Colloque Sénat-Ubifrance sur l'Australie et la Nouvelle-Zélande



Montée en puissance des biens de consommation et enjeux de la distribution

Sont intervenus :

Michel-Henri CARRIOL, Conseiller du commerce extérieur de la France, Président, Trimex, Sydney
Jean-Louis LATOUR, Chef des Services économiques pour l'Océanie
Jean-Pierre RIVERY, PDG, SPF Diana

Les débats étaient animés par Carole GAESSLER, journaliste.

Carole GAESSLER

L'Australie est le huitième marché du monde pour les produits de luxe. Monsieur Carriol vous êtes présents en Australie depuis quarante ans et à ce titre vous connaissez bien les consommateurs australiens. Quelles sont les évolutions que vous avez constatées ?

Michel-Henri CARRIOL

Lorsque je suis arrivé dans ce pays, Londres était encore la métropole. Toutefois les modes de consommation en Australie ont évolué et sont désormais très proches de ceux des Américains. La situation a en revanche peu évolué en Nouvelle-Zélande où l'influence britannique reste très forte. De même, l'influence britannique est encore très sensible en Australie à l'intérieur des terres.

Carole GAESSLER

Quels sont les secteurs porteurs dans le domaine des biens de consommation, outre les cosmétiques ?

Jean-Louis LATOUR

Je voudrais indiquer que les biens de consommation ont progressé de 22 % l'année dernière et représentent 25 % des exportations françaises dans cette région.

Michel-Henri CARRIOL

Les Australiens et les Néo-Zélandais sont avant tout des consommateurs dans la mesure où leur production nationale ne couvre pas tous les besoins. Or le marché australien oscille entre la huitième et la onzième position mondiale, dans le secteur du luxe, en fonction des marques. Je connais bien la société Clarins pour avoir contribué à son implantation en Australie dans les années 1970. Or Clarins est aujourd'hui l'un des acteurs importants du marché du luxe en Australie.

Carole GAESSLER

Quelles sont les priorités d'achat des Australiens ? Peut-on identifier des segments plus porteurs que d'autres ?

Michel-Henri CARRIOL

Les produits intermédiaires en termes de prix et de qualité, proposés par les entreprises européennes, ne sont pas exportables en Australie. Les entreprises européennes doivent ainsi se positionner sur le haut de gamme ou sur le bas de gamme. En effet, la gamme intermédiaire est pourvue par la production asiatique, notamment dans les cosmétiques ou dans le textile.

Carole GAESSLER

En ce qui concerne les réseaux de distribution, de nombreux intervenants ont évoqué la structure en duopole. Est-ce que cela explique que les grandes enseignes de la distribution française ne soient pas présentes en Australie ?

Jean-Louis LATOUR

La structuration du marché en duopole est historique ; il n'y a donc pas la place pour un troisième distributeur. L'implantation dans le secteur de la grande distribution requiert d'immenses immobilisations financières. Or il n'est pas certain que des groupes comme Carrefour souhaitent s'implanter dans un pays où la rentabilisation de l'investissement est lente. Ils préfèrent aller dans les pays émergents où les profits sont plus importants.

Carole GAESSLER

Comment peut-on trouver un réseau de distribution sur les marchés australien et néo-zélandais en ce cas ?

Michel-Henri CARRIOL

La structure en duopole ne ferme pas complètement le marché australien. Ainsi, le private equity participe au rachat de détaillants dans ce pays. Les banques peuvent jouer un rôle important pour financer l'implantation des groupes européens sur ces marchés. Les private equities américains sont particulièrement actifs en ce moment et rachètent des grands groupes australiens. Ainsi le grand magasin Myer a récemment été racheté par une société de capital risque américaine. De même, la chaîne de supermarchés Coles est sur le point d'être rachetée par un private equity américain. Il serait intéressant que des groupes européens similaires mènent la même démarche.

Je souhaiterais également aborder la question de l'Australie comme marché pilote. De plus en plus de sociétés qui veulent pénétrer le marché américain utilisent l'Australie comme zone test. En effet, l'investissement est limité et les modes de consommation sont très proches.

En outre, l'Australie est également utilisée comme un porte-avion. En effet, la base australienne peut être utilisée pour toucher la Nouvelle-Zélande ainsi que les îles du Pacifique. Ainsi, les territoires français d'Outre-mer tels que la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française ou Wallis et Futuna peuvent être desservis depuis l'Australie. En termes logistiques, les containers peuvent ainsi arriver d'Europe et être entreposés sous douane. Ils peuvent, dès lors, être réexpédiés, en petites quantités vers ces territoires.

Carole GAESSLER

Quel rôle est alors dévolu à la Nouvelle-Zélande dans cette organisation ?

Michel-Henri CARRIOL

La Nouvelle-Zélande représente un marché moins structuré, en l'absence de structure duopolistique. C'est donc un marché plus ouvert où les marges bénéficiaires sont plus importantes. En outre, beaucoup de touristes sont présents sur ce marché. De fait, les ventes en travel retail sont très importantes.

Carole GAESSLER

Les industries de transformation agro-alimentaires ne sont pas très développées dans ces pays alors même que l'Australie est une grande puissance agricole. Quelles sont les entreprises françaises présentes aujourd'hui ?

Jean-Louis LATOUR

Beaucoup d'entreprises françaises sont présentes par le biais de leurs importateurs. Il existe toutefois quelques groupes directement implantés sur place. Ainsi le groupe Pernod-Ricard est sans doute l'un des premiers exploitants et exportateurs de vins australiens et néo-zélandais.

Jean-Pierre RIVERY

Nous sommes venus en Australie, en tant que société spécialisée dans les aliments pour animaux, pour la qualité des matières premières. Le contrôle sanitaire des denrées alimentaires, opéré par les autorités publiques, est de grande qualité. Il est ainsi possible d'exporter des produits dans des pays, tel que le Japon, qui sont très réticents à voir entrer des produits alimentaires européens. En effet, les crises sanitaires à l'exemple de la grippe aviaire ont créé une suspicion sur la qualité des produits européens. Or nos clients exportent 60 % de leur production vers le Japon, la Thaïlande et la Chine. De même, nos clients en Nouvelle-Zélande réexportent 70% de leurs produits vers l'Asie.

Carole GAESSLER

Vous avez donc dû conclure des partenariats.

Jean-Pierre RIVERY

Nous sommes associés, en effet, avec le co-leader de la production avicole en Australie. Il faut un partenariat avec les acteurs locaux. Du reste, j'invite les entreprises qui souhaitent s'installer dans ce pays à aller à la rencontre des Australiens puisque c'est la meilleure façon de conclure des affaires.

Bruno MASCART, PDG Altios International

Altios est une spécialisée dans le conseil et l'accompagnement des petites et moyennes entreprises françaises dans leur implantation à l'étranger. L'Australie est un pays particulier pour cette société puisque la première agence y a été créée.

Je souhaiterais revenir sur les grands fondamentaux déjà abordés pour apporter quelques précisions. L'Australie est l'équivalent de la Suède, du Danemark et de la Norvège réunis, par sa population et par son PNB. Ce pays est, en outre, très fortement urbanisé. Ainsi 60 % du marché se concentre sur cinq villes : Sydney, Melbourne, Perth, Adélaïde et Brisbane. De surcroît, un tiers du marché se limite aux villes de Sydney et Melbourne. En dépit de la taille de son territoire, l'Australie est donc un marché très facile à prospecter. Il existe ainsi de nombreuses liaisons aériennes pour desservir ce territoire depuis la France.

Le revenu par habitant des Australiens est très élevé puisqu'il dépasse, en moyenne, de 15 à 20 % le revenu par habitant français. Les habitudes de vie et de consommation sont donc différentes. La plupart des Australiens résident dans des maisons individuelles ; ce qui en fait des grands consommateurs des arts de la table notamment.

En ce qui concerne la notion de distance, je tiens à souligner que l'Australie est aussi loin pour les concurrents. Nous avons accompagné 300 petites et moyennes entreprises dans leur implantation en Australie, depuis la création d'Altios. Or la plupart de ces sociétés ont réalisé que leurs concurrents étaient absents de ce marché. Ainsi une société qui exporte déjà de 20 à 30 % de sa production en Australie, est assurée de réussir son implantation.

Je tiens également à insister sur la francophilie des Australiens. Dans les produits alimentaires, nous avons notamment pu exporter les compétences des maîtres fromagers français pour créer le bleu de King Island.

Jean-Pierre RIVERY

Je pense en effet qu'il est important de contacter les importateurs en préalable pour leur indiquer que l'on souhaite produire directement en Australie. Il est ainsi très facile de conclure des affaires, y compris avec des grands groupes, en raison de l'éloignement géographique qui assure une grande autonomie.

Jean-Louis LATOUR

Je voudrais ajouter que l'assurance prospection va changer de visage en Australie, dans quelques mois. Nous allons en effet étendre un nouveau dispositif qui n'était jusqu'ici expérimenté que dans un pays d'Amérique latine. L'assurance prospection sera désormais individuelle ce qui permettra à des sociétés en création de bénéficier de cette assistance qui était, jusqu'ici, réservée aux groupes déjà existants.