EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 1946, notre organisation institutionnelle comporte une « troisième assemblée constitutionnelle ». Il s'agit du Conseil économique devenu Conseil économique et social puis Conseil économique, social et environnemental. Il est censé être l'instrument de ce que l'on appelle aujourd'hui la démocratie participative.

Périodiquement réformée, souvent critiquée mais surtout largement ignorée, cette institution n'a jamais réussi à trouver sa place dans le débat public. Au début de 2009, le rapport Chertier s'ouvrait sur le constat de « l'utilité controversée » du Conseil économique et social et sur son « défaut de représentativité ».

En dépit de la réforme opérée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et par la loi organique du 28 juin 2010, ce constat sévère garde toute sa pertinence.

Les modestes ajustements de la composition du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont essentiellement porté sur l'adjonction de quatre représentants des jeunes et des étudiants et de dix-huit représentants des associations et fondations environnementales. Ils ne peuvent suffire à garantir sa représentativité, non plus que les progrès de la parité hommes-femmes.

L'intention d'en faire une « chambre du futur », annoncée par le Président de la République dans son discours devant le Congrès du Parlement en juillet 2017, n'est, au-delà de la résonnance élogieuse de l'expression, qu'un symptôme de plus d'une insatisfaction dont on voit qu'elle a gagné les plus hautes autorités de l'État.

Les années passent, l'insatisfaction persiste et la revalorisation attendue du CESE n'a pas eu lieu. Pire : aucune amélioration concrète ne se dessine, malgré les réflexions conduites pour essayer de donner une suite au souhait du Président de la République. Le « concours d'idées » reste désespérément infructueux, comme en témoigne le rapport de l'Observatoire sur la réforme du CESE déposé en novembre dernier : « la Constitution ne place pas le CESE sur un pied d'égalité avec les deux autres assemblées. Il semble pourtant indispensable de corriger ce défaut si l'objectif réel est bien de faire du CESE la troisième Chambre de la République, et non une assemblée de deuxième catégorie dont les avis peuvent être négligés. Auquel cas, il vaudrait mieux supprimer le CESE plutôt que de rester dans cet entre-deux qui ne profite guère à personne ».

Mais on ne voit pas en quoi les propositions formulées par ce rapport permettraient de sortir de « cet entre-deux » justement critiqué : faire participer les membres du CESE sans droit de vote aux réunions du Congrès, de l'ordre de deux ou trois par quinquennat, justifie-t-il vraiment le maintien d'une assemblée permanente de près de 300 membres et 140 agents ? ... d'autant que cette proposition va de pair avec celle d'une augmentation de l'enveloppe versée par l'État au budget du CESE, de 37 M€ en 2017.

De même, ne saurait constituer une raison suffisante l'idée, à la supposer pertinente, de développer les « assemblées consultatives citoyennes » en réunissant, sur des sujets nationaux, 26 personnes « issues de la société civile » sous la présidence de trois membres du CESE (ce qui, au passage, laisse entendre que les membres du CESE ne sont pas regardés comme représentant la société civile...). Et le même jugement peut être tenu à propos des recommandations tendant à organiser sous l'égide du CESE un forum de la société civile et une journée de la démocratie ou à lui confier la centralisation des pétitions citoyennes via la gestion d'une plateforme dédiée.

D'une manière générale, les quelques propositions formulées dans ce rapport pour essayer que le CESE trouve enfin ses marques au sein de nos institutions ne font que souligner, par leur indigence, l'inanité d'un tel exercice. Au final, c'est sur la conception même d'une assemblée unique censée assurer la représentation d'une société civile aux composantes pourtant multiples et inégalement organisées qu'il faut s'interroger.

Il faut surtout regretter que la réforme de 2008 et la loi organique du 28 juin 2010 qui l'a suivie n'aient pas été l'occasion de revenir sur la présence, au sein de la « troisième assemblée », de 40 personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement dont, par le passé, le choix souvent contestable a contribué à décrédibiliser le CESE. Certaines des nominations effectuées en 2010 et 2015 ont malheureusement démontré que le CESE continuait à pâtir de ces pratiques déplorables.

De même, le maintien, sous la dénomination de « personnalités associées », des anciens « membres de section », eux aussi désignés par le Gouvernement, ne conforte ni la représentativité ni la légitimité du CESE. L'examen de l'activité du Conseil depuis la révision constitutionnelle ne convainc pas non plus de l'effet de sa réforme sur son rôle et son utilité.

Le site internet du CESE fait ainsi état, avis et études (et, parfois, résolutions et contributions à un débat) confondus, de 29 travaux en 2013, 27 en 2014, 34 en 2015, 15 en 2016 et 28 en 2017, soit un total de 133, ce qui, rapporté aux 233 membres et 60 personnalités associées (qui peuvent être rapporteurs), représente en moyenne moins d'un demi-chantier confié à chaque hôte du Palais d'Iéna sur cinq années (durée d'une mandature)...

Le plus inquiétant est que ces travaux continuent de résulter majoritairement d'autosaisines. La révision constitutionnelle n'a pas créé une tendance de fond à l'augmentation du nombre de saisines gouvernementales. Sur les vingt-huit chantiers achevés en 2017, dix-neuf résultaient d'autosaisine ; seulement 8 avaient été commandés par le Gouvernement et un seul par une assemblée parlementaire (l'Assemblée nationale).

En mars 2018, sur vingt-deux saisines en cours concernant des avis ou études, deux seulement émanent du Gouvernement. Depuis la révision constitutionnelle, on ne relève qu'un seul exemple de saisine parlementaire (par l'Assemblée nationale). De plus, le site du CESE ne fait état que de trois pétitions traitées depuis 2010, dont l'une déclarée irrecevable ; le fait que la dernière remonte à 2013 interroge, c'est le moins que l'on puisse dire, sur la perception de l'utilité de cet outil par les citoyens.

Comme avant lui, le Conseil économique et le Conseil économique et social, le CESE reste donc peu consulté et peu entendu. En outre, pour reprendre les termes de la Cour des comptes, qui a dressé en 2015 un constat sans concession sur sa gestion, il est « confronté à une concurrence croissante des multiples structures de conseil ou d'expertise qui entourent le Gouvernement ».

Le fait est que l'on ne voit guère quelle place il pourrait trouver pour apporter une réelle plus-value aux multiples formes ou instances de consultation ou de concertation jugées plus efficaces, mieux adaptées au temps de la décision politique, plus réactives ou plus médiatiques : organes consultatifs à compétence sectorielle (Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, Conseil national de l'insertion par l'activité économique, Haut Conseil à la vie associative...), Grenelle de l'environnement, états généraux ou assises tenus sur des sujets divers, grande conférence sociale, commissions d'experts...

Récemment encore, le décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 a créé un Commissariat général à la stratégie et à la prospective (baptisé « France Stratégie » en 2017), héritier lointain du Commissariat au plan qui avait en son temps concurrencé le Conseil économique. Cette instance de réflexion et de concertation est entre autres chargée de favoriser « la large participation de l'ensemble de la société française à la réflexion sur l'avenir ».

La présente proposition de loi constitutionnelle a donc pour objet de renoncer à une construction institutionnelle qui n'a jamais fait la preuve de son efficacité et de supprimer le CESE, ce qui présenterait deux avantages immédiats :

- ouvrir la voie à une réflexion renouvelée sur l'organisation et le fonctionnement de la démocratie participative ;

- réaliser une économie budgétaire non négligeable, la dotation budgétaire du Conseil économique, social et environnemental s'élevant, pour 2018, à plus de 40 millions d'euros.