Colloque "Urgences et traitement de l'urgence" (17 juin 2004)


Outils de l'urgence et coopération internationale :
les plans d'urgence

Participaient à la table ronde :

Pia BUCELLA, Commission européenne, Responsable de l'unité protection civile (DG Environnement)

André PAVIA Directeur de l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques ;

Jean-François SCHMAUCH Colonel des sapeurs-pompiers (e.r.), Expert près la Cour d'Appel de Rennes ;

Thierry PRUNET Médecin colonel des sapeurs-pompiers, Coordinateur des équipes de secours à l'étranger.

La table ronde était animée par Anne-Charlotte TAILLANDIER, Consultante en organisation.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Pour faire face aux urgences de manière efficace, la coopération et la coordination doivent intervenir en amont, mais aussi en aval des événements présentant des caractères d'urgence. Il convient en outre d'accepter de façon commune les objectifs et de mesurer et d'accepter les difficultés inhérentes à toute coopération. La coopération et la coordination, complémentaires, nécessitent en effet de mettre en place des mécanismes spécifiques et modulables.

La coopération est la participation à une oeuvre commune. Elle rend les choses possibles en créant les conditions de la participation, mais elle est aussi un vecteur actif d'action. La coordination, elle, est l'agencement des parties d'un tout vers une fin déterminée. Il ne saurait y avoir de coopération efficace sans coordination. La coopération internationale est une obligation morale de corriger les déséquilibres entre les pays et les peuples. Si elle apparaît comme un avantage, sa coordination est une contrainte lourde.

Avec le développement des échanges et la médiatisation, la mondialisation a fait prendre conscience des interdépendances. Dans ce contexte, la coopération internationale est essentielle. Elle s'impose à nous. Elle s'est beaucoup transformée depuis 20 ans, mais plusieurs expériences malheureuses nous incitent à plus de modestie. Nous devons donc y réfléchir et ce, de façon permanente.

Pia BUCELLA

Bonjour à tous. Je suis très heureuse de participer à ce colloque et de vous présenter ce qui se fait à l'échelle européenne dans le domaine de la protection civile. Le mécanisme communautaire de protection civile a été créé par décision du Conseil européen du 23 octobre 2001. Plusieurs pays européens extracommunautaires -pour le moment- y participent, puisque outre les 25 membres de l'Union, il faut aussi compter la Bulgarie, la Roumanie, la Norvège, et le Lichtenstein. J'ajoute que nous devrions bientôt conclure des accords ad hoc avec de nouveaux États.

Lorsqu'un État est touché par une catastrophe majeure, il peut envoyer une demande d'assistance au centre européen de suivi et d'information. Le Centre est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La demande est alors transmise aux 29 autres pays. Le pays touché peut ainsi s'adresser à un centre unique, et recevoir l'assistance de 29 États. Le centre peut aussi envoyer des experts ou des agents de liaison - notamment lorsqu'une assistance est acheminée par plusieurs pays.

Lors des inondations de décembre 2003, la France a activé le mécanisme communautaire de protection civile en demandant des pompes de grande capacité. En moins de trois heures, l'Allemagne et la Belgique ont répondu et envoyé des pompes. Puis cinq autre pays ont fourni une assistance, dès le lendemain matin. La capacité d'assistance européenne a permis de doubler la capacité française de pompage.

Cet exemple a montré que la France n'avait pas besoin de se fournir d'un plus grand nombre de pompes de grande capacité dans la mesure où, le cas échéant, des pompes supplémentaires peuvent être acheminées par d'autres pays dans des délais très brefs.

Je souhaite profiter de cet exemple pour dire un mot de la dimension symbolique de l'urgence. Plus de 800 pompiers venus d'Allemagne ont acheminé une soixantaine de pompes sur le territoire français, avec l'aide de collègues italiens, tchèques et français. Au regard de l'histoire, à l'heure de la commémoration du 60 ème anniversaire du débarquement, cet exemple témoigne, si besoin était, des progrès de la construction européenne.

Outre des moyens matériels et logistiques très développés, le dispositif européen de protection civile est équipé d'un centre de suivi et de formation. Le système commun de communication est en cours de validation par un groupe test d'États membres. Il sera pleinement opérationnel à la fin de cette année. Il s'agit d'acheminer l'assistance dans les plus brefs délais.

Les équipes pouvant fournir de l'assistance sont régulièrement répertoriées. Il n'est cependant pas nécessaire de standardiser les moyens d'action. Chaque pays doit conserver ses caractéristiques nationales. Mais toutes les équipes doivent être en mesure de travailler rapidement ensemble. C'est pourquoi nous avons organisé une formation pour tous les chefs d'équipe et leurs adjoints (800 personnes). Nous proposons en outre des exercices grandeur réelle. Le dernier en date s'est tenu dans le sud de la France à Pâques. Il simulait des feux de forêt et prévoyait une assistance aérienne acheminée par quatre pays. Il fallait notamment que les instructions soient transmises rapidement et comprises par toutes les équipes.

Plusieurs de nos projets concernent la communication dans l'urgence. De véritables améliorations sont en effet possibles dans ce domaine. Nous comptons en outre des programmes de plan de contingence et de support psychosocial aux victimes de désastre. Ces programmes sont cofinancés par les services de la Commission. Plusieurs pays y participent.

La valeur ajoutée du mécanisme communautaire n'est plus à démontrer. Dans le contexte actuel de risques émergents, aucun État n'est préparé pour faire face à toutes les éventualités. Les menaces sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus graves. C'est pourquoi chaque État doit pouvoir se fier à l'assistance qui peut être fournie par les autres États européens.

Enfin, le mécanisme communautaire de protection civile est un véritable outil au service de la solidarité européenne. Nous continuerons donc notre travail et nous espérons améliorer encore l'assistance fournie au niveau européen.

André PAVIA

L'objectif de l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques est d'assurer la mise en place d'une culture des risques partagée. L'Observatoire est inscrit dans l'accord « Eur-OPA sur les risques majeurs » de 1987. Cet accord regroupe 25 pays adhérents. Il vise principalement à resserrer et dynamiser la coopération entre États. L'accord « Eur-OPA sur les risques majeurs » concerne 26 centres européens - le dernier-né étant l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques.

Notre mission est d'aider à la coopération dans les différentes phases de gestion des risques : connaissance, alerte, gestion de crise, analyse post-crise et retour à la normale. Il assure en outre une veille technologique, pour informer des dernières priorités et de la disponibilité des moyens. Actuellement, dans une optique d'aide à la décision, nous participons à une médiation entre décideurs. Outre la diffusion de la connaissance, il s'agit d'intégrer le traitement des données. Les mécanismes de médiation sont très lourds. Mais un certain nombre de logiciels sont d'ores et déjà actifs.

Dans l'espace de l'urgence et de la crise, les problèmes de communication sont des problèmes majeurs et l'approche communautaire est une nécessité primordiale. Nous devons tendre vers une réelle harmonisation en la matière. Dans ce cadre, nous développons un programme intitulé Iris, relatif à l'information sur les risques. Il s'agit d'anticiper une directive européenne sur l'alerte et l'information. Iris a pour objectif l'harmonisation et la mise en place d'un ensemble de dispositions d'information et d'alerte des populations sur les risques naturels et technologiques, ainsi que l'établissement de recommandations et la définition d'un code européen pour l'alerte des populations. Ce travail devrait contribuer à la mise en place d'une politique en faveur d'une meilleure responsabilisation des citoyens et des autorités.

Nous procédons par ailleurs à une analyse comparative des législations nationales dans le domaine de la gestion des déchets dangereux, en particulier les déchets d'origine industrielle ou militaire. Le principal objectif du projet de gestion des déchets dangereux est de réduire le risque environnemental à travers la mise en place d'instruments et de mécanismes légaux. Et ce, dans un espace européen élargi aux Balkans, à la Russie et aux nouveaux États indépendants d'Europe centrale et orientale. Je me tiens à la disposition de ceux qui voudraient avoir plus de détails concernant ce projet.

La spécialité « culture du risque » a pour objectif de former des professionnels capables d'analyser et de quantifier les situations à risque, d'en évaluer les conséquences économiques, humaines, juridiques, sociales et techniques, et de proposer des solutions adaptées. Nous envisageons aujourd'hui de mettre en place un doctorat européen en la matière. Une université européenne d'été a en outre été créée. Elle se tiendra au mois de septembre 2004 et portera sur l'analyse comparée des principes et méthodes de gestion des risques. L'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques participera à son organisation.

Actuellement, notre observatoire est implanté sur le site d'Agropolis à Montpellier, qui organise tous les ans des entretiens. En 2004, le principal sujet abordé est celui des vulnérabilités face aux risques à l'échelle régionale et européenne.

Colonel Jean-François SCHMAUCH

La crise est un état sensiblement ordonné qui évolue vers un état très sensiblement désordonné. Les crises qui sont des sommes d'événements courants sont ainsi relativement aisées à traiter. Je reviendrai à ce titre sur la catastrophe ferroviaire d'Eschede, en Basse-Saxe, suite d'accidents de circulation ordinaires.

Les solutions opérationnelles peuvent prendre la forme d'équations à trois variables : les risques, les moyens opérationnels et les délais. Ces variables sont clairement définies par des textes réglementaires précis. Dès lors, une application rigoureuse des textes conduit à une résolution relativement aisée de la crise. Mais il peut arriver que tel ne soit pas le cas.

J'étudie actuellement tous les textes réglementaires existants et les retours d'expérience, afin d'identifier des solutions. Les textes réglementaires allemands sont très simples, en la matière. Le territoire est divisé en zones opérationnelles de base, elles-mêmes divisées en secteurs de première intervention, dans lesquels les délais moyens d'arrivée des services médicaux doivent être de huit minutes environ. Pour chaque zone, un nombre minimal d'ambulances est disponible. Au niveau fédéral, toutes les dispositions doivent être prises pour qu'aucun point du territoire soit situé à plus de dix minutes d'un service urgentiste. L'application de ces textes donne lieu à une équation très simple. Il apparaît que les réponses aux crises sont, lorsque l'équation se vérifie, extrêmement pertinentes et égalitaires.

La catastrophe d'Eschede, survenue le 3 juin 1998, est l'effet d'une succession d'accidents de la circulation. La mobilisation des moyens médicaux et techniques a été immédiate. Ainsi, la réponse aux risques majeurs est, lorsqu'elle respecte l'équation dont je parlais, aussi efficace que la réponse aux risques ordinaires. Au total, 614 personnes de l'urgence médicale ont été mobilisées, dont 100 médecins. Le déclenchement de tous les moyens s'est fait quasiment sans intermédiaire, à partir de l'alerte du centre de traitement des appels. Chaque victime été traitée comme elle l'aurait été dans un accident ordinaire. Le temps n'est donc pas compressé, mais transversal. Par ailleurs, les pilotes d'hélicoptère connaissent en temps réel la disponibilité des lits. Il est intéressant de noter que, lors de la catastrophe d'Eschede, 22 hôpitaux étaient prêts à accueillir les victimes, dans un rayon de 60 kilomètres.

Au final, si l'on gère bien les risques courants, l'on gère relativement bien les crises. La gestion de la catastrophe d'Eschede a donné lieu à de nombreuses publications, dans la plus grande transparence. Cette démarche présente un réel intérêt pour l'analyse des retours d'expérience.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Une telle catastrophe en France serait-elle gérée avec la même efficacité ?

Jean-François SCHMAUCH

Je serais tenté de dire que les délais seraient bien plus longs.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Nous avons donc beaucoup à apprendre les uns des autres, en Europe.

Olivier PAUL-MORANDINI, Association européenne du Numéro d'Appel d'Urgence 112

La communication de mars 2003 sur le mécanisme communautaire de protection civile ne contient aucune fiche financière. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Nous sommes en mesure de nous interroger sur la validité de ce mécanisme.

Je regrette en outre que ce document se focalise sur les seules catastrophes - contrairement au cadre stratégique qui était initialement prévu. Enfin, il n'existe pas de numéro de crise inter-opérable équivalent au 112. Comment comptez-vous parvenir à une interopérabilité européenne pour des situations nettement plus compliquées que celles qui relèvent du 112 ?

Pia BUCELLA

Nous nous connaissons de longue date, vous et moi ! Et nous savons sur quel terrain nous travaillerons ensemble. Les sujets traités aujourd'hui sont, à mon sens, d'une autre portée. Je souhaite toutefois vous répondre. Ce dont j'ai parlé tout à l'heure diffère de la communication du mois de mars 2003.Sachez cependant que cette communication contient bel et bien une fiche financière et porte principalement sur l'inter-opérabilité des moyens civils et militaires. Quoi qu'il en soit, nous attendons de connaître les pistes identifiées par le Conseil des ministres européens avant d'engager plus avant nos réflexions.

De la salle

Est-il prévu de mettre en place une stratégie européenne permettant de «contrer » dans ce domaine l'industrie américaine ?

Pia BUCELLA

Un travail est engagé depuis six mois par le Comité européen de normalisation sur une éventuelle standardisation en matière de sécurité et de sûreté. Mais, vous le savez mieux que moi, une telle démarche est loin d'être aisée. L'exemple des feux de forêts du sud de la France de l'été dernier est en l'exemple criant : faute de branchements normalisés au plan européen, les pompiers italiens ne pouvaient pas raccorder leurs tuyaux sur les robinets français.

Thierry PRUNET

Nous avons vu que la gestion des risques pouvait revêtir un caractère quasi-mathématique.

Aujourd'hui, l'enjeu majeur est celui d'une mutualisation européenne. Certes, nous n'avons pas tous les mêmes moyens à notre disposition, mais la coopération est efficace, sur le terrain - et permet des réponses parfaitement pertinentes.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Je vous remercie.

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