EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'accès à l'innovation thérapeutique constitue à la fois une exigence de santé publique et un levier stratégique pour la souveraineté sanitaire et industrielle de notre pays. Pourtant, la France est aujourd'hui confrontée à un affaiblissement préoccupant de son attractivité, tant sur le plan de la production et de la recherche clinique, que sur celui de l'accès des patients au marché.

Les indicateurs sont au rouge.

Les données issues du Baromètre 2025 de l'organisation professionnelle des entreprises du médicament (Leem) sont sans appel : le délai médian d'accès aux nouveaux médicaments atteint désormais 523 jours en France1(*), contre 50 jours en Allemagne. Pire encore, 40 % des traitements autorisés en Europe entre 2020 et 2023 n'étaient pas disponibles pour les patients français au 31 décembre 2024, contre à peine 10 % pour les patients allemands. Dans ce contexte, les situations d'impasses d'accès au marché se multiplient.

Dans le même temps, seuls 9 % des nouveaux médicaments autorisés en Europe entre 2020 et 2024 sont produits en France, contre 24 % en Allemagne. Cette situation compromet directement l'accès des patients aux traitements de demain et affaiblit notre industrie nationale2(*).

À cela s'ajoute un contexte international concurrentiel extrêmement tendu. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie industrielle, ont imposé une taxe douanière de 15 % sur les produits européens et ont donné deux ans aux entreprises du médicament pour produire aux États-Unis sous peine d'augmenter les droits de douane sur les médicaments à 200 %. Ces « menaces », associées à une politique publique qui valorise et favorise l'innovation thérapeutique, ont permis d'attirer plus de 300 milliards de dollars d'investissements en R&D et production sur le sol américain.

Ce contexte rend indispensable un sursaut stratégique pour maintenir et développer l'industrie du médicament en France. Paradoxalement, alors même que le Président de la République ambitionne de faire de la France le leader européen en santé au travers du Plan innovation Santé 2030, le Gouvernement envisage d'accroître l'effort de régulation budgétaire sur le secteur du médicament, ce qui pourrait affaiblir l'une des dernières industries de pointe en France.

Le risque est grand de renforcer encore les effets désincitatifs d'un système de régulation aujourd'hui unanimement jugé dépassé et qui n'assure ni la soutenabilité du système sur le long terme, ni la croissance des acteurs économiques.

En effet, la régulation actuelle repose essentiellement sur deux leviers : les baisses de prix et la contribution au titre de la clause de sauvegarde. La pression budgétaire qu'ils exercent se concentre sur un nombre restreint d'acteurs, ce qui affaiblit la capacité de la France à attirer de nouveaux investissements industriels dans le secteur du médicament.

Et lorsque le législateur instaure des dispositifs destinés à encourager les investissements industriels en France ou à permettre le maintien sur le marché de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, leur application reste très perfectible. Par exemple :

·  L'article 65 de la LFSS 20223(*), modifié par la LFSS 20254(*), vise à encourager les entreprises à investir localement en valorisant, au moment de la fixation des prix, les investissements industriels réalisés en France. Toutefois, cette disposition n'est appliquée que de manière restrictive puisqu'elle exclut les projets ex nihilo, en contradiction avec l'esprit même de la loi ;

·  L'article 77 de la LFSS 20245(*) impose aux entreprises qui souhaitent arrêter la commercialisation d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) de trouver un repreneur. Inspirée de la loi « Florange », cette disposition constitue un levier important dans la lutte contre les ruptures ou tensions d'approvisionnement. Toutefois, lorsque le médicament cédé est en croissance, l'entreprise qui en reprend la commercialisation afin d'en garantir le maintien sur le marché peut se retrouver paradoxalement pénalisée, le chiffre d'affaires généré étant intégré dans la part en croissance soumise à la contribution due au titre de la clause de sauvegarde.

Alors que la recherche clinique constitue un pilier stratégique de l'innovation en santé et un levier essentiel pour garantir un accès précoce aux traitements innovants, la France continue de reculer dans ce domaine. Selon le baromètre 2025 du Leem, notre pays stagne à la 3? place européenne en nombre d'essais cliniques industriels, derrière l'Espagne et l'Allemagne, et perd du terrain sur la majorité des aires thérapeutiques. La position de la France est désormais menacée, y compris dans les phases précoces de développement, avec un taux d'attractivité en baisse.

Ce décrochage met en péril non seulement la compétitivité de notre recherche clinique, mais aussi l'accès des patients français aux innovations thérapeutiques, notamment en oncologie, dans les maladies rares et dans les domaines de la médecine de précision.

La présente proposition de loi entend répondre à cette situation en introduisant des ajustements ciblés, à impact budgétaire limité, mais à fort levier stratégique. Elle vise notamment à :

·  Redonner de la prévisibilité aux industriels en clarifiant l'application de l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, pour permettre l'intégration anticipée des engagements industriels dans la fixation du prix des médicaments, y compris pour les projets ex nihilo ;

·  Renforcer la souveraineté sanitaire, sécuriser l'approvisionnement en médicaments de nos compatriotes et assurer la pérennité économique des entreprises qui choisissent la France, en mettant en place un abattement sur le montant de la clause de sauvegarde pour concrétiser et accélérer la production en France ou a minima en Europe des médicaments dont nous avons besoin ;

·  Corriger les effets contre-productifs du calcul à périmètre courant de la part en croissance de la clause de sauvegarde, en appliquant un périmètre constant en cohérence avec l'objectif du dispositif « Florange » ;

·  Renforcer l'attractivité de la France pour la recherche clinique, en alignant nos politiques incitatives sur celles de nos voisins européens dans un contexte où le crédit impôt recherche (CIR) est de plus en plus remis en question. Il s'agit notamment d'inciter les industriels du médicament à inclure un pourcentage minimum de patients français dans les essais cliniques en contrepartie d'un avantage dans la fixation du prix du médicament.

Ces ajustements ne remettent pas en cause la nécessité d'un pilotage budgétaire rigoureux des dépenses de santé. Ils entendent au contraire restaurer un équilibre entre la maîtrise de l'Objectif national de dépense d'assurance maladie (ONDAM) et l'attractivité de notre système de santé, dans une logique de partenariat stratégique entre les acteurs publics et privés.

Faire de la France une terre d'innovation, attractive pour les essais cliniques et les investissements industriels, est une priorité. Cette proposition de loi s'inscrit dans cette ambition, pour ne pas subir demain les conséquences de renoncements d'aujourd'hui.

Le présent texte s'articule autour de huit articles, organisés en trois volets complémentaires :

Ø Le volet économique et industriel comprend :

o L'instauration d'un abattement sur la clause de sauvegarde en fonction du lieu de production réalisée en Europe (article 1er) ;

o La correction du calcul de la contribution sur la croissance pour les entreprises ayant repris des spécialités à périmètre constant (article 2) ;

o L'intégration des investissements industriels prévus dans la fixation du prix des médicaments (article 3).

Ø Le volet thérapeutique et d'efficience du système de santé inclut :

o L'assouplissement du cadre légal applicable aux médicaments de thérapie innovante (MTI), afin de le rendre applicable (article 4) ;

o La reconnaissance des externalités positives du médicament sur l'organisation des soins et la qualité de vie des patients (article 5) ;

o La modification de l'article 65 de la LFSS 2022 afin de mieux valoriser l'attractivité du territoire français en matière de recherche clinique, en prévoyant l'inclusion d'un pourcentage minimum de patients français dans les essais cliniques en contrepartie d'un avantage dans la fixation du prix des médicaments (article 6).

Ø Le volet pilotage de la politique des produits de santé en France inclut la constitution d'une commission de pilotage interministériel placée sous l'égide du Premier ministre et composée des représentants des administrations centrales des ministères en charge de la santé et des comptes sociaux, des représentants des entreprises du médicament et du dispositif médical. Ce comité sera notamment chargé de mettre en place un outil de suivi régulier des dépenses des produits de santé commun à l'ensemble des parties prenantes (article 7).

Enfin, l'article 8 vise à garantir la recevabilité financière de la présente proposition de loi en prévoyant, à titre conservatoire, le gage des éventuelles conséquences financières pour l'État et les organismes de sécurité sociale par la création d'une taxe additionnelle sur les tabacs.

Cette disposition, purement formelle, a pour seul objet de satisfaire aux règles de recevabilité prévues par l'article 40 de la Constitution. L'auteure de la proposition de loi attend du Gouvernement qu'il lève ce gage au moment de l'examen du texte, dans le cadre du débat parlementaire.

Ces dispositions ciblées, techniquement simples, à impact budgétaire maîtrisé, visent à renforcer la lisibilité, l'attractivité et la cohérence du système de régulation du médicament, en cohérence avec les ambitions industrielles et sanitaires portées par la France.

* 1 La directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, a fixé à 180 jours le délai de référence pour l'accès au marché, soit la durée maximum pouvant séparer l'autorisation de mise sur le marché et la prise en charge du médicament.

* 2 « Baromètre 360°de l'attractivité de la France pour l'industrie pharmaceutique », Édition 2025 réalisée par PwC Strategy& pour le Leem.

* 3 Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

* 4 Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025.

* 5 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

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