Réuni le mardi 15 mars, à l’initiative de M. Gérard LONGUET (Les Républicains – Meuse), président du groupe France-Russie, et de Mme Nadia SOLLOGOUB (Union Centriste – Nièvre), présidente du groupe France-Ukraine, les groupes France-Russie et France-Ukraine, ainsi que plusieurs membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, se sont entretenus avec MM. Jean-Sylvestre MONGRENIER, chercheur associé à l’Institut Thomas More, et Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM).

Étaient également présents : Mme Florence BLATRIX CONTAT (Socialiste, Écologiste et Républicain – Ain), MM. Olivier CIGOLOTTI (UC – Haute-Loire), Stéphane DEMILLY (UC – Somme) et Fabien GENET (ratt. LR – Saône-et-Loire), Mme Véronique GUILLOTIN (Rassemblement démocratique et social européen – Meurthe-et-Moselle), M. Alain JOYANDET (LR – Haute-Saône), Mme Vivette LOPEZ (LR – Gard), MM. Jean-Pierre MOGA (UC – Lot-et-Garonne) et Philippe PAUL (ratt. LR – Finistère), Mme Evelyne PERROT (UC – Aube), M. Rémy POINTEREAU (LR – Cher), Mmes Angèle PREVILLE (SER – Lot) et Isabelle RAIMOND-PAVERO (LR – Indre-et-Loire), et M. Mickaël VALLET (SER – Charente-Maritime).

M. Jean-Sylvestre MONGRENIER a observé que la situation tactique avait révélé un double décalage : entre l’hypothèse d’une incursion limitée dans la région du Donbass et l’objectif de Vladimir Poutine d’éliminer l’Ukraine en tant qu’État souverain et indépendant ; mais aussi entre la guerre éclair espérée par le Kremlin et la guerre de siège dans laquelle la Russie semblait s’enliser, faisant face à une population ukrainienne très hostile. Selon M. MONGRENIER, l’objectif de Vladimir Poutine pourrait être de reconstituer la Nouvelle-Russie (1) en reliant le Donbass à la Transnistrie. Le chercheur a rappelé la présence de soldats russes dans cette république autoproclamée de Moldavie. Faire de l’Ukraine un champ de bataille permanent lui permettrait de nier toute existence de l’État ukrainien, et de le priver de tout accès à la Mer noire.

M. MONGRENIER envisage deux dynamiques d’escalade. La première, verticale, a trait à la question du nucléaire et à l’utilisation éventuelle d’armes chimiques, le Kremlin utilisant régulièrement l’inversion rhétorique, consistant à accuser l’adversaire de ce que lui-même est sur le point de faire. La seconde dynamique, horizontale, a trait à l’extension du conflit. Ce dernier pourrait avoir des répercussions dans l’espace de la Baltique et de la mer Noire. Après une pause stratégique, le Kremlin pourrait par exemple exiger la création d’un corridor traversant la Lituanie pour rejoindre l’enclave de Kaliningrad. L’extension du conflit est plausible, éventuellement sous la forme d’une guerre hybride de haute intensité.

Enfin, M. MONGRENIER a rappelé que pour Vladimir Poutine, le centre de gravité du monde ne se trouvait ni en Europe, ni aux États-Unis, mais en Eurasie. Pour Pékin et Moscou, l’alliance anti-occidentale sert à marquer un nouveau siècle eurasiatique. Le chercheur a rappelé la prééminence de la théorie du « Heartland » en Russie.

M. Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER a défendu l’idée selon laquelle, quelle que soit l’issue du conflit, le président Poutine a déjà perdu. Les pertes humaines du côté russe s’élèvent, selon les estimations occidentales, à environ 6 000 morts. Les pertes matérielles liées aux problèmes de logistique, de rationnement et de ravitaillement laissent envisager une issue militaire incertaine. Le Kremlin manque de ressources tant humaines que politiques et financières. Le coût des sanctions et de l’isolement peut s’avérer irréversible pour Moscou. Vladimir Poutine a isolé son pays et a renforcé l’OTAN en miroir, en lui redonnant une raison d’être. Si l’enlisement se confirme, le risque est celui d’une montée aux extrêmes.

Face à cette situation, M. JEANGÈNE VILMER a mentionné quelques pistes d’actions visant à « gagner la guerre sans la faire » c’est-à-dire sans franchir le seuil de la cobelligérance. Il a proposé d’augmenter la pression économique en interdisant l’importation de gaz et de pétrole de Russie, comme l’ont fait les États-Unis et le Royaume-Uni, sans attendre de consolider une réponse collective au niveau européen. Militairement, la livraison d’armes anti-aériennes est de nature à limiter la capacité de bombardement de l’armée russe. Le soutien doit également s’accompagner d’un partage de renseignements et d’une aide à la société civile, le but étant d’informer la population russe et de contourner la censure instaurée par les organes gouvernementaux. Enfin, les sanctions doivent rester ciblées, graduelles et réversibles. En effet, si aucune issue n’est proposée, une fuite en avant est probable.

Puis, un échange de vues s’est engagé sur différents sujets : la résilience du système ukrainien, l’hypothèse d’une attaque sur le territoire polonais, la stratégie de Vladimir Poutine en Ukraine, et la situation en Russie.

[1] Région historique de l’Empire russe le long de la mer Noire et de la mer d’Azov.

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