EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'Antiquité, la quête du savoir s'oppose aux illusions et aux préjugés. Dans La République, Platon décrit, à travers son allégorie de la caverne, la condition d'hommes enchaînés, condamnés à ne voir du monde que des ombres projetées sur une paroi. Seul celui qui parvient à s'en libérer peut accéder à la vérité et peut, malgré les résistances, éclairer les autres.

L'Université et la recherche sont aujourd'hui les héritières de cette mission : interroger le réel, confronter les idées et refuser les certitudes faciles. Mais cette exigence de vérité scientifique ne peut s'exercer que dans un cadre protégé, à l'abri des pressions politiques, économiques ou idéologiques. Garantir la liberté académique, c'est ainsi assurer aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs les conditions nécessaires à l'émancipation intellectuelle de la société tout entière.

Pourtant, ce concept reste parfois méconnu, voire mal compris, alors même qu'il est essentiel au bon fonctionnement du monde universitaire. Comme l'affirmait le doyen Georges Vedel, la liberté académique est une « liberté faite de liberté »1(*), qui recouvre : la liberté d'enseignement académique, la liberté de recherche académique et la liberté d'expression académique2(*). Elle constitue le fondement même de l'Université, permettant aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs de développer, sans contraintes, une réflexion critique et indépendante.

En permettant l'épanouissement d'une réflexion scientifique libre de toute influence, la liberté académique joue un rôle crucial dans le débat public. Elle constitue un rempart contre les discours démagogiques et contribue à objectiver les politiques publiques, qu'elles soient sociales, économiques ou environnementales. En cela, elle est l'un des piliers sur lesquels repose une démocratie éclairée, offrant à la société des analyses rigoureuses et libres.

Pourtant, cette liberté, essentielle à la vitalité démocratique, fait face à des menaces croissantes. À l'échelle internationale, les atteintes à la liberté académique se multiplient. L'indice de liberté académique (ILA), créé à l'initiative de Katrin Kinzelbach, professeure en politique internationale des droits de l'homme à l'Université Friedrich-Alexander d'Erlangen-Nuremberg, en est la mesure de référence. Cet indice évalue cinq dimensions : la liberté de recherche et d'enseignement, la liberté d'échange et de diffusion académiques, l'autonomie institutionnelle, l'intégrité du campus et la liberté d'expression académique et culturelle.

Les dernières évaluations de l'ILA montrent une tendance préoccupante : alors qu'en 2006, un citoyen sur deux dans le monde vivait dans une zone de liberté académique, en 2023, cette proportion est tombée à un sur trois.

Si l'ILA de la France conserve un score élevé (0,90 en 2023 contre 0,89 en 2006), la liberté académique fait face à des menaces grandissantes :

- des pressions économiques, dues à un financement public insuffisant de la recherche, aggravé par une dépendance croissante aux financements privés. L'essor des conventions de mécénat entre universités et entreprises, souvent marquées par un manque de transparence, soulève des interrogations, comme l'a documenté l'association Acadamia. Certains contrats intègrent des clauses de non-dénigrement, limitant la capacité des chercheurs et des enseignants-chercheurs à critiquer les entreprises ou leurs pratiques ;

- des contraintes administratives, notamment avec une augmentation des tâches bureaucratiques imposées aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs qui détourne leur attention de leur mission principale : la production de savoirs ;

- des menaces judiciaires, par le biais de procédures-bâillons : ces poursuites judiciaires abusives pour intimider les chercheurs et les enseignants-chercheurs, souvent sans réelle intention d'obtenir gain de cause en justice, dont les exemples se multiplient ces dernières années. Dès 2017, un rapport commandé par M. Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et rédigé par une commission présidée par le professeur Denis Mazeaud, recommandait d'introduire des mécanismes « anti-SLAPP »3(*) dans notre droit. La présente proposition de loi s'inspire directement de ces propositions restées sans traduction législative à ce jour.

- un climat d'anti-intellectualisme et de disqualification de toute pensée critique qui se traduit par des pressions, des intimidations et des injonctions à se taire de plus en plus fréquentes, notamment de la part de personnalités publiques ;

- enfin, les influences étrangères, dénoncées notamment par une mission d'information sénatoriale en 2021 menée par MM. Etienne Blanc et André Gattolin4(*).

Dès lors, il est impératif d'agir maintenant pour garantir la liberté académique avant que les menaces qui pèsent sur elle ne deviennent irréversibles. L'absence de cette protection par le droit affaiblit notre système académique face aux pressions internes et externes. Si cette liberté n'est pas protégée par le droit, elle risque de s'éroder. L'exemple récent des États-Unis illustre ce danger : depuis l'investiture du Président Donald Trump en janvier 2025, les ingérences politiques dans l'enseignement supérieur se sont multipliées, mettant en péril l'indépendance des chercheurs et la pluralité des savoirs.

Ce contexte, aussi préoccupant soit-il, place la France face à une responsabilité majeure, mais aussi face à une opportunité unique. Nous devons nous donner les moyens de devenir un pôle d'attraction pour les chercheurs étrangers qui fuient les pressions politiques, les menaces, les atteintes à la liberté académique. Pour cela, il est essentiel de leur offrir un cadre protecteur à la hauteur, capable de nous distinguer dans la compétition internationale pour l'accueil des chercheurs en exil.

Si la liberté académique est avant tout une exigence nationale, la garantir sans ambiguïté en ferait aussi un atout stratégique pour notre pays, en attirant les chercheurs en quête d'un espace de recherche libre et protégé.

En France, notre Constitution consacre les principes de gratuité et de laïcité de l'enseignement supérieur public depuis 1971 et l'indépendance des enseignants-chercheurs depuis la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984, qui l'a érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Pour autant, la liberté académique reste un angle mort du droit français et les quelques principes éventuellement identifiables sont peu prescriptifs.

La seule source, à valeur seulement législative, a été introduite en 2020 lors des débats sur la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. La première rédaction adoptée au Sénat : « Les libertés académiques s'exercent dans le respect des valeurs de la République » avait suscité un vif émoi au sein de la communauté scientifique. Face à la polémique, un compromis avait été trouvé en commission mixte paritaire, aboutissant à la rédaction actuelle : « Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs. »

Cette rédaction qui figure aujourd'hui à l'article L. 952-2 du code de l'éducation pose plusieurs problèmes :

- sur la forme, elle emploie le pluriel « libertés académiques », un choix contesté par les universitaires, qui privilégient le singulier en référence à l'expression allemande akademische Freiheit et à son équivalent anglais academic freedom ;

- sur le fond, cette rédaction ne complète qu'imparfaitement l'article L. 952-2, qui se limite à garantir la liberté d'expression des enseignants-chercheurs sans expliciter la liberté de recherche et la liberté d'enseignement, laissant un vide juridique préjudiciable.

Face à ces lacunes, l'auteur de la présente proposition de loi propose d'inscrire clairement dans la loi les trois dimensions de la liberté académique - la liberté d'enseignement, la liberté de recherche et la liberté d'expression des chercheurs et des enseignants-chercheurs - afin de garantir pleinement l'indépendance des travaux de recherche. Elle vise également à garantir la transparence des fonds privés affectés à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Ainsi l'article 1er vise à davantage encadrer, aux termes de la loi, la liberté académique, corollaire du principe à valeur constitutionnelle d'indépendance des enseignants-chercheurs, et à protéger les sources et matériaux des chercheurs et des enseignants-chercheurs.

L'article 2 vise à garantir la mise en oeuvre effective de la liberté académique dans chaque établissement d'enseignement supérieur, en instaurant l'obligation d'adopter une politique d'établissement formalisée, assortie d'un bilan annuel.

L'article 3 vise à créer un Observatoire national de la liberté académique chargé de centraliser les données, signalements et analyses relatifs aux atteintes à cette liberté et de formuler des recommandations dans un rapport public annuel.

L'article 4 vise à protéger les chercheurs et les enseignants-chercheurs visés par une procédure-bâillon, c'est-à-dire une action judiciaire sans fondement réel, intentée dans le but de les intimider ou de les faire taire en raison de l'exercice de leur liberté d'expression, en instaurant un mécanisme de protection fonctionnelle et de prise en charge de leurs frais de justice.

L'article 5 vise à assurer la transparence des fonds privés octroyés aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

L'article 6 complète le code de la recherche afin de garantir l'indépendance des travaux de recherche et d'empêcher la limitation de ceux-ci par le biais de clauses contractuelles.

L'article 7 soumet les entraves à la liberté académique aux sanctions pénales actuellement applicables aux entraves à la liberté d'enseigner, à la liberté d'expression ou à la liberté de création et de diffusion artistiques.

L'article 8 est le gage de la proposition de loi.

* 1 Vedel, G. (1960) « Les libertés universitaires », Revue de l'enseignement supérieur, n°4, p. 134-139.

* 2 Fernandes, C. (2024), La liberté académique de A à Z, Dalloz.

* 3 SLAPP : strategic litigation against public participation

* 4 Sénat (2021), Mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences.

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