EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« L'oeuvre d'art reproduite devient, dans des proportions toujours plus importantes, la reproduction d'une oeuvre d'art conçue pour la reproductibilité » 1 ( * ) . Dès les années 1930, Walter Benjamin saisit le bouleversement auquel la création artistique fait face avec l'essor de la photographie et du cinéma : la possibilité de reproduire une même oeuvre à l'infini, loin de dénaturer la création, modifie le rapport de l'artiste au support de son oeuvre.

La reproductibilité technique d'une oeuvre ouvre ainsi des nouveaux champs de création et vivifie la production culturelle.

Après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, les premiers ordinateurs font leur apparition et posent les premiers jalons de la transition numérique du monde. Dès cette époque, des artistes commencent à se saisir de cet outil innovant pour explorer de nouveaux modes de compréhension et d'interprétation du monde. L'art numérique était né.

Depuis lors, son développement a suivi tous les progrès de l'informatique et n'a cessé de s'enrichir. Mais il a connu une très forte accélération au cours des dernières années grâce à la diffusion massive des technologies de l'information : maintenant que chaque individu possède un accès personnalisé à internet, dispose de réseaux sociaux pour partager ses centres d'intérêt et explore le monde par le biais d'un appareil numérique, l'accès à l'art connaît une nouvelle vague de démocratisation.

Ce puissant essor tient donc à des changements d'habitudes. La pandémie, avec les restrictions sanitaires qu'elle a impliquées, a précipité cette tendance : les mesures de distanciation sociale ont créé chez des publics très divers une appétence pour cette forme d'art.

L'art numérique ne se limite pourtant pas aux écrans. Au contraire, de nombreuses créations ont rappelé que l'art peut ré-enchanter l'espace public, en augmentant des bâtiments ou en dotant des lieux communs de nouvelles expériences. L'Atelier des Lumières à Paris, la Carrière des Baux de Provence, le Bassin des Lumières de Bordeaux ou encore la Fête des Lumières de Lyon montrent un aperçu des horizons riches et divers que l'art numérique nous dévoile.

L'art numérique permet ainsi de démocratiser l'accès à la culture auprès d'une nouvelle audience. Son aspect expérientiel, participatif et immersif participe pleinement à la diffusion de l'art, notamment auprès des nouvelles générations. Le succès des expositions intégrant de l'art numérique témoigne de cette adéquation entre cette forme de création et l'appétence du public. En outre, de nombreuses entreprises innovantes se sont créées en France qui font la promotion de nouvelles générations d'artistes.

Pourtant, l'art numérique n'est pas traité, au plan fiscal, de la même façon que d'autres formes de création. Cela tient essentiellement à un double phénomène : d'une part, les dispositifs fiscaux existants de soutien à la création, au premier rang desquels le mécénat, ne sont pas calibrés pour intégrer ces oeuvres ; d'autre part, l'art numérique, parce qu'il implique de valoriser une oeuvre d'art par la certification d'un fichier contenant l'oeuvre, oblige à repenser le mode de valorisation de l'oeuvre.

En effet, l'art numérique a tout d'abord été diffusé en ligne, sur des sites spécialisés ou des réseaux sociaux. Mais le manque de traçabilité de ce type de diffusion a amené les artistes à chercher de nouveaux modèles pour mettre en valeur le fruit de leur travail. Rapidement l'art numérique s'est appuyé sur le développement des jetons non fongibles (JNF) ou « non fungible tokens » en anglais (NFT), qui constituent des titres de propriété autant que des certificats d'authenticité. Une part croissante d'artistes recourt aujourd'hui à ce type de jetons pour pouvoir valoriser et protéger leurs créations. Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a ainsi récemment conclu à la nécessité de clarifier l'applicabilité aux JNF du régime fiscal des actifs numériques défini par l'article 150 VH bis 2 ( * ) .

C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à promouvoir l'art numérique et à protéger les nouvelles formes de création artistique.

L' article 1 er prévoit d'intégrer l'art numérique au champ du mécénat, en élargissant le champ des oeuvres éligibles aux dispositifs de mécénat prévus aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts, afin d'encourager particuliers et entreprises à financer de telles réalisations.

L' article 2 propose d'élargir aux oeuvres d'art numérique le dispositif de déduction fiscale pour l'acquisition d'oeuvres originales d'artistes vivants prévu par l'article 238 bis AB du code général des impôts. Il permet également d'élargir le champ d'application de ce mécanisme à la location d'oeuvres, qui correspond davantage aux modes de diffusion de l'art numérique.

L' article 3 avance une définition légale des jetons non-fongibles ad hoc . Cette définition permettrait notamment de préciser le régime fiscal applicable aux plus-values réalisées lors de la cession de jetons non-fongibles.

L' article 4 gage la proposition de loi.


* 1 L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique , Walter Benjamin

* 2 Rapport de la mission sur les jetons non fongibles , Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, juillet 2022 (proposition n°8).

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