EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le secteur associatif joue un rôle économique majeur en France. Les chercheurs recensent entre 1,4 et 1,5 million d'associations actives sur le territoire national en 2024. Parallèlement, ces structures affichent un « chiffre d'affaires » d'environ 120 milliards d'euros chaque année.
D'autres indicateurs illustrent l'importance du tissu associatif pour l'économie française. Des économistes estiment en effet que la valeur ajoutée créée par les associations représente environ 3,4 % du PIB national. Le secteur associatif employait environ 1,9 million de salariés en 2023, soit plus que le secteur des transports ou de la construction. L'emploi associatif représente 8,9 % de l'emploi total du secteur privé en 2023, pour une masse salariale de près de 49 milliards d'euros.
Bien que juridiquement à but non lucratif, de nombreuses associations développent des activités économiques significatives, bénéficient de subventions publiques ou se structurent en groupes d'associations. Pourtant, le cadre réglementaire demeure limité en termes de transparence et de contrôle par rapport aux entreprises. Contrairement aux sociétés, ces associations qui exercent des activités économiques ne sont pas systématiquement inscrites au RCS (registre du commerce et des sociétés), ce qui pose plusieurs problèmes en termes de :
- transparence financière, notamment sur l'origine et l'usage des fonds ;
- contrôle juridique, notamment en matière de bénéficiaires effectifs ;
- lutte contre la fraude, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) ;
- sécurisation des transactions économiques et accès à des informations fiables.
Dans plusieurs pays européens (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Pologne, Portugal), un registre des personnes morales regroupe à la fois les sociétés commerciales, les sociétés civiles et les associations, permettant une meilleure identification et une meilleure traçabilité des entités.
En France, seules deux catégories d'associations sont soumises à l'obligation d'immatriculation au RCS : celles qui effectuent un appel public à l'épargne et celles qui réalisent des opérations de change manuel.
À de très nombreuses reprises, le Sénat et l'auteur de la présente proposition de loi ont pu soulever les carences dans le contrôle des associations et notamment dans le contrôle des financements, y compris publics.
Une avancée a été faite dans la loi dite « confortant les principes de la République » s'agissant d'associations cultuelles1(*), mais le sujet est entier comme en atteste le rapport d'évaluation du Groupe d'action financière (GAFI) de 20222(*).
D'ailleurs le rapport d'évaluation de ladite loi confirme les failles dans les dispositifs3(*).
Les carences demeurent nombreuses et permettent à certaines associations d'être vectrices de criminalité, de blanchiment d'argent sale, ou de contribuer à des financements d'actes contraires aux principes de la République.
La commission d'enquête sénatoriale ouverte pour évaluer les outils de lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, qui a rendu son rapport le 18 juin 20254(*), avait évoqué, sans toutefois la traiter, cette question des associations et de leur contrôle.
La proposition de loi n° 873 rectifiée (2024-2025) en vue de faire de la lutte contre la gangstérisation de la France par la criminalité organisée et le blanchiment d'argent une priorité, issue des travaux de la commission d'enquête précitée et déposée le 31 juillet 2025, est donc en toute logique complétée par la présente proposition dédiée au secteur associatif.
Les constats sont sans appel : le système actuellement en place est carencé, inapproprié pour la vie économique et ses acteurs, voire facilitateur de criminalité.
1) La procédure d'enregistrement déclaratif est incompatible avec la vie économique
Les associations qui ont des activités économiques sont uniquement inscrites au répertoire national des associations (RNA), qui leur attribue un numéro d'identification.
Le numéro SIREN n'est obligatoire que si l'association sollicite une subvention, emploie des salariés ou exerce une activité commerciale et doit faire l'objet d'une démarche supplémentaire.
L'absence d'un registre de publicité légale empêche une vérification efficace des activités économiques et des flux financiers associatifs.
2) La publicité des procédures collectives est limitée
Les jugements d'ouverture de procédures collectives concernant les associations sont censés être publiés dans un registre spécifique des tribunaux judiciaires.
Contrairement aux entreprises inscrites au RCS, ces informations ne sont pas accessibles à des créanciers ou à des partenaires économiques souhaitant vérifier la solvabilité d'une association.
3) Le contrôle des dirigeants et des bénéficiaires effectifs est limité voire inexistant
Aucune vérification du fichier national des interdits de gérer n'est effectuée lors de la déclaration d'une association, ce qui pourrait être le cas lors d'une immatriculation au RCS, alors même que l'interdiction de gérer ou la faillite personnelle entraînent l'interdiction de diriger toute personne morale.
La déclaration des bénéficiaires effectifs (dirigeants et membres du bureau) est obligatoire mais à ce jour il n'existe pas de mécanisme ni d'accès aux informations qui seraient déclarées.
Aucune procédure de radiation d'office ne peut être mise en place s'agissant du RNA en cas de fraude ou de cessation d'activité, contrairement au RCS qui couvre ces cas de figure.
Pour répondre à ces failles connues, la présente proposition de loi instaure l'immatriculation au RCS, qui apparaît comme la réponse adaptée et qui est portée et soutenue par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
L'immatriculation des associations exerçant une activité économique au RCS permettrait :
- une meilleure transparence : accès aux informations sur les dirigeants, l'adresse du siège, les statuts et la situation juridique des associations ;
- un renforcement des contrôles : vérification des bénéficiaires effectifs, consultation du fichier des interdits de gérer, inscription des mesures de gel des avoirs ;
- une sécurisation des échanges économiques : accès à un extrait Kbis, garantissant l'existence légale de l'association et ses éventuelles procédures collectives ;
- un alignement avec les standards européens en s'orientant vers un registre des personnes morales.
Compte tenu de l'importance et du foisonnement de la vie associative, la présente proposition fixe des critères d'immatriculation.
Afin de préserver le principe de la liberté d'association et de ne concerner que les entités ayant une véritable activité économique, l'immatriculation ne serait obligatoire que pour les associations répondant à au moins un des critères qui devront être fixés par un décret pris en Conseil d'État. Ainsi, seraient concernées :
- les associations souhaitant volontairement s'immatriculer pour bénéficier des avantages du RCS ;
- les associations ayant l'obligation légale de nommer un commissaire aux comptes ;
- les associations assujetties à l'impôt sur les sociétés ;
- les associations disposant d'un nombre de salariés restant à déterminer ;
- les associations détenant des parts dans une société civile ou commerciale.
L'immatriculation des associations économiques au RCS bénéficierait à la fois aux associations sérieuses et à leurs partenaires en leur offrant un cadre juridique plus sûr, sans remettre en cause la liberté d'association. Elle pourrait s'effectuer sans préjudice des missions réalisées par les préfectures dans le cadre d'une extension du cadre actuel des associations soumises à l'immatriculation au RCS et concernerait, en fonction des critères retenus, entre 117 000 et 280 000 associations.
Le registre du commerce et des sociétés (RCS) apparaît sur le plan national et européen comme le registre de publicité légale le plus important, tant en nombre d'assujettis (plus de 7 millions d'entreprises), qu'au regard de ses effets juridiques (présomption de commercialité, acquisition de la personnalité morale) et économiques (accès aux informations déclarées par les entreprises).
Dans le cadre de la tenue de ces registres, le greffier effectue plusieurs types de contrôles : un contrôle administratif qui recouvre la régularité et la conformité de la demande, un contrôle de légalité spécifique aux sociétés et un contrôle de police économique s'inscrivant dans le cadre de la lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
On peut rappeler l'importance et la variété des contrôles effectués par les greffiers pour mesurer les effets positifs de l'immatriculation des associations visées par la présente loi.
Les contrôles de type administratif concernent :
- le contrôle de compétence : le greffier détermine d'abord s'il est ou non compétent pour recevoir les déclarations d'immatriculation des assujettis. Cette vérification couvre la compétence matérielle et territoriale ;
- le contrôle de conformité des énonciations aux dispositions législatives et réglementaires : il s'agit de vérifier si toutes les mentions requises par les différents textes applicables au dossier sont portées sur le formulaire. Une vérification de cohérence de l'ensemble des énonciations est également effectuée ;
- le contrôle général de régularité : il s'agit de vérifier si les mentions portées sur la demande sont conformes aux actes déposés en annexe et aux pièces justificatives dont la liste figure dans les annexes qui se trouvent après l'article A. 123-45 du code de commerce ;
- le contrôle de compatibilité de la déclaration avec l'état du dossier : il consiste à vérifier si une formalité antérieure omise ou mal accomplie nécessite une régularisation avant de traiter la déclaration nouvelle.
Pour les contrôles de légalité et les contrôles de police économique :
- le greffier vérifie la capacité commerciale du dirigeant, en assistant le président du tribunal (ou le juge commis à la surveillance du RCS) dans le cadre de la demande de consultation du casier judiciaire et en interrogeant le fichier national des interdits de gérer (FNIG) tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC).
L'interrogation du fichier se fait par requête sur un portail dédié, via la saisie des noms, prénoms et date de naissance de l'intéressé.
En permettant un accès immédiat à une information actualisée et intégrant les interdictions émises par les juridictions commerciales d'Alsace-Moselle, le FNIG favorise la détection d'antécédents judiciaires récents ou de récidive. Il permet également l'obtention de renseignements sur une personne faisant l'objet d'une enquête, ou encore la caractérisation d'une infraction de non-respect d'une condamnation pénale. Le FNIG constitue donc un outil de première importance dans la lutte contre les fraudes. Il convient de noter qu'une interdiction de gérer peut porter sur toute personne morale, en ce compris une association.
- le greffier vérifie également la cohérence et la validité des différentes pièces d'identité fournies (acte de naissance, carte d'identité, titre de séjour...). Les greffiers et leurs collaborateurs ont dans ce cadre été formés à la détection des faux documents identitaires par des spécialistes du bureau de la fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières.
Le décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 relatif au Registre national des entreprises et portant adaptation d'autres registres d'entreprises a inséré au sein du code de commerce un nouvel article R. 123-95-1 prévoyant que le greffier vérifie par le biais de l'outil DOCVERIF la validité des titres d'identité émis par les autorités françaises (carte nationale d'identité, passeport et titre de séjour) produits par le déclarant. Ces dispositions sont applicables depuis le 21 juillet 2022.
- des vérifications sont en outre effectuées sur la localisation des sièges sociaux (présence d'un bail ou à tout le moins d'un titre de jouissance, d'un document justifiant d'une adresse personnelle, d'une domiciliation collective et dans ce cas, le greffier vérifie que la société de domiciliation dispose d'un agrément).
- lorsque l'exercice de l'activité est subordonné à la détention préalable d'un diplôme, d'une autorisation ou d'un agrément administratif, le greffier vérifie la présence de ces documents et le cas échéant, échange avec l'entité concernée les informations requises par les textes. La vérification juridique qu'il opère en matière de droit des sociétés conditionne parfois l'octroi par l'ordre ou l'autorité compétente de l'inscription au tableau.
- plusieurs autres éléments spécifiques à la formalité sont par ailleurs vérifiés : actes de vente, contrats de location-gérance, publicités légales...
Enfin, en tant qu'officier public et membre du tribunal, le greffier entretient un lien étroit avec le ministère public (sous la surveillance duquel il est statutairement placé en vertu de l'article R. 741-2 du code de commerce) auquel il transmet les informations relatives à une infraction délictuelle dont il aurait connaissance, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.
Il est à relever que, depuis juillet 2022, le greffier qui a un doute sur l'authenticité d'une pièce justificative produite par un déclarant a la possibilité de demander la transmission d'un justificatif complémentaire (art. R. 123-84-1 du code de commerce).
Une procédure de mention puis de radiation d'office peut être lancée dans le cas où le greffier est informé que l'immatriculation d'une personne ou l'inscription modificative la concernant aurait été réalisée par la production d'une pièce justificative ou d'un acte irrégulier (art. R. 123-125-1 du code de commerce) : à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'inscription de la mention de demande de régularisation, le greffier radie d'office la personne qui n'a pas régularisé sa situation (art. R. 123-136-1).
Les greffiers des tribunaux de commerce, assujettis volontairement aux dispositions de la LCB-FT, assurent ainsi une véritable mission de police économique indispensable à l'assainissement du tissu social et économique et requise au titre de la lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme. Rompus à l'exercice du contrôle juridique de mécanismes de détention capitalistique parfois complexes, détenteurs du pouvoir d'attribution de la personnalité morale aux sociétés sollicitant auprès d'eux leur immatriculation au RCS et collaborant avec l'ensemble des acteurs de la LCB-FT du fait de la transversalité de leurs missions, ils demeurent les auxiliaires de référence pour assurer l'efficience de la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Ce rappel salutaire des missions des greffes ne peut que conforter le bien-fondé de la présente proposition de loi, d'autant que la mesure proposée est sans effet sur les finances publiques.
La modification législative proposée consiste à ajouter un alinéa à l'article L. 123-1 du code de commerce pour y faire figurer les associations ayant une activité économique.
Les mesures de coordination devront être prises pour assurer l'application de cette disposition dans le cadre du droit local alsacien-mosellan.
* 1 https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042635616/.
* 2 https://www.fatf-gafi.org/content/dam/fatf-gafi/mer/Rapport-Evaluation-Mutuelle-France-2022.pdf.coredownload.inline.pdf.
* 3 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/mission-dinformation-sur-lapplication-de-la-loi-du-24-aout-2021-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique.html.
* 4 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-aux-fins-devaluer-les-outils-de-la-lutte-contre-la-delinquance-financiere.html.