EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de dix ans, les plages des Antilles françaises, mais également les littoraux de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et de Guyane, subissent un phénomène environnemental récurrent : l'échouage massif d'algues sargasses sur les côtes. Ce fléau, désormais bien connu des populations locales, n'est pas un simple désagrément mais une véritable crise écologique, sanitaire, économique et sociale.
Le dérèglement climatique, entraînant une augmentation de la température et une baisse de la pression atmosphérique, de même que l'agriculture intensive, provoquant un apport de nutriments (potassium et nitrate) en provenance des fleuves Congo et Amazone sont à l'origine de l'accélération de ce phénomène.
Les sargasses, arrivant par vagues successives depuis 2011, s'amoncellent sur les plages, dans les baies et les zones de mangrove, où elles se décomposent en quarante-huit heures et libèrent de l'hydrogène sulfuré (H2S) et de l'ammoniac. Ces émanations toxiques entraînent de multiples pathologies : céphalées, nausées, troubles respiratoires, irritations cutanées et, dans certains cas, hospitalisations. Les autorités sanitaires, notamment le Haut Conseil de la santé publique dans son dernier avis du 7 septembre 2023 relatif aux recommandations sanitaires spécifiques en lien avec les émissions de gaz par les algues sargasses, ont souligné à plusieurs reprises les dangers de ces gaz pour les populations riveraines, et les signalements médicaux se multiplient.
Les risques sont d'autant mieux connus que de nombreux épisodes, depuis 2011, ont conduit à la fermeture d'écoles, d'établissements de santé, d'activités économiques et de plages. Des alertes ont été lancées par les agences régionales de santé, et des rapports successifs du Sénat et de l'Assemblée nationale ont insisté sur la gravité du phénomène et la nécessité d'une réponse coordonnée de l'État.
J'ai moi-même été à l'origine, dès 2019, d'une Conférence internationale sur les sargasses, issue de mon rapport sur l'étude des politiques publiques et des solutions mises en place pour lutter contre ce fléau dans les Caraïbes et sur les possibilités de coopération régionale à explorer.
En avril 2025, dans la mission d'information flash sur la valorisation des algues en réponse à leur prolifération, les députés co-rapporteurs Mickaël Cosson et Olivier Serva soulignent l'utilisation économique qui pourrait être faite des sargasses avant leur échouage sur les plages françaises.
Pourtant, malgré ces possibilités de valorisation, rien n'est fait pour empêcher que les algues n'arrivent sur les plages et ne libèrent leur gaz toxique.
De leur côté, les municipalités les plus touchées, notamment en Guadeloupe et en Martinique, supportent un fardeau financier qui met en péril leurs autres missions de service public. En effet, les sargasses sont considérées, juridiquement, comme des déchets.
Autrement dit, la charge colossale de leur ramassage et de leur traitement incombe aux collectivités territoriales, et en premier lieu aux communes littorales, qui n'ont pourtant pas les moyens financiers d'assumer une telle charge.
De même, le secteur touristique, pourtant pilier économique de ces territoires, subit des conséquences désastreuses : plages rendues impraticables, infrastructures hôtelières désertées, image des destinations altérée. Les pêcheurs, eux, sont directement affectés par l'obstruction des zones de mouillage et la contamination possible des ressources halieutiques.
Il convient de rappeler que la France, par ses engagements internationaux et européens, est tenue de protéger la santé publique et de garantir un environnement sain. Or, la récurrence des échouages et la toxicité avérée des émanations imposent de reconnaître qu'il s'agit d'une crise qui dépasse les capacités locales et relève de la responsabilité de l'État.
Les populations concernées vivent depuis plus d'une décennie dans la crainte permanente d'un nouvel échouage, dans la peur de voir leur santé compromise, leurs activités économiques freinées, et leurs enfants exposés à un air vicié. Cette insécurité sanitaire et sociale nourrit un sentiment d'abandon qui ne saurait perdurer.
Face à cette situation, l'État ne peut plus se contenter de soutenir ponctuellement les collectivités ou de financer des plans d'urgence successifs.
Pour rappel, le « plan Sargasses 1 », mis en place relativement tardivement, n'a pas atteint pleinement les objectifs qu'il s'était fixés. Il a en effet été conçu de manière à répondre à un phénomène ponctuel et dans une approche de type “gestion de crise”. Or, l'échouement constant des algues sargasses sur les côtes montre qu'une telle approche est insuffisante.
Le « plan Sargasses 2 », mis en oeuvre pour les années 2022-2025, a tenté de renforcer les actions de prévention, tout en augmentant le soutien financier de l'État aux collectivités confrontées aux échouages.
Cependant, la chambre régionale des comptes de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin a elle-même souligné, dans son dernier rapport portant sur les exercices 2018 et suivants, que le soutien financier de l'État ne correspondait qu'à 30 % de la charge financière assumée par les collectivités dont les littoraux sont pollués, entraînant une véritable asphyxie des finances locales.
Très récemment, en vue du Congrès mondial de la nature de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui se tiendra à Abu Dhabi du 9 au 15 octobre 2025, la région Guadeloupe a réussi, avec le soutien de partenaires nationaux et internationaux (Ecomaires, UICN France, ministère des Affaires étrangères, ministère des Outre-mer), à faire adopter la motion 029, visant à mettre en place une gouvernance internationale pour la gestion des algues sargasses dans le bassin caribéen.
Si cette initiative constitue une avancée remarquable, permettant à la communauté internationale de se saisir du problème et de le traiter à la racine, s'inspirant d'ailleurs des conclusions de la Conférence internationale sur les sargasses qui s'est tenue en 2019, il ne règle pas, à court terme, la question du ramassage des algues échouées sur les plages antillaises.
La répétition des crises prouve qu'il faut désormais imposer à l'État la prise en charge de ce phénomène, au même titre qu'il prend en charge d'autres risques majeurs pour la santé publique et l'environnement (tels que ceux générés par les installations classées pour la protection de l'environnement).
En conséquence, la présente proposition de loi propose de transférer des collectivités municipales vers l'État la responsabilité du ramassage et du traitement des sargasses échouées sur les littoraux de Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Pour ce faire, l'article 1er vise à exclure expressément du régime des déchets les algues sargasses échouées sur les plages des collectivités de Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
L'article 2 vise quant à lui à transférer vers l'État la responsabilité du ramassage et du traitement des algues sargasses échouées sur les plages, en lui imposant un délai de quarante-huit heures, afin d'éviter les émanations toxiques qui résultent de leur décomposition.
Il vise également à créer une taxe additionnelle aux droits d'accise sur la consommation d'alcool et de tabac, afin de compenser la charge ainsi créée.