EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une première prise de conscience forte de la dangerosité des dérives sectaires s'est produite dans notre pays dans les années 90 avec la tragédie de l'Ordre du Temple solaire.

Plusieurs commissions d'informations parlementaires ont également fait un important travail d'analyse, de sensibilisation et d'alerte face aux risques du phénomène sectaire.

La loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, dite About-Picard, est venue renforcer l'arsenal législatif, en réprimant notamment l'abus de faiblesse par sujétion psychologique. L'apport de cette loi a été considérable pour structurer les efforts des pouvoirs publics dans la lutte contre les conséquences dommageables des agissements des mouvements sectaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté de conscience.

Mais, depuis une dizaine d'années, les dérives sectaires ont évolué : aux groupes à prétention religieuse viennent désormais s'ajouter une multitude de groupes ou d'individus qui investissent, notamment, les champs de la santé, de l'alimentation et du bien-être, mais aussi le développement personnel, le coaching, la formation, etc.

La crise sanitaire a constitué un terreau idéal à ces nouvelles dérives sectaires. De nouvelles formes de « gourous » ou maîtres à penser autoproclamés agissent en ligne, mettant à profit la vitalité des réseaux sociaux pour fédérer autour d'eux de véritables communautés.

L'augmentation du nombre de signalements enregistrés par de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) corrobore ce constat. En 2021, 4020 signalements ont été enregistrés, un record. Ce chiffre est en augmentation constante depuis plusieurs années : + 33 % entre 2020 et 2021, + 86 % depuis 2015.

Face à ce phénomène aux contours encore trop méconnus et qui concerne toutes les catégories sociales, tous les âges et tous les milieux, il revient à l'État, dans le respect de la liberté de conscience, de protéger ses citoyens, particulièrement les plus vulnérables, des risques physiques, psychologiques, sanitaires, sociaux, financiers que portent les dérives sectaires et d'agir fermement contre ceux pour qui l'emprise mentale est souvent un fonds de commerce avant de devenir un moyen discret pour se livrer à de nombreux abus. L'État doit montrer sa détermination à aider les victimes et à combattre ce phénomène qui ronge le lien social.

La lutte contre les dérives sectaires passe, en tout premier lieu, par une meilleure prévention des risques, la formation des acteurs et une information plus large de nos concitoyens. Il est également nécessaire d'améliorer l'accompagnement de proximité des victimes et favoriser la libération de la parole. Afin de s'adapter à l'évolution du phénomène sectaire, une révision de notre cadre juridique apparaît nécessaire.

Partant de ce constat, le gouvernement a réuni les premières « assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires » les 9 et 10 mars derniers, afin de dresser un état des lieux de la menace face à la recrudescence et à la diversification des dérives sectaires, sous l'effet conjugué de la crise sanitaire et de l'essor du numérique, et d'adapter la réponse de l'État.

Ces assises nationales ont réuni plus de 200 acteurs : les services concernés de l'État, des partenaires institutionnels, des membres du Parlement, du Gouvernement, des représentants du monde associatif ainsi que des acteurs nationaux et européens, experts et personnalités qualifiées. L'accompagnement des victimes en a constitué un fil rouge. Plusieurs d'entre elles se sont exprimées sur la réalité de l'emprise sectaire et leurs conséquences.

De ces assises nationales sont issues des propositions ambitieuses pour mieux lutter contre le phénomène sectaire, dont plusieurs de nature législative. Ces propositions ont nourri le présent projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, lequel vise à adapter notre arsenal juridique aux évolutions des dernières années des dérives sectaires pour mieux les réprimer et apporter réparation aux victimes.

Le chapitre Ier du présent projet de loi a pour objectif de faciliter et renforcer les poursuites pénales.

Pour ce faire, l'article 1er crée dans le code pénal un nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique (nouvel article 223-15-3 du code pénal).

En effet, le délit d'abus de faiblesse par sujétion psychologique prévu par l'article 223-15-2, introduit dans le code pénal il y a plus de vingt ans par la loi About-Picard, ne permet pas dans sa rédaction actuelle d'appréhender directement l'état de sujétion psychologique ou physique qui résulterait de manoeuvres et techniques destinées à soumettre la victime à l'emprise de son auteur.

Il ne permet pas non plus de distinguer les faits selon le contexte particulier dans lequel ils s'inscrivent. En effet, les abus commis dans des univers sectaires sont singuliers, tant par le contexte que par leur nature et leur gravité. Outre les abus relatifs aux biens, ils peuvent concerner des actes sexuels, des pratiques dangereuses pour la santé physique ou mentale, voire des actes extrêmes tels que le suicide, le viol ou le meurtre. Ils sont souvent répétés dans le temps, à l'issue d'un processus progressif d'assujettissement qui place certaines victimes en position de bourreau pour les victimes suivantes, et laissent des séquelles durables pour les personnes qui ont été entrainées dans la dérive sectaire.

Par conséquent, afin de tenir compte des spécificités de l'emprise sectaire, en plus du délit d'abus de faiblesse causé par un état de « sujétion psychologique » dont les acquis, importants, sont conservés, la définition d'un nouveau délit apparaît nécessaire pour réprimer les situations de sujétion psychologique ou physique qui sont la source d'une altération grave de la santé physique ou mentale pour les victimes, dont le préjudice corporel pourra être désormais reconnu.

Toujours dans l'objectif de renforcer les poursuites pénales contre les auteurs de dérives sectaires, une circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique est introduite par l'article 2 du projet de loi pour de nouveaux crimes et délits.

La liste des crimes et délits concernés tient compte de leur gravité et du nombre de ces infractions commises au sein de groupes sectaires : le meurtre, les actes de torture et de barbarie, les violences et l'escroquerie.

Le chapitre II a pour objectif de renforcer l'accompagnement des victimes de dérives sectaires. Il s'agit, à travers l'article 3 de permettre à davantage d'associations de se constituer partie civile pour lutter contre les dérives sectaires.

Les associations spécialisées d'aide aux victimes de dérives sectaires sont des partenaires privilégiés et importants de la Miviludes et des pouvoirs publics dans la lutte contre les dérives sectaires et l'accompagnement des victimes. Or, à l'heure actuelle, seule l'association UNADFI (Union nationale des associations de défense de la famille et des individus victimes de sectes), association reconnue d'utilité publique, a la possibilité légale de se constituer partie civile pour des infractions à caractère sectaire, compte tenu des dispositions restrictives de l'article 2-17 du code de procédure pénale.

Reprenant le schéma déjà adopté dans d'autres domaines, à l'instar notamment des cas d'accidents survenus dans les transports collectifs, de la protection du patrimoine ou de la lutte contre la corruption, cette possibilité de se constituer partie civile pourra également être ouverte à d'autres associations d'aide aux victimes de dérives sectaires, à l'issue d'une procédure d'agrément placée sous la responsabilité du ministère de la justice.

Le chapitre III du projet de loi vise à protéger la santé de nos concitoyens face aux risques et à la dangerosité des dérives sectaires. En effet, la santé est devenue, notamment du fait de la crise sanitaire de 2020/2021 et du développement du numérique et des réseaux sociaux, un des sujets majeurs de préoccupation en matière de lutte contre les dérives sectaires. Ainsi, environ 25 % des 4 020 saisines de la Miviludes en 2021 concernent la santé. Dans ce domaine, les pratiques de soins non conventionnelles constituent 70% des saisines.

Il apparaît aujourd'hui essentiel de mieux protéger la santé publique et de sanctionner les pratiques les plus dangereuses pour la santé des personnes en portant une attention particulière aux pratiques en matière de bien-être, de soins et d'alimentation. L'article 4 du projet de loi y contribuera fortement en créant un nouveau délit de provocation à l'abandon ou l'abstention de soins ou à l'adoption de pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique pour les personnes visées et comme bénéfiques pour leur santé alors qu'il est manifeste, en l'état des connaissances médicales, que cet abandon ou cette abstention est susceptible d'entraîner pour elles des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique, et que l'adoption de telles pratiques les expose à un risque immédiat de mort ou de blessures.

En effet, les contenus relatifs à la santé, diffusés principalement en ligne, permettent à des personnes, non qualifiées, de bénéficier d'une large audience et promouvoir, et vendre, des produits ou des pratiques à prétention thérapeutique. Ces produits et ces pratiques peuvent se révéler dangereux pour la santé des personnes atteintes de pathologies graves, lorsqu'ils les détournent de traitements qui sont nécessaires à leur santé. L'infraction nouvelle doit faciliter la poursuite et la répression de comportements pouvant porter gravement atteinte à la santé des personnes, sans pour autant interdire de promouvoir des pratiques complémentaires qui relèvent de la liberté individuelle.

Ce chapitre du projet de loi est complété par un article 5 qui vise à faciliter les sanctions disciplinaires de praticiens déviants, notamment dans le domaine des dérives sectaires, en prévoyant dans le code de procédure pénale l'obligation de transmission par le ministère public aux ordres professionnels concernés des condamnations de ces praticiens pour des infractions en lien avec les dérives sectaires. L'information sera également obligatoire en cas de contrôle judiciaire prononcé, par un juge, et qui interdirait au praticien d'exercer son activité professionnelle ou d'être habituellement en contact avec des mineurs.

Concrètement, les ordres nationaux mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique seront destinataires des décisions pénales prises contre une personne placée sous leur contrôle, les mettant ainsi en capacité de mieux exercer leur pouvoir disciplinaire. Les ordres concernés sont : le conseil national de l'ordre des médecins, l'ordre national des pharmaciens, le conseil national de l'ordre des sages-femmes, l'ordre national des chirurgiens-dentistes, l'ordre national des infirmiers, l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et l'ordre national des pédicures-podologues.

Le chapitre IV vise à assurer l'information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires. L'article 6 permet ainsi à des services de l'État, dont la MIVILUDES, d'être sollicités par les parquets ou les juridictions judiciaires aux fins de leur fournir toute information d'ordre général de nature à les éclairer utilement, introduisant ainsi le mécanisme de l'amicus curiae dans la procédure pénale

Cet appel dans la cause des services de l'État permettrait également d'assurer une meilleure information au sujet des procédures relatives à des dérives sectaires et de fiabiliser les informations délivrées au public dans les rapports d'activités des services chargés de la lutte contre les dérives sectaires et de la protection de la santé.

Enfin, le chapitre V, composé du seul article 7, étend à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna l'application des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale modifiées par le présent projet de loi.

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