EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La nécessité d'améliorer les voies de circulation entre les pôles urbains de Toulouse et Castres est depuis plus de trente ans (1994) un sujet de préoccupation des pouvoirs publics. Actuellement, la plupart des usagers circulent sur la route nationale 126, qui est, sauf en deux contournements, à 2x1 voie.
Pour répondre à cette nécessité, l'État a lancé le projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse. Ce projet, essentiel pour l'aménagement de notre territoire, consiste en la réalisation de deux opérations ayant pour objet commun de faire passer la totalité du trajet en 2x2 voies :
§ l'élargissement à 2x2 voies de la bretelle autoroutière A680 existante entre Verfeil et Castelmaurou, concédée à la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) et la création d'un échangeur à Verfeil. Cette opération a été déclarée d'utilité publique par arrêté préfectoral du 22 décembre 2017 ;
§ la réalisation d'une nouvelle liaison autoroutière à 2x2 voies entre Castres et Verfeil (A69), constituée de 44 km de voies nouvelles et de 10 km de sections de routes à 2X2 voies existantes, dans le cadre d'une concession conclue le 20 avril 2022 avec la société ATOSCA. Cette opération a été déclarée d'utilité publique par le décret n° 2018-638 du 19 juillet 2018.
Afin de mener à bien ces opérations, la société ASF s'est vue délivrer une autorisation environnementale au titre de l'article L. 181-1 du code de l'environnement par arrêté du préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne, du 2 mars 2023. La société ATOSCA s'est, quant à elle, vue délivrer une autorisation environnementale au titre du même article L. 181-1 du code de l'environnement par arrêté du préfet du Tarn et du préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne, du 1er mars 2023.
Ces deux autorisations environnementales tiennent lieu de dérogation aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement relatives aux habitats et espèces protégés.
L'obtention des autorisations environnementales a permis aux sociétés ASF et ATOSCA de lancer la réalisation des travaux. Fin février 2025, la société ATOSCA avait ainsi réalisé environ 60 % des travaux projetés (54 % des volumes de terrassement, 70 % des ouvrages d'art), pour un montant déjà investi d'environ 300 millions d'euros, avec une mise en service de l'autoroute prévue en décembre 2025. Quant à l'A680, environ 80 % des travaux avaient été réalisés par ASF et les automobilistes circulent d'ailleurs déjà sur une partie de l'itinéraire élargi, la mise en service de l'ensemble de l'ouvrage devant intervenir durant l'été 2025.
Par deux jugements du 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux autorisations environnementales au motif qu'aucune raison impérative d'intérêt public majeur ne justifiait qu'il soit dérogé aux dispositions du code de l'environnement relatives aux habitats et espèces protégés. Ces annulations ont entraîné l'interruption immédiate des travaux.
L'État a fait appel de cette décision qu'il a assorti d'une demande de sursis à exécution. Dans l'attente de la suite donnée à la demande de sursis à exécution et de la décision de fond de la juridiction d'appel, qui n'interviendra pas avant plusieurs mois, les chantiers restent donc à l'arrêt.
Eu égard à l'expression claire des acteurs politiques, sociaux et économiques du territoire, conjuguée au bénéfice attendu du projet, et afin de permettre la réalisation de cette liaison autoroutière dans les meilleurs délais, la présente proposition de loi vise à valider les deux autorisations environnementales du projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse en tant que ce dernier répond à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens de la législation relative aux espèces et habitats protégés.
Cette proposition est conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de validations législatives.
Elle est en particulier fondée sur plusieurs motifs impérieux d'intérêt général qui sont, en premier lieu, tirés de la nécessité de réaliser ces deux opérations.
De telles opérations relatives à des ouvrages d'infrastructure de transport s'inscrivent par nature dans le temps long en participant structurellement aux politiques d'aménagement et d'équilibre économique des territoires. Les représentants de la Nation et de ses territoires sont tout particulièrement légitimes à déterminer s'il est nécessaire de les réaliser.
En l'occurrence, les opérations visées par la présente proposition ont pour objet de réduire le temps de trajet entre Toulouse et Castres (gain de temps de 25 minutes en moyenne) et d'améliorer ainsi la desserte du bassin d'emploi de Castres-Mazamet (environ 80 000 habitants et 50 000 emplois), de renforcer sa liaison avec l'ensemble de la métropole toulousaine, d'en conforter le développement socio-économique et de faciliter l'accès aux grands équipements régionaux.
Ces opérations permettraient ainsi de rendre la production manufacturière du sud du Tarn plus attractive en termes de recrutement et de bénéficier d'un accès équitable aux marchés toulousains, nationaux et internationaux. Elles permettraient de soutenir les filières économiques et d'y maintenir les emplois et les entreprises grâce à une accessibilité de meilleur niveau. Inversement, l'absence d'autoroute va couper l'élan d'attractivité territoriale engendré par le chantier et empêcher les entreprises de s'installer.
Ce projet concourt également à l'équité territoriale entre les villes moyennes autour de la métropole toulousaine en corrigeant le désavantage subi par l'agglomération de Castres-Mazamet par rapport aux autres villes moyennes situées autour de Toulouse, en permettant un meilleur accès aux équipements métropolitains (enseignement, santé, aéroport international, etc.).
Le projet renforce également la sécurité publique en proposant un aménagement autoroutier cinq fois plus sécurisé que l'itinéraire actuel, la mise aux normes de sécurité des tronçons 2x2 voies de Soual et de Puylaurens, la déviation des communes de Cuq Toulza et de Saïx et la création de nouveaux diffuseurs à Verfeil, Villeneuve-les-Lavaur / Maurens-Scopont, Soual Est et Castres. Il permet aussi d'améliorer le cadre de vie des habitants en éloignant, entre Toulouse et Castres, l'itinéraire principal des zones urbanisées.
Aucune solution alternative ne permettrait des résultats comparables, notamment en termes de gain de temps, d'amélioration du trafic, d'effets sur le cadre de vie et sur la sécurité routière. Si le projet de liaison autoroutière entre les villes de Toulouse et de Castres a des incidences sur la faune et la flore, les zones humides, les surfaces agricoles et certains monuments classés ou inscrits, l'État et les sociétés concessionnaires ont prévu des mesures destinées à les éviter, les réduire ou les compenser.
Ce sont ces motifs qui ont conduit le Gouvernement à déclarer l'utilité publique des deux opérations concernées par la validation en 2017 et 2018.
Cette utilité publique a été de surcroît confirmée en 2021 par le Conseil d'État qui a considéré qu'« eu égard à l'intérêt public que présente le projet, à son importance et aux mesures qui l'accompagnent pour éviter, réduire ou compenser ses effets sur la faune, la flore et les zones humides, les inconvénients qu'il présente, notamment en termes de coût, d'atteintes portées à la propriété privée, lesquelles concernent essentiellement des surfaces non bâties, de conséquences pour l'environnement et les monuments classés ou inscrits ne présentent pas un caractère excessif de nature à retirer au projet son caractère d'utilité publique » (CE 5 mars 2021, n° 424323).
Le Conseil d'État a eu d'autres occasions de se prononcer sur des actes relatifs au projet de l'autoroute A69, dont il n'a jamais remis en cause la validité (ordonnance n° 472633 du 19 avril 2023 et décisions n° 482985 du 29 novembre 2023 et n° 490639 du 17 juin 2024).
Loin de remettre en cause le principe de séparation des pouvoirs, la présente validation s'inscrirait au contraire dans la continuité des décisions prises par la plus haute juridiction administrative.
Ce sont également ces motifs qui ont conduit le législateur à inscrire, en 2019, le projet de liaison autoroutière Toulouse-Castres parmi les programmes d'investissement prioritaires figurant dans la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. Ce projet constituait ainsi l'une des cinq priorités nationales définies par le Gouvernement et les services de l'État en matière d'infrastructure de transport routier.
Ce sont encore ces motifs qui ont conduit près de 500 élus locaux à signer une tribune pour soutenir le projet en décembre 2024 alors que les autorisations environnementales étaient contestées devant la juridiction administrative. Le projet bénéficie ainsi d'un soutien local avéré de la part des collectivités territoriales concernées (région Occitanie, départements du Tarn et de Haute-Garonne, Communauté d'agglomération de Castres-Mazamet et Communauté de communes du Sor et de l'Agout notamment) ainsi que des chambres consulaires.
Le vice tiré d'une méconnaissance du droit de l'environnement retenu par le tribunal administratif de Toulouse empêche ainsi la réalisation de la volonté exprimée par le Gouvernement, le législateur et les élus et acteurs locaux, et est également contraire à la position retenue par le Conseil d'État en 2021.
En second lieu, les motifs impérieux d'intérêt général justifiant la présente validation ne se limitent pas à la nécessité même de réaliser le projet de liaison autoroutière.
En matière de validation législative, ces motifs peuvent en effet s'inscrire dans un champ plus large que les « raisons impératives d'intérêt public majeur » que le tribunal administratif de Toulouse a appréciées dans ses jugements du 27 février dernier. Le Parlement, sollicité dans le cadre de la présente proposition, n'a ainsi pas vocation à substituer son analyse de l'intérêt général à celle du tribunal administratif de Toulouse, mais procède à une appréciation sur des bases plus larges.
En l'occurrence, un autre motif impérieux d'intérêt général justifiant la présente validation est tiré des conséquences extrêmement dommageables pour l'État qu'aurait l'annulation des autorisations environnementales, conséquences que le tribunal administratif de Toulouse n'a pas prises en compte dans son analyse mais que le législateur doit pour sa part appréhender.
Cette annulation conduirait en effet l'État à devoir indemniser les concessionnaires au titre de l'immobilisation du chantier, à résilier la concession de l'autoroute A69 et à indemniser de nouveau la société ATOSCA pour les dépenses qu'elle a exposées dans le cadre du chantier et pour son manque à gagner. Le montant des indemnités s'élèverait a minima à plusieurs centaines de millions d'euros.
L'État devrait aussi assumer le coût de destruction de l'ensemble des travaux réalisés jusqu'à ce jour, estimé à plus d'un milliard d'euros.
L'enjeu pour les finances publiques et le bon usage des deniers publics est donc majeur.
Les conséquences socio-économiques seraient également très lourdes, puisqu'environ 1 000 emplois directement concernés par le chantier de l'A69 disparaîtraient. L'arrêt du chantier impliquerait la rupture d'une centaine de contrats d'intérimaires, ainsi que des difficultés pour l'ensemble des sous-traitants locaux qui devaient achever le chantier. Une partie des conséquences de l'arrêt se font déjà ressentir, avec la réaffectation de près de 400 personnes sur d'autres chantiers ainsi qu'avec le recours aux dispositifs de chômage partiel engagé dès le mois de mars pour des entreprises qui ont parfois jusqu'au tiers de leur chiffre d'affaires en lien avec l'autoroute. La fin des travaux de l'A69 met également en péril les 67 entreprises sous-traitantes qui dépendent largement voire exclusivement du chantier. Il faut également prendre en compte les pertes économiques pour les entreprises qui ont anticipé la mise en circulation de l'A69 et lourdement investi en construisant des bâtiments qu'elles ne pourraient rentabiliser. De même, il convient de tenir compte des entreprises et des emplois qui allaient être créés mais ne le seraient finalement pas du fait de l'abandon des travaux.
Ces conséquences ne seraient au demeurant aucunement contrebalancées par les prétendus gains retirés de l'annulation des autorisations environnementales. Compte tenu du niveau d'avancement des travaux, il est en effet illusoire de penser qu'une remise dans l'état initial serait aujourd'hui envisageable. En outre, la destruction des ouvrages ou éléments d'ouvrages déjà réalisés est par elle-même de nature à provoquer de nouvelles atteintes à l'environnement.
Ces conséquences constituent pour le législateur un autre motif impérieux d'intérêt général justifiant la validation des autorisations environnementales annulées par le Tribunal administratif de Toulouse.
Par ailleurs, outre son caractère d'intérêt général, la présente proposition est conforme aux autres exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de validations législatives :
§ elle respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée, l'appel étant pendant devant la Cour administrative d'appel de Toulouse ;
§ elle n'intervient pas, à l'évidence, en matière répressive, de sorte que le critère tiré du respect du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions n'est pas applicable au cas d'espèce ;
§ elle ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ;
§ la portée de la validation est strictement définie : elle concerne seulement la légalité de deux autorisations au regard d'une seule des conditions posées par un article précis du code de l'environnement. Ne sont donc pas concernées les autres conditions de fond ou de forme qui s'imposent à ces autorisations environnementales.
Enfin, la présente proposition s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence la plus récente rendue par le Conseil constitutionnel en matière de raison impérative d'intérêt public majeur au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Par une décision du 5 mars 2025 (décision n° 2024-1126 QPC), le Conseil constitutionnel a en effet admis que la raison impérative d'intérêt public majeur visée par cet article pouvait faire l'objet d'une reconnaissance indépendamment de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale dans la mesure où :
§ en adoptant des dispositions permettant une telle reconnaissance, « le législateur a entendu réduire l'incertitude juridique pesant sur certains projets industriels », ce qui constitue « un objectif d'intérêt général » (point 9 de la décision précitée) ;
§ cette reconnaissance ne concerne que des projets précisément identifiés et revêtant une importance particulière (point 10) ;
§ elle ne supprime pas l'obligation pour l'autorité administrative compétente de s'assurer, sous le contrôle du juge, que les autres conditions prévues pour la délivrance de la dérogation aux dispositions du code de l'environnement relatives aux habitats et espèces protégés sont satisfaites (point 17).
La présente proposition poursuit le même objectif d'intérêt général visant à réduire l'incertitude juridique pesant sur un projet précis et majeur en raison de son importance. La portée de la validation législative étant strictement définie, elle n'affecte pas l'obligation pour l'autorité administrative de s'assurer, sous le contrôle du juge, que les autres conditions de délivrance de l'autorisation environnementale sont réunies.