EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs décennies, notre société a profondément changé, et avec elle, la définition de la famille. Là où hier prévalait un modèle classique - un couple marié avec ses enfants biologiques - se sont désormais imposées de multiples réalités : familles recomposées, monoparentales, homoparentales.

Ces nouvelles formes de familles ne sont plus des exceptions mais bien une composante ordinaire de la vie sociale. Dans ce cadre, les beaux-parents occupent une place singulière. Ils ne sont pas liés par le sang, mais ils assument, au quotidien, un rôle éducatif, affectif et logistique essentiel. Ils participent à l'éducation, transmettent des valeurs, financent les études et soutiennent les enfants comme le ferait tout parent. Or, malgré cette réalité vécue par des millions de familles, notre droit fiscal continue d'ignorer ce rôle, reléguant les beaux-parents au rang de simples tiers.

Aujourd'hui, un parent qui transmet un patrimoine à son enfant bénéficie d'un abattement de 100 000 €, renouvelable tous les 15 ans. Entre époux ou partenaires pacsés, l'abattement s'élève à 80 724 €. Un grand-parent peut donner jusqu'à 31 865 € à son petit-enfant sans droits à payer. Mais pour un beau-parent qui souhaiterait transmettre à l'enfant qu'il a pourtant élevé, l'abattement n'est que de 1 594 € : au-delà, chaque euro est frappé d'une taxation pouvant aller jusqu'à 60 %. Autrement dit, un don de 100 000 € d'un parent à un enfant bénéficie d'un abattement conséquent et une fiscalité progressive (5 à 20 % selon le barème). Le même don, venant d'un beau-parent, serait taxé de plus de 59 000 €, soit une spoliation quasi intégrale de l'acte familial. Ce traitement différencié nie la réalité des liens affectifs et éducatifs et introduit une fracture entre familles dites « traditionnelles » et familles recomposées.

Dans les faits, près d'un enfant sur dix en France vit aujourd'hui dans une famille recomposée, et ce chiffre ne cesse de croître1(*). Ces enfants vivent souvent autant de temps avec leur beau-parent qu'avec leur parent biologique. Pourtant, la loi persiste à faire comme si ces liens n'existaient pas. En refusant toute reconnaissance fiscale, elle entretient une vision archaïque de la famille, centrée exclusivement sur la biologie, alors même que la société a déjà tranché : ce qui fonde la parentalité, ce n'est pas seulement le sang, mais l'engagement, la présence et l'amour.

L'objectif de ce texte de loi est alors d'aligner le droit fiscal sur la réalité sociale. Accorder aux beaux-parents le même abattement que les parents, soit 100 000 € tous les 15 ans, constituerait une mesure de justice sociale et de cohésion. Elle offrirait aux familles recomposées la reconnaissance qu'elles méritent, en leur donnant les mêmes outils patrimoniaux que les autres. Elle enverrait un message clair : la République ne hiérarchise pas les familles, elle reconnaît toutes celles qui s'engagent dans l'éducation et le soin des enfants.

La nécessité d'un lien juridique solide (mariage ou PACS), l'exigence d'une durée minimale de vie commune de cinq ans, sont intégrés dans ce texte de loi pour éviter les donations opportunistes, et le contrôle par un notaire. Ces conditions simples mais strictes permettent de sécuriser la mesure tout en évitant que la fiscalité ne soit instrumentalisée.

En adoptant une telle réforme, la France deviendrait précurseure en Europe. Ni l'Allemagne, ni l'Italie, ni la Belgique ne reconnaissent aujourd'hui fiscalement la place des beaux-parents. La France peut montrer la voie d'une fiscalité moderne, adaptée aux nouvelles réalités familiales. Cette reconnaissance serait à la fois un acte symbolique fort et une mesure concrète, qui soulagerait financièrement des millions de foyers et éviterait que des transmissions patrimoniales légitimes soient réduites à néant par l'impôt.

Il est temps que la loi cesse d'ignorer l'évidence, les beaux-parents sont, pour des millions d'enfants, de véritables parents. Les exclure du bénéfice des abattements revient à nier leur rôle, leur engagement et leur lien affectif inhérent à la relation parentale. Les intégrer dans le droit fiscal, c'est faire entrer la loi dans le XXIe siècle, c'est reconnaître que la famille n'a plus une seule définition, mais qu'elle a toujours la même finalité : élever, éduquer, protéger et transmettre.

* 1 Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 2023.

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