Présentation générale de la journée

Bernard OWEN , Secrétaire général du Centre d'Etudes Comparatives des Elections (CECE)


La matinée sera consacrée à la réforme des procédures électorales en France. Comme l'a dit le Président Hyest, plusieurs parlementaires présenteront les réflexions récentes en vue d'une réforme de la législation électorale. Bernard Maligner explorera ensuite le monde des grands et micro-partis. Pour finir, Jean Baechler nous fera quitter le domaine administratif et nous entraînera dans celui de la réflexion.

L'après-midi nous conduira au-delà de nos frontières. Des pays nous interrogent avec espoir, d'autres sont marqués par des refus d'alternances. Pouvons-nous les accabler alors qu'il nous a fallu des siècles pour y parvenir ? Peut-être faudrait-il revoir nos copies lorsque nous exportons nos propres institutions sans suffisamment d'aménagements ni de prise en compte des habitudes politiques et des effets des systèmes électoraux. Ceux-ci ne se limitent pas à de simples calculs, d'autant que la perception du jeu politique peut varier selon qu'il s'agit d'un scrutin majoritaire ou proportionnel. Les institutions et les systèmes électoraux, plus que l'idéologie et les programme politiques, jouent un rôle important.

Les travaux de la matinée sont menés sous la présidence de Jean-Claude MASCLET, Professeur à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Jean-Claude MASCLET

Chaque année, ce colloque obtient un succès remarquable. C'est aussi celui d'un homme, Bernard Owen, et de l'équipe qui l'entoure et anime le diplôme créé il y a dix ans à l'Université de Paris 1. A l'époque, nous étions les seuls convaincus de l'intérêt d'une formation continue sur le processus électoral. Nous avons dû l'imposer et le chemin n'a pas été facile. Ce succès aurait été impossible sans la mobilisation d'une équipe autour de cette matière vivante que sont les élections, dont les enjeux et débats sont de portée nationale et internationale. Les sujets de cette matinée ont pour point commun de se référer à des textes datant de plus de quinze ans. Il est temps de les réexaminer et de rouvrir les débats. Ce colloque est également le succès d'une méthode, qui préfère l'ouverture à l'actualité. C'est un lieu de vie de la loi électorale.

Vers une fusion des Commissions chargées de la régulation du financement de la vie politique ?

René DOSIÈRE , Député de l'Aisne


A la demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, le député Christian Vanneste et moi-même avons mené des travaux sur les autorités administratives indépendantes (AAI). Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il est préférable de regrouper les autorités administratives pour des motifs parfois financiers - ce n'est pas le cas pour les autorités de la vie politique dont les budgets sont modestes - mais aussi avec l'objectif de regrouper des compétences.

Nous concluons également à la nécessité pour le Parlement de retrouver sa visibilité et de se saisir de ses prérogatives. Pour ce faire, nous proposons que la nomination des responsables d'autorités administratives indépendantes ne procède pas de l'exécutif mais du Parlement à la majorité des trois cinquièmes. Nous proposons également de regrouper les quatre autorités chargées de la surveillance de la vie politique, à savoir la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la commission nationale pour la transparence financière de la vie politique, la commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République et la commission des sondages, au sein d'une « Haute autorité de la transparence de la vie politique ».

Nos propositions se fondent sur le constat d'un manque de moyens matériels, d'influence et de lisibilité. Les responsables de ces autorités administratives indépendantes détiennent une autorité personnelle incontestable mais leurs recommandations sont rarement suivies d'effets. Ainsi, la commission nationale pour la transparence financière réclame depuis quatorze ans les déclarations de revenus des élus afin d'évaluer leur patrimoine, conformément à sa mission. De même, la commission nationale des comptes de campagne n'a aucun moyen de vérifier les comptes des partis politiques et réclame une normalisation du travail des commissaires aux comptes.

Le regroupement de ces quatre AAI aurait pour effet de revaloriser la vie politique. Leurs responsables détiendraient une légitimité incontestable puisqu'elle serait octroyée par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. C'est ainsi qu'est désigné le directeur général des élections au Québec, qui ne rend compte qu'au Parlement et dispose du budget nécessaire pour remplir l'ensemble de ses missions. Le budget de l'institution serait adossé à celui de l'assemblée. L'autorité que lui confèrerait sa procédure de nomination lui permettrait d'émettre en toute liberté des propositions de modification législative, davantage susceptibles d'être suivies d'effets. Ce dispositif permettrait également une plus grande transparence vis-à-vis du Parlement et une meilleure information de la population sur le fonctionnement de la vie politique. Enfin, il serait intéressant de confier à cette nouvelle instance la responsabilité du découpage électoral dans le cadre fixé par le Parlement. Ce découpage est actuellement conçu par une commission « indépendante » dont les propositions, en réalité, ne peuvent être neutres.

En conclusion, nos propositions ne nécessitent pas de réformes constitutionnelles. Nous allons nous attacher à élaborer un projet après avoir consulté les autorités concernées. Notre objectif est de faire progresser la démocratie en France. Nous réfléchissons à la présidence de la nouvelle commission : dans les pays démocratiques apaisés, le choix se porte sur une personnalité acceptable par tous. En France, cette présidence pourrait être confiée à un haut magistrat, à un universitaire ou à une personnalité à l'autorité incontestable.

Jean-Claude MASCLET

Je saisis la présence dans cette salle du Président de la commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique, pour lui demander ce qu'il pense de ces propositions.

François LOGEROT, Président de la Commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique

A mon avis, les institutions dont le regroupement est envisagé ne présentent pas de synergie véritable, pour la simple raison que leurs domaines d'intervention diffèrent. La commission de la transparence financière joue un rôle consultatif et non décisionnel. Même son rôle de signalement à l'autorité judiciaire pose problème. La commission nationale des comptes de campagne, en revanche, joue un rôle décisionnel puisqu'elle attribue chaque année aux candidats des élections plusieurs dizaines de millions d'euros et prend les décisions de remboursement. A l'égard des partis, les limitations du code électoral et de la jurisprudence lui confèrent néanmoins un rôle essentiellement formel d'examen des comptes rendus et publications, avec une attention particulière pour l'origine de leurs ressources.

Le manque de visibilité et d'autorité que vous constatez provient avant tout des limitations du code électoral, que nous tentons de faire évoluer à l'occasion de chacun de nos rapports. Si la loi était plus précise sur le périmètre des comptes des partis, par exemple, notre commission détiendrait davantage d'autorité.

S'il est exact que la légitimité tirée du Parlement est supérieure, confier la procédure de nomination d'une autorité chargée de contrôler les comptes des élus aux personnes soumises à ce contrôle me semble néanmoins peu souhaitable.

Enfin, l'exécutif n'a aucune part dans la désignation des membres de ces commissions puisqu'il s'agit des trois plus hauts magistrats de France.

Bernard MALIGNER

Comment une autorité personnelle investie dans les conditions que vous décrivez pourrait-elle avoir de l'autorité auprès du premier vice-président du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes et de la Cour de Cassation ? Désigner un président de tribunal de grande instance à la tête de l'autorité dont vous préconisez l'existence poserait problème. Quant au manque de visibilité que vous regrettez, il est imputable avant tout à la loi, donc à la décision des parlementaires qui l'ont élaborée. Enfin, conférer la compétence du découpage électoral à une autorité administrative indépendante me fait craindre que cette instance doive composer avec les principes résultant de la Constitution.

René DOSIÈRE

L'attribution d'une compétence en matière de découpage électoral suppose effectivement une révision de la Constitution, qui n'est pas nécessaire, néanmoins, pour les autres compétences. Notre proposition a pour objectif de moderniser notre démocratie. En France, la culture politique n'est pas celle du compromis, mais de la majorité. Mes propos ne mettent pas en cause les responsables éminents des trois Commissions de la vie politique. Ma critique porte sur le fait que le Parlement n'est pas allé au bout de sa démarche. Dès qu'on aborde ces questions, il est difficile de progresser. C'est pourquoi une personnalité nommée par la majorité du Parlement me semblerait plus à même d'entraîner des changements et de sortir des questions du domaine partisan.

Pour autant, je perçois les réticences des partis politiques. Les avancées sur le financement de la vie politique sont liées à des périodes de remise en cause. Depuis 1995-1996, nous n'avons fait que coller des rustines, avec difficulté. Pour progresser dans ce domaine, une institution telle que nous la concevons aurait plus de force compte tenu de son processus de nomination. Y parviendrons-nous ? Je l'ignore, mais toutes les contributions au dépassement du clivage entre majorité et opposition sont bienvenues. L'exemple du Québec montre qu'il est possible de créer une institution unique, détenant une autorité reconnue et comprenant différents bureaux dédiés à l'organisation des élections, au financement des campagnes et au découpage électoral. Cette institution tirerait sa cohérence de son domaine d'intervention : la vie politique et son financement.

Jean-Claude MASCLET

L'idée d'une institution unique me séduit, ne serait-ce que pour une raison de clarté auprès de l'opinion publique. Une telle autorité aurait davantage d'impact et mettrait en évidence la volonté de renforcer la déontologie dans la vie politique. Notre système est loin de convaincre sur ce point, contrairement à celui du Québec.

Bernard OWEN

Cela étant, permettez-moi de rappeler que le Québec a connu de grandes controverses lors du dernier référendum. Pour la délimitation des circonscriptions, son système s'est avéré onéreux et a donné des résultats médiocres. Le système de la Grande-Bretagne pourrait constituer une solution raisonnable, dans la mesure où d'autres éléments que la démographie entrent en compte.

René DOSIÈRE

Le découpage électoral, au Québec, se trouve exclu de la politique partisane. La majorité, comme l'opposition, reconnaissent l'autorité du directeur général délégué aux élections, qu'ils ont nommé et dont ils ont fixé les missions. Celui-ci consulte un grand nombre d'acteurs avant de rendre son verdict, accepté ou refusé par l'Assemblée du Québec. Cette année, les difficultés qui se sont présentées sont liées au refus par le gouvernement d'accepter une suppression de comtés à laquelle la population était hostile. Il me semble important d'échapper au débat idéologique. Or ce système permet une confrontation de points de vue sans instrumentalisation partisane du découpage électoral. Espérons que les responsables politiques français soient capables d'accepter une évolution de la démocratie dans ce sens.