EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I - Orientation générale

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à réguler les liens entre le pouvoir politique et le parquet.

Cette proposition de loi constitutionnelle ne modifie pas l'article 20 de la Constitution. Elle maintient les prérogatives du Gouvernement dans la définition de la politique pénale de la Nation.

Née d'une interrogation, autour de la non-délimitation de la répartition des compétences entre le ministère de la justice et le procureur de la République, cette proposition tend à y répondre.

En 1930, le garde des Sceaux en place s'étonnait déjà de cette répartition des compétences, quelque peu floue. Henri Chéron adressa la circulaire ministérielle suivante à son gouvernement :

« Que le ministre de la justice soit consulté sur les questions de droit, sur l'application des lois nouvelles, sur des mesures d'administration générale et tenu exactement au courant des faits important qui se produisent dans un ressort, rien de plus normal. Mais j'entends, en matière de poursuites pénales, quelles que soient les personnes en cause, que les chefs de parquet décident selon la seule inspiration de leur conscience, dans le cadre des prescriptions de la loi. Dans ma pensée, cette mesure est destinée, en développant le sentiment de responsabilité chez les représentants du ministère public, à élever encore leur conscience professionnelle et à fortifier l'indépendance de la magistrature. »

Quatre-vingt-dix années se sont écoulées depuis et le problème de l'indépendance du ministère public reste inchangé.

Le Conseil constitutionnel a toutefois rappelé, dans deux décisions rendues les 11 aout 1993 et 2 février 1995, que les magistrats du parquet étaient, au même titre que leurs collègues du siège, gardiens des libertés publiques.

A ces décisions, s'ajoute une recommandation adoptée en 2000, du Conseil de l'Union Européenne sur le « Rôle du Ministère public dans le système de justice pénale ». Celle-ci définit le Ministère public comme une « autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l'intérêt général, à l'application de la loi lorsqu'elle est pénalement sanctionnée, en tenant compte, d'une part, des droits des individus, et d'autre part, de la nécessaire efficacité du système de justice pénale ». Cette recommandation, sans valeur contraignante, montre une nouvelle fois que le ministère public doit avoir comme seule conduite l'intérêt général.

L'ordonnance du 22 décembre 1958 précise en son article 5 que les magistrats du Ministère public sont placés « sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux, Ministre de la justice »

L'article 30 du Code de Procédure Pénale, modifié par la loi du 25 Juillet 2013 dispose que le Ministre de la Justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.

Si les textes cités précédemment donnent une impression d'indépendance du parquet et de ses magistrats, la pratique semble plus floue. L'opinion publique relie le Parquet au Gouvernement avec une présomption systématique de dépendance au pouvoir politique.

À l'heure actuelle, le Procureur de la République reçoit des instructions du Garde des Sceaux (circulaires et directives ministérielles, demandes d'informations et de rapports), par son supérieur hiérarchique, le Procureur Général près la cour d'appel. Des réunions de concertation sont également organisées entre les Procureurs de la République, la Chancellerie et les procureurs généraux. L'objectif est de définir les orientations générales pour la conduite de l'action publique. Cette ligne de conduite permet d'éviter toutes divergences dans l'application de la politique pénale du gouvernement.

Cette proposition de loi maintient cette mise en oeuvre de la politique pénale du gouvernement.

Par deux décisions des 22 Juillet 2016 et 8 Décembre 2017, le Conseil Constitutionnel saisi de questions prioritaires de constitutionnalité a considéré d'une part que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, l'action publique devant les juridictions pénales et que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'indépendance de l'autorité judiciaire doit être écarté. Il a d'autre part confirmé que ces dispositions assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution.

Ancien Procureur Général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, avait tiré la sonnette d'alarme concernant le problème d'indépendance de la justice. Il souhaitait « extraire le venin de la suspicion » en coupant « tout lien entre l'échelon politique et le parquet pour ce qui concerne les nominations »

Plusieurs magistrats français affirment que ce lien de subordination entache l'action des procureurs. Robert Gélie, président de la conférence nationale des procureurs, soulignait que les « décisions sont de plus en plus contestées, au motif que nous serions dépendants du pouvoir exécutif ». Jean-Louis Nadal va dans le même sens en soulignant, qu'il faut « doter la justice des moyens nécessaires pour juger les responsables des affaires de corruption ».

Ce projet de loi va en ce sens.

Les nominations et les progressions de la carrière des magistrats du parquet relèvent du Ministre de la Justice. Cette subordination de fait au pouvoir exécutif ne peut garantir l'indépendance du ministère public. À l'article 33 du code de procédure pénale, il est toutefois rappelé que « La plume est serve, mais la parole est libre ».

Cette proposition de loi répond aux griefs de la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui refuse d'assimiler le ministère public français à une véritable autorité judiciaire au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté. Les arrêts Medvedyev du 29 mars 2010 et Moulin du 23 Novembre 2010 relèvent en effet, qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante.

II - Dispositions de la proposition de loi constitutionnelle

Afin de clarifier la situation et de concilier l'indépendance du parquet et de ses magistrats, nous souhaitons le rattachement des magistrats du ministère public à une hiérarchie institutionnellement indépendante, au sommet de laquelle se trouverait une autre autorité que celle du Garde des Sceaux.

Cette proposition de loi tend à créer la fonction de Procureur Général de la Nation, magistrat indépendant, sans lien direct avec le pouvoir exécutif.

Cette proposition de loi, en instituant dans la Constitution la fonction de Procureur Général de la Nation met un terme au lien de subordination entre le Parquet et la Chancellerie.

La présente proposition de loi institue la fonction de Procureur Général de la Nation.

Proposé par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) parmi les magistrats du parquet ou du siège, sa nomination est soumise à l'approbation de la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés de chaque Assemblée parlementaire.

Sa révocation intervient dans les mêmes formes que sa nomination.

Placé au sommet de la hiérarchie du ministère public, le Procureur Général de la Nation est irrévocable par le pouvoir politique. Il est chargé de la nomination et de la gestion des carrières de l'ensemble des magistrats du parquet. Le Procureur Général de la Nation nomme les magistrats du parquet, après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. L'unité de corps reste inchangée.

Du fait de son pouvoir de nomination, le Procureur Général de la Nation est pénalement responsable des actes accomplis durant l'exercice de ses fonctions, devant la Cour de Justice de la République.

En matière disciplinaire, le Procureur Général de la Nation peut saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature et lui proposer une sanction. Il peut également requérir l'Inspection générale des services judiciaires afin de procéder à une enquête.

Le Garde des Sceaux conserve sa prérogative de définition du budget et de la politique pénale de la Nation. Il ne procédera plus aux nominations.

Le Procureur Général de la Nation communique aux procureurs généraux la politique pénale. Il peut leur donner des instructions individuelles

Cette proposition de loi constitutionnelle a pour conséquence d'accroitre les pouvoir du Conseil Supérieur de la Magistrature. En effet, le CSM voit ses prérogatives étendues en matière de sanctions : il est désormais le seul à pouvoir les prononcer. Il est également en charge d'engager la procédure en vue de la révocation du Procureur Général de la Nation.

Si la proposition de loi constitutionnelle est adoptée, sera également modifiée l'ordonnance du 22 décembre 1958.

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