EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, le Conseil constitutionnel a qualifié la liberté académique de principe fondamental reconnu par les lois de la République en 1984 : « Les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties. »
Le code de l'éducation dispose également que : « les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions », selon l'article L. 952-2. Ces libertés sont aussi un « gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. »
D'autres textes consacrent cette liberté :
- Les universités doivent assurer « les conditions d'indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle » (article L. 123-9 du code de l'éducation) ;
- « Le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique (...). Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » (article L. 141-6 du code de l'éducation) ;
- En droit européen, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (UE) de 2000, dans son article 13, dispose que « les arts et la recherche scientifique sont libres » et que « la liberté académique est respectée ».
Une recommandation du Conseil de l'Europe du 30 juin 2006 affirme aussi que la liberté académique, dans la recherche comme dans l'enseignement, doit garantir la liberté d'expression et d'action, de communiquer des informations, de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité. Le texte rappelle que « l'autonomie institutionnelle des universités devrait recouvrir un engagement indépendant envers leur mission culturelle et sociale traditionnelle ».
Profondément inquiets quant aux remises en cause de cette liberté dans le monde, les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle entendent rendre cette liberté irréversible par son inscription dans notre Constitution. Sa mention dans la loi fondamentale compliquerait toute tentative de la supprimer ou de lui porter gravement atteinte.
La présente proposition de loi constitutionnelle vise à transposer dans la Constitution le principe de la liberté académique consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et le code de l'éducation en tant que valeur intrinsèque reconnue par notre République.
La liberté académique est en effet menacée. En 2024, dans 34 pays, dont les États-Unis, l'Argentine, la Géorgie, la Finlande, Israël, elle a reculé, comme l'indique l'indice de liberté académique publié le 13 mars 2025. Élaboré à partir des évaluations d'experts dans 179 pays, cet outil évalue chaque année les niveaux de liberté selon plusieurs paramètres :
- la liberté de recherche et d'enseignement ;
- la liberté d'échange et de diffusion universitaires ;
- la liberté d'expression académique et culturelle ;
- l'autonomie institutionnelle des universités.
En 2023, le rapport constatait qu'un citoyen sur trois dans le monde vivait dans une zone de liberté académique (contre un sur deux en 2006). En 2023, 25 pays détiennent un score élevé de liberté académique entre 0,9 et 1 (contre 46 en 2006). Les pays européens, dont la France, sont en tête du classement. Inversement, la Chine (0,07), l'Inde (0,16) et la Russie (0,21) enregistrent un score plus faible.
Aux États-Unis, les experts notent en particulier une baisse de la liberté académique entre 2019 et 2024. Le rapport 2025 pointe « une pression sans précédent » de l'administration de Donald Trump sur la science depuis janvier 2025. La politique « anti-science » et les attaques contre les universités (coupes budgétaires, législation restrictive...) ont aussi pris de l'ampleur dans certains États fédéraux.
La présente proposition de la loi constitutionnelle s'appuie enfin sur les conclusions du Conseil de l'Europe qui appelle à un renforcement de la protection juridique de la liberté académique.
Le Conseil de l'Europe a mis en place le projet « Libertés académiques en action » dans le cadre de son programme « Mission démocratique de l'enseignement supérieur » (2024-2027) qui prévoit notamment de : renforcer le cadre juridique, démocratiser la science et l'engagement civique (libre accès, participation du public au débat lors des résultats de la recherche, par exemple), relever les défis du numérique et de l'IA (menaces des algorithmes, harcèlement en ligne et influence des entreprises sur la diffusion des connaissances).
Fidèle à sa vocation, le Sénat entend promouvoir la recherche française et défendre l'autonomie des savoirs scientifiques, tout en préservant le cadre d'exercice des enseignants et des chercheurs dans le cadre d'une liberté académique réaffirmée et intangible.