Juin 2016

NOTE

sur

Les actes interruptifs de la prescription

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Allemagne - Espagne - Italie - Royaume-Uni

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Cette note a été réalisée à la demande de MM. François-Noël BUFFET, sénateur du Rhône, et François PILLET, sénateur du Cher

Ce document est extrait du rapport n° 636 (2015-2016) :

« Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière pénale »

fait au nom de la commission des Lois, par M. François-Noël BUFFET

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note est consacrée aux grands traits du régime applicable aux actes interruptifs de la prescription pénale dans quatre pays d'Europe : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni .

Elle s'intéresse aux dispositions contenues dans les équivalents du code pénal ou du code de procédure pénale, à l'exception des dispositions pénales qui figurent dans d'autres textes.

Elle n'évoque :

- ni les conditions de la suspension de la prescription, lorsqu'elles existent ;

- ni les conditions pratiques d'application des textes par la jurisprudence, dans le détail ;

- ni les délais de prescription 1 ( * ) .

Compte tenu des caractéristiques propres des procédures pénales allemandes, espagnoles et italiennes, on n'a pas harmonisé la traduction des différents actes judiciaires auxquels ces droits font référence, mais tenté, pour chacun d'entre eux, de donner un équivalent intelligible en français.

Après avoir rappelé l'état de la question en France, et présenté les conclusions tirées de l'analyse de ces exemples, cette note évoque successivement, lorsqu'il existe, pour chacun des trois États concernés, le régime des actes qui ont pour effet d'interrompre la prescription.

1. Le régime applicable en France

Le régime juridique applicable à l'interruption du délai de prescription de l'action publique actuellement en vigueur en France résulte des articles 7 à 9 du Code de procédure pénale qui détaillent respectivement ses modalités pour les crimes, les délits et les contraventions.

L'article 7 dispose « qu'en matière de crime [...] , l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite », précisant que « s'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite ».

Aux termes des articles 8 et 9 précités, la prescription en matière de délit et de contravention, « s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7 ».

Comme l'indique le Répertoire de droit pénal et de procédure pénale , « la prescription de l'action publique est interrompue par tout acte de poursuite ou d'instruction qui démontre la volonté de poursuivre du ministère public, voire de la partie civile, et vient dès lors contrecarrer l'un des fondements de la prescription : la sanction de l'inactivité ou de la négligence de la partie poursuivante » 2 ( * ) .

Après avoir noté que la Cour de cassation a défini comme des actes de poursuite ou d'instruction « ceux qui ont pour objet de constater une infraction, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs » 3 ( * ) , on évoquera :

- les actes de poursuites ;

- et les actes d'instructions.

• Les actes de poursuite : actes tendant à la mise en mouvement de l'action publique, instructions, demandes et réquisitions du ministère public

La doctrine définit l'« acte de poursuite » comme « tout acte d'exercice de l'action publique par le ministère public ou la partie civile ou encore pour donner une définition plus concrète, [...] dans tout acte saisissant une juridiction d'instruction ou de jugement » 4 ( * ) .

Figurent parmi les actes interruptifs :

- les actes tendant à la mise en mouvement de l'action publique (actes émanant du ministère public, actes émanant de la partie civile, plaintes et dénonciations préalables aux poursuites) ;

- les instructions, demandes et réquisitions du ministère public.

En revanche, une plainte adressée au procureur de la République ne constitue pas un acte de poursuite ou d'instruction et n'a pas d'effet interruptif 5 ( * ) , non plus qu'une plainte de l'administration fiscale.

• Les actes d'instruction

Constitue un acte d'instruction, « tout acte exécuté aux fins de rechercher la preuve et de parvenir à la manifestation de la vérité » 6 ( * ) . Il s'agit des actes du juge d'instruction, d'une part 7 ( * ) et, d'autre part, des actes auxquels la jurisprudence reconnaît ce caractère tels que les actes qui ont pour objet l'administration de la preuve (procès-verbaux des policiers, gendarmes, fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire...) 8 ( * ) .

2. Observations tirées des exemples étrangers

L'analyse de ces quatre exemples permet de montrer que :

- les actes susceptibles d'interrompre les délais de prescription sont des actes procéduraux importants effectués par l'autorité judiciaire car ils ont une incidence sur la liberté individuelle et la stabilité juridique ;

- afin d'identifier ces actes, certains États ont recours à une liste limitative, tandis que d'autres s'en remettent à l'appréciation du juge ;

- les actes interruptifs de prescription donnent lieu à une jurisprudence complexe.

• Les actes susceptibles d'interrompre les délais de prescription sont des actes importants effectués par l'autorité judiciaire

Les actes interruptifs de prescription sont des actes importants accomplis par l'autorité judiciaire ce qui conduit, dans trois des cas considérés, à les distinguer de la plainte et de la dénonciation.

Des actes importants, qui ont une incidence sur la procédure...

C'est précisément parce que ce sont des actes importants que le Tribunal constitutionnel espagnol relève que « la prescription pénale suppose une autolimitation de l'État au droit de punir [...] de sorte que seul le juge peut accomplir l'acte tenant à la mise en oeuvre de la procédure contre le coupable [...] », tandis que l'homologue espagnol de la Cour de cassation française estime que « c'est seulement lorsque les actes de procédure sont dotés d'un authentique contenu matériel que la prescription peut être considérée comme interrompue ».

Le législateur italien a également été sensible à la nécessité de restreindre le cercle des actes interruptifs à « ceux qui sont véritablement fondamentaux [...] ceux qui , eu égard à leur caractère objectif, [...] démontr [ ai ] ent par eux-mêmes l'intérêt de l'État pour l'application de la loi pénale », comme l'a relevé l'homologue italien de la Cour de cassation française (voir infra notice sur l'Italie).

Des actes accomplis par l'autorité judiciaire...

Si l'on fait abstraction de l'Espagne, qui reconnaît également (au même titre que les actes du juge) à la plainte et à la dénonciation un effet suspensif transitoire de six mois, dans les trois autres cas considérés, les actes interruptifs de prescription sont exclusivement accomplis par l'autorité judiciaire, qu'il s'agisse :

- de ceux appartenant à la liste dressée par le code pénal allemand ;

- et de ceux figurant dans l'inventaire établi par le code pénal italien, dont la jurisprudence de la Cour de cassation de Rome a souligné l'importance dans le déroulement de la procédure pénale.

On notera enfin que, compte tenu des circonstances de l'espèce, un juge britannique peut mettre un terme à une poursuite par trop tardive.

... à l'exclusion de la plainte et de la dénonciation

Si l'on fait abstraction de l'Angleterre, où l'absence de régime général de prescription fait que la question ne se pose pas, deux des trois autres États qui connaissent la prescription ne reconnaissent ni à la plainte ni à la dénonciation la valeur d'actes interruptifs, tandis qu'en Espagne, l'une et l'autre ne peuvent occasionner qu'une interruption limitée dans le temps (6 mois).

En Allemagne et en Italie, plainte et dénonciation ne revêtent pas le caractère d'acte interruptif, ni l'une ni l'autre ne figurant dans la liste limitative établie par la loi au moins depuis 1960 (Allemagne) et depuis 1989 (Italie).

En Espagne, en revanche, le législateur a trouvé un « point d'équilibre », entre la position de l'homologue de la Cour de cassation française - qui considérait que la plainte et la dénonciation pouvaient occasionner l'interruption - et celle du juge constitutionnel qui estimait que l'importance de ces actes était telle qu'ils devaient relever exclusivement du juge. L'article 132 du code pénal espagnol prévoit en effet, depuis 2010, que la prescription est suspendue dans le cas d'un délit, mais seulement pour six mois, par la plainte comme par la dénonciation. Du reste, plainte et dénonciation doivent avoir été formulées devant un juge et non devant un fonctionnaire de police.

• Ces actes ont une incidence sur la liberté individuelle et la stabilité juridique

Les actes interruptifs sont importants à raison :

- des conséquences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur les personnes concernées par la prescription, point mis en lumière par le Tribunal Constitutionnel espagnol qui souligne que « le simple écoulement du temps diminue la nécessité de la réponse pénale (selon une conception matérielle de la prescription), le fait d'infliger une peine manquant de sens parce que la collectivité et l'auteur du délit ou le crime, qui peut s'être transformé en une autre personne, auraient oublié celui-ci » ;

- de la nécessité de « garantir les droits de la personne poursuivie », afin « d'éviter que la jurisprudence n'élargisse de façon démesurée le cercle des actes interruptifs », comme le relève la Cour de cassation italienne.

- d'éviter que « l'on doi[ve] effectuer un acte juridictionnel d'enquête [...], pour parvenir au report, même s'il n'existe pas de besoin du fait de l'état de la procédure [...] » considérant qu'il est « particulièrement problématique [...] que la prescription puisse souvent être interrompue ad libitum [...] », selon l'exposé des motifs de la lois allemande de 1960 qui a inséré les dispositions en vigueur dans le code pénal de ce pays.

• Afin d'identifier ces actes, certains États ont recours à une liste limitative, tandis que d'autres s'en remettent à l'appréciation du juge

Sur les quatre exemples étudiés, deux sont caractérisés par le recours à l'établissement d'une liste, à savoir l'Allemagne, où cette liste figure dans le code pénal, et l'Italie, où la liste est inscrite dans le code pénal, complété par deux autres textes de moindre importance, concernant les juges de paix et le régime applicable à certaines infractions fiscales.

La Cour de cassation italienne semble s'être montrée soucieuse de respecter le caractère limitatif de cette liste, se limitant à considérer que les éléments y figurant pouvaient se référer à des « familles » d'actes, dont il lui appartenait de préciser l'étendue dans le respect du caractère limitatif de la liste dressée par le code (par exemple : « déclaration spontanée » à laquelle le code lui-même reconnaît des effets identiques à ceux de l'« interrogatoire » ; « ordonnance rendue suite à une opposition » appartenant à la catégorie du « jugement immédiat » et ordonnance de citation au jugement en appel, relevant de la catégorie des « citations pour jugement », pour ne prendre que les exemples identifiés au cours de la recherche).

Le tableau ci-dessous permet de comparer le contenu des deux listes respectivement établies en Allemagne et en Italie.

Code pénal allemand

Article 78c

Code italien

Article 160

- la première audition de la personne soupçonnée;

- la signification qu'une procédure d'instruction/d'enquête est ouverte contre cette personne ;

- l'ordonnance permettant de procéder à la première audition ou à cette signification du fait qu'une procédure d'instruction ou d'enquête est ouverte ;

- toute audition par le juge de la personne soupçonnée, et l'ordonnance qui y a trait ;

- le fait que le juge ou le procureur mandate un expert, lorsque la personne soupçonnée a été auditionnée préalablement ou que l'ouverture d'une procédure d'instruction à son encontre lui a été signifiée ;

- tout ordre judiciaire de saisie ou de perquisition ainsi que la décision judiciaire qui le(s) prolonge ;

- un mandat d'arrestation, un mandat d'internement, un mandat d'amener et les décisions judiciaires qui les prolongent ;

- l'ouverture de l'action publique ;

- l'ouverture de la procédure principale ;

- toute convocation à une « audience principale » ;

- l'ordonnance pénale rendue dans le cadre d'une procédure simplifiée s'appliquant aux infractions pénales sanctionnées par une amende ou une peine d'emprisonnement inférieure à un an, la condamnation définitive intervenant sans audience orale, ou une décision équivalente ;

- la clôture provisoire par le juge de la procédure à cause de l'absence de la personne mise en examen et toute ordonnance du juge ou du procureur, rendue après une telle décision de clôture ou dans la procédure contre la personne absente pour déterminer son lieu de séjour ou pour sécuriser des preuves ;

- la clôture provisoire de la procédure pour cause d'incapacité de la personne mise en examen à assister à l'audience et toute ordonnance du juge ou du procureur, rendue après une telle décision de clôture pour vérifier sa capacité à assister à l'audience ;

- et toute demande du juge de procéder à un acte d'enquête à l'étranger.

- la « sentence de condamnation » ;

- l'« ordonnance de condamnation » rendue sans contradictoire, à la demande du ministère public, quand la seule sanction est une peine d'amende ;

- l'ordonnance qui soumet une personne à diverses mesures limitant la liberté individuelle afin de protéger des preuves, d'éviter la fuite ou la commission d'un délit ;

- l'ordonnance du juge qui valide l'arrestation décidée par le ministère public ;

- l'interrogatoire devant le ministère public ou le juge ;

- l'invitation à se présenter au ministère public pour un interrogatoire ;

- la mesure prise par le juge pour la fixation de l'audience dans la chambre du conseil relative à la demande d'archivage du dossier ;

- la demande de « renvoi pour jugement » formulée par le procureur auprès du juge ;

- l'ordonnance qui fixe le jour de l'audience préliminaire ;

- l'ordonnance relative au « jugement abrégé » ;

- l'ordonnance, prise au cours de l'enquête préliminaire, qui fixe l'audience relative à la décision sur la demande d'application de la peine ;

- la présentation ou la citation d'une personne à un juge, par le ministère public, dans le cadre d'une procédure consécutive à un flagrant délit ;

- l'ordonnance relative au « jugement immédiat » lorsqu'existent des preuves évidentes ;

- l'ordonnance de jugement rendue dans une audience préliminaire ;

- et l'ordonnance de « citation pour jugement » prise par le procureur.

• Les actes interruptifs de prescription donnent, par nature, lieu à une jurisprudence complexe, que l'on ait recours à une liste et plus encore en l'absence de celle-ci

Résultant de la souveraine appréciation du juge en Angleterre, la question de la prescription est entourée, dans au moins deux des autres cas étudiés 9 ( * ) , d'une importante jurisprudence que cette étude ne fait qu'effleurer, mais dont il résulte cependant que figurent parmi les sujets évoqués devant les juridictions :

- la nature des actes qui peuvent être assimilés aux actes interruptifs de prescription lorsqu'existe une liste fermée, établie par le législateur (Italie, Allemagne) ;

- la nature, le contenu et l'importance des « actes judiciaires » désignés par la loi comme étant de nature à interrompre la prescription en l'absence de liste déterminée par le législateur (Espagne) ;

- la valeur d'actes qui ne résultent pas du juge, tels la plainte et la dénonciation lorsqu'il n'existe pas de liste (Espagne) ;

- la date de ces actes (entendue comme celle de leur enregistrement par le juge, en Espagne) ;

- l'effet des actes effectués auprès de la police ou auprès du parquet (Espagne, où la jurisprudence majoritaire semblerait leur dénier l'effet interruptif) ;

- et la nécessité d'éviter que l'abstention du juge ou sa « plus ou moins grande diligence », pour reprendre les termes de l'homologue espagnol de la Cour de cassation française, n'ait d'effet sur l'application du principe de prescription en permettant d'en repousser le cours sans limite, contrairement à l'intention du législateur.


* 1 Sur ces délais, voir l'étude du Bureau du droit comparé du service des Affaires européennes et internationales du ministère de la Justice publiée en annexe 1 au rapport d'information n° 2778, présenté par MM. Alain Tourret et Georges Fenech, députés.

* 2 Maud Léna, « Interruption de la prescription de l'action publique » - Répertoire de droit pénal et de procédure pénale - Dalloz.

* 3 Cass. crim. 9 mai 1936, DH 1936. 333 : l'arrêt n'a pu être consulté dans sa version originale. Cette référence est tirée du Rapport d'information n° 338 (2006-2007) de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, fait au nom de la commission des lois et de la mission d'information de la commission des lois du Sénat, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent , déposé le 20 juin 2007.

* 4 S. Guinchard, J. Buisson Procédure Pénale , 10 e éd., Lexis Nexis, 2014, p. 815.

* 5 Cass. crim. 11 juillet 2012, n° 11-87.583 : « Attendu qu'une plainte adressée au Procureur de la République ne constitue pas un acte de poursuite ou d'instruction et n'a pas d'effet interruptif de la prescription de l'action publique ».

* 6 S. Guinchard, J. Buisson, Procédure Pénale ; op . cit ., p. 820.

* 7 J. Pradel, Procédure pénale , Cujas référence, cité par Jean-Paul Doucet, Dictionnaire de droit criminel , édition 2015, http://ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire ).

* 8 S. Guinchard et J. Buisson, op . cit . p. 820.

* 9 La recherche n'a pas été effectuée sur la jurisprudence allemande.

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