EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La part du secteur privé au regard des effectifs d'étudiants est passée de 15 % dans les années 2000 à plus de 26 % en 2024.

Cet essor est d'abord le résultat des choix budgétaires nationaux des dix dernières années : tandis que 600 000 étudiants supplémentaires entraient dans l'enseignement supérieur, les budgets des universités n'ont pas suivi. Alors que l'enseignement supérieur public devrait pouvoir avoir la priorité de l'attention politique et budgétaire de la puissance publique, le manque d'investissement dont il souffre a ouvert grand la porte à une montée en puissance du privé.

Dans le vaste ensemble que représentent les établissements privés d'enseignement supérieur, dont la place centrale au sein du paysage éducatif français n'est plus à démontrer, une sous-catégorie s'est progressivement développée loin du contrôle de la puissance publique : celle de l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Selon les données du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR), le privé lucratif représenterait a minima 8 % de la population étudiante totale (226 000 étudiants inscrits dans les écoles sous statut de sociétés commerciales, structures à but lucratif). Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) évoque quant à lui un ordre de grandeur proche de 400 000 jeunes (15 % de la totalité des étudiants).

Cet essor du secteur privé lucratif dans l'enseignement supérieur depuis les années 2015-2020 est le résultat d'une conjonction de facteurs. Outre l'attrait propre aux formations proposées et l'incapacité de l'enseignement public à absorber un public étudiant toujours plus nombreux, le niveau et le dynamisme des investissements publics et privés consentis, mais également le développement de l'apprentissage, ont joué un rôle déterminant en la matière. Le succès de la politique de l'apprentissage lancée en 2018 s'est accompagné d'une vitalité nouvelle des établissements privés lucratifs, qui ont su tirer parti de cette opportunité.

L'enseignement supérieur privé à but lucratif apparaît aujourd'hui comme un secteur en pleine expansion, difficile à définir, caractérisé par une connaissance lacunaire des pouvoirs publics et un cadre juridique obsolète. L'absence de définition claire du critère de lucrativité d'un établissement d'enseignement supérieur privé dans le droit français, conjuguée à un manque de régulation efficace, laisse des milliers d'étudiants exposés à des pratiques commerciales abusives et à des offres éducatives dont la qualité est souvent incertaine. À cela s'ajoute une opacité généralisée, qui rend difficile pour les familles de faire une distinction entre des établissements répondant aux standards académiques et ceux dont les priorités sont avant tout économiques. Ces dernières années, nombre de ces établissements ont en outre misé sur une stratégie d'affichage « hors Parcoursup », en surfant sur le caractère anxiogène et peu transparent de cette plateforme. Comme l'illustrait le rapport d'information n° 2458 déposé en avril 2024 par les anciennes députées Béatrice Descamps et Estelle Folest, le foisonnement de cette offre du privé lucratif n'est pas toujours synonyme de qualité, loin de là. Il donne ainsi lieu à une prolifération de diplômes aux dénominations baroques (« bachelors », « master of » et autres « mastères ») et non reconnus, dont la qualité de formation n'est pas toujours garantie.

Malgré son essor, le champ de l'enseignement supérieur privé lucratif n'a pas donné lieu à des travaux institutionnels, qu'il s'agisse du ministère chargé de l'enseignement supérieur, à travers l'inspection générale, ou des institutions nationales de contrôle. La liste des rapports de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), consultée pour les années 2021 à 2023, ne mentionne aucune étude portant directement sur le secteur privé lucratif. Les seuls travaux abordant avec précision ce secteur sont les rapports du médiateur de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur de 2012 et de 2022, alors que la mission du médiateur, sur le plan juridique, ne concerne que le secteur public.

Depuis 2013, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) multiplie les enquêtes concernant les pratiques contractuelles abusives des établissements privés à but lucratif. En 2020, à la demande du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, une enquête nationale de « Protection économique du consommateur dans les établissements privés d'enseignement supérieur » a ainsi été lancée auprès de 80 établissements identifiés par le ministère. Ont été contrôlées l'ensemble des dispositions protectrices des droits des consommateurs, avec une attention particulière sur les pratiques commerciales des établissements de formation apposant les labels créés en 2019 par le ministère de l'enseignement supérieur pour informer le consommateur de l'existence de diplômes « contrôlés par l'État ». L'enquête a été menée dans 34 départements de 14 régions. 56,3 % des établissements contrôlés présentaient une anomalie sur au moins un des points de la réglementation contrôlée. Parmi les pratiques abusives les plus fréquentes figurent la présence de clauses permettant la modification unilatérale des prix et l'absence de remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l'étudiant. Ces comportements exploitent souvent la méconnaissance des familles et le sentiment d'urgence face à des choix d'orientation cruciaux pour nos jeunes.

Par ailleurs, l'essor de ces établissements s'inscrit dans un contexte où le développement de l'apprentissage a joué un rôle déterminant. Sa réforme, issue de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » (loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018) associée aux mesures de soutien à l'embauche, a produit des effets bénéfiques en termes d'emploi des jeunes et de démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur. Selon le ministère du Travail et de l'Emploi, entre 2016 et 2023, le nombre d'entrées de jeunes en apprentissage est passé d'un peu moins de 300 000 à plus de 850 000. La croissance du nombre d'apprentis s'est logiquement accompagnée d'une augmentation de l'offre de formation, avec une multiplication par près de quatre du nombre de centres de formation des apprentis (CFA), passant de moins de 1 000 centres ouverts en 2018 à près de 3 800 aujourd'hui. En contribuant largement au développement du secteur, cette croissance de l'apprentissage a révélé un paradoxe : tandis que l'État abonde en milliards d'euros le financement de l'apprentissage, celui-ci échappe à tout contrôle de qualité.

Depuis la réforme de 2018, les fonds publics alloués à l'apprentissage ont considérablement augmenté : le coût total pour les finances publiques de la politique publique de l'alternance était estimé, en 2022, par la Cour des comptes, à 16,8 milliards d'euros. Cette manne financière a attiré de nombreux acteurs privés, qui profitent aujourd'hui de la faible régulation du secteur pour maximiser leurs profits tout en bénéficiant de ressources publiques. Si la réforme de 2018 a bien permis une démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, il apparaît aujourd'hui indispensable d'instaurer des garanties pour protéger les étudiants et de rappeler à tous les CFA, qu'ils relèvent de l'enseignement privé ou du public, que l'apprentissage est un dispositif gratuit et, par conséquent, de protéger les apprentis et futurs apprentis contre les abus dont ils peuvent faire l'objet. Il a en effet été constaté que certaines pratiques contractuelles des CFA imposent des charges financières excessives et injustifiées aux apprentis et aux candidats à l'apprentissage. Ces pratiques créent des barrières à l'accès à la formation et fragilisent le parcours des jeunes.

La présente proposition de loi n'est qu'une première étape visant à répondre aux impératifs précédemment décrits, en encadrant strictement la relation contractuelle entre les étudiants et les établissements privés, tout en renforçant les outils de contrôle et de sanction à disposition des autorités compétentes. La définition juridique du critère de lucrativité dans l'enseignement supérieur mériterait à elle seule une proposition de loi spécifique ; nous en sommes pleinement conscients et soulignons la nécessité de futurs travaux parlementaires sur ce sujet.

Nous nous réjouissons de l'adoption, dans la loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques du député Thomas Cazenave, de dispositions visant à empêcher, pour un organisme de formation, le dépôt d'une nouvelle demande d'activité en cas de faits particulièrement graves relevés par les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle de l'État au moment du dépôt de la déclaration d'activité ou au cours de l'activité de l'organisme, et à permettre l'annulation d'un organisme ayant eu recours à des faux documents pour obtenir indûment des fonds de la formation professionnelle. D'autres mesures indispensables à l'assainissement et à la structuration de ce secteur devront être introduites par décrets. La nécessaire mise en application de mesures ciblées, centrées sur les problématiques dites de « labellisation », ainsi que sur les pratiques de location de titres académiques, devra intervenir rapidement. De manière plus générale, ce texte invite à une réflexion davantage approfondie sur le rôle financier et de pilotage des acteurs publics en la matière, à l'image de Bpifrance et de son actionnariat au sein d'un groupe lucratif comme Galileo Global Education, une situation qui interpelle sur la cohérence des investissements publics dans des structures à but lucratif intervenant dans un domaine aussi crucial que l'éducation.

Nous tenons enfin à souligner que la présente démarche ne constitue pas une attaque contre le secteur privé, qui comprend des acteurs reconnus pour leur contribution à l'excellence académique de notre pays. Au contraire, cette proposition de loi participe de la préservation de la crédibilité des établissements privés, à l'image, notamment, des EESPIG ou autres organismes de formation faisant partie intégrante du paysage de l'enseignement supérieur, dont les travaux sont louables et l'efficacité tangible.

Mais, au regard des dérives constatées, il nous apparaît indispensable de poser des garde-fous afin de garantir un accès à l'enseignement supérieur qui reste le même pour toutes et tous. Nos étudiants ne sont pas des marchandises, et nous devons veiller à ce qu'ils ne soient pas traités comme telles. L'entrée dans l'enseignement supérieur, étape clé dans le développement individuel et professionnel de nos jeunes, doit être accessible et transparente pour chacun. Il est impératif que les choix d'orientation soient éclairés, sans que des biais imposés par des pratiques commerciales opaques ou abusives viennent entraver le droit à l'éducation.

L'éducation est et doit rester la première priorité nationale. Défendre l'égalité dans ce processus, c'est défendre les principes mêmes de notre République : égalité des chances, dignité des individus et construction d'un avenir commun. En cela, notre responsabilité politique est engagée pour garantir que chaque citoyen puisse accéder à une éducation de qualité, sans discrimination ni exploitation.

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à rééquilibrer les relations contractuelles entre les étudiants et les établissements d'enseignement supérieur privés, y compris les établissements privés dispensant un enseignement à distance. En effet, aujourd'hui, certains contrats introduisent des clauses abusives et sont conclus au profit des organismes d'enseignement supérieur privés à but lucratif, sans considération aucune des droits des étudiants-consommateurs. Ce rééquilibrage s'opère de différentes manières :

- en interdisant les « droits de réservation », pratiques consistant à imposer à l'étudiant le versement de frais destinés à garantir une place au sein d'un établissement d'enseignement supérieur privé avant la confirmation définitive de l'inscription ;

- en instaurant un mécanisme limitant les contrats à une année renouvelable, et dont la reconduction devra faire l'objet d'un accord entre les deux parties à la fin de chaque année pédagogique ;

- en imposant le remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l'étudiant dans un délai de deux mois après le début de la formation.

L'article 2 vise à prévenir les abus identifiés dans certains CFA en prévoyant expressément l'interdiction de certaines clauses contractuelles déséquilibrées, voire abusives, en les distinguant cependant des dispositions de droit commun prévues à l'article 1er afin de tenir compte des spécificités du contrat d'apprentissage. Sont ainsi visées :

- les clauses qui imposent le versement de frais de réservation préalables à la confirmation d'inscription dans un CFA ;

- les clauses privant l'apprenti d'un remboursement au prorata temporis des frais administratifs ou de scolarité en cas de départ anticipé du CFA ;

- les clauses excluant le remboursement des frais demandés à un postulant à l'apprentissage lorsque celui-ci signe un contrat d'apprentissage dans le délai de trois mois prévu à l'article L. 6222-12-1 du code du travail.

L'article 2 permet également l'exclusion de la durée maximale d'un an prévue au nouvel article L. 212-1-1 du code de la consommation, dans la mesure où l'engagement d'un apprenti avec un CFA ne peut se limiter à l'année académique, puisqu'en apprentissage il est réalisé pour toute la durée du contrat et qu'il s'agit là d'une condition de validité du contrat d'apprentissage.

Enfin, l'article 3 permet d'introduire des sanctions applicables aux responsables des établissements privés d'enseignement supérieur en cas de constatation de pratiques commerciales trompeuses pouvant aller jusqu'à des peines de prison et l'interdiction définitive d'enseigner et de diriger un établissement privé d'enseignement supérieur.

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