EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'autorité territoriale, son directeur de cabinet et le directeur général des services forment un trinôme qui ne peut fonctionner que sur la base d'une définition explicite du positionnement et des missions de chacun. Or, le métier des collaborateurs de cabinet, véritables « travailleurs de l'ombre », est relativement méconnu, d'autant que les règles applicables sont aujourd'hui disséminées dans des textes épars et peu lisibles ainsi que dans certaines décisions isolées du Conseil d'État. Conséquence : les collectivités territoriales sont aujourd'hui exposées à un risque contentieux, y compris au plan pénal, comme l'illustre le jugement du 29 mars 2023, par lequel le tribunal correctionnel de Paris a condamné pour « détournement de fonds publics » l'ancien président du conseil départemental du Val-de-Marne ainsi que son directeur de cabinet. En effet, il n'existe pas à l'heure actuelle, dans le code pénal, d'infraction spécifique sanctionnant le non-respect du nombre maximum d'emplois de cabinet, fixé par le décret n° 87-1004 du 16 décembre 1987.

Telles sont les conclusions du rapport de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, déposé le 25 juin 2024 et signé par Cédric Vial et Jérôme Durain1(*).

Véritable « invitation au voyage » au coeur de l'écosystème des collectivités territoriales, le rapport vise à mieux faire connaitre la « grandeur et les servitudes » du métier de collaborateur de cabinet. Il formule 5 recommandations tendant à clarifier et sécuriser leur rôle, avec un objectif constant : garantir l'efficacité de l'action publique locale.

La présente proposition de loi traduit les recommandations de ce rapport.

L'article premier consacre dans la loi les missions essentielles du collaborateur de cabinet : « le collaborateur de cabinet assiste, accompagne, conseille, relaie et représente l'autorité territoriale. Il participe à l'élaboration de la stratégie de la collectivité, veille à la déclinaison et à la mise en oeuvre de cette stratégie et concourt à la promotion de la collectivité et de son action ». Par ailleurs, il procède, dans un souci de lisibilité du droit, à un regroupement des dispositions régissant les liens étroits unissant le collaborateur de cabinet à l'autorité territoriale. En effet, les compléments apportés par cet article premier seraient insérés juste après l'article L. 333-1 du code général de la fonction publique qui prévoit que « pour former son cabinet, l'autorité territoriale d'une collectivité ou d'un établissement (...) peut librement recruter un ou plusieurs collaborateurs et mettre librement fin à leurs fonctions ». L'ensemble de ces clarifications - de fond et de forme - sont très attendues car le collaborateur de cabinet facilite grandement l'exercice du mandat de l'autorité territoriale et exerce des fonctions décisives dans la bonne marche des collectivités territoriales et des établissements publics intercommunaux.

L'article 2 consacre dans la loi la possibilité d'une autorité fonctionnelle du cabinet sur certains services. Le rapport de la délégation a en effet souligné deux points fondamentaux :

- le directeur général des services (DGS), placé « sous l'autorité » de l'autorité territoriale, « dirige l'ensemble des services de la collectivité » aux termes de l'article 2 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987. À ce titre, le DGS, autorité hiérarchique, est seul habilité, par exemple, à recruter, évaluer, promouvoir ou sanctionner les agents ;

- le directeur de cabinet peut avoir vocation, dans le cadre de la préparation et de la mise en oeuvre des décisions politiques, à exercer, sur certains services, une autorité fonctionnelle directe. Cette autorité fonctionnelle peut elle-même être déléguée par le directeur de cabinet à certains collaborateurs, tels que le chef de cabinet, par exemple pour les questions de protocole. Cette pratique constante se justifie par la nécessité de garantir une plus grande réactivité et davantage d'efficacité et de fluidité dans la chaîne de décision. Le rapport de la délégation démontre la nécessité de clarifier l'intérêt et les contours de cette autorité fonctionnelle. Tel est l'objet de l'article 2 qui dispose que « le collaborateur de cabinet peut exercer une autorité fonctionnelle sur certains services et peut émettre un avis simple sur le recrutement et l'évaluation des agents de ces services ». La formule « peut exercer » signifie « ni interdiction, ni obligation » : autrement dit, rien n'oblige le cabinet à émettre un tel avis mais rien non plus ne peut le lui interdire s'il le souhaite. Cet avis consultatif ne lie pas le DGS, autorité hiérarchique exclusive, comme indiqué plus haut.

Par ailleurs, ce même article 2 renvoie à l'autorité territoriale le soin de déterminer les collaborateurs et les services concernés par cette autorité fonctionnelle, et ce en vertu des principes de libre administration des collectivités territoriales et de différenciation territoriale. Cette décision de l'autorité territoriale, qui pourrait prendre la forme d'un arrêté, devra être communiquée à l'organe délibérant dans un souci de transparence. Elle pourra utilement se traduire dans l'organigramme de la collectivité (avec, par exemple, des flèches en pointillés pour représenter l'autorité fonctionnelle du cabinet sur les services).

L'article 3 dispose que « le président du conseil régional peut affecter à un ou plusieurs vice-présidents, ayant reçu délégation, un collaborateur exerçant des fonctions administratives et dont le rôle est de les assister dans l'exercice de leurs fonctions ». Cette clarification est attendue : en effet, les vice-présidents de régions remplissent des fonctions importantes, compte tenu de la taille des grandes régions, de l'envergure des délégations que certains vice-présidents reçoivent du président, des montants financiers en cause et de leur niveau de responsabilité. Il paraît donc légitime qu'ils soient accompagnés dans l'exercice de leurs fonctions ; par ailleurs, l'article 3 clarifie les règles d'effectifs applicables aux collaborateurs du président des assemblées de Corse et de Martinique.

L'article 4 propose de remédier à deux difficultés relevées dans le rapport de la délégation.

En premier lieu, dans sa rédaction actuelle, le décret précité de 1987 ne prévoit pas le cas d'un cabinet mutualisé entre une commune et un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Cette mutualisation peut pourtant, dans certaines circonstances et selon les volontés politiques locales, présenter un intérêt certain et contribuer à l'efficacité de l'action publique locale. Prenons le cas d'une commune qui a droit à 5 collaborateurs et d'un EPCI à 10. Si la commune et son EPCI décident de mutualiser le cabinet de ce dernier, c'est-à-dire de lui confier la gestion des affaires de la commune et de l'EPCI, il ne pourra pas cumuler les deux plafonds. En d'autres termes, le cabinet mutualisé sera, dans cet exemple, limité à 10 collaborateurs, et non à 15. Le rapport de la délégation invite ainsi le pouvoir réglementaire à assouplir le décret précité de 1987 en permettant un cumul des deux plafonds d'emplois. Tel est l'objet de la première partie de l'article 4 qui sécurise l'organisation et la gestion des cabinets mutualisés.

En second lieu, ce même article 4 vise à remédier à l'impossibilité actuelle de pourvoir au remplacement d'un collaborateur durablement absent. En effet, le rapport de la délégation précise que dans sa rédaction en vigueur, le décret précité de 1987 fixant l'effectif maximal des collaborateurs de cabinet ne permet pas l'ouverture d'un poste supplémentaire pour réaliser la mission en lieu et place de l'agent absent pour cause de congé (maternité, parental, maladie...). Ainsi, en cas de plafond atteint, la collectivité n'a pas la possibilité de recruter un collaborateur de cabinet supplémentaire pendant la durée d'indisponibilité de l'agent concerné, alors qu'elle peut procéder à un tel remplacement pour un emploi permanent. Pourtant, cette indisponibilité peut durer parfois des années, dans le cas, par exemple, d'un congé maternité suivi d'un congé parental pour plusieurs enfants. Cette situation n'est pas sans poser des difficultés à certaines collectivités, susceptibles de faire l'objet d'une observation de la chambre régionale des comptes (CRC). L'article 4 rend ainsi possible le remplacement d'un collaborateur durablement absent, sans qu'on ne puisse opposer à l'autorité territoriale le dépassement du plafond du nombre de collaborateurs de cabinet. Il est entendu que le remplaçant sera librement recruté par l'autorité territoriale, au même titre que celui qu'il remplace.

* 1 « Les collaborateurs de cabinet en collectivités territoriales : un rôle essentiel, des missions à clarifier » ; rapport d'information n° 704 (2023-2024) ; https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-704-notice.html

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