rede Record de Televisão. Le 4 septembre 2005, il a changé d'horaire, de taille et de diffuseur. Sa durée a doublé, passant à une demi-heure, et la transmission est passée sous la responsabilité d'un autre réseau privé, le Sistema Brasileiro de Televisão - SBT, l'une des principales chaînes de télévision hertzienne du pays. Les programmes sont diffusés tous les quinze jours, les dimanches matin, toujours à 8 h 15.

Outre des interviews sur plateau, Cenário Brasil propose des reportages variés. L'édition du 04/09/2005, par exemple, a traité du thème Agronomie Publique. Une équipe de reportage du TV Confea a suivi différentes expériences d'assistance technique et d'extension rurales dispersées dans le pays. Les sujets ont été produits dans les états du Rio Grande do Sul et de Rio de Janeiro, ainsi que dans le District Fédéral. Au programme, le service public d'assistance technique et d'extension rurale dispensé aux producteurs ruraux dans chacune de ces Unités de la Fédération. Cette thématique a présenté, sous une forme presque éditoriale, une analyse sur les conséquences et les préjudices dans le domaine entraînés par la suppression en 1990, par le gouvernement du président Fernando Collor, de l'Entreprise Brésilienne d'Assistance Technique et d'Extension Rurale - Embrater. La suppression de l'entreprise a provoqué la démission de nombreux agronomes et ingénieurs forestiers, des catégories représentées par le Confea. Cette édition du Cenário Brasil a préférer traiter le thème sous un point de vue moins corporatif et de «plus grand intérêt collectif», quel qu'il soit, celui des préjudices dont le pays a hypothétiquement souffert dans la production agricole et ses effets sur les producteurs ruraux.

Le programme est ouvert à diverses sources d'informations. Outre les techniciens et les professionnels qui s'insèrent dans les professions représentées par le Confea, des personnes externes au segment ont également la parole, y compris des autorités gouvernementales. Dans l'émission citée, l'invité spécial était le secrétaire National de l'Agriculture Familiale, Valter Bianchini. Il a répondu aux questions posées par des leaders du domaine de l'agronomie dans tout le pays.

Le Confea, avec ses organes dans les états, les Conseils Régionaux d'Ingénierie, Architecture et Agronomie - Crea, se présente lui-même comme le plus grand conseil professionnel du monde. Sa mission est de réglementer et de contrôler l'activité de plus de 850 000 professionnels recensés dans les domaines de l'ingénierie, de l'architecture, de l'agronomie, de la géologie, de la géographie et de la météorologie. L'entité définit sa production médiatique comme étant :

un programme journalistique avec une vision contemporaine de l'évolution technologique atteinte par le professionnel brésilien. Il établit un contact plus ample entre la société et le réseau Confea/Crea. [...] Le programme fait partie de la stratégie de communication du Confea avec son énorme chaîne productive 935 ( * ) .

Deux entreprises spécialisées dans ce type de produit médiatique ont été contractées pour réaliser le Cenário Brasil : Íntegra Produções et Rax Mídia. Dans le jargon journalistique brésilien, elles sont nommées produtoras (maisons de production) et le choix de cette externalisation de services évite à la source de devoir elle-même disposer de structures professionnelles et techniques. Le Confea ne prétend cependant pas se limiter à la diffusion de programmes bimensuels. Lors du lancement du nouveau format du Cenário Brasil, le président de l'institution de l'époque annonçait déjà son intention d'élargir les dimensions de son incursion médiatique, pouvant aller jusqu'à une chaîne entière, la TV Confea.

Nous sommes trop grands pour quinze minutes ou une demi-heure de programme. Notre effort sera total pour permettre et accroître la divulgation d'informations qui montrent la portée nationale du Système Confea - affirmait à la presse l'ingénieur Wilson Lang 936 ( * ) .

Le Mouvement des Travailleurs sans Terre - MST est une autre entité représentative de la classe ouvrière qui possède une politique agressive de diffusion d'informations. Le MST est né formellement en 1984, lors d'une rencontre qui a rassemblé 80 organisations populaires et syndicales de douze, entre les 26, états de la République Fédérative du Brésil. Il rassemble, selon son site (www.mst.org.br), 1,5 million de personnes, ce que signifie environ 1 % de la population brésilienne. Pourtant, l'image du Movimento diffusé par le média traditionnel n'est pas assez bonne.

Les principaux médias brésiliens présentent les sans terre comme des individus violents qui ne respectent ni la propriété ni l'ordre démocratique. Une étude réalisée pour le Journal Zero Hora, dans le Rio Grande do Sul, montre que la violence perpétrée par les milices des grands propriétaires terriens contre les sans terre reste largement invisible et que les médias n'en parle pas. En revanche, la divulgation des actes commis contre les forces d'ordre par les sans terre occupe systématiquement le devant de la scène médiatique - souligne BLEIL 937 ( * ) .

Après avoir étudié l'angle journalistique mis en place pour les quotidiens O Globo, O Estado de São Paulo et Folha de São Paulo, sur le sujet MST, GONçALVES a conclu que les sans terre sont victimes d'un processus de censure et d'un traitement éditorial basé sur la partialité.

Le MST, depuis sa fondation, a toujours occupé des espaces dans les médias, qui ont toujours présenté de manière sensationnaliste la confrontation entre les sans terre, la police - y compris les `jagunços' (milices privées) embauchés par les latifundistes - les propriétaires de grand domaine rural. Ainsi, pour le regard de la population, les revendications du mouvement se sont présentées de façon injuste. Le MST porte, par conséquent, le stigmate d'être l'incitateur du vandalisme.  - remarque l'auteur 938 ( * ) .

Pour échapper à un cliché péjoratif, d'une image négative de vagabonds et de hors-la-loi , construit par le média, le MST mis en place plusieurs outils de communication, comme des expositions de photos sur la réalité paysanne, et par l'édition de plusieurs véhicules informatifs, et des événements de grand envergure - occupation physique de fazendas et des sièges des organismes gouvernementaux, organisations de campements et des grandes marches, etc. Ces outils sont devenus d'incontestables leviers pour la reconnaissance de ce mouvement par l'opinion publique, en particulier au niveau international. Ils visent à publiciser la lutte paysanne sans terre.

Selon le journaliste Raimundo Pereira, rédacteur du magazine Carta Capital , le MST est victime d'un processus de construction d'une identité satanique, un processus de «satanização », mis en place par le grand média. C'est pour ça qu'il faut construire sa propre presse, une presse véritablement populaire 939 ( * ) .

Les Sans Terre veulent être vus par un public externe mais aussi, ils veulent se voir agir. De cette façon, ils interviennent au moyen d'environ 300 stations de radio de faible puissance, localisées principalement dans les régions de conflit agraire. Ces stations sont opérées au niveau régional par des paysans spécialement formés dans les écoles des assentamentos, campements, du mouvement, mais elles disposent aussi de contenus produits par le MST National, à São Paulo, et distribués vers les stations dans tout le Brésil.

L'un de ces contenus est le programme Vozes da Terra (Voix de la Terre). La production des programmes bénéficie de la participation des étudiants de journalisme de l'université Pontificia Universidade Católica de São Paulo. Les stations de tout le pays peuvent accéder à la page Internet du MST et télécharger le programme pour sa diffusion locale. Il n'est pas nécessaire d'être une station du mouvement, il est en accès libre pour tous ceux qui le souhaitent. D'une durée moyenne de 15 minutes et sans la factualité caractéristique du radiojournalisme, le programme a pour thématique principale la question rurale et agraire, en particulier les questions liées à l'agronégoce, concernant principalement les latifundiaires et les grands propriétaires terriens, le modèle agricole adopté par le Brésil, l'agriculture familiale et la violence dans les campagnes, entre autres. Des thèmes de macroéconomie, comme la création d'une zone de libre-échange dans les Amériques, à laquelle le MST s'oppose, aussi sont portés à la connaissance du public 940 ( * ) .

Le MST innove parce qu'il « fait problème » : il rend visibles les conflits, institue ce qui n'est pas attendu. En utilisant l'espace de manière singulière, il dote la protestation d'un langage. [...] En fait, les militants du MST ont réussi à porter le débat de la reforme agraire sur la scène publique à travers des actions visant à se rendre visible. - affirme BLEIL 941 ( * ) .

Une expérience de télédiffusion est actuellement réalisée dans l'État du Paraná, avec l'appui de la TV Éducative de l'État. Le fait que le mouvement puisse bénéficier d'un canal d'expression a été promptement condamné dans un éditorial par le journal O Estado de São Paulo , de ligne éditoriale conservatrice 942 ( * ) . L'objectif est maintenant d'atteindre l'Amérique Latine, en produisant des programmes en espagnol, et de transmettre avec l'appui de la Via Campesina et de la Telesur - une antenne créée par le président Vénézuélien Hugo Cháves.

La page Internet du MST possède aussi un service d'agence de presse en ligne, auquel contribuent 23 correspondants distribués dans tout le pays. Des photos et des charges, des dessins d'humeur, sont également mis à disposition. Dans le champ de la presse écrite, le mouvement édite depuis 25 ans le Jornal dos Trabalhadores sem Terra. Une publication mensuelle, avec 16 pages , format tabloïde français (28 cm x 42 cm), couverture et pages centrales en polychromie, tirage de 30 000 exemplaires, dont 9 000 vendus par abonnement 943 ( * ) et qui bénéficie déjà d'une version électronique. 944 ( * ) Le Movimento opère aussi la news letter Imprensa MST, diffusée quotidiennement via courrier électronique par une mailing list composée destiné à des journalistes, de support de communication et des formateurs d'opinion dans tout le pays. Le but est de suggérer des thèmes pour les agendas médiatique et publique.

Revista Sem Terra - Le contenu informatif du MST parvient aussi dans les kiosques, comme n'importe quel autre périodique, sous un format similaire à celui des principales publications hebdomadaires du pays 945 ( * ) . Bien que son tirage soit loin de s'approcher de celui des principaux magazines hebdomadaires du pays - avec seulement dix mille exemplaires bimensuels contre plus d'un million d'exemplaires hebdomadaires de Veja et de Isto É - cette publication parvient aux lecteurs sous le même format et avec la même logique de programmation visuelle que ses concurrentes. Dans la fiche technique n'est pas précisé qu'elle est éditée par le Mouvement des Travailleurs sans Terre - MST, ni qu'elle est l'organe officiel de ce mouvement social, mais la liaison entre eux est notoire. Ceci apparaît également évident au vu de l'adresse électronique proposée aux lecteurs, magazine@mst.org , qui porte l'extension MST comme indicatif du fournisseur.

La publication peut être acquise par abonnement ou au détail en kiosque, dans les secrétariats du MST de tous les états du Brésil, ou à travers les militants et sympathisants. Bien qu'elle soit ouverte à la publicité, dans l'édition de mars/avril 2004, il était seulement possible d'identifier une petite annonce d'une maison d'édition de livres. Selon son responsable, le journaliste Hamilton de Souza, au moins 80 % des exemplaires sont commercialisés. Comptant 62 pages, de taille 21 cm x 28 cm et d'une excellente qualité graphique, imprimée en polychrome, elle est dirigée vers un public plus instruit, comme des universitaires, des intellectuels, des leaders d'opinion. Ses sections éditoriales traditionnelles sont : Politique, Économie, National, Mouvement Social, International, Culture et Humour.

Cette technique est déjà reconnue par les chercheurs académiques. Selon ARAÚJO, lorsque les entités optent pour l'édition de publications plus sophistiquées, telles que des magazines, elles le font pour capter un public bien plus distant des frontières corporatives. Pour cela, elles proposent une diversité thématique plus ample, des espaces pour des articles, des reportages et des analyses dont les thèmes n'ont pas nécessairement de lien direct avec les actions de l'entité qui édite la publication 946 ( * ) .

ILLUSTRATION 2.5

FAC SÍMILÉS DE LA UNE DU MAGAZINE SEM TERRA

Il serait possible d'affirmer que cette dernière est un bon exemple de l'utilisation d'un outil journalistique en faveur d'une idéologie politico-partitaire. Cependant, la Revista Sem Terra ne peut pas être qualifiée d'organe officiel d'information, un porte-parole, bien que les liens entre le MST et le Parti des Travailleurs soient étroits. Elle s'ajoute à l'action des mouvements sociaux de gauche insérés dans la société brésilienne. Ce n'est pas une publication consacrée exclusivement aux problèmes corporatifs des paysans brésiliens, et encore moins de lecture restreinte aux partisans du MST. Au contraire, au cours de ses six ans d'existence, le magazine a cherché à transmettre à la société dans son ensemble une lecture du Brésil et du monde différente de celle diffusée par ce qui est appelé la presse bourgeoise.

L'édition n° 23, par exemple, traitait de thèmes relatifs aux OGM, à la Zone de Libre Échange des Amériques - Alca, à la situation de la femme paysanne, à la vie à Cuba 45 ans après la révolution, aux 40 ans du Coup Militaire au Brésil, à la crise économique des grandes entreprises de communication brésiliennes et aux perspectives des gauches pour les élections municipales brésiliennes d'octobre 2004. Le cinéma, la littérature et le théâtre ont pratiquement occupé un quart de l'espace éditorial de l'édition. Quatorze des 62 pages étaient consacrées à la Culture. Le magazine cherche également à soutenir une autre publication liée au MST, l'hebdomadaire Brasil de Fato, un journal de taille standard (51 cm sur 30 cm) aussi disponible sur abonnement et vendu au détail en kiosque.

La stratégie informative / communicative du MST semble obtenir les résultats désirés. Selon BLEIL, dans son étude sur l'action collective des Sans Terre au Brésil,

La cause des sans terre parvient ainsi à acquérir progressivement une reconnaissance publique.[...] Les sans terre réussissent à se rendre visibles et à se donner un visage positif. [...] A travers la construction de la visibilité des sans terre, l'Etat brésilien est contraint de prendre en compte, de voir et de faire valoir les droits revendiqués par « ces gens-là » 947 ( * ) .

* 916 CASTRO, Cosette, 1997, p. 68.

* 917 IBGE, 2002-A, p. 200.

* 918 ARAÚJO, Vladimir C., 2003, p. 89.

* 919 CASTRO, Cosette, 2000, p. 5.

* 920 ARAÚJO, Vladimir C., 2004, p. 3.

* 921 DUTRA, Joana D'Arc P., 2001, p. 7.

* 922 ARAÚJO, idem, p. 98.

* 923 DUTRA, idem, p.10.

* 924 O crescimento das redações sindicais [...] trouxe o conceito de profissionalização como algo essencial na comunicação dos sindicatos. As redações computadorizadas das principais categorias do país distanciam-se das antigas redações sindicais que tinham a figura de um ou mais diretor (sindical) que escrevia o jornal. Hoje após 19 anos de Comunicação Sindical, há redações completas (com repórter, editor, diagramador, fotógrafo, ilustrador, departamento de pesquisa). CASTRO, Cosette, 2000, p.7.

* 925 Os sindicatos passaram, assim, a produzir e a difundir informação destinada cada vez mais a audiências externas - dentre as quais se destaca a comunidade jornalística - muitas vezes priorizando essa dimensão de sua comunicação em detrimento daquela destinada ao público `interno'. Esse deslocamento na direção do espaço público exigiu da informação sindical uma ampliação de conteúdos e uma diversificação de seus meios de difusão: aos tradicionais boletins e jornais vieram juntar-se revistas de grande sofisticação editorial, programas de rádio e de televisão e, mais recentemente, novas tecnologias de comunicação possibilitaram aos sindicatos a produção de boletins eletrônicos, sites e portais na Internet. ARAÚJO, Vladimir C., op. cit.

* 926 FREIRE, Flávio, 2004.

* 927 Não pretendemos transformar o programa em panfleto sindical, se não acabaremos restringindo o público. Mas terá um conteúdo político e chamará o público a refletir sobre os atos do governo também. Idem

* 928 SCHUELER, Mauricio, 2005.

* 929 Cf. Folha ON-LINE, 2004.

* 930 RAMON, Jander, 2004.

* 931 construir canais eficazes de comunicação não só com o nosso universo de trabalhadores, mas com toda a sociedade brasileira. Cf. Folha ON-LINE, 2004.

* 932 O Brasil caminha para relações modernas entre capital e trabalho. A CUT conta com mais de 3,5 mil sindicatos e mais de 20 milhões de trabalhadores. Penso que um anunciante minimamente inteligente gostará de anunciar no nosso programa, mas teremos autonomia, independentemente do anunciante. RAMON, idem.

* 933 Pour plus d'informations sur la TV dos Trabalhadores voir Ière Partie, Chapitre I - 3, item 3.1 La presse contre le pouvoir.

* 934 Cf. CREA-RN, 2005.

* 935 um programa jornalístico com uma visão contemporânea da evolução tecnológica alcançada pelo profissional brasileiro. Estabelece um contato mais amplo entre a sociedade e a cadeia associada ao sistema Confea/Crea. [...] O programa faz parte da estratégia de comunicação do Confea com sua enorme cadeia produtiva. Cf. http://www.integraproducoes.com.br/int.asp?et=12101

* 936 Somos grandes demais para quinze minutos ou meia hora de programa. Nosso esforço será total para possibilitar e ampliar a divulgação de informações que mostrem a abrangência nacional do Sistema Confea. Idem.

* 937 BLEIL, Susana, 2005, p.128.

* 938 O MST, desde o seu surgimento, sempre esteve na mídia e esta geralmente apresentou de forma até sensacionalista os confrontos entre os sem-terra e a polícia e até mesmo com jagunços contratados pelos latifundiários. De maneira que, aos olhos da população, as reivindicações do movimento, na maioria das vezes não apareceu justa. O MST carrega, então, o estigma de promover o vandalismo. GONÇALVES, Elisabeth, 2004.

* 939 PEREIRA, Raimundo, 2001.

* 940 Un rapport des programmes produits en 2004 peut être lu sur http://www.mst.org.br/informativos/vozes/15/edicoesanteriores15.htm

* 941 BLEIL, Susana, 2005, p.133-139.

* 942 Cf. O Estado de São Paulo, 2004.

* 943 OLIVEIRA FILHA, Elza A., 2002.

* 944 Disponible sur http://www.mst.org.br/informativos/JST/240/index.html

* 945 La recherche a été réalisée au premier semestre 2004 avec l'appui des étudiants de la discipline Journalisme Corporatif Fábio Sousa, Jaciene Alves, Katrine Boaventura et Yuri Achcar.

* 946 ARAÚJO, Vladimir C., Op. Cit, p. 15.

* 947 BLEIL, Susana, 2005, p.151.

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