EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La protection fonctionnelle constitue un principe fondamental du droit public français, garantissant aux agents publics un accompagnement juridique et financier en cas de menaces, d'agressions ou de mises en cause dans l'exercice de leurs fonctions (articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique).
Si cette protection est reconnue aux fonctionnaires territoriaux, elle demeure inégale et lacunaire pour les élus locaux. En effet, l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales ne garantit une protection à l'élu local que lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Les règles applicables aux agents publics, en application de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique, sont plus protectrices que celles applicables aux élus, puisque la protection fonctionnelle doit également leur être accordée lorsqu'ils sont entendus en tant que témoins assistés, placés en garde à vue ou lorsqu'ils se voient proposer une mesure de composition pénale, soit avant que des poursuites soient engagées à leur encontre.
Cette disparité crée une iniquité manifeste, alors même que les élus et les fonctionnaires territoriaux concourent ensemble à la gestion des collectivités locales et à l'exécution des politiques publiques.
Une harmonisation et une extension du périmètre de la protection fonctionnelle semblent de bon aloi dans un contexte politique et sociétal qui témoigne d'une hausse des menaces, des agressions et des contentieux visant les élus locaux.
En effet, après avoir augmenté de 32 % en 2022, les agressions envers les élus avaient encore bondi de 15 % en 2023, portant leur nombre à plus de 2 600. Cette même année, 69 % des maires disaient avoir été victimes d'incivilités. Cette tendance s'est hélas confirmée en 2024 : entre le 1?? janvier et le 1?? octobre 2024, 1 885 plaintes et signalements d'élus locaux ont été recueillis par les forces de police et de gendarmerie.
Face à cette multiplication des actes d'intimidation et des actions en justice dont ils font l'objet, nos territoires connaissent une véritable crise de vocation des élus locaux. Selon des données recueillies en 2023 par l'Association des maires de France (AMF) auprès de 28 associations départementales, 275 maires, 913 adjoints et 3 563 conseillers municipaux ont démissionné depuis 2020, soit un total de 4 751 élus.
Dans un tel climat, il semble important d'assurer aux élus des conditions d'exercice de leur mandat plus sereines et sécurisées.
Or, force est de constater qu'en la matière, l'état du droit n'est pas satisfaisant, tout en ne contrevenant pas explicitement à la Constitution. En effet, par une décision en date du 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a jugé conforme à la Constitution la différenciation entre fonctionnaires territoriaux et élus en matière de protection fonctionnelle. Si cette jurisprudence valide juridiquement l'état du droit positif, elle ne répond pas aux préoccupations croissantes des élus locaux et ne leur offre pas les garanties nécessaires face aux risques qu'ils encourent. Dès lors, en l'absence d'une protection constitutionnelle, il revient au législateur de prendre ses responsabilités. Les juges constitutionnels ne s'opposent d'ailleurs pas à cette éventualité, estimant dans leur décision d'octobre 2024 qu'il « serait loisible au législateur d'étendre la protection fonctionnelle bénéficiant aux élus municipaux à d'autres actes de la procédure pénale ».
Une telle proposition était par ailleurs présente dans un récent rapport d'avril 2025, issue de la proposition 27 de la mission « Vigouroux ».
Ainsi, avec pour objectif de garantir une équité de traitement entre fonctionnaires territoriaux et élus locaux, tout en renforçant la sécurité juridique de ces derniers, l'article 1er de cette proposition de loi entend ajuster l'octroi de la protection fonctionnelle, en alignant les dispositions prévues dans le code général des collectivités territoriales sur celles inscrites dans le code général de la fonction publique, ainsi qu'en y ajoutant tous les cas où le code de procédure pénale reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat.
Dans son article 2, cette proposition de loi entend étendre à tous les agents publics l'octroi de la protection fonctionnelle dans tous les cas où leur est reconnu le droit à l'assistance d'un avocat, à savoir l'audition libre ou les cas mentionnés dans le code de procédure pénale tels que la procédure du recueil d'observations prévue à l'article 77-2, l'opération de reconstitution d'une infraction ou encore l'identification des suspects prévues à l'article 61-3. En cohérence, cet article modifie le code de la défense et le code de sécurité intérieure (CSI) afin que les militaires et certaines catégories de personnels concourant à la sécurité intérieure bénéficient du même niveau de protection fonctionnelle. Cette disposition semble nécessaire compte tenu de la décision n° 2024-1098 QPC du 4 juillet 2024, qui a déclaré contraires à la Constitution les deux derniers alinéas de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique (CGFP) en se fondant sur la différence injustifiée de traitement entre les agents placés en garde à vue, qui peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle, et ceux entendus sous le régime de l'audition libre, qui n'en bénéficient pas. Au regard de l'intention initiale du législateur (permettre la prise en charge des frais d'avocat exposés par l'agent public même en l'absence de poursuites), rien ne justifie l'exclusion des agents entendus en audition libre alors que ceux placés en garde à vue ou entendus sous le statut de témoin assisté en bénéficient.