EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De très nombreuses collectivités, par la voix de leurs élus, ont dénoncé les difficultés grandissantes auxquelles elles font face pour s'assurer. Dans ce contexte, la commission des finances du Sénat a mené au premier trimestre de l'année 2024 une mission d'information sur les difficultés assurantielles des collectivités territoriales. À la suite d'une vingtaine d'auditions, de trois déplacements et en s'appuyant sur une consultation en ligne des élus locaux ayant recueilli plus de 700 contributions, le rapport de la mission d'information, remis le 27 mars 2024, a dressé un diagnostic complet de ces difficultés et formulé des propositions opérationnelles permettant de garantir une solution d'assurance à chaque collectivité territoriale.

Premier constat : l'état de la concurrence sur le marché de l'assurance des biens des collectivités territoriales est pour le moins perfectible. Au cours des dernières années, des politiques tarifaires agressives ont largement réduit le nombre d'acteurs sur ce marché. De cette forte concentration, caractérisée par un quasi-duopole, découle une asymétrie de pouvoir entre les collectivités et leurs assureurs.

Deuxièmement, les collectivités rencontrent des difficultés croissantes dans leur relation avec leur assureur, et ce à tous les stades de cette relation, depuis l'appel d'offres, de plus en plus souvent infructueux, jusqu'à l'exécution, où les collectivités doivent composer avec des avenants durcissant les conditions tarifaires ou réduisant la couverture du risque. Ainsi, 60 % des collectivités ayant répondu à la consultation en ligne du Sénat ont déclaré avoir eu un problème important avec leur assureur, ce taux s'élevant à 90 % pour les collectivités de plus de 10 000 habitants.

Troisièmement, les risques auxquels sont confrontés nos territoires augmentent en fréquence. Il s'agit notamment des émeutes et des mouvements sociaux violents, qui présentent la double caractéristique de générer des coûts potentiellement insoutenables pour les collectivités territoriales et d'entraîner un retrait des assureurs de certaines zones urbaines particulièrement exposées. Difficilement modélisables et anticipables, les violences sociales sont par conséquent moins assurables. À titre d'exemple, les émeutes de l'été 2023 ont occasionné des dommages aux biens des collectivités de près de 197 millions d'euros, soit 27 % du coût total des dégradations, estimé à 730 millions d'euros.

Il s'agit également de la multiplication des évènements climatiques. Selon les projections socio-démographiques et climatiques les plus récentes, l'indemnisation des dommages liés à ce type d'aléas représentera un total de 143 milliards d'euros sur la période 2020-2050, contre 74 milliards d'euros sur la période 1989-2019. Les collectivités territoriales et leurs biens immobiliers sont particulièrement exposés à ces risques.

Ces constats ont été partagés et repris par MM. Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès, missionnés par le Gouvernement, dans leur rapport sur l'assurabilité des biens des collectivités locales et de leurs groupements, remis en septembre 2024. Il en va de même pour l'Autorité de la concurrence, saisie par la commission des finances du Sénat, qui, dans un avis rendu le 23 janvier 2025, a rejoint son analyse de la situation concurrentielle du secteur de l'assurance de dommages aux biens des collectivités territoriales.

Pour autant, force est de constater qu'un an après la remise des travaux de la mission d'information de la commission des finances, les recommandations mises en avant par le Sénat n'ont, dans leur grande majorité, fait l'objet d'aucune traduction concrète. Or, si ces adaptations et modifications ne sont pas rapidement mises en application, la situation du marché de l'assurance des collectivités, qui connaît d'ores et déjà des tensions financières, devrait encore se dégrader.

C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à assurer une mise en oeuvre effective des recommandations formulées par la commission des finances. Elle comporte six articles, répartis en trois chapitres, qui correspondent aux trois leviers identifiés pour garantir l'assurabilité de nos territoires.

Le chapitre Ier comprend des dispositions visant à conforter la concurrence sur le marché de l'assurance privée des collectivités territoriales, par un suivi plus approfondi et systématique des pratiques commerciales intervenant sur le marché de l'assurance des collectivités territoriales.

L'article 1er formalise une mission de suivi spécifique du marché de l'assurance des collectivités territoriales, confiée à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Cet article précise également que la prérogative de mise en garde, dont dispose l'ACPR lorsqu'une personne soumise à son contrôle use de pratiques susceptibles de mettre en danger les intérêts de ses clients, assurés, adhérents ou bénéficiaires, peut être mobilisée lorsque ces pratiques visent les collectivités territoriales. Cette prévision garantit que l'ACPR ne réserve pas cet outil aux pratiques commerciales vis-à-vis des particuliers.

L'article 2 vise à introduire un observatoire des tarifs assurantiels applicables au secteur public, sur le modèle de l'observatoire des tarifs bancaires, adossé au Comité consultatif du secteur financier. Il permettra un suivi de l'évolution des tarifs des contrats d'assurance pratiqués dans le secteur public.

Le chapitre II vise à rééquilibrer les relations entre les assureurs et les collectivités territoriales dans la conclusion du contrat, son exécution et en cas de litige.

L'article 3 vise à encourager le recours à la médiation de l'assurance. Il confie au médiateur de l'assurance une compétence d'accompagnement des collectivités qui ne trouvent pas d'assureur. En l'état du droit, les compétences du médiateur se limitent aux différends entre assureurs et collectivités dans le cadre d'un contrat existant. Désormais, toute collectivité qui se trouve privée d'assureur aura un interlocuteur unique officiel vers qui se tourner.

Cet article confère également aux actions de médiation en matière d'assurance un caractère suspensif du délai de prescription des actions en justice menées sur la base de la relation contractuelle.

L'article 4 prévoit la systématisation des franchises dans les contrats d'assurance « dommages aux biens » des collectivités territoriales. Comme le soulignait le rapport de la mission d'information de la commission des finances, le choix d'un contrat avec franchise permet de responsabiliser la collectivité contractante et d'améliorer sa gestion des petits risques. Cette disposition reproduit un schéma existant dans le cadre du régime « CatNat ».

Enfin, le chapitre III entend assurer une couverture de l'ensemble des risques et en particulier des risques liés aux émeutes.

L'article 5 élargit le champ de la dotation de solidarité aux collectivités victimes d'évènements climatiques ou géologiques (DSEC) afin de couvrir les biens des collectivités territoriales endommagés à la suite d'émeutes ou de mouvements populaires violents. La DSEC actuelle ne couvre en effet que les dommages causés par des évènements climatiques ou géologiques graves.

L'article 6 prévoit une garantie obligatoire des dommages résultant d'émeutes et de mouvements populaires dans les contrats d'assurance « dommages aux biens ». Il introduit également un mécanisme de mutualisation du risque « émeutes et mouvements populaires », notion bien établie dans le droit des assurances. Inspiré des modèles du régime CatNat et du régime de gestion de l'assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme (Gareat), ce mécanisme reposerait sur une garantie obligatoire des dommages résultant d'émeutes et de mouvements populaires dans les contrats d'assurance « dommages aux biens » ainsi que sur la création d'un fonds prudentiel abondé par une surprime et dont l'intervention serait limitée aux dommages dépassant certains seuils.

Pour des raisons de compatibilité avec les règles de la recevabilité financière, la gestion de ce fonds serait confiée à une association à laquelle adhéreraient les entreprises d'assurance proposant des contrats incluant une garantie « émeutes et mouvements populaires ». Sa gestion pourrait, à terme, être confiée à la Caisse centrale de réassurance (CCR).

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