EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'accord sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, élaboré à Paris-Bougival, constitue un jalon déterminant dans le processus engagé depuis plus de trente-cinq ans pour définir l'organisation politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit désormais de la doter d'une organisation politique pérenne, pour retisser le lien du vivre-ensemble, relever l'économie et ouvrir aux jeunes comme aux générations à venir la promesse d'un avenir partagé.

Ce compromis, signé le 12 juillet 2025 par les partenaires politiques calédoniens et par le ministre d'État, ministre des outre-mer, revêt une portée historique : il scelle une volonté partagée de bâtir un cadre institutionnel renouvelé et pérenne.

Depuis les accords de Matignon-Oudinot de 1988, puis l'accord de Nouméa de 1998, la France a reconnu la singularité de la Nouvelle-Calédonie et la place centrale du peuple kanak, peuple d'origine, porteur d'une civilisation millénaire et enracinée dans un lien sacré à la terre, avec ses traditions, ses langues et sa coutume. Elle a affirmé, dans le même élan, l'importance de bâtir un « destin commun » avec les populations durablement établies, dont la participation à l'édification du territoire leur confère la pleine légitimité d'y vivre et de continuer à contribuer à son développement. Ces textes fondateurs ont tracé les chemins de la réconciliation en ouvrant un processus de décolonisation sans équivalent dans le monde, même si la Nouvelle-Calédonie reste un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes établie par les Nations Unies : reconnaissance des injustices passées, pleine reconnaissance de l'identité kanak et sa meilleure intégration dans l'organisation politique et sociale du territoire, transfert progressif de nombreuses compétences ayant donné naissance à une souveraineté partagée, mise en oeuvre d'une politique de rééquilibrage économique et social, création d'une citoyenneté calédonienne et organisation de trois référendums d'autodétermination en 2018, 2020 et 2021.

Le dernier de ces scrutins, tenu en décembre 2021, a clos la séquence référendaire prévue par l'accord de Nouméa sans pour autant résoudre la question statutaire. Les tensions politiques et sociales se sont intensifiées, et les violences de mai 2024 ont confirmé la nécessité d'un nouvel accord global, conciliant les aspirations indépendantistes et non-indépendantistes et traçant une perspective de stabilité politique pour l'archipel.

L'accord signé à Paris-Bougival répond à cette exigence. Il dote la Nouvelle-Calédonie des instruments juridiques et institutionnels nécessaires pour continuer à exprimer sa singularité.

Il est l'aboutissement de mois de négociations intenses et de travaux techniques entre les délégations calédoniennes et l'État ayant mis un terme à plusieurs années d'impasse politique. Ce cheminement, exigeant et parfois sinueux, s'est nourri du dialogue, de l'écoute et de la volonté inébranlable de parvenir à une solution politique à la mesure des enjeux.

Intitulé « le pari de la confiance », l'accord invite les populations intéressées à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie à franchir un seuil nouveau : sortir de la logique clivante des référendums couperets et des cycles transitoires prévus par les accords antérieurs, pour privilégier une culture du consensus et du travail commun. L'exercice du droit à l'autodétermination ne s'exprimera plus par un vote binaire, mais par une démarche collective visant à rechercher des équilibres partagés et qui passera par une majorité qualifiée à l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie et le vote des Calédoniens.

Si une partie des indépendantistes ont exprimé des réserves ou des propositions, sans pour autant rompre le dialogue, cet accord incarne une solution d'équilibre, fruit d'un long et difficile chemin de compromis après les violences du 13 mai 2024 qui ont profondément fracturé la société calédonienne et radicalisé les positions. Tous les signataires s'accordent à reconnaître que cet accord est la condition d'une paix civile durable, d'une stabilité retrouvée et de la relance économique et sociale d'un territoire durement éprouvé par la crise. Il accompagne également l'affirmation d'un peuple calédonien qui incarne la volonté de panser les blessures, de surmonter les clivages, afin d'édifier une communauté de destin. Dans cette communauté, chaque citoyen, et plus encore la jeunesse, est appelé à trouver sa place, dans le respect des identités qui composent la richesse de ce pays.

L'accord prévoit une organisation institutionnelle sui generis de « l'État de la Nouvelle-Calédonie » au sein de l'ensemble national, pouvant être reconnu par la communauté internationale.

La mise en oeuvre de cet accord, la création de l'État de la Nouvelle-Calédonie et l'établissement de son statut supposent une révision constitutionnelle. Le titre XIII de la Constitution, aujourd'hui porteur de dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie, doit être refondu pour y inscrire les orientations politiques et institutionnelles du nouvel accord et habiliter le législateur organique national et l'assemblée délibérante de l'État de la Nouvelle-Calédonie à en assurer l'application.

L'article 1er prévoit l'organisation, avant le 26 avril 2026, d'un scrutin d'approbation de l'accord par les populations intéressées, selon les règles du corps électoral restreint fixées à l'article 218 de la loi organique n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

L'article 2 crée l'État de la Nouvelle-Calédonie, organisation sui generis, et inscrit son statut dans la norme suprême. Il procède à une réécriture complète du titre XIII de la Constitution en réécrivant ou créant cinq articles de la Constitution consacrés à l'État de la Nouvelle Calédonie.

Les articles 76 et 77 permettent, d'abord, de constitutionnaliser les orientations des accords de Paris-Bougival du 12 juillet 2025 et de Nouméa du 5 mai 1998. Comme rappelé plus haut, les orientations de l'accord de Nouméa qui ne sont pas contraires à celles de l'accord de Bougival conservent leurs valeurs constitutionnelles, et donc notamment son préambule, garantissant ainsi la continuité des principes fondateurs liés à l'identité kanak, à l'objectif d'un destin commun et au développement économique et social.

L'article 76 crée également une loi organique, appelée notamment à préciser la répartition des compétences entre l'État et les institutions de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de transfert des compétences régaliennes restantes de l'État vers la Nouvelle-Calédonie, ou encore les compétences fiscales des provinces. Le Gouvernement présentera, au premier semestre de l'année 2026, un projet de loi organique, écrit en concertation avec les partenaires politiques calédoniens, les maires, le Sénat coutumier et le Conseil économique, social et environnemental dans le cadre du comité de rédaction mis en place par le ministre d'État, ministre des Outre-mer. Il aura vocation à se substituer à la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Le même article 76 prévoit, enfin, le transfert de la compétence en matière de relations internationales que la Nouvelle-Calédonie exerce dans le champ de ses compétences propres.

L'article 77 confère à la Nouvelle-Calédonie une capacité inédite et puissante d'auto-organisation en lui permettant d'édicter une Loi fondamentale, adoptée par son assemblée délibérante. Elle dispose d'un domaine exclusif, celui de déterminer les signes identitaires de la Nouvelle-Calédonie, sa charte des valeurs et un code de la citoyenneté calédonienne. Elle dispose aussi d'un domaine partagé avec la loi organique, notamment en matière d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie, et pourra également être habilitée par la loi organique à préciser ou compléter ses dispositions. La mention selon laquelle la Loi fondamentale consacre l'auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie invite le législateur organique à laisser un large champ à la Loi fondamentale pour fixer l'organisation et le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et la répartition des compétences entre elles. Il est également indiqué que, dans le domaine partagé, la loi organique peut aussi prévoir que des règles qu'elle fixe s'appliquent en l'absence de disposition contraire de la Loi fondamentale ; elle pourra ainsi, notamment, prévoir le maintien transitoire de certaines dispositions de la loi organique du 19 mars 1999. Il s'agit, pour ce qui concerne le domaine partagé, d'éviter les vides juridiques, de prévoir la situation dans laquelle la Loi fondamentale ne serait finalement pas intervenue dans le champ laissé libre par la loi organique, mais aussi celle dans laquelle la loi organique conserve, en son sein, des règles subsidiaires, notamment sur l'organisation et le fonctionnement des institutions.

L'article 78 prévoit que les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des accords ne relevant ni du domaine de la loi organique, ni de la Loi fondamentale, sont définies par la loi.

L'article 79 crée une nationalité calédonienne et inscrit les critères d'acquisition fixés au 3 du II de l'accord de Bougival. La Loi fondamentale sera ensuite chargée de préciser certains de ces critères. Ainsi, les Calédoniens bénéficieront d'une double nationalité, française et calédonienne. Le texte précise explicitement que, quelle que soit l'évolution institutionnelle du territoire, les nationaux français domiciliés en Nouvelle-Calédonie conserveront de plein droit la nationalité française, qu'ils aient ou non acquis la nationalité calédonienne.

Enfin, l'article 80 fixe le corps électoral applicable pour l'élection des assemblées de province et de l'assemblée délibérante de l'État de la Nouvelle-Calédonie.

L'article 3 fixe les conditions d'entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle. Si l'article 1er entrera en vigueur le lendemain de la publication de la loi constitutionnelle, permettant ainsi d'organiser la consultation des Calédoniens sur l'approbation de l'accord, l'article 2 n'entrera en vigueur qu'après publication des résultats définitifs du scrutin, si l'accord est approuvé.

Partager cette page