Réuni le mardi 8 février 2022, sous la présidence de M. Cédric PERRIN (Les Républicains – Territoire de Belfort), président, le groupe d’amitié France – Pays de la Corne de l’Afrique s’est entretenu avec S.E. M. Henok TEFERRA, Ambassadeur d’Éthiopie en France.

Ont également participé à la réunion : MM. Jean-Yves ROUX (Rassemblement démocratique et social européen – Alpes de Haute-Provence), président délégué pour l’Éthiopie, Olivier CIGOLOTTI (Union centriste – Haute-Loire), président délégué pour Djibouti, Hugues SAURY (Les Républicains – Loiret), président délégué pour le Soudan, et Olivier CADIC (Union centriste – Français établis hors de France), vice-président, Mme Vivette LOPEZ (Les Républicains – Gard) et M. Damien REGNARD (Les Républicains-R – Français établis hors de France).

S.E. M. Henok TEFERRA a indiqué que la situation en Éthiopie avait beaucoup évolué au cours des deux derniers mois : les ressortissants occidentaux qui avaient été invités à quitter le territoire éthiopien de manière indue sont aujourd’hui revenus, de même que les agents des organisations internationales. Addis-Abeba a d’ailleurs accueilli la semaine dernière le 35e Sommet de l’Union africaine, auquel plus d’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement se sont rendus. Ce fut un grand succès qui a amplement démontré que le pays était sûr. Aujourd’hui, le Front de Libération du Peuple du Tigré (TPLF) ne constitue plus une menace pour l’intégrité territoriale du pays, mais continue à mener des attaques dans les régions voisines d’Amhara et actuellement Afar, tuant des civils et donnant lieu au déplacement forcé de plus de 200 000 Afars. Le gouvernement éthiopien a ordonné à l’armée de ne pas pénétrer dans le territoire tigréen de façon à donner la chance à la paix, mais le TPLF continue ses attaques armées que la communauté internationale devrait condamner plus fermement.

L’Ambassadeur a fait observer que les actions militaires du TPLF dans les territoires afars et amharas avaient entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes, notamment chez les Afars. La situation humanitaire est grave, et elle est compliquée par les attaques du TPLF, qui entravent l’acheminement des convois humanitaires. La situation humanitaire est aggravée par la sécheresse qui frappe les régions de l’Oromia et de Somali du pays.

S.E. M. Henok TEFERRA a ensuite abordé la situation des droits humains. Le gouvernement éthiopien et le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies ont mené une enquête conjointe de plusieurs mois, qui a donné lieu à un rapport comportant des recommandations. Approuvé par les autorités éthiopiennes, mais pas par le TPLF, ce rapport constate l’existence d’exactions et de violations des droits humains de part et d’autre, en particulier dans la région amhara. En revanche, il réfute la volonté, parfois prêtée aux autorités éthiopiennes, d’exterminer le peuple tigréen et d’utiliser l’aide alimentaire comme arme de guerre. Des soldats éthiopiens ont pu commettre des exactions, mais le gouvernement est bien déterminé à les sanctionner, et des poursuites ont d’ores et déjà été engagées.

L’Ambassadeur a insisté sur la résolution du gouvernement éthiopien à rétablir la paix, et indiqué que le TPLF entrave la paix par ses attaques. La communauté internationale devrait également davantage s’impliquer dans la résolution du conflit et se montrer aussi ferme envers le TPLF qu’envers le gouvernement éthiopien. La désignation par l’Union africaine d’un Haut Représentant, l’ancien président nigérian Olusegun OBASANJO, constitue un pas important du processus politique de sortie de crise. Le Haut Représentant mène des discussions avec toutes les parties. Le gouvernement éthiopien a fait plusieurs gestes en faveur du rétablissement de la paix tels que la libération des prisonniers politiques pour des raisons humanitaires et l’abandon des poursuites contre des responsables importants du TPLF. À propos de Djibouti, pays très lié à l’Éthiopie, et qui souffre également des répercussions du conflit, l’Ambassadeur a rappelé que le TPLF avait cherché, sans succès, à s’emparer de l’axe portuaire entre Djibouti et Addis-Abeba.

S.E. M. Henok TEFERRA a indiqué que la construction du barrage de la Renaissance était quasiment terminée, son achèvement étant prévu pour 2023. L’Éthiopie réaffirme son droit d’utiliser les ressources de son sol au bénéfice du développement de sa population ; elle est déterminée à produire de l’électricité. La politisation de ce sujet par l’Égypte devant les Nations Unies, lors du premier puis du deuxième remplissages du barrage était et demeure contre-productive. Les autorités éthiopiennes souhaitent coopérer avec l’Égypte sur le dossier du barrage dans une approche gagnant-gagnant, par exemple en lui vendant de l’électricité, mais Addis-Abeba regrette l’absence de bonne volonté du Caire, alors même que le barrage ne détourne aucunement l’eau du Nil et ne menace donc pas les intérêts égyptiens. Ce barrage fait partie des grands projets de développement de l’Union africaine ; il permettra à 65 millions d’Éthiopiens d’avoir accès à l’électricité et de sortir de la pauvreté.

Enfin, l’Ambassadeur s’est félicité de l’amélioration qualitative des relations bilatérales après la visite en Éthiopie du Président de la République en 2019. Cette visite s’est traduite par la signature de plusieurs accords, notamment un accord militaire. Les autorités éthiopiennes ont exprimé le souhait de voir cette relation renforcée, la France étant perçue comme un partenaire stratégique majeur attaché à la recherche de l’équilibre dans les relations internationales. L’Éthiopie compte plus de 100 millions d’habitants et a connu une croissance soutenue au cours des dernières années ; les entreprises françaises, dont le savoir-faire est apprécié, doivent trouver leur place sur le marché éthiopien.

L’Ambassadeur a conclu en insistant sur les deux objectifs du gouvernement : démocratiser le pays et libéraliser son économie.

Un large débat s’en est suivi, au cours duquel de nombreuses questions ont été posées par MM. Jean-Yves ROUX, président délégué pour l’Éthiopie, Olivier CIGOLOTTI, président délégué pour Djibouti, et Damien REGNARD, Mme Vivette LOPEZ et M. Hugues SAURY, président délégué pour le Soudan.

En réponse à ces questions, S.E. M. Henok TEFERRA a indiqué que le matériel médical destiné au Tigré y était acheminé par voie aérienne, en particulier par le Comité international de la Croix-Rouge. La situation sanitaire s’est améliorée dans cette région, mais les hôpitaux et les centres de soins ont également été détruits pendant le conflit, dans la région Amhara, ce qui explique l’importance des besoins. Les autorités éthiopiennes sont tout à fait favorables au renforcement du droit international humanitaire, défini par les conventions de Genève, qui devrait mieux prendre en compte le contexte conflictuel actuel, les négociations devant être conduites dans un cadre international et avec le soutien de l’Union africaine. Les relations des autorités éthiopiennes avec le Président Emmanuel MACRON sont très bonnes, et donnent lieu à des consultations régulières. La fin du conflit devrait relancer la coopération bilatérale. Les Éthiopiens sont relativement peu nombreux dans les camps de réfugiés au Soudan – où se trouvent aussi des combattants du TPLF. Il n’en demeure pas moins que les autorités éthiopiennes sont soucieuses de la sécurité de ces camps. La situation à Lalibela est désormais très sûre : les vols avec la capitale ont repris, de même que le tourisme. Dans le traitement de la pandémie de Covid-19, les autorités éthiopiennes, qui remercient la France pour son don de 13 millions de doses de vaccin au titre du programme COVAX, accordent la priorité à la vaccination des personnes âgées et vulnérables, et aucune surmortalité due à ce virus n’est observée aujourd’hui. La jeunesse du pays a souffert à la fois de la pandémie et du conflit.

Interrogé par M. Cédric PERRIN, président, l’Ambassadeur a confirmé le renversement total de la situation militaire, grâce en partie à la supériorité aérienne de l’armée fédérale. De nombreux jeunes éthiopiens ont rejoint l’armée par crainte pour l’intégrité de leur pays. Le bilan humain du conflit n’est pas encore connu. Il est certain que les messages belliqueux du TPLF ont mobilisé la population éthiopienne, notamment les jeunes, contre celui-ci qui avait publiquement déclaré son intention de détruire l’Éthiopie. Les relations avec Djibouti restent excellentes, et le président djiboutien a participé au récent sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Le port de Djibouti reste le principal débouché maritime de l’Éthiopie.

En réponse à M. Olivier CADIC, vice-président, S.E. M. Henok TEFERRA a rappelé que l’Éthiopie recherche des routes maritimes alternatives à Djibouti depuis que son pays est privé de débouchés portuaires. Son intérêt est de disposer d’accès portuaires les plus nombreux possibles, par exemple au Kenya pour le Sud du pays, l’Erythrée pour le Nord et le Centre, le Soudan pour le Nord-Ouest, la Somalie pour l’Est et le Centre. Le PIB de l’Ethiopie est passé en vingt ans de 10 milliards de dollars à 100 milliards aujourd’hui. Dans vingt ans, il sera de 1 000 milliards. Il est évident que le port de Djibouti ne suffira pas à lui tout seul et l’économie éthiopienne aura besoin d’accès diversifiés. La France a naturellement toute sa place dans ce domaine en Éthiopie, d’autant plus qu’elle dispose d’entreprises de qualité telles que Bolloré Logistics.

À M. Cédric PERRIN, président, l’Ambassadeur a rappelé que l’Éthiopie avait entretenu et entretient d’excellentes relations avec la Russie. La coopération militaire entre les deux pays est de très bonne qualité, tout en restant de nature interétatique. L’Éthiopie n’a pas la volonté de s’aligner sur quelque pays que ce soit : elle est l’amie de tout pays qui souhaite travailler avec elle dans le respect mutuel afin d’avancer sur des intérêts communs.

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