Colloque sur la Corne de l'Afrique



Djibouti, Ethiopie, Ethiopie, Somalie, Soudan :
quelles opportunités pour nos entreprises ?

Pierre BOEDOZ, Chef de la mission économique d'Addis Abeba
Jean-Pierre FILIPPI, Chef de la mission économique de Khartoum
Thomas COURBE, Chef de Bureau Afrique, Maghreb, Minefi - DGTPE
Thierry COURTAIGNE, Vice-président Directeur général du MEDEF International

I. Cadrage économique, projet et opportunités

Pierre BOEDOZ

1. L'Ethiopie

L'Ethiopie compte 77 millions d'habitants, et est devenue le deuxième pays d'Afrique, par sa population, en 2005. Cette population présente une croissance naturelle de 2,9 %. Le PIB/habitant s'élève à un peu moins de 100 dollars ; le PIB global s'élève à huit milliards de dollars. La pauvreté relative concerne 81 % de la population, la pauvreté absolue 26 % de la population. Le secteur primaire génère 42,5 % du PIB, le secteur secondaire 11 % et le secteur tertiaire 46,5 %. L'économie est donc très largement tirée par l'agriculture, l'état de cette dernière conditionnant significativement la santé économique du pays tout entier. Notons à ce dernier titre que le secteur primaire est marqué, depuis deux ans, par une belle croissance. Le secteur tertiaire, pour sa part, compte quelques belles entreprises : je pense en particulier à la compagnie aérienne Ethiopian Airlines . Ce pays joue également le rôle de hub pour les transports aériens de l'Afrique de l'Ouest. Les dernières élections ont vu la reconduction sur Président Mélès Zenawi, en mai 2005. Le régime éthiopien est démocratique et parlementaire.

Depuis deux ans, l'économie éthiopienne est tirée par la croissance du secteur agricole. La sécheresse, en Ethiopie, est avant tout un problème humanitaire, et touche des zones peu agricoles : elle n'aura pas d'incidences négatives sur la croissance. Ainsi, la croissance s'est élevée à 11,3 % en 2003/2004, et à 5,1 % en 2005. L'inflation est contenue, et se situe donc à des niveaux tout à fait raisonnables pour un PMA comme l'Ethiopie. Les investissements représentent un peu plus de 20 % du PIB : la dette extérieure, quant à elle, s'élève à environ 69 % du PIB.

S'agissant de la présence française en Ethiopie, il est à noter que la France a, pendant longtemps, occupé une part de marché modeste, à hauteur de 2 %. Les échanges ont bénéficié d'une réelle redynamisation en 2005, un vrai rapprochement bilatéral a été à l'oeuvre. En 2006, les exportations françaises devraient bien se comporter, et atteindre le niveau des 105 millions d'euros. La France deviendrait ainsi le premier exportateur européen en Ethiopie ; elle est d'ores et déjà le deuxième investisseur étranger dans ce pays. Rappelons qu'il existe en Ethiopie une section active d'une dizaine de conseilleurs du commerce extérieur de la France. Nous avons en outre signé, en mai 2004, un accord de protection et d'encouragement réciproque des investissements ; une convention fiscale a été paraphée en 2005. Il n'y a pas de banques étrangères en Ethiopie : cela représente une réelle opportunité pour prospecter ce marché, dans la mesure où, à terme, le secteur bancaire s'ouvrira à l'international. Plus généralement, le thème des privatisations des entreprises éthiopiennes commencent à intéresser les entreprises françaises, et nous espérons que cette privatisation s'accélérera. Outre le secteur bancaire, que j'évoquais précédemment, je pense notamment à l'industrie sucrière et au chemin de fer.

Plusieurs entreprises françaises ont signé récemment des contrats. Il s'agit, notamment, du Groupe Accor (qui a ouvert un Novotel de 100 chambres, et un Ibis de 140 chambres dans la capitale), de Total (qui a racheté des stations service de Mobil), ou encore de Steca (qui fournit du matériel pour l'embouteillement d'eau).

L'Ethiopie présente de nombreux atouts :

· elle compte 77 millions d'habitants, et entretient des relations historiques avec la France ;

· elle est le pays le plus aidé d'Afrique subsaharienne ;

· la sécurité des biens et des personnes y est parfaitement garantie ;

· l'Ethiopie est dotée de plusieurs marchés porteurs : je pense au commerce courant, au marché de l'eau ou encore à l'électricité. Citons encore les télécommunications, les routes, le transport ferroviaire et le tourisme.

2. Djibouti

S'agissant de Djibouti, il est à noter que sa population s'élève 650 000 habitants, le PIB par habitant est de 910 dollars par an. La pauvreté relative et absolue reste importante, l'économie est tirée par le secteur tertiaire : celui-ci génère 87,5 % du PIB. Le PIB progressera d'une manière plus régulière qu'en Ethiopie, mais de façon moins importante. L'inflation est bien contenue, le déficit budgétaire l'est également. La dette extérieure se monte à 69 % environ, et devrait progresser légèrement au cours des années à venir. Enfin, la France reste le premier fournisseur de la Djibouti, même si la Chine y est de plus en plus présente.

3. Soudan

Jean-Pierre FILIPPI

Le Soudan est devenu le premier client de la France parmi les pays de la zone. Khartoum devient quant à elle, peu à peu, une véritable capitale internationale et va notamment accueillir la prochaine rencontre de la Ligue arabe. Rappelons par ailleurs que le Soudan est récemment revenu dans le concert des Nations : après l'accord de paix global, un Gouvernement d'unité nationale a été formé. Depuis lors, l'accord de paix continue à se mettre en place et les choses vont dans le bon sens. Le Soudan présente un potentiel prometteur : il dispose de richesses minières extraordinaires et insuffisamment exploitées. Il dispose également d'un bon potentiel hydraulique. Dans le domaine agricole, les perspectives sont intéressantes. Le potentiel agricole commence à se mettre en place, et ne doit donc pas être négligé. Je suis persuadé que la Banque mondiale et les bailleurs de fonds mettront l'accent sur ce potentiel agricole. Signalons par ailleurs que les infrastructures se développent ; je pense, notamment, aux infrastructures de télécommunication, particulièrement bonnes au Soudan.

En ce qui concerne les hydrocarbures, le Soudan va bientôt être en mesure de produire un million de barils/jour. Des grands projets industriels et tertiaires sont engagés : il s'agit par exemple du nouvel aéroport de Khartoum, de centrales thermiques et d'une grande sucrerie.

D'un point de vue économique, il est à noter que le Gouvernement soudanais a de bonnes relations avec le FMI. La croissance est comprise entre 6 et 8 % selon les années. Un plan de réforme est en place, des négociations sont en cours pour que le Soudan intègre l'OMC. L'assistance apportée par les Occidentaux demeure largement non-structurante, mais il est possible que la situation change fortement dans les mois à venir.

La présence de la France est encore peu significative ; elle n'en demeure pas moins très active. Le centre culturel de Khartoum doit être mentionné à ce titre : nous formons de nombreux jeunes Soudanais, auxquels les entreprises françaises pourront recourir. Le solde commercial avec la France s'élève à 107 millions d'euros. Il existe plusieurs créneaux porteurs pour les entreprises françaises : il s'agit en particulier de l'automobile, du ferroviaire ou des télécommunications. Les opportunités à saisir sont donc nombreuses. J'ajoute enfin que Khartoum est devenue une « vraie » capitale : son urbanisme est en cours de révision et des immeubles très modernes ont été construits.

4. L'Erythrée et la Somalie

Thomas COURBE

La population somalienne se monte à 8,6 millions d'habitants, et à 4,5 millions d'habitants pour l'Erythrée. La situation politique est relativement stable : pour la Somalie, elle s'améliore nettement depuis 2004, mais le Gouvernement n'étend son contrôle sur le pays que progressivement. En ce qui concerne l'Erythrée, il est à noter que ce pays est indépendant depuis 1993. Courant 2005, de nouvelles tensions avec l'Ethiopie ont pris place : il en est résulté une relative détérioration des relations avec les donateurs.

Le PIB de la Somalie s'élève à 1,3 milliard de dollars, le taux de croissance est de 1,7 %. Les versements de la diaspora représentent 60 % du PIB. La dette extérieure équivaut à 200 % du PIB. Les exportations s'élèvent à environ 65 millions de dollars, et sont constituée aux deux tiers de bétail à destination de pays du Golfe. Les importations s'élèvent à 180 millions de dollars. Le flux d'investissements directs étrangers est très limité.

Une véritable révolution est à l'oeuvre en Somalie dans le secteur des télécommunications ; neuf opérateurs ouvrent le pays, le nombre de souscripteurs de lignes téléphoniques est relativement élevé. Les coûts de télécommunication sont très bas.

Le PIB de l'Erythrée est de 920 millions de dollars. L'inflation s'élevait à 25 % en 2004, mais a été maîtrisée en 2005 : elle a été abaissée à 14 %. Les exportations sont composées de biens agricoles, les exportations sont constituées de pétrole, de biens de consommation et de biens manufacturées. Ces dernières se montent à 550 millions de dollars. En Erythrée, le secteur primaire est minoritaire, le secteur secondaire relativement développé. Le secteur tertiaire est très développé également et génère 60 % du PIB.

Les relations de ces deux pays avec la communauté financière internationale sont globalement réduites : l'UE a annoncé un don de 50 millions d'euros pour la reconstruction de la Somalie. La Chine a financé, à hauteur de 6,5 millions d'euros, l'achat de biens d'équipement. La France a apporté une aide de 320 000 euros en 2004. S'agissant de l'Erythrée, ces relations se sont quelque peu tendues. Pour autant, huit programmes financés par la Banque mondiale sont en cours, et peuvent offrir des opportunités aux entreprises françaises.

Les relations commerciales de la Somalie avec la France vont dans le sens d'une baisse des exportations, et d'une hausse des importations (en particulier de produits agricoles somaliens). Pour l'Erythrée, les exportations vers la France ont été multipliées par trois en l'espace d'un an. Les importations sont également en forte hausse.

Les opportunités de marché sont liées à l'effort de développement mené par ces deux pays. Elles portent sur le secteur de transport et le secteur agricole.

II. L'environnement des affaires dans la région

Thierry COURTAIGNE

Je tiens à affirmer dès à présent que le Medef et les entreprises de France ont un fort tropisme africain ; l'Afrique représente en effet pour nous une grande priorité. Cela a toujours été le cas, et cela le restera. Nous sommes contre l'idée que tous les investissements doivent se concentrer autour de quelques pays. Au contraire, nous estimons que nous devons nous tourner également vers des pays émergents de petite taille. Nous avons d'ailleurs tout intérêt à travailler avec des partenaires qui souhaitent notre présence, et nous accueillent favorablement.

Rappelons que les pays de la Corne ne sont pas intégrés : nous ne pouvons pas réellement parler « d'environnement des affaires de la région ». Il ne s'agit pas encore d'un ensemble, ce que nous regrettons. Les récents conflits qui ont opposé certains de ces pays ne doivent pas, cela dit, être perçus comme un obstacle insurmontable, bien au contraire.

Le Medef International connait bien les pays de la Corne de l'Afrique, dans la mesure où nous nous sommes d'ores et déjà rendus dans la plupart d'entre eux. Récemment encore, une délégation du Medef International s'est rendue en Ethiopie. Je tiens à ce titre à remercier UbiFrance pour son soutien dans ce cadre : nous avons pu nouer des contacts très intéressants lors de cette visite. Nous retournerons en Ethiopie. Nous retournerons également au Soudan, ce voyage est d'ores et déjà programmé. Je tiens à rappeler plus généralement que nous avons le soutien des pouvoirs publics français - je pense au personnel diplomatique en place et, évidemment, à UbiFrance - pour que ces voyages soient totalement couronnés de succès.

L'Ethiopie dispose d'un très fort potentiel pour les entreprises françaises. Il est à noter que ce pays présente de bonnes conditions de sécurité des biens et des personnes. La monnaie y est stable, des filières économiques (comme la filière horticole par exemple) sont en train de se mettre en place. Les investisseurs français peuvent profiter de ces filières. La main d'oeuvre éthiopienne est reconnue pour sa gentillesse et son calme, les dirigeants sont compétents.

L'Ethiopie n'a pas résolu, toutefois, toutes ses difficultés : nous apprécierions notamment que le secteur bancaire s'ouvre davantage ; l'ouverture de l'Ethiopie sur le monde extérieur est par ailleurs perfectible : le commerce est en effet insuffisamment libéralisé ; le système foncier doit être transformé ; la formation professionnelle doit se développer. Les infrastructures en tout genre constitueront les bases du développement de ce pays ; le tourisme recèle également d'importantes potentialités en termes de développement.

Je souhaite enfin vous adresser une recommandation : le Medef joue un rôle d'interface essentiel en France, et constitue une véritable instance de dialogue. Il est essentiel, selon moi, qu'il joue le même rôle d'interface dans les pays de la Corne de l'Afrique. De surcroît, je crois fortement en l'association d'investisseurs étrangers : il appartient aux Gouvernements des pays de la Corne de l'Afrique d'encourager de telles associations.