EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Président de la République a demandé, au début de l'année 2022, aux élus de Corse de proposer des pistes d'évolution des institutions de l'île. Par une délibération du 5 juillet 2022, l'Assemblée de Corse a exprimé ses propositions sur son avenir institutionnel, dans le sens d'une autonomie renforcée.

Depuis cette délibération, de nombreux échanges entre les élus corses et le Gouvernement ont permis d'identifier des éléments de convergence entre les différentes formations politiques insulaires et d'envisager des réponses à cette aspiration à l'autonomie dans le cadre républicain.

À l'occasion de la commémoration du 80e anniversaire de la Libération de la Corse, le Président de la République s'est exprimé le 28 septembre 2023 devant l'Assemblée de Corse sur l'avenir de l'île au sein de la République. Après cinquante années d'évolutions statutaires, il a manifesté le souhait que soit tenue en Corse la promesse républicaine, en particulier la sécurité de nos concitoyens, en redonnant confiance à la société corse, à sa jeunesse, et en relançant vigoureusement le développement de l'île. Il a estimé que la Corse, enracinée dans la France et dans la République, avait besoin aujourd'hui de davantage de liberté, de reconnaissance de son identité, de sa singularité insulaire et méditerranéenne.

À cette fin le chef de l'État s'est prononcé en faveur de mesures fortes, pouvant prendre la forme d'un projet de loi constitutionnelle reconnaissant la spécificité insulaire et témoignant d'un ancrage fort et renouvelé de la Corse dans la République.

En février et mars 2024, le Gouvernement et les élus de Corse ont pu déterminer le contenu du présent projet de loi constitutionnelle. Le Gouvernement a consulté l'Assemblée de Corse le 26 mars 2024. Cette consultation a permis d'acter un consensus sur ce texte, étape essentielle dans ce processus politique inédit dans l'histoire de l'île. Ce projet de loi constitutionnelle accorde un statut d'autonomie dans la République à la Corse, en relation avec ses spécificités propres et lui octroie des pouvoirs d'adaptation et d'édiction de normes. Il précise également les modalités de contrôle de ces pouvoirs, tout en renvoyant à une loi organique le soin de fixer les conditions dans lesquelles seront exercées ces nouvelles compétences normatives et leur champ d'intervention.

Ainsi conçue, l'autonomie de la Corse dans la République doit être le moyen pour construire ensemble l'avenir de l'île avec l'État et non contre lui. L'enjeu est bien de tracer un cap d'espoir et de bâtir un équilibre stable pour les prochaines générations en accompagnant l'île et ses habitants sur la voie d'un développement maîtrisé, respectueux de sa spécificité et de son identité tout en assurant la permanence et la vitalité des principes républicains en Corse.

Cette autonomie de la Corse dans la République est fondée sur les spécificités de la Corse, liées à son insularité. Le projet de loi constitutionnelle le traduit en faisant mention de la communauté historique, linguistique, culturelle, qui a développé un lien singulier à sa terre, et des intérêts propres à la Corse. Ces éléments sont les fondements du statut particulier accordé à la collectivité de Corse ainsi que des adaptations normatives qui seront désormais possibles.

L'insularité corse présente des caractéristiques spécifiques, qui la distinguent d'autres territoires insulaires de l'hexagone et des territoires ultra-marins. La géographie même de ce territoire coutumièrement appelé « l'île-montagne », par sa superficie et son éloignement du continent, appelle un effort permanent de différenciation afin de garantir l'effectivité des politiques publiques. Des dispositifs singuliers ont été instaurés par le législateur, à l'instar de la dotation de continuité territoriale ou de l'établissement public sui generis de gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires.

La desserte électrique, la gestion des déchets, la cherté de la vie appellent également des solutions de politiques publiques différenciées. La saturation foncière (tensions immobilières et foncières, difficultés d'accès au logement...) implique nécessairement l'adaptation des règles applicables aux spécificités de l'île : c'est le cas de la résorption du « désordre » foncier constaté et de l'effort de reconstitution des titres de propriété. La nécessité d'un assainissement cadastral, compatible avec l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a conduit le législateur à adapter les règles applicables à la limite de ses compétences.

Ces différents exemples montrent qu'une reconnaissance constitutionnelle des singularités de la Corse est de nature à faciliter et à sécuriser les adaptations nécessaires aux réalités de ce territoire soumis à des contraintes particulières.

S'il traite des spécificités corses, le projet de loi constitutionnelle n'a pas, pour autant, pour objet ou pour effet de déroger au droit de l'Union européenne. Par ailleurs, la préservation de l'identité culturelle insulaire implique un meilleur déploiement de l'enseignement de la langue corse, sans pour autant méconnaître l'article 2 de la Constitution aux termes duquel la langue de la République est le français.

Le projet de loi constitutionnelle reconnaît donc la spécificité de la Corse, ce qui permettra, en conséquence, au législateur, sur certains sujets, de prévoir un droit adapté à la Corse.

Le projet de loi comprend un article unique créant au sein de la Constitution un nouvel article 72-5, lui-même composé de six alinéas.

Ce nouvel article 72-5 inscrit la Corse dans la Constitution, lui consacrant un statut d'autonomie découlant de ses intérêts propres, dans le respect du principe d'indivisibilité de la République.

Le premier alinéa de l'article 72-5 reconnaît formellement le statut d'autonomie à la collectivité de Corse et les spécificités de la Corse qui fondent ce statut et sont de nature à justifier que les normes applicables en Corse puissent différer du reste du territoire : l'identité et la culture corses, l'économie, le foncier, l'attractivité, la langue.

Ces spécificités ne sauraient justifier ni des dérogations aux principes constitutionnels notamment relatifs à la souveraineté, au fait que la langue de la république soit le français et à l'indivisibilité de la République, ni méconnaître le droit de l'Union européenne ou le droit international. La situation particulière de la Corse, que mentionne cet alinéa, implique la reconnaissance d'une autonomie encadrée par un statut propre en ce qu'il définit les pouvoirs normatifs spécifiques d'adaptation et d'édiction des normes accordés à la collectivité de Corse par les alinéas deux et trois du présent article. Ces pouvoirs normatifs traduiront donc la forme d'autonomie de la Corse au sein de la République. Les modalités de son application seront fixées par une loi organique. En revanche, les règles régissant l'organisation et les compétences de la collectivité de Corse demeureront fixées par la loi simple et codifiées au sein du code général des collectivités territoriales.

Le deuxième alinéa de l'article 72-5 instaure la possibilité d'adapter les normes en Corse pour tenir compte de ses spécificités. Ces adaptations peuvent être prévues soit par le pouvoir normatif national dans le domaine de la loi ou du règlement, soit directement par la collectivité de Corse dans les matières, les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique.

Le troisième alinéa de l'article 72-5 octroie, sur habilitation, à la collectivité de Corse une compétence normative pour fixer les règles de nature législative et réglementaire dans les matières où s'exercent ses propres compétences : par exemple, l'aménagement du territoire, le tourisme ou le développement économique. Cette habilitation est accordée dans des conditions et sous des réserves prévues par une loi organique. Cette habilitation ne saurait se traduire par un pouvoir de tutelle sur une autre collectivité ou un pouvoir d'attribution de compétences conférées à la collectivité de Corse. Sont nécessairement exclues de ce champ, les matières relevant exclusivement de la compétence de l'État. Ainsi, cet alinéa ne permettra pas à la collectivité de Corse de fixer, entre autres, les règles relatives à la nationalité, aux droits civiques, aux garanties des libertés publiques, à l'état et la capacité des personnes, à l'organisation de la justice, au droit pénal, à la procédure pénale, à la politique étrangère, à la défense, à la sécurité et à l'ordre publics, à la monnaie, au crédit et aux changes, ainsi qu'au droit électoral. En outre, la collectivité de Corse ne pourra pas fixer les règles dans les matières relevant des compétences du bloc communal.

Dans tous les cas, comme pour le pouvoir d'adaptation mentionné à l'alinéa précédent, le pouvoir normatif attribué par le constituant à la collectivité de Corse devra être justifié par les spécificités de l'île, qui sont les seuls éléments de nature à fonder un régime juridique dérogatoire au droit commun.

Le quatrième alinéa de l'article 72-5 prévoit des garanties juridiques procédurales ainsi qu'une limite matérielle aux pouvoirs normatifs confiées à la collectivité de Corse.

D'une part, il prévoit que les normes adaptées ou fixées par la collectivité de Corse feront l'objet d'un contrôle par le Conseil d'État et le Conseil Constitutionnel, ce qui impliquera lors de la préparation des délibérations de la collectivité de Corse prises en application des alinéas 2 et 3, de pouvoir distinguer ce qui relève de la loi et du règlement.

Les dispositions relatives à la saisine du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel seront précisées par la loi organique.

D'autre part, cet alinéa exclut toute mesure d'adaptation ou de fixation normative lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

Le cinquième alinéa de l'article 72-5 confie une habilitation permanente au Gouvernement pour adapter, par ordonnance, les lois en vigueur aux spécificités de la Corse, après avis de la collectivité de Corse et ce, dans les domaines de compétences autres que ceux de la collectivité comme cela est prévu à l'alinéa 2. Ces ordonnances, comme celles mentionnées à l'article 74-1 de la Constitution, devront faire l'objet d'une ratification par le Parlement, dans un délai de dix-huit mois suivant leur publication, sans quoi elles deviendront caduques.

Le sixième alinéa de l'article 72-5 rend possible une consultation des électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse, sur le projet de statut de la Corse fixant les pouvoirs normatifs défini par la loi organique après avis de l'Assemblée de Corse. La consultation portera sur la mise en oeuvre de la capacité d'adaptation et de fixation de la norme telle qu'elle sera prévue par le législateur organique. Un décret en Conseil d'État délibéré en Conseil des ministres déterminera les conditions de cette consultation sans pouvoir faire évoluer le corps électoral qui est défini dans cet alinéa et recouvre les électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse.

L'ensemble des dispositions du projet de loi constitutionnelle permettront donc de reconnaître à la Corse sa singularité fondée sur son insularité méditerranéenne tout en l'ancrant pleinement dans la République. Elles se trouveront prolongées par un projet de loi organique et un projet de loi simple afin de concrétiser ce nouvel élan.

C'est le sens du présent projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis, au nom du Président de la République, par le Gouvernement.

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