Réuni le 1er Juin sous la présidence de M. André GATTOLIN (Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants – Ile-de-France), le groupe France-Europe du Nord s’est entretenu en visioconférence avec M. Graham PAUL, ambassadeur de France en Islande. Ont également participé à la réunion : Mmes Françoise GATEL (Union Centriste – Ille-et-Vilaine), présidente déléguée pour l’Islande, Annick BILLON (Union Centriste – Vendée), Vivette LOPEZ (Les Républicains – Gard), Angèle PREVILLE (Socialiste, Ecologiste et Républicain – Lot) et Elsa Schalck (Les Républicains – Bas-Rhin) et M. Téva ROHFRITSCH (Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants – Polynésie française).

M. Graham PAUL a d’abord dressé un bilan de la situation sanitaire en Islande. Avec une trentaine de décès et le taux d’incidence le plus faible d’Europe, la gestion de la crise sanitaire a été particulièrement réussie en Islande. Ce succès s’explique par la grande réactivité du gouvernement islandais, qui a mis en place un plan sanitaire dès janvier 2020, soit un mois avant le premier cas de Covid enregistré sur l’île. La stratégie islandaise de lutte contre l’épidémie a reposé sur un dépistage massif, un traçage des cas contacts et une obligation de mise en quarantaine rigoureusement respectée. Malgré quatre vagues épidémiques successives, il n’y a eu aucun confinement généralisé. En particulier, les écoles primaires et les restaurants n’ont par exemple jamais été fermés pendant toute la durée de l’épidémie. Enfin, l’Islande a également fermé ses frontières, notamment avec la France, considérée comme un pays à « haut risque. » La stratégie vaccinale de l’Islande a été calquée sur les dispositifs européens, l’Islande ayant reçu de la part de l’Union européenne un quota de doses dépendant de sa population. Aujourd’hui, 50 % de la population a reçu sa première dose, qui devrait être administrée à l’ensemble des Islandais d’ici le mois de juillet. Dans ces conditions, le tourisme reprend doucement sur l’île, notamment avec l’arrivée de visiteurs américains et britanniques vaccinés.

M. Graham PAUL a ensuite fait un état des lieux de la situation économique islandaise. Très fortement affectée par la crise financière de 2008, l’Islande avait réussi un redressement économique important, retrouvant une croissance annuelle moyenne de 5% entre 2015 et 2018. L’économie islandaise a continué à s’appuyer sur les secteurs traditionnels de l’énergie et de la pêche, tandis qu’elle a vu le tourisme exploser au cours des dernières années. Néanmoins, la pandémie a une nouvelle fois ralentit son économie, engendrant une chute du PIB de 6,6  % et une hausse du chômage spectaculaire. Alors qu’il n’était que de 3,6 % en 2019, il a dépassé  11 % au plus fort de la crise sanitaire et serait aujourd’hui de l’ordre de 10  %. Ces chiffres sont inédits pour l’Islande, qui a longtemps connu le plein emploi. Le secteur du tourisme, représentant 8 % du PIB depuis 2016, a été à l’arrêt pendant plusieurs mois. En réponse à la crise, le gouvernement a adopté des mesures ambitieuses visant à soutenir les ménages et les entreprises. Ainsi, le montant de plusieurs allocations (chômage, allocations familiales, adultes handicapés, etc.) à destination des personnes vulnérables a été augmenté. Des dispositifs de chômage partiel ainsi que d’importantes baisses de charges ont également été proposés aux entreprises. Ces mesures, pour lesquelles le gouvernement a consacré environ 9,2 % du PIB au cours de l’année 2020, ont paradoxalement conduit à une hausse du niveau de vie en dépit de la crise sanitaire. De plus, les mesures adoptées sont en rupture complète avec les précédentes réformes qui visaient à réduire la dette de l’État creusée par la crise financière de 2008. Alors que la dette publique, en constante diminution depuis 2013, avait atteint 36 % en 2019, elle atteint aujourd’hui 58 % du PIB. Les économistes s’attendent à ce que l’endettement ne repasse pas en dessous de 50 % d’ici 2025, l’orientation publique actuelle visant à « ne pas hâter la consolidation des finances publiques avant d’avoir relancé l’économie. »

Sur le plan politique, le pays semble également avoir retrouvé un climat de stabilité et d’apaisement, après des années de défiance envers les autorités publiques à la suite de scandales politico-financiers (notamment les affaires des panama papers auxquels était lié Sigmundur David Gunnlaugsson, Premier ministre de 2013 à 2016). Depuis les élections d’Octobre 2017, deux partis de droite, le Parti de l’Indépendance et le Parti du Progrès, forment une coalition avec le Parti de la Gauche-Verte, dirigée par Katrin Jakobsdóttir, Première ministre. L’actuel gouvernement, qui bénéficiait déjà avant la crise d’un large soutien de la population, a vu sa popularité encore rehaussée grâce à la bonne gestion de la crise sanitaire. Les prochaines élections législatives de l’Althing, le parlement monocaméral d’Islande, auront lieu le 25 Septembre 2021.

L’ambassadeur a ensuite répondu aux nombreuses questions des Sénateurs.

Mme Françoise GATEL, présidente déléguée pour l’Islande, a tenu à renouveler ses remerciements à M. l’ambassadeur pour son chaleureux accueil lors du déplacement en mai 2018 d’une délégation du groupe d’amitié en Islande, dont elle a affirmé avoir gardé « un excellent souvenir ». Souhaitant revenir sur la « gestion exemplaire de l’épidémie par l’Islande, » Mme Françoise GATEL s’est demandé si le caractère insulaire de l’Islande pouvait contribuer à expliquer ces bons résultats. L’ambassadeur a répondu que les Islandais étaient effectivement animés d’une certaine « conscience de leurs prochains » leur conférant une responsabilité citoyenne favorisant le respect des gestes barrières et autres recommandations gouvernementales. La grande réactivité des autorités publiques et du personnel soignant, facilitée par la petite taille de l’île, ont également permis de garder la situation sous contrôle. Les quarantaines ont été bien respectées, sans protestation de la population islandaise, les autorités politiques ayant toujours suivi les recommandations des scientifiques. À la seconde question de la présidente déléguée qui l’interrogeait sur la mobilisation du personnel soignant pendant la crise, l’ambassadeur a répondu que leur grande réactivité a permis d’éviter toute saturation des hôpitaux, ce qui représentait un vrai risque en début de crise sanitaire. En effet, avec seulement deux hôpitaux pour l’ensemble du pays, la capacité de lits de soins intensifs était alors de 23 lits pour toute l’Islande, qui a donc acheté du matériel médical, dont des respirateurs, auprès de la Chine.

Mme Françoise GATEL a poursuivi en interrogeant l’ambassadeur sur les répercussions économiques de la crise ainsi que les échanges commerciaux avec la France. M. Graham PAUL a souligné que la crise sanitaire semble avoir paradoxalement encouragé l’innovation en Islande, puisque de nombreuses start up ont vu le jour au cours de l’épidémie. De plus, l’État aurait compris la nécessité de diversifier son économie, aujourd’hui trop dépendante du secteur touristique. Au sujet des échanges commerciaux avec la France, ceux-ci concernent principalement l’exportation de poisson frais, dont la France constitue le premier marché. La France exporte quant-à-elle des voitures vers l’Islande, notamment électriques, puisqu’aujourd’hui, une voiture sur deux achetée en Islande est électrique, du fait d’une politique fiscale particulièrement incitative. Le changement de dispositif de contrôle douanier de l’aéroport international de Keflavik  a été réalisé par une société française ainsi que l’architecture du projet de transport urbain de Reykjavik. Enfin, quelques sociétés commencent à s’implanter en Islande.

Sur le plan culturel, la présidente déléguée a interrogé l’ambassadeur sur l’avancement du dictionnaire en ligne franco-islandais Lexia. L’ambassadeur a répondu que celui-ci serait inauguré le 16 Juin, après plus de six années de travaux intensifs menés par l’Institut Árni Magnússon d’études islandaises (IAM) et l’Institut Vigdís Finnbogadóttir de langues étrangères (IVF). L’idée d’un tel dictionnaire, remonte aux années 1990. Elle est née du constat qu’il n’existait jusqu’alors aucun dictionnaire en ligne franco-islandais, et que la version papier du dictionnaire actuellement utilisée datait de 1950. Le projet a bénéficié du financement des ministères de la culture et des affaires étrangères français et islandais, de l’Union européenne, mais également du Sénat, qui avait contribué à hauteur de 10 000 euros en 2014.

M. Teva ROHFRITSCH, Sénateur de Polynésie, a fait part de son souhait de voir naitre une coopération entre l’Islande et la Polynésie, autour du rapport à l’insularité, puissant vecteur de rapprochement et d’identification entre les deux peuples. L’ambassadeur a répondu que si certains aspects, dont notamment le climat, opposaient assurément les deux îles, « de nombreux islandais sont amoureux de la Polynésie ». L’insularité rapproche effectivement les peuples, comme en témoigne l’existence d’une association Islande – Corse. Selon l’ambassadeur, « il existe en effet beaucoup de points communs entre les iliens. »

À Mme Annick BILLON, qui l’interrogeait sur la perception en Islande d’un éventuel « pass sanitaire », l’ambassadeur a répondu que l’État islandais a été précurseur en la matière, en instaurant les livrets de santé électroniques pour l’ensemble des citoyens islandais bien avant la crise sanitaire. Ainsi, les Islandais ont bien accepté la mise en place d’une application visant à lutter contre le COVID, qui n’a suscité aucun débat. Les Islandais ont une sensibilité faible à la protection des données. Or, comme l’a souligné M. André Gattolin, c’est d’autant plus étonnant que le parti pirate islandais, fondé en 2012 par plusieurs activistes d’internet, connait un grand succès en Islande.

En réponse à Mme Annick BILLON, qui s’étonnait que la France n’ait à ce jour « pas réussi à pénétrer  le marchais islandais, » (la France ne fait pour l’instant pas partie des principaux partenaires commerciaux de l’Islande), l’ambassadeur a répondu que cela tenait en premier lieu à la structure des économies françaises et islandaises. Les grandes entreprises françaises n’investissent en général pas en Islande, car le marché y est jugé trop étroit alors même que son PIB est comparable à celui d’un pays comme l’Estonie. Les petites et moyennes entreprises n’ont pas forcément une culture de l’international, et l’Islande est parfois considérée comme un marché peu attractif car trop lointain et « exotique ».

Enfin, Mme Annick BILLON a interrogé l’ambassadeur sur l’importance du trafic aérien en Islande et sa potentielle contradiction avec l’image d’un État « vert » faisant de l’environnement l’une de ses priorités. L’ambassadeur a répondu que les Islandais ont effectivement pour habitude d’emprunter des vols domestiques pour se déplacer sur l’île, en dépit de sa petite taille. En raison de la topographie du pays et de conditions climatiques difficiles, le pays ne dispose que d’un réseau routier limité et d’aucun réseau  ferroviaire alors qu’il possède 98 aéroports et aérodromes pour seulement 339 000 habitants. Néanmoins, en matière de transition énergétique, l’Islande est particulièrement avancée, l’énergie étant particulièrement abondante sur l’île et presque entièrement renouvelable (70 % de la production d’électricité  est hydroélectrique et 30 % géothermique). Le pays est le premier producteur par habitant d’énergie verte. L’État a affiché son ambition d’aller plus loin que l’accord de Paris en se fixant pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. M. André Gattolin a annoncé qu’un colloque sera organisé sur l’hydrogène vert au Sénat en novembre, en partenariat avec la chambre de commerce franco-islandaise.

Mme Angèle Préville a interrogé l’ambassadeur sur le film « Woman at war », primé au festival de Cannes de 2018, racontant l’histoire d’une femme menant un combat contre une multinationale de l'aluminium tentant d’étendre son implantation en Islande, en sabotant des lignes à haute tension. L’ambassadeur a répondu que cet excellent film illustre toute l’ambiguïté de l’industrie électro-intensive en Islande et dépeint avec pertinence la place et le rôle des femmes dans la société islandaise.

Mme Angèle Préville a également interrogé l’ambassadeur sur la présidence de l’Islande au sein du Conseil de l’Arctique jusqu’au 20 mai 2021. L’ambassadeur a répondu que l’Islande, qui reste un petit pays par rapport aux grands acteurs de la région, avait réussi sa présidence en dépit de la pandémie et de l’orientation de l’administration du président américain Donald Trump souhaitant se désengager des organisations multilatérales. La présidence islandaise a permis d’avancer sur la coordination en matière maritime, le développement de la connectivité et le bien-être des populations autochtones. L’idée d’un instrument international contre les déchets plastiques dans les océans a été poussée. Enfin, les Islandais ont réussi un coup politique et médiatique en réunissant pour la première fois le nouveau Secrétaire d’État américain Antony Blinken et le ministre russe des affaires étrangères, Sergeï Lavrov. Enfin, la dernière réunion ministérielle a permis de rappeler que le Conseil de l’Arctique fonctionne sur la base du consensus, avant que la Russie n’en prenne la présidence pour deux ans.

Mme Vivette Lopez s’est enfin enquise de l’état des relations entre l’Islande et la Chine. L’ambassadeur a rappelé que l’Islande avait signé un accord de libre-échange avec la Chine, entré en vigueur en juillet 2014, visant à progressivement lever les barrières tarifaires au cours des prochaines années. Cet accord est une première entre un pays européen et la Chine. Il s’inscrit dans le cadre d’un rapprochement progressif entre les deux pays, qui ont par ailleurs conclu des accords de coopération dans les domaines des sciences et technologies marines et polaires, de la géothermie et de l’énergie solaire. Néanmoins, l’Islande s’est abstenue de signer avec la Chine un accord pour la route de la soie. De plus, la crise sanitaire a fortement diminué le prestige de la Chine aux yeux des Islandais, qui sont attentifs aux atteintes aux droits de l’homme à Hong-Kong et au Xinjiang, n’ont pas apprécié la diplomatie chinoise des masques et du vaccin.

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