EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années, la reconquête des berges de la Seine constitue l'un des marqueurs les plus visibles de la transformation de l'espace public à Paris. Ce mouvement s'inscrit dans une dynamique mondiale engagée par de nombreuses métropoles, de Bordeaux à Lyon, en passant par New York ou Séoul, qui reconfigurent leurs territoires hérités du tout-automobile pour redonner la priorité aux mobilités douces favorisant l'environnement, la préservation et l'amélioration de la qualité de l'air et la transition écologique.
À Paris, cette politique s'est traduite par une série d'aménagements ambitieux, dont le plus emblématique est la piétonnisation des voies sur berges rive droite. Le Conseil de Paris a voté ce projet le 26 septembre 2016, malgré de vifs débats avec les opposants à la fermeture d'un axe de transit qui, à l'époque, était un axe structurant de l'espace public parisien. La décision faisait suite à la fermeture définitive de la voie express Georges-Pompidou sur 3,3 km, entre le tunnel des Tuileries et le port de l'Arsenal, intervenue fin août 2016, dans la continuité de Paris Plages et d'une exposition dédiée à la COP22, dans la foulée de l'accord historique de la COP21.
Ce projet répond en réalité à une urgence climatique, sociale et sanitaire : adapter l'espace urbain aux enjeux de réduction de la pollution, de limitation des nuisances sonores, d'amélioration de la qualité de l'air et de la qualité de vie des Parisiennes et des Parisiens.
La voie express Georges-Pompidou, inaugurée en 1967 comme une autoroute urbaine au coeur de la capitale, n'était plus adaptée aux impératifs de la ville du XXIe siècle. Son aménagement piéton s'inscrit dans une évolution des usages. En effet, selon les chiffres de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France (IAU), 60 % des Parisiens ne possèdent pas de voiture tandis que la marche est devenue le premier mode de déplacement régional, représentant 39 % des trajets, devant la voiture (38 %) et les transports en commun (20 %)1(*). La transition vers des modes de déplacement plus doux et respectueux de l'environnement a des effets concrets sur la sécurité routière, avec une diminution notable du nombre d'accidents (4 759 contre 5 071 en 2022) et de personnes tuées (32 contre 38 en 2022) sur les routes parisiennes2(*).
Dès 2013, lors de la requalification des berges rive gauche, les controverses étaient déjà vives. Pourtant, une étude menée par Airparif sur les impacts de la fermeture des berges à la voiture a montré une baisse moyenne de 15 % des concentrations de dioxyde d'azote (NO2) par rapport à 2010 et une réduction significative des nuisances sonores3(*). Contrairement aux craintes exprimées, les reports de circulation furent moindres qu'anticipés : 50 % du trafic de la voie express s'est simplement déplacé sur le quai haut Anatole-France, entraînant une augmentation moyenne de seulement deux minutes du temps de parcours, contre six prévues par les modèles de simulation. Ces constats ont incité la Ville à prolonger l'aménagement sur la rive droite.
En effet, les données publiées par Airparif confirment que la qualité de l'air dans les quartiers adjacents s'est nettement améliorée depuis 2016, validant a posteriori les choix opérés par la municipalité. Depuis 2016, la qualité de l'air s'est améliorée dans les secteurs concernés, avec une diminution mesurable des concentrations de dioxyde d'azote (NO2)4(*). La fermeture de ces 3 500 mètres de voie rapide a permis une chute de 20 à 25 % de la pollution dans cette même zone ainsi que sur les voies à proximité. La piétonnisation a aussi permis de redonner à la Seine son rôle central : les berges sont redevenues un lieu d'activités culturelles, sportives et sociales.
Pourtant, malgré les effets bénéfiques de ces évolutions sur la qualité de l'air, l'environnement, le bien-être des Parisiens et des Parisiennes qui peuvent désormais bénéficier pleinement de ces voies sur berges, la compétence juridique sur certains axes routiers stratégiques, dont les voies sur berges, ne relève pas entièrement de la municipalité.
En effet, en vertu des articles L. 2512-13 et L. 2512-14 du code général des collectivités territoriales, la police de la circulation sur les axes dits structurants reste aujourd'hui une prérogative du préfet de police, qui dispose d'un droit de regard sur les décisions municipales. Cette disposition, propre à Paris, constitue une exception administrative lourde de conséquences : le Conseil de Paris ne peut décider de la piétonnisation des voies sur berges qu'à la condition d'obtenir un avis favorable du préfet de police, représentant de l'État. Elle limite ainsi la capacité de la Ville à mettre en oeuvre de manière autonome les politiques de piétonnisation ou d'aménagement de son espace public, pourtant essentielles à la transition écologique de la capitale et largement souhaitées par les Parisiennes et les Parisiens.
La présente proposition de loi vise donc à clarifier et à rééquilibrer la répartition des compétences en matière de circulation à Paris, en transférant à la Ville la pleine compétence sur les voies sur berges de la Seine. Elle tend à répondre à une double exigence, à la fois écologique, renforçant les initiatives locales de lutte contre la pollution de l'air, le bruit et les émissions de gaz à effet de serre, et démocratique, en réaffirmant le pouvoir et le rôle central des élus locaux dans la définition et la mise en oeuvre des politiques d'aménagement et de transformation de l'espace public.
L'article 1er de la présente proposition de loi insère une disposition nouvelle à l'article L. 2512-13 du code général des collectivités territoriales, afin de conférer au maire de Paris la compétence exclusive en matière de circulation, d'aménagement et de piétonnisation des voies sur berges. Il s'agit de mettre fin à l'intervention systématique du préfet de police dans la définition de l'usage de ces voies, pour permettre à la municipalité de les aménager librement, dans le respect des priorités sanitaires, environnementales et de mobilité définies localement.
L'article 2 modifie en conséquence l'article L. 2512-14 du même code. Il supprime la clause générale de réserve qui subordonne l'exercice des compétences du maire à celles du préfet de police et procède à une réécriture des alinéas II à IV. Il clarifie la répartition des responsabilités en maintenant la capacité du préfet à intervenir temporairement pour des motifs impérieux de sécurité, tout en reconnaissant au maire la compétence générale sur l'ensemble de la circulation et du stationnement à Paris. Il supprime également les dispositifs de listes d'axes définis par décret ou arrêté préfectoral, qui limitent aujourd'hui l'autonomie municipale, afin de garantir une gouvernance plus cohérente et démocratique des politiques d'aménagement de l'espace public parisien.
* 1 Enquête régionale sur la mobilité des Franciliens, L'Institut Paris région, 4/04/2024. https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports/deplacements/enquete-regionale-sur-la-mobilite-des-franciliens/
* 2 Données de la Ville de Paris, mise à jour le 7/02/2025 : « Comment se sont déplacés les Parisiens en 2023 ? » https://www.paris.fr/pages/le-bilan-des-deplacements-a-paris-en-2023-27604#:~:text=Accidentologie%20%3A,428%20contre%20314%20en%202022
* 3 Rapport final - Suivi de l'évolution de la qualité de l'air après fermeture des voies sur berges rive droite - Octobre 2017.
* 4 Rapport intermédiaire n° 1 - Campagne hivernale - Suivi de l'évolution de la qualité de l'air après la fermeture des voies sur berge rive droite - Mars 2017.