Étude d'impact au format PDF (48 Koctets)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

--------

Ministère des affaires étrangères

et européennes

--------

PROJET DE LOI

autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l'île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants

NOR : MAEJ1114321L/Bleue-1

-----

ÉTUDE D'IMPACT

1. SITUATION EXISTANTE ET OBJECTIFS DE L'ACCORD

1.1 Situation existante

Située dans l'Océan Indien au nord ouest de la Réunion et de Maurice, à 560 kilomètres des côtes de la Réunion et 450 kilomètres de celles de Madagascar, l'île de Tromelin dont les dimensions n'excèdent pas 1,5 km de longueur sur 0,7 km de largeur et dont l'altitude maximum est de 7 mètres, habitée seulement par des missions scientifiques ou météorologiques, dépourvue d'eau potable et balayée par des alizés qui rendent toute culture impossible, ne peut être abordée que dans des conditions particulièrement difficiles.

L'île comme la vaste zone économique exclusive (ZEE) qui l'entoure fait l'objet d'un contentieux de souveraineté entre la France, qui l'occupe effectivement et assure le contrôle de la ZEE, et Maurice, qui la revendique et délivre des licences de pêche pour sa propre ZEE incluant celle, mitoyenne, de Tromelin, ce qui occasionne épisodiquement des tensions entre les deux pays.

1.1.1 : l'îlot

La partie terrestre de l'îlot ne présente pas véritablement d'intérêt économique. Elle abrite une station météorologique et les équipes chargées de l'entretenir, station que Météo France souhaite automatiser.

Bien que ne représentant qu'un kilomètre carré, cet îlot accueille une forte population de tortues vertes qui viennent se reproduire chaque année et abrite deux populations d'oiseaux marins, les fous à pieds rouges et les fous masqués, protégés par le droit français et classés par certaines conventions internationales. Ces animaux font l'objet d'études spécifiques menées par des laboratoires de recherche réunionnais.

Très basse sur l'eau et mal cartographiée cette île, à l'instar des autres îles Éparses, a connu de nombreux naufrages. Le plus célèbre est probablement celui de l'Utile en 1761.

Trois campagnes de fouilles ont été menées en 2006, 2008 et 2010 sur l'épave de ce navire qui transportait en contrebande, vers Maurice (alors île de France) des esclaves originaires de Madagascar et le camp établi par les naufragés. Elles ont permis de mettre à jour d'importants vestiges de cette tragique histoire. Ces fouilles, autorisées par le préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) 1 ( * ) ont été réalisées par le groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), sous l'égide de l'Unesco, avec le concours de l'institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).

1.1.2 Les espaces maritimes environnants

Jusqu'à l'intégration de Tromelin dans les TAAF en 2007 les navires français pouvaient y pêcher librement. Ils doivent désormais solliciter l'octroi d'une licence délivrée gratuitement par les TAAF. Dans les faits, seuls quelques palangriers réunionnais de 24 mètres y pêchent parfois à l'occasion d'un transit vers le canal du Mozambique.

Les TAAF n'accordent aucune licence à des armements tiers.

Maurice délivre de son côté à des navires asiatiques des licences portant sur l'ensemble de sa ZEE, y compris celle qu'elle revendique au titre de Tromelin. L'arraisonnement par la marine nationale en octobre 2004 de deux bateaux japonais munis de ces licences a occasionné une vive tension. Depuis lors, Maurice délivre toujours des licences de pêche pour l'ensemble de sa ZEE, mais y mentionne par précaution que la ZEE de Tromelin est une zone de souveraineté contestée, ce qui dissuade les navires étrangers d'y pêcher.

Les eaux sous souveraineté et la ZEE accueillent des populations migratrices de thonidés susceptibles d'exploitation et certaines autres espèces protégées (requins, mammifères marins) menacées par la pêche illégale comme c'est également le cas dans les zones maritimes adjacentes. Il est avéré que nombre de palangriers notamment asiatiques, pratiquent dans toute cette aire marine une pêche ciblant prioritairement les requins, sous couvert d'une pêche aux thonidés. Quatre navires asiatiques et un navire portugais en infraction à ce titre ont été arraisonnés en 2010 par la marine malgache dans la partie de sa ZEE contigüe de celle de Tromelin.

1.2 Objectifs de l'accord

L'objectif poursuivi est prioritairement politique et vise à dépasser le contentieux de souveraineté franco mauricien par l'adoption d'une approche partenariale dans trois domaines spécifiques : environnement, archéologie et pêche.

1.2.1 Souveraineté

Il ne saurait être question que la France renonce à la souveraineté sur Tromelin non seulement sur le principe mais aussi parce que cela pourrait avoir un impact sur les autres différends relatifs à des possessions françaises d'outre-mer, en particulier celui avec Madagascar à propos des îles Eparses situées dans le canal du Mozambique.

Il ne saurait en tout état de cause être question que la France s'engage dans une procédure faisant intervenir un tiers (médiation ou procédure arbitrale ou juridictionnelle). C'est pourquoi a été privilégié un projet de cogestions sectorielles et géographiquement circonscrites qui a abouti à l'accord signé avec Maurice le 7 juin 2010.

Pour fonder sa souveraineté originaire sur le récif de Tromelin, la France invoque en premier lieu et de manière continue le titre de la découverte géographique en 1722 de ce territoire sans maître.

La France a multiplié les actes de souveraineté et d'administration sur cet îlot dès avant l'indépendance de Maurice (station météorologique en 1954, décret du 1/1/1960 plaçant l'île sous l'autorité du Ministre chargé des Départements d'Outre-mer) sans protestation britannique.

La France occupe effectivement et continuellement Tromelin depuis le 7 mai 1954, date d'installation des équipes françaises de Météo France qui y séjournent depuis de façon permanente sous l'autorité du préfet de la Réunion puis du préfet des TAAF. La France entend poursuivre cette politique de présence permanente lorsqu'elle ne sera plus assurée par Météo France (cf. par.2.2).

Tromelin, comme les îles Eparses du canal du Mozambique, est désormais explicitement mentionnée comme partie du territoire national à l'article 14 de la loi 2007-224 du
21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer 2 ( * ) . Ces îles y sont désignées comme parties constitutives des Terres australes et antarctiques françaises, elles mêmes citées à l'article 72-3 de la Constitution.

Maurice estime que le Traité de Paris du 30 mai 1814 par lequel la France cédé à la Grande-Bretagne l'Ile Maurice et ses dépendances incluait Tromelin et qu'elle en est entrée en possession lors de son accession à l'indépendance en 1968. Maurice revendique officiellement cet îlot depuis le 2 avril 1976. La France rejette l'argumentation mauricienne.

Devant la persistance du différend et compte tenu du caractère limité des enjeux économiques actuels, la France a privilégié une approche bilatérale en vue de rechercher un compromis. La négociation a abouti à l'accord signé avec Maurice le 7 juin 2010.

Il permet d'apaiser un irritant d'une relation franco-mauricienne par ailleurs excellente et pourrait ouvrir la voie à des accords similaires avec Madagascar sur les îles Éparses du canal du Mozambique.

1.2.2 Cogestions sectorielles

Trois domaines prioritaires ont été identifiés et des conventions d'application jointes à l'accord cadre ont été adoptées pour en préciser le contenu et la portée.

Celle relative à la cogestion en matière environnementale vise à renforcer la concertation entre les experts français et mauriciens en vue de l'établissement d'un état des lieux environnemental et d'un schéma directeur de l'environnement qui pourraient conduire le cas échéant à la création d'une ou plusieurs aires marines protégées. Cette coopération vise également à l'adoption d'un plan de lutte contre les déversements d'hydrocarbures.

La convention d'application relative à la cogestion en matière archéologique poursuit le même objectif et la coopération dans ce domaine a été amorcée. Un archéologue mauricien a été associé à la première phase de la deuxième campagne de fouille. Cette collaboration avec Maurice n'a pu être reconduite en 2010 pour des raisons de calendrier. Une archéologue malgache était présente lors de cette dernière opération. La mission 2010 a aussi mis à jour les vestiges d'un autre campement postérieur au naufrage de l'Utile. Pour l'instant l'origine de ce campement n'est pas élucidée.

Celle concernant la cogestion des ressources halieutiques vise à la mise en oeuvre d'une politique commune de pêche durable dans les espaces maritimes environnant de l'île de Tromelin, définie par le comité de cogestion franco mauricien. Ce comité déterminera sur la base des recommandations des experts les totaux admissibles de captures et arrêtera la liste des navires de pêche français, mauriciens et tiers autorisés à exercer leurs activités dans la zone. Ce dispositif vise à mieux contrôler le processus de délivrance des licences de pêche par les deux parties pour éviter toute forme de contentieux et à maîtriser plus efficacement la pêche illicite d'espèces protégées.

Cet accord et ses trois conventions d'application présentent en outre l'avantage de prévoir des démarches franco mauriciennes conjointes auprès d'organisations régionales et internationales :

- pour les questions environnementales auprès de la Commission de l'Océan Indien (COI), de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique et du programme des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

- pour les questions d'archéologie auprès de l'Unesco

- pour les questions de pêche, auprès de la Commission thonière de l'Océan indien et de la COI et de l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture.

2. CONSEQUENCES ESTIMEES DE LA MISE EN OEUVRE DE L'ACCORD ET DE SES TROIS PREMIERES CONVENTIONS D'APPLICATION

2.1 Conséquences économiques

Elles concernent principalement le domaine de la pêche seul susceptible de générer quelques ressources. Les dispositions relatives aux droits de propriété intellectuelle sur les études produites comme sur les questions relatives à la brevetabilité du vivant sont encadrées de précaution renvoyant à des études ultérieures et au droit applicable par chacune des parties et peu susceptibles de générer des ressources.

La convention d'application pour la cogestion des ressources halieutiques a pour objectif d'arrêter conjointement la liste des navires autorisés à pêcher dans la ZEE de Tromelin. Elle préserve les droits de pêche gratuits des armements français, mais ouvre à parité des droits équivalents aux armements mauriciens et, contre paiement de droits, à des armements battant pavillon d'un pays tiers à l'accord. Le comité de cogestion est chargé de déterminer la répartition de ces recettes entre la France et Maurice. Des garanties sont prises pour éviter une surpêche (évaluation des stocks, plan de gestion).

La faculté des armements français à solliciter des licences de pêche gratuites n'a cependant été utilisée que de manière très anecdotique par les navires basés à La Réunion transitant par la zone car les distances à couvrir sont dissuasives pour des navires de la taille de la majeure partie de la flottille réunionnaise Les thoniers senneurs français, quant à eux, ne fréquentent pas ce secteur qui est réputé pour la présence de thon germon, une espèce insuffisamment rémunératrice semble-t-il pour ces armements. Pour 2010 comme pour 2011, les TAAF n'ont enregistré aucune demande de licence de pêche pour Tromelin.

Maurice, de son côté, délivrait contre rétribution des licences de pêche à des navires étrangers valables pour la totalité de sa ZEE y compris Tromelin puisqu'elle revendique sa souveraineté sur l'îlot. Ces licences mentionnent depuis 2004 que la zone entourant Tromelin est contestée et les indices recueillis par les TAAF indiquent une activité de pêche faible voire nulle.

En conclusion la ZEE de Tromelin ne génère actuellement aucune recette publique, ni pour la France, ni pour Maurice au titre de la délivrance de licences de pêche à quelqu'armement que ce soit.

2.2. Conséquences financières

L'entrée en vigueur de l'accord obligera à mobiliser chaque année les membres de la délégation française au comité de cogestion sous la direction du préfet des TAAF, occasionnant des charges entrant dans le budget ordinaire de fonctionnement de cette collectivité territoriale. Les recettes résultant de la délivrance d'une licence à un armement tiers, sont actuellement nulles pour la France qui n'en concède pas et pour Maurice qui s'en abstient (cf. supra). Les frais générés par les études liées à la mise en place de plans d'actions écologiques ou d'évaluation de la biomasse halieutique (qui figurent parmi les objectifs de l'accord) entrent dans le périmètre naturel d'action des TAAF et donc dans leurs dépenses habituelles. Les contributions de Maurice et les recettes partagées de pêche constitueront donc des appoints financiers supplémentaires.

Le maintien d'une présence permanente française après le départ des équipes de Météo France résulte du choix de maintenir notre affirmation de souveraineté et entraîne des coûts qui demeureront constants mais qui feront l'objet d'une répartition nouvelle au sein de l'Etat : entre les TAAF, le ministère de l'Outre-mer, Météo France, le ministère de la Défense et la direction générale de l'aviation civile (DGAC) en liaison avec l'agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA).

Les dispositions envisagées pour développer une politique de surveillance adéquate des zones visées, en liaison, le cas échéant, avec la Commission de l'Océan Indien, ressortent des activités normales du Comité de cogestion et n'entraînent pas de surcoût.

L'exercice de la surveillance des pêches n'entre pas dans le périmètre de la cogestion. Il se fera à moyens constants par la France. L'accord prévoit toutefois un accroissement de la coopération dans ce domaine.

La poursuite, avec la collaboration d'experts mauriciens, des travaux archéologiques, des études en matière environnementale et des productions intellectuelles en découlant n'entraîne pas de surcoût. Trois opérations de fouilles ont été réalisées sur l'île de Tromelin. Cette série d'opérations est achevée. L'exploitation des données récoltées a occasionné la publication d'un ouvrage scientifique par Max Guérout et d'un ouvrage de vulgarisation grand public (« Les oubliés de Tromelin » par Irène Frain). Les artefacts restaurés et conditionnés ont été présentés au public à l'occasion d'une exposition. D'autres opérations de valorisation de ces connaissances pourront être organisées sous réserve que des financements publics ou privé, nationaux ou étrangers, soient obtenus.

En matière environnementale, le ministère en charge de la recherche et le ministère en charge de l'écologie financent les études menées sur les différentes espèces animales et végétales et continueront de le faire. En matière archéologique les opérations de fouilles sont en phase décroissante et celles d'exploitation des résultats (publications, expositions) devraient s'autofinancer.

2.3. Conséquences administratives

La mise en oeuvre de l'accord n'entraîne pas de conséquences administratives spécifiques, le Préfet des TAAF continuant à exercer ses prérogatives. Il disposera en tant que de besoin des services déconcentrés de l'Etat avec lesquels des conventions particulières seront prises pour accompagner l'administration dans la mise en oeuvre des dispositions de l'accord. Le coût principal lié au maintien de la mission régalienne de présence à terre, qui demeure strictement nationale, fait l'objet de concertations entre administrations afin de trouver les voies et moyens, principalement financiers, pour en garantir la pérennité (cf. supra).

Formellement le préfet des TAAF conserve la capacité régalienne de valider l'octroi de licences de pêche dans la ZEE de Tromelin puisqu'une disposition de l'article 8 de la convention d'application pêche stipule que la partie française notifiera aux autorités mauriciennes la liste des navires mauriciens, français et tiers que le comité de cogestion aura validée. Les modalités de la cogestion des ressources marines vivantes et de l'octroi des licences de pêche seront préalablement arrêtées conjointement au sein de ce comité. Les zones sud de la ZEE de Tromelin, non couvertes par l'accord, demeurent sous juridiction française.

2.4. Conséquences juridiques

La question de la souveraineté a constitué l'enjeu majeur de la négociation et a rendu celle-ci longue et difficile. La France et Maurice revendiquant chacune la souveraineté sur l'île sans possibilité de concession, il s'agissait de sortir de l'impasse en substituant une approche coopérative à l'expression stérile de désaccords. La solution trouvée par la France a consisté à proposer à Maurice un cadre juridique qui lui permette de travailler avec elle à Tromelin et dans les eaux adjacentes, tout en assurant la neutralité de l'accord au regard du différend sur la souveraineté opposant la France et Maurice : aucun des deux Etats ne renonce ainsi à ses revendications territoriales mais les deux acceptent néanmoins de travailler ensemble dans des secteurs déterminés en commun. Tel est le sens de l'article 2 de l'accord-cadre 3 ( * ) , qui a été repris intégralement dans chacune des trois conventions d'application. La souveraineté de la France sur Tromelin est ainsi formellement réservée : cet article présente l'avantage pour la France de consacrer le statu quo, bloquant ainsi toute velléité de Maurice de tirer argument de cet accord pour asseoir sa souveraineté sur l'île.

La convention sur la cogestion de la recherche archéologique sur l'île s'assimile à une simple convention de coopération qui n'a pas d'implication en matière de souveraineté et qui est par ailleurs liée à un projet ponctuel par essence limité dans le temps (campagne de fouilles de 2010 et exploitation de ses résultats). Il en est de même pour la convention sur la cogestion en matière environnementale, qui vise deux objectifs spécifiques (réalisation d'un état des lieux environnemental et élaboration d'un schéma directeur de gestion de l'environnement de l'île) relevant de la coopération ordinaire entre Etats : la mise en oeuvre du schéma directeur relève des administrations nationales (article 11 : « Les parties prennent les mesures d'application nécessaires à la mise en oeuvre prompte et effective de la présente convention conformément à leur droit interne ») selon des modalités d'ailleurs non précisées.

La convention sur la cogestion des ressources halieutiques dans les espaces maritimes environnants de l'île est plus ambitieuse : il s'agit de mettre en oeuvre une politique commune de la pêche dans des espaces maritimes qui incluent la mer territoriale, où, selon la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, s'exerce la souveraineté entière de l'Etat côtier. Rien n'empêche la France de gérer avec un autre Etat les ressources halieutiques se trouvant en partie dans sa mer territoriale, comme elle l'a fait dans l'Accord franco-britannique relatif à la pêche dans la Baie de Granville signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000. L'accord-cadre institue un régime de cogestion sectorielle, où certaines compétences dans des domaines bien spécifiés sont mises en commun, sans que cela puisse être interprété comme l'acceptation par la France d'un partage avec les autorités mauriciennes de l'ensemble des attributs de la souveraineté sur l'île de Tromelin. D'autre part, la France ne pourra se voir imposée une décision dès lors qu'elle participe au consensus nécessaire. Ainsi, l'accord ne porte pas atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté.

Les compétences dans les domaines de la pêche, de l'archéologie et de la préservation des milieux naturels seront exercées conjointement dans le cadre du Comité de cogestion où les délégations françaises et mauriciennes siègeront à parité et prendront conjointement des décisions qui ne seront applicables que si elles sont consensuelles.

Dès lors que l'autorité administrative ne pourra délivrer de licences qu'après décision conjointe avec Maurice, le présent accord établit un régime d'autorisation spécifique pour l'activité de la pêche dans cette zone et porte donc sur une matière législative. Ce régime d'autorisation est en effet différent de celui institué par l'article L. 981-4 du code rural et de la pêche maritime.

Certaines modifications devront être apportées au décret n° 2009-1039 du 26 août 2009 relatif aux conditions d'exercice de la pêche maritime dans les TAAF 4 ( * ) qui confère au préfet administrateur supérieur des TAAF le pouvoir d'attribuer toute licence dans une ZEE des TAAF . L'accord prévoit en effet que les licences de pêches attribuées aux navires battant pavillon mauricien seront délivrées par l'autorité mauricienne, après que le Préfet des TAAF leur aura notifié la liste des navires autorisés à pêcher établie par le comité de cogestion. Même si dans les faits aucun navire mauricien n'est susceptible d'user de cette faculté, le point de droit administratif demeure et doit être traité.

Les stipulations de l'accord sont pleinement compatibles avec les dispositions de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton, modifiée. D'un point de vue statutaire l'île de Tromelin appartient en effet au territoire des Terres australes et antarctiques françaises, régi par la loi du 6 août 1955 et qui place le territoire sous l'autorité d'un représentant de l'Etat, chef du territoire qui a le nom d'administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises. L'article 2 de l'accord spécifie que : « les Parties conviennent que rien ne peut être interprété comme un changement de la position française en ce qui concerne (...) des compétences territoriales et maritimes sur l'île de Tromelin ».

L'accord et ses annexes n'emportent pas de conséquences juridiques sur le droit européen car Tromelin, comme d'ailleurs l'ensemble des TAAF, ne relèvent pas du champ d'application des traités relatifs à l'Union européenne.

L'accord s'articule parfaitement avec les autres instruments internationaux auxquels la France et Maurice sont parties :

- La France et Maurice ont ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM 5 ( * ) ), respectivement le 11 avril 1996 et le 4 novembre 1994. L'accord cadre fait expressément référence dans les visas à la CNUDM et spécialement à ses articles 61 (conservation des ressources biologiques dans la ZEE), 73 (mise en application des lois et règlements de l'Etat côtier dans la ZEE), ainsi qu'à sa Partie XII (protection et préservation du milieu marin). Il comporte par ailleurs un article 11 précisant qu'  « aucune disposition du présent accord ne porte atteinte aux engagements internationaux en vigueur entre les deux parties ou entre l'une d'elle et un ou plusieurs Etats tiers ». De fait, aucune disposition de l'accord cadre n'est contraire à la CNUDM et ne diminue en quoi que ce soit les droits de la France. L'article 4 de l'accord cadre précise même que le schéma directeur définissant les mesures de gestion des écosystèmes à établir en commun par les deux parties doit être compatible avec la Partie XII de la CNUDM. La convention elle-même encourage la coopération entre Etats, y compris sa partie XII: « les Etats prennent, séparément ou conjointement , toutes les mesures compatibles avec la Convention qui sont nécessaire pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin... » (Art. 194.1).

- Il en va de même pour l'« accord sur les stocks chevauchants », soit l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au delà des zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs, adopté le 4 août 1995 6 ( * ) , auquel la France et Maurice sont parties (France : 11 avril 1996 ; Maurice : 4 novembre 1994) et qui est également compatible avec l'accord cadre. Il encourage les Etats concernés à conclure des accords entre eux, voire des arrangements provisoires en attendant la conclusion d'accords définitifs et son article 7 parle même dans certains cas d'une « obligation de coopérer ». Il est mentionné expressément dans les préambules tant de l'accord-cadre que de la convention d'application portant sur la cogestion des ressources halieutiques.

Les trois conventions d'application prennent chacune la précaution de préciser qu'aucune de leur disposition « ne porte atteinte aux engagements internationaux en vigueur entre les parties ou entre l'une d'elles et un ou plusieurs Etats tiers ». Elles tendent toutes les trois à une coopération et à des échanges d'information qui figurent parmi les objectifs premiers de la CNUDM et de l'accord sur les stocks chevauchants.

2.5. Conséquences environnementales

Aux termes de l'accord, toute activité susceptible d'avoir un impact environnemental devra faire l'objet d'une étude du Comité de cogestion, lui-même chargé de concevoir :

- un état des lieux environnemental ;

- un schéma directeur de gestion de l'île et de ses espaces maritimes ;

- une évaluation des stocks halieutiques.

A moyen et long terme, la protection de l'environnement marin, la conservation et la promotion de la biodiversité terrestre et marine (article 3a) et la gestion durable de la ressource halieutique (article 3b) devraient s'en trouver renforcées.

Les travaux du comité de cogestion sur ces sujets seront présentés conjointement auprès des organisations internationales compétentes.

3. HISTORIQUE DES NÉGOCIATIONS

Les négociations franco-mauriciennes sur Tromelin se sont déployées sur 20 ans. La visite du Président MITTERRAND à Maurice en juin 1990 avait permis de s'entendre sur la nécessité de conduire des « entretiens franco-mauriciens sur Tromelin ». Une première réunion d'experts à Paris le 17 décembre 1990, s'était conclue sur le constat de notre différend. Un entretien des Premiers ministres JUGNAUTH et BALLADUR en juin 1994 avait cependant permis de confirmer la volonté de deux parties de traiter ce différend dans un cadre bilatéral.

La seconde réunion d'experts à Port Louis le 14 mars 1995, avait donné l'occasion à la partie mauricienne de faire part du renoncement du gouvernement mauricien à revendiquer Tromelin. Un communiqué commun établi à l'issue de la réunion précisait que « sans préjudice » de leurs positions respectives, les délégations avaient examiné les projets « concrets » de coopération dans les domaines « des ressources halieutiques, de la météorologie et de la connaissance des espèces animales protégées ». Ces travaux non conclusifs ont été relancés après le deuxième sommet des chefs d'Etat de la Commission de l'Océan Indien (COI) en décembre 1999 qui a décidé que les Etats membres concernés définiraient les modalités de cogestion de « zones de contrôle » relatives à certaines îles de l'Océan Indien et à la délimitation et au contrôle des ZEE qui leur sont attachées.

En application de cette déclaration, des propositions de cogestion ont été présentées par la France à la partie mauricienne à l'occasion du 18 ème conseil des ministres de la COI en février 2002. Le ministre mauricien des affaires étrangères a alors fait part du souhait de son gouvernement que la cogestion scientifique soit complétée d'un volet concret avec « intéressement » de la partie mauricienne notamment pour la pêche, ce que le Premier ministre JUGNAUTH confirmait lors de sa visite en France en février 2004.

En juin 2008, un entretien entre le Président SARKOZY et le Premier ministre RAMGOOLAM débouche sur la décision de parvenir rapidement à un accord.

Trois réunions de travail franco-mauriciennes sont alors organisées en décembre 2008, octobre 2009 et février 2010 pour parvenir à des textes faisant l'objet d'un consensus. En octobre 2009, une première version de l'accord cadre, sur la base d'une proposition mauricienne amendée par la partie française, est agréée. La partie française remet à la partie mauricienne ses propositions de texte pour trois conventions d'application. En février 2010 les deux délégations s'entendent pour arrêter le texte définitif de l'accord cadre et des trois conventions d'application qui sont paraphés par les deux chefs de délégation. Des échanges ultérieurs, par voie diplomatique permettent d'établir la carte et les limites extérieures de la zone d'application de l'accord. Le Secrétaire d'Etat à la coopération, M. JOYANDET, et le ministre des Affaires étrangères mauricien, M. Arvin BOOLEL signent l'accord à Port Louis le 7 juin 2010.

Le Conseil consultatif des TAAF a été consulté sur l'accord et y a donné un avis favorable lors de sa séance du 22 mars 2011.

4. ETAT DES SIGNATURES ET RATIFICATIONS

A ce jour, les autorités mauriciennes n'ont pas notifié l'accomplissement de procédures requises pour l'entrée en vigueur de cet accord.


* 1 Voir le décret n° 2008-919 du 11 septembre 2008 pris pour l'application du statut des Terres australes et antarctiques françaises : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D8E8861A2007647756BB4545384D80C8.tpdjo16v_1?cidTexte=JORFTEXT000019463499&categorieLien=id

* 2 Loi 2007-224 du 21 février 2007 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D8E8861A2007647756BB4545384D80C8.tpdjo16v_1?cidTexte=JORFTEXT000000641099&categorieLien=id

* 3 « Les parties conviennent de ce qui suit :

a) rien dans le présent accord ni aucun acte en résultant ne peut être interprété comme :

1) un changement de la position de la République de Maurice en ce qui concerne la question de la souveraineté ou des compétences territoriales et maritimes sur l'île de Tromelin et les espaces maritimes environnants ;

2) un changement de la position de la République française en ce qui concerne la question de la souveraineté ou des compétences territoriales et maritimes sur l'île de Tromelin et les espaces maritimes environnants ;

3) la reconnaissance ou le soutien de la position de la République de Maurice ou de la République française en ce qui concerne la question de la souveraineté ou des compétences territoriales et maritimes sur l'île de Tromelin et les espaces maritimes environnants ;

b) aucun acte ou activité de la République de Maurice ou de la République française ou de toute tierce partie résultant du présent accord et de sa mise en oeuvre ne constituera une base pour affirmer, soutenir ou rejeter la position de la République de Maurice ou de la République française en ce qui concerne la question de la souveraineté ou des compétences territoriales et maritimes sur l'île de Tromelin et les espaces maritimes environnants. »

* 4 Décret n° 2009-1039 du 26 août 2009 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D8E8861A2007647756BB4545384D80C8.tpdjo16v_1?cidTexte=JORFTEXT000021003088&categorieLien=id

* 5 Texte sur le site de la Division des affaires maritimes et du droit de la mer de l'ONU ( http://www.un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm ) ; voir aussi le décret de publication n° 96-774 du 30.08.1996, JORF du 07.09.1996, page 13307, ainsi qu'à la Documentation française, les Notes et études documentaires n° 4703,1983

* 6 Texte à l'adresse http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N95/274/68/PDF/N9527468.pdf?OpenElement ; voir aussi le décret de publication n° 2004-215 du 08.03.2004, JORF du 13.03.2004, page 4926

Page mise à jour le

Partager cette page