EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Consommation et stock d'Uranium

L'énergie nucléaire nécessite la production d'uranium enrichi à 4 % par centrifugation d'uranium naturel qui ne contient qu'environ 0.7 % d'uranium fissile. Après un cycle de combustion de quelques années dans un réacteur nucléaire, il résulte de l'uranium appauvri inutilisable dans notre parc nucléaire actuel.

Si la France ne dispose pas directement d'uranium naturel sur son territoire, les opérations d'enrichissement ont, elles, lieu en France. Aujourd'hui, pour faire fonctionner nos 56 réacteurs nucléaires, EDF a besoin de 8 à 10 000 tonnes d'uranium naturel chaque année.

Fin 2021, le stock d'uranium appauvri entreposé sur notre territoire national était de 324 000 tonnes et en conservant ce rythme actuel, il devrait avoisiner 550 000 tonnes en 2050.

Les classifications actuelles

Aujourd'hui, deux classifications existent pour catégoriser les matières issues de la filière nucléaire :

- Matière radioactive : substance pour laquelle une utilisation ultérieure crédible est prévue ou envisagée ;

- Déchet radioactif : substance pour laquelle aucun usage futur n'est envisagé.

La classification d'une matière est décidée, selon la loi, par l'autorité administrative après avis de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).

Aujourd'hui se pose la question de l'avenir de ce stock d'uranium appauvri et de sa classification.

Compte tenu des décisions prises durant les 25 dernières années, l'ASN a émis un avis en 2020, proposant de classer l'uranium appauvri en déchet radioactif. Ce serait un changement de cap majeur pour l'ensemble de la filière nucléaire en négligeant les usages potentiels stratégiques de l'uranium appauvri.

En 2020, l'OPECST a publié un rapport sur l'éventuel abandon du projet de réacteurs de 4e génération ASTRID et les conséquences au regard des enjeux climatiques, énergétiques et industriels pour notre pays. 150 interlocuteurs impliqués dans ce sujet ont été auditionnés. L'une des conclusions du rapport dénonçait à long terme les conséquences potentiellement lourdes sur l'industrie nucléaire française et sur le stockage géologique des déchets, alors même que le projet ASTRID répondait à cette problématique.

Le parc actuel de réacteurs à eau pressurisée.

Si aujourd'hui nous avons plusieurs pays fournisseurs d'uranium naturel, certains sont à très faible niveau de démocratie et le risque politique peut peser sur les approvisionnements, à l'exception du Canada et de l'Australie.

Il est possible de produire de l'uranium enrichi à partir d'uranium appauvri, en acceptant bien sûr une augmentation des coûts de production. Pour satisfaire le besoin annuel du Parc EDF, soit 1 000 tonnes d'uranium enrichi chaque année, il faudrait puiser de l'ordre de 20 000 tonnes dans le stock d'Uranium appauvri, les 324 000 tonnes détenues offrant ainsi une autonomie de 15 ans, ce qui serait un délai suffisant pour basculer sur un parc de réacteur à neutrons rapide (RNR), indépendamment des tensions internationales.

Les réacteurs à neutrons rapides (RNR)

Les réacteurs à neutrons rapides sont un outil unique du nucléaire durable. Ils tirent parti de 99 % de la matière énergétique en utilisant les neutrons de la fission sans les ralentir comme c'est le cas d'un réacteur classique. Ce système permet aux RNR de consommer de l'uranium appauvri comme combustible ce qui économise de la ressource et minore la production de déchets.

Les RNR sont donc indispensables au nucléaire durable et c'est même la seule façon d'accéder à cette étape de maturité de la production d'électricité nucléaire.

Ces RNR ne sont pas une lointaine possibilité ou un mirage puisqu'ils ont été en fonction en France, mais le développement du nucléaire durable a systématiquement été empêché par l'écologie politique. Les premiers RNR ont été des succès français, conférant à la France le rôle de leader mondial en la matière. Hélas, des arrangements politiques ont mis fin, à deux reprises, à la recherche et au développement sur cette filière.

D'abord, Rapsodie (puissance de 24 MWth, conçu en 1957 et mis en service en 1967), puis Phenix (1er réacteur prototype industriel, 250 MWe conçu en 1957 et mis en service en 1973 jusqu'en 2010) et enfin, Superphenix (puissance de 1200 MW mis en service en 1976).

Les professionnels du secteur sont sûrs d'une chose : les raisons techniques ne sont pas l'origine de ces abandons et nous ont donné un retard certain dans le combat de décarbonation de notre énergie.

L'argument principal était d'ordre économique : seule une augmentation excessive du coût de l'uranium pourrait justifier qu'on se tourne vers les RNR. Personne à cette époque n'était choqué qu'on utilise moins de 1 % de la ressource naturelle et qu'on abandonne le reste aux déchets.

Pourtant, si la France décidait de déployer industriellement les RNR à partir de 2050, le stock actuel d'uranium appauvri permettrait à la France une autonomie énergétique de plusieurs milliers d'années. Loin d'être un déchet, ce stock d'uranium appauvri est une ressource stratégique pour notre pays.

Classer l'uranium appauvri en déchet nucléaire : une triple erreur

L'autorité administrative n'a pour le moment pas pris la décision de classer l'uranium appauvri en déchet nucléaire mais cela serait triplement problématique :

1. Cette solution serait coûteuse, car elle conduirait à envisager des sites de stockage dédiés pour des quantités d'uranium appauvri considérables, dont la radioactivité et la radiotoxicité sont moindres que celle de l'Uranium naturel. Il en résultera mécaniquement une dégradation des finances d'EDF et une augmentation des coûts de production et de vente de l'électricité.

2. L'uranium appauvri peut être lui-même enrichi pour fournir un combustible utilisable dans le parc électronucléaire actuel, ce qui augmente par une sorte de « mine supplémentaire » nos ressources.

3. Enfin une telle qualification comme déchet ferme définitivement la voie au développement des Réacteurs à Neutrons Rapides (RNR), privant le politique d'un levier de décision stratégique.

Face à ce constat, l'uranium appauvri, loin d'être un déchet, doit être considéré comme un élément stratégique pour notre sécurité d'approvisionnement et la sécurité de la France. Il nous apparaît donc primordial de sanctuariser le stock d'uranium appauvri en stock stratégique pour des raisons de souveraineté mais aussi de capacité à développer un nucléaire durable.

Cette proposition de loi vise donc à créer une nouvelle classification pour les matières radioactives, en ajoutant la catégorie « stock stratégique ».

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