EXPOSÉ DES MOTIFS

Madame, Monsieur,

Étonnamment, le législateur, qui s'efforce de donner à l'école républicaine l'objectif de compenser les inégalités sociales, n'a jamais conçu ni mis en oeuvre une politique globale de la petite enfance. Alors même que l'école ne pourra jamais réduire les inégalités quand, à trois ans, l'enfant est passé à côté de tous les apprentissages, de la construction des outils des acquisitions futures. À l'âge où s'établissent les circuits neuronaux essentiels par l'éveil de la curiosité, de la socialisation, de la pratique du langage, le manque de stimulation sera lourd de conséquences. Ces outils non fabriqués à l'âge requis, ne le seront pratiquement jamais. Il est donc illusoire de penser que l'école pourvoira à l'égalité des chances. En réalité, on sort plus inégaux de l'école qu'on y est rentré, simplement parce qu'il faut disposer des moyens intellectuels, de confiance en soi, de richesse de vocabulaire pour tirer profit de l'enseignement dispensé aussi actif et participatif soit-il.

En réalité l'État, a - séquelle de l'ancien régime ? - depuis toujours considéré que cette période de 0 à 3 ans est de la responsabilité unique des parents et ce n'est qu'en cas de déficience de ceux-ci ou en cas de maltraitance que les pouvoirs publics interviennent en autorité. La loi, les élus, les politiques, s'intéressent essentiellement à la faculté - certes indispensable mais pouvant être satisfaite par d'autres moyens - offerte aux parents de travailler à deux. C'est l'un des axes d'une politique dite familiale incitatrice à la procréation que de développer les moyens d'accueil, les commodités pour épargner aux parents les contraintes trop fortes. Cette tendance à favoriser la fréquentation des crèches par les enfants des ménages bi-actifs entre en concurrence avec la nécessité d'accueillir les enfants de milieu défavorisé dont le besoin de compensation des divers handicaps éducatifs est énorme.

Ainsi, il nous est apparu nécessaire de construire une véritable politique de la petite enfance pour mettre fin au déterminisme social - générateur d'amertume et de révoltes - et permettre à tous, et surtout aux plus démunis, d'espérer un meilleur avenir pour leurs enfants. C'est ainsi qu'il est proposé une « Charte de la République » en faveur de l'enfance qui se présenterait sous la forme suivante :

ü tout d'abord, l'affirmation d'une « obligation et responsabilité nationale » , quant à la nécessité de fournir à chaque enfant, dès la naissance, toutes les conditions et moyens pour se construire harmonieusement et s'insérer avec fluidité dans la société et la profession.

ü ensuite, dans une politique globale de la petite enfance, déterminer les moyens particuliers mis en oeuvre en faveur des enfants victimes de carences éducatives, grâce à l'implication nouvelles des parents pour les aider à remplir leur mission d'éducateurs. « À traiter de façon égale des situations inégales, on ne fait que renforcer les inégalités . » C'est donc bien par discrimination positive qu'il est proposé d'oeuvrer pour une véritable égalité des chances.

ü en troisième lieu définir des dispositifs susceptibles de mobiliser l'ensemble de la collectivité locale pour un objectif partagé : que chacun soit citoyen, c'est-à-dire assume une part de la responsabilité de l'avenir de la collectivité. « Il faut tout un village pour élever un enfant » dit un proverbe africain.

L'article 1 er est donc l'insertion de cette charte dans le code de l'action sociale et des familles :

« La construction d'un avenir positif pour chaque enfant, sans aucune distinction, est une obligation nationale.

« La politique de l'enfance a pour but de favoriser le développement physique et psychique de l'enfant, de permettre son épanouissement et de garantir son bien-être. Elle doit prendre en compte son environnement familial.

« La prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, le soutien à son développement physique, affectif, intellectuel et social et la préservation de sa santé, de sa sécurité, de sa moralité et de son éducation, dans le respect de ses droits, constituent une priorité pour toute politique publique concernant l'enfance, directement ou indirectement.

« Les pouvoirs publics garantissent le droit de de l'enfant à l'éducation dans les conditions prévues par le code de l'éducation et en prenant, en tant que de besoin, les mesures nécessaires pour obvier à toute situation, notamment familiale, sociale ou territoriale, susceptible d'y porter atteinte ou de préjudicier à l'égalité des chances. Ils veillent à ce que les parents disposent des moyens d'assumer leur rôle essentiel dans l'épanouissement de leur enfant sans que n'y fasse obstacle aucune considération tirée de leur liberté de choix en ce qui concerne son éducation, de leurs ressources ou de leur cadre de vie.

« L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »

Les articles 2 et 3 concernent les allocations et déductions fiscales pour les parents d'enfants concernés.

Il convient pour conduire une telle politique de renforcer pour les familles aux revenus modestes le montant des allocations familiales par l'attribution de compléments qui pourraient donner lieu à contrats avec les familles aux termes desquels celles-ci s'engageraient :

• à participer aux activités de formation à l'éducation et à l'exercice de la parentalité organisées par les autorités locales (CAF, communes, départements),

• à confier leur enfant, un ou plusieurs jours par semaine à des structures multi-accueil.

Pour assurer le financement de ces abondements, il conviendrait d'attribuer de façon plus sélective les allocations familiales en déterminant des plafonds de ressources plus bas.

Il conviendrait, par ailleurs de réserver purement et simplement , comme en 1998 1 ( * ) , le bénéfice des allocations familiales, en les augmentant substantiellement , aux familles dont les ressources seraient inférieures à un plafond . Il ne s'agirait pas à proprement parler d'une « modulation ». Dans sa décision 97-393 DC du 18 décembre 1997 relative à la loi de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel avait refusé de voir dans l'universalité des allocations familiales une exigence constitutionnelle. Il avait cependant émis un bémol en considérant que les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 2 ( * ) ne faisaient pas, en eux-mêmes, obstacle à subordonner le bénéfice des allocations familiales à une condition de ressources à condition que le pouvoir règlementaire ne prévoie pas des plafonds trop élevés après prise en compte des autres formes d'aides à la famille (notamment du quotient familial) 3 ( * ) .

Cet abondement serait assorti de la signature avec la famille d'un contrat par lequel elle s'engagerait à fréquenter les séances de formation organisées par la CAF dans des lieux proche de son domicile sur l'éducation, la socialisation, l'apprentissage du vocabulaire, les stimulations intellectuelles etc...

L'article 4 propose la mise en place d'un « chèque garde d'enfant » dont le dispositif s'inspire du « chèque énergie » et impose, pour en bénéficier, de s'inscrire dans un plafond de ressources et d'inscrire son enfant dans un établissement ou service d'accueil de la petite enfance en admettant, dans les communes qui n'en disposent pas, que les haltes-garderies puissent être éligibles au chèque garde d'enfant.

L'article 5 dispose de la création d'un Fonds spécial à l'intérieur du FNAS (Fonds National d'Action Sociale) de la CAF alimenté par l'État en application de la convention d'objectifs et de moyens conclus entre l'État et la CNAF. Ce fonds est destiné à émarger au financement de façon particulière et modulée en raison inverse de la taille des communes du fonctionnement des structures multi-accueil. Des financements particuliers sont également dédiés aux quartiers prioritaires des villes.

L'article 6 prévoit que, sous réserve de conclusion de contrats entre les communes (ou les EPCI si ceux-ci ont la compétence petite enfance) et l'État, la scolarisation d'enfants de deux ans issues de familles défavorisées puisse être facilitée par l'adjonction des moyens humains et matériels adaptés.

L'article 7 soumet aux mêmes règles d'autorisation, d'encadrement, d'obligations en matière sanitaire et de sécurité tous les établissements d'accueil de la petite enfance dont le nombre de places autorisées se situe en-deçà de 20 places. Nombre de micro-crèches, gérées pour la plupart par des organismes privés lucratifs, exonérées des contraintes des structures plus importantes prolifèrent avec deux conséquences toxiques : un encadrement qui laisse à désirer et, par conséquent, un bénéfice réduit voire nul pour les enfants accueillis et la multiplication de structures privées très rentables pour les promoteurs en raison de charges de fonctionnement très légères. Recevant souvent des enfants de milieu aisé, elles introduisent une division dommageable de la population.

L'article 8 encourage les médecins généralistes à prodiguer des conseils aux parents, des conseils débordant largement le simple aspect de santé mais également portant sur des pratiques éducatives, d'hygiène, de développement du langage. La médecine généraliste reçoit tous les enfants d'une collectivité à un moment ou à un autre. Elle peut être un acteur essentiel de la fabrication sur un territoire de l'égalité des chances en conseillant, en orientant, en prescrivant. Il devient alors indispensable que le temps, allongé, de la consultation soit correctement pris en compte par une prise en charge sécurité sociale de 20 % au-delà du tarif normé.

L'article 9 tend à faire en sorte que les familles défavorisées, dont les enfants subissent des carences éducatives, soient prioritaires pour l'accès aux établissements accueillants des jeunes enfants .

Les structures multi-accueil ont historiquement été dédiées aux enfants dont les parents travaillent en couple. Même les travailleurs sociaux des services ASE des départements répugnent à inciter les familles, qu'elles soient défavorisées ou monoparentales, dont l'un des parents est à la maison pour cause de chômage ou autre à inscrire en crèches leurs enfants. Alors que la crèche dispose de personnels formés, compétents, susceptibles de compenser efficacement les carences diverses dont peuvent être victimes certains enfants. Alors que les familles plus aisées, investies dans l'éducation de leurs enfants, soucieuses de leur développement harmonieux peuvent, sans dommage, les confier à une assistante maternelle dont nous proposons, par ailleurs, une formation de base plus conséquente et une formation continue obligatoire.

Ainsi se pose le choix entre une demande (celle des parents qui travaillent - ou veulent travailler - tous les deux) et un besoin (celui de l'enfant souffrant d'insuffisances éducatives à la maison).

L'avenir d'une société apaisée exige qu'une place prioritaire (mais non exclusive) soit affectée au besoin . Sachant que le coût de fonctionnement des crèches pour les collectivités rend impossible que celles-ci soient le moyen de mise en adéquation entre l'offre et la demande de garde d'enfants. Il faut donc déterminer des priorités .

L'article 9 définit donc le taux d'accueil en fonction du besoin et les pénalités applicables en cas de non-respect de ce ratio.

Enfin, l'article 10 propose un gage financier pour cette proposition de loi .


* 1 La loi de financement de la sécurité sociale 97-1164 prévoit la mise sous condition de ressources des allocations familiales ainsi qu'une baisse de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) qui aura lieu de mars à décembre 1998, afin de la réserver aux familles les plus modestes. Le retour à l'universalité des allocations familiales, l'année suivante, fut contrebalancé par un abaissement du plafond de la réduction d'impôt lié au quotient familial, en vigueur depuis le 1 er janvier 1999 .

* 2 Alinéa 10 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Alinéa 11 : « Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs... »

* 3 Extraits de la décision : « pour l'application de l'art. 23 (placement des allocations familiales sous condition de ressources) :

a) de ne pas fixer ce plafond à un niveau tel que soient remises en cause, compte tenu des autres aides à la famille, les exigences des 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, qui impliquent la mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur de la famille ; »

3) Pour l'application de l'article 24 (allocation de garde d'enfant à domicile) de fixer les divers paramètres dont la détermination lui est confiée par la loi, de manière à ne pas créer, entre familles, de différences de traitement injustifiées. »

Page mise à jour le

Partager cette page