EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'organisation du second tour des élections municipales le 28 juin 2020 a été officialisée le 22 mai 2020 par le Premier Ministre en conférence de presse, sous réserve d'une « clause de revoyure » sous 15 jours. Cette décision répond à une demande de continuité démocratique malgré la présence du coronavirus, au souhait de clore cette opération électorale brutalement interrompue par l'épidémie de covid-19 et à la nécessité de conférer une stabilité aux exécutifs municipaux et communautaires pour la mise en place de politiques publiques de relance, en actionnant le levier de la commande publique.

Pour autant, l'impératif putatif du parachèvement de ce scrutin ne doit pas faire oublier un principe démocratique prenant sa source à l'article 3 de la Constitution de la V e République et qui confère en outre leur légitimité aux élus : la sincérité du scrutin, impliquant une égalité devant le scrutin. Au-delà de cette exigence démocratique, l'altération de la légitimité à agir des élus n'est jamais souhaitable : dans le meilleur des cas, elle favorise l'immobilisme ; dans le pire des cas, elle produit une instabilité institutionnelle pouvant éventuellement conduire à une élection partielle pour de mauvaises raisons.

En effet, même si le constat n'est pas uniforme dans toutes les communes, le premier tour, intervenu dans des circonstances particulières, a été marqué par une abstention record et l'effet du covid-19 à cet endroit a pu être mis en lumière par des enquêtes électorales.

Ainsi, la vague d'enquête Ipsos-CEVIPOF réalisée les 16 et 17 mars 2020 souligne que « 57 % des répondants n'ayant pas participé au scrutin du 15 mars 2020 indiquaient ne pas avoir souhaité se rendre dans un bureau de vote à cause du coronavirus (dont la moitié pour cet unique motif) 1 ( * ) » . En outre, « la proportion d'abstentionnistes invoquant le coronavirus croît avec l'âge : de 32 % parmi les 18 - 24 ans à 67 % parmi les plus de 65 ans. Enfin, alors que 48 % des abstentionnistes des communes rurales invoquent le coronavirus, ils sont 69 % dans les communes urbaines . »

Compte tenu de la situation sanitaire et des craintes légitimes des Français, le risque d'une abstention massive est réel. Le Conseil scientifique, dans son avis du 18 mai 2020, relève cinq types de risques qui « justifient des mesures sanitaires renforcées », dont ceux « auxquels sont exposés les personnes participant aux opérations de vote ; ceux liés à l'utilisation des locaux, notamment scolaires ; ceux liés à une reprise de l'épidémie, suivant les élections sous forme de clusters ou d'une “petite vague”. »

Il est par ailleurs évident que les solutions de substitution qui existent dans le droit en vigueur - comme le vote par procuration - ne répondent pas à la problématique spécifique engendrée par une crise sanitaire de l'ampleur de celle du covid-19. À ce sujet, le Conseil scientifique, dans son avis précité, souligne que « le recueil de la procuration nécessite un contact officiel préalable (tribunal d'instance, commissariat, gendarmerie, officier ou agent de police judiciaire). Pour les personnes les plus aÌ risque, il convient d'apprécier l'intérêt relatif de l'établissement d'une procuration ou du vote proprement. »

En outre, la difficulté à tenir les bureaux de vote est pratiquement certaine : les retraits légitimes des assesseurs à la veille du scrutin du 15 mars l'ont démontré.

C'est pourquoi, afin de pouvoir garantir le respect des principes démocratiques lors du prochain scrutin municipal et, plus globalement en cas de répétition d'une crise comparable, il est proposé d'instaurer un vote par correspondance, sous pli fermé, qui garantirait le secret du vote et la sincérité du scrutin en période d'état d'urgence sanitaire (article unique).

Cette solution dérogatoire , limitée au cas d'urgence sanitaire, se veut pragmatique et adaptée à la période exceptionnelle que nous traversons.

Le dispositif proposé se rapporte à l'état d'urgence sanitaire tel que le prévoit actuellement l'article L. 3131-12 du code de la santé publique en vigueur, mais a naturellement vocation à se rapporter aux dispositions qui devraient lui succéder à compter du 1 er avril 2021, date prévue par la loi du 23 mars 2020 pour la caducité de cet article.

La France ne serait pas le premier pays à le mettre en oeuvre : des élections ont été organisées en Bavière à la même période, alors qu'il s'agissait d'une des régions les plus touchées par l'épidémie de covid-19 et le taux de participation a augmenté par rapport au scrutin de 2014. Le second tour a d'ailleurs été organisé exclusivement par voie postale. Cinq États des États-Unis votent également par correspondance.

La France est encore dans des délais acceptables pour le mettre place. Le land précité a été en capacité de convertir le vote « classique » en vote postal très rapidement.

La France ne ferait pas non plus de saut dans l'inconnu : elle a pratiqué ce vote pour les élections prud'homales et elle le pratique encore pour les élections professionnelles ou l'élection des députés par les Français établis hors de France.

À cet égard, le décret pris en Conseil d'État pour l'application du vote par correspondance prévu au deuxième alinéa du nouvel article L. 78-1 du code électoral pourrait tout à fait s'inspirer de celui qui encadre cette élection législative, à l'exception près que l'envoi du matériel de vote par correspondance ne se fasse pas sur demande de l'électeur, mais qu'il lui soit adressé automatiquement avec les circulaires et les bulletins de vote expédiés avant chaque scrutin, cela en vue de limiter des démarches administratives chronophages et potentiellement dissuasives.

Ce même décret pourrait également prévoir une organisation d'un vote exclusivement ou partiellement par correspondance, par exemple en fonction du degré de gravité de la crise sanitaire dans les territoires.

L'instauration d'une nouvelle procédure de vote ne résout certes pas une autre difficulté d'ordre démocratique, à savoir la conduite d'une campagne électorale « sans contact ». Pour autant, le vote postal limiterait, dans ce contexte, le déficit de participation toujours préjudiciable à la démocratie et alimentant la défiance des citoyens envers leurs élus.

Seule cette solution permettrait au maximum de citoyens de participer à ce scrutin, sans risque sanitaire ni pour eux, ni pour les élus, personnels et bénévoles en charge des bureaux de vote. Le vote postal permet donc de s'adapter à la crise de covid-19, en conjuguant participation, sincérité et sécurité sanitaire du scrutin dans un contexte exceptionnel.


* 1 BROUARD, Sylvain.- « Pour le second tour des élections municipales, seul un vote postal préservera la démocratie » in Le Monde.- 19 mai 2020

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